.

 LE MISSIONNAIRE (1865-1868)

 

Plus bas! plus bas! Dans ce sombre vallon Dit ciel descend un bienfaisant rayon. Plus bas encore! Va seulement sans peur Là tu rencontreras sûrement ton seigneur

.A Alexandrie

« Descendre en Egypte », ainsi s'exprimaient jadis les Hébreux en parlant d'un voyage aux bords du Nil. Et c'est encore fréquemment ainsi qu'on parle aujourd'hui en Palestine. Pour notre jeune missionnaire cette expression répondait pleinement à la situation. Il descendait à la fois des belles montagnes de la Suisse dans le désert aride et sablonneux, et des hauteurs de la jouissance spirituelle et de l'amitié idéale dans un milieu où il était peu désiré et où il trouverait peu d'accueil; de la sainte montagne, il descendait dans une ville populeuse, pleine de vice et de corruption, et où ne vivaient qu'une poignée à peine de vrais chrétiens : tel était le chemin choisi par le Maître pour son jeune serviteur. Au point de vue extérieur déjà il était hérissé de difficultés.

 

Le bon M. Spittler, l'infatigable fondateur et ami des Missions, avait conçu dans ses vieux jours un plan grandiose. Les quelques missionnaires qui travaillaient en Abyssinie sous la direction de l'évêque Gobat étaient si isolés, si séparés de tout contact avec l'Europe, qu'ils n'étaient pas sans appréhensions pour leur vie, tant spirituelle que temporelle ; et cependant le pays semblait s'ouvrir à l'Évangile, et pouvait devenir un foyer de lumière pour la ténébreuse Afrique. Il s'agissait donc de créer un lien vivant en établissant douze stations échelonnées, de cinquante en cinquante lieues environ, du port d'Alexandrie jusque dans le haut pays abyssin. Chacune devait avoir au moins deux missionnaires, un dépôt de Bibles et, si possible, une entreprise commerciale; de cette façon l'Égypte entière, la Nubie et le Soudan oriental seraient traversés par une chaîne d'oasis spirituelles. Les douze stations devaient porter les noms des douze apôtres, pour bien montrer que cette « route apostolique» était directement au service du Seigneur.

Nombre d'amis entrèrent avec enthousiasme dans ce plan, que l'on commença à réaliser en 1860. Les années suivantes virent se fonder les stations de Saint-Matthieu à Alexandrie, de Saint-Marc au Caire, de Saint-Pierre à Assouan, de Saint-Thomas à Kartoum, et de Saint-Paul à Matammah.

Déjà comme élève, Henri Rappard, avec son sens pratique, avait prévu les difficultés qui, vu les circonstances, devaient surgir et rendre ce projet irréalisable. Quel dommage, avait-il écrit un jour, que M. Spittler ait choisi Un nom aussi grandiose pour une oeuvre qui ne peut nécessairement disposer que de si faibles ressources! Aussi n'avait-il pas appris sans angoisse qu'il était précisément désigné pour cette route apostolique ; mais il était décidé à se laisser conduire, et il voulait espérer quand même.

Cependant ses prévisions se trouvèrent pleinement confirmées. L'argent était rare. La Pilgermission a pour principe de se suffire à elle-même ; mais comment faire dans ces circonstances? Différents «frères» avaient déjà travaillé à Alexandrie avec fidélité et abnégation, surtout dans le colportage et parmi les marins. Des hommes capables et dévoués avaient fait briller leur lumière en vrais serviteurs de Christ. Mais quand, en automne 1865, Rappard fut chargé de reprendre la station de Saint-Matthieu, il n'y avait de fait rien à reprendre du tout.

Embarqué à Venise, il arriva le 20 octobre à Alexandrie après une traversée agréable. Le «frère» Ostertag l'accueillit avec une joie profonde et le conduisit à son logis actuel,... l'église allemande, où des lits extra-simples avaient été aménagés sur des bancs. On voit que les traditions de la chapelle de Chrischona s'étaient acclimatées en Égypte!

Avant de se mettre à l'oeuvre, le nouveau missionnaire devait, par ordre, se présenter au comité local de Jérusalem. Il alla d'abord saluer le pasteur allemand, M. Lüttke, qui le persuada de venir avec lui au Caire. Il fit ainsi la connaissance de l'ecclésiastique écossais Dr Yule. Après quoi il « monta » à Jérusalem avec une vieille connaissance, le « frère » Grandliénard (actuellement et depuis nombre d'années pasteur français à New-York).

A Jérusalem, il logea à l'orphelinat syrien de M. L. Schneller. Son journal nous donne l'écho de l'impression profonde produite sur lui par la vue de la ville sainte et des collines nues qui l'entourent.

Eli voyant ce qu'a été pour ce pays la malédiction divine, s'écrie-t-il, je pressens ce que pourra être un jour pour lui la bénédiction.

Il décrit une promenade au Mont des Oliviers, à Gethsémané, à Emmaüs, à Bethléem. Mais nous ne pouvons nous y arrêter. Bornons-nous à ce qui a trait à son activité.

Jérusalem, 13 novembre. - J'ai toujours aimé les instituts chrétiens, ou plutôt la vie qu'on y mène. Il y règne forcément, à cause du nombre, une régularité et une ponctualité telles qu'on perd bien moins de temps en petites choses inutiles. C'est bien aussi l'expérience que je fais dans l'orphelinat syrien. Ou s'y efforce de conformer sa vie à l'exemple donné par Jésus.

Ma première visite en ville s'est adressée à l'évêque Gobat, président du comité local. je lis avec un intérêt palpitant le journal qu'il a rédigé en Abyssinie et qu'il a publié dès lors.

15 novembre. - Messieurs N. et N., membres du Comité, sont vraiment gens de bon sens. Ils savent écouter attentivement les difficultés qu'on leur expose et céder aux avis des personnes d'expérience. Je me demande constamment comment je dois m'y prendre à Alexandrie, et aujourd'hui j'ai pu développer devant ces messieurs mon plan fort simple : I, louer un logement de plusieurs chambres; 2, avoir mon ménage particulier; 3, prendre deux ou trois pensionnaires ; 4, ouvrir une petite école - 5, faire des visites d'évangélisation de maison en maison; 6, établir chez nous des études bibliques en français et en allemand; 7, étudier régulièrement et assidûment l'arabe et la théologie. - 0 Jésus, je sais que cela seul a réellement de la valeur qui se fait selon ta volonté.

Un incident bien sérieux marqua le séjour de Henri Rappard à Jérusalem. Une épidémie de choléra avait fait nombre de victimes dans la ville pendant l'été. Elle semblait complètement passée lorsqu'au soir du 17 novembre un élève de l'orphelinat syrien fut saisi des terribles symptômes et mourut. M. Schneller pria Rappard de se charger du service funèbre, qui dut se faire dans le préau de l'école épiscopale, sur la colline de Sion, le cercueil ne pouvant entrer en ville. Bon nombre de membres de la communauté y assistèrent, les coeurs bien préparés par les temps d'épreuve qu'on venait de traverser. Tout autour de la ville sainte des centaines de tombes avaient été creusées dans ces derniers mois. La pluie chaude de l'arrière-automne faisait monter de ce sol fraîchement remué une odeur atroce. Et c'est du milieu de ces scènes de mort que retentissait l'appel solennel du jeune prédicateur : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs. Pour plus d'un, ce fut un message de vie.

Peu après il fallut, des hauteurs de Sion, redescendre en Egypte. Rappard débarqua de nouveau à Alexandrie le 3 décembre, cette fois pour se mettre définitivement à l'oeuvre. Son journal le montre aux prises avec les difficultés et les luttes.

 

Alexandrie, 4 décembre 1865. - Le frère Ostertag n'a pas encore trouvé de maison. Ayant entendu parler d'un appartement, j'y ai couru, il était déjà loué. Les prix sont fabuleux.

6 décembre. - Visite d'un M. Th. Bâlois, du Caire. Il loge chez nous, donc dans l'église !

7 décembre. - M. B., jeune négociant qu'il a fallu transporter à l'hôpital, m'offre sa chambre pendant le temps de son absence. je l'accepte avec reconnaissance.

8 décembre. - je passe par des jours d'épreuve. Ce n'est qu'en Jésus que je trouve le repos du coeur et de l'âme.

9 décembre. - Nous avons loué, pour 4000 francs par an, une maison du quartier arabe. C'est beaucoup trop cher, mais que faire ? Que le Seigneur se tienne auprès de nous et utilise cette maison pour le salut de plusieurs !

12 décembre. - Nous voici installés; j'ai fait quelques emplettes et nettoyé les fenêtres.

17 décembre, dimanche. - Accompagné le Dr Yule sur le Béthel, bateau à l'ancre dans le port, aménagé en chapelle, où il tient des cultes réguliers. Ce soir, réunion de prière dans ma chambre, avec plusieurs frères.

21 décembre. - Ce jour, le plus court de l'année, s'harmonise bien avec les ténèbres de mon âme. Si le Seigneur ne me portait pas, je n'y tiendrais plus. Rien de ce que je puis faire ne répond à mes aspirations. J'ai fait imprimer des prospectus allemands et français pour notre école qui va s'ouvrir. Payé 2000 francs à notre propriétaire Youssouff!

22 décembre. - Quel poids sur mon coeur! Tout ce qui m'entoure m'attriste. Ce n'est que dans le Seigneur que je puis me réjouir; Il est vraiment ma haute retraite, maintenant qu'il me faut marcher dans la nuit. Oh! jusques à quand, Seigneur ?

26 décembre. - Aujourd'hui, fêtant mon anniversaire, j'ai donné à l'hôpital une petite étude biblique. Mais tout ce que je fais porte l'empreinte de la tristesse qui remplit mon coeur.

 

De cette époque date une lettre adressée à ses frère et soeur Arnold à Heiden :

Tout mon coeur soupire après vous. D'abord parce que je vous aime et que vous m'aimez; et puis aussi à cause des circonstances difficiles que je traverse. je vois se réaliser ce que nous disions de ma situation ici et de tout ce qui m'y attendait. Devais-je donc m'en étonner et en être surpris, puisque je le savais d'avance. Oui bien, en quelque mesure au moins, parce que la réalisation des craintes est plus pénible à supporter que les simples appréhensions. Mais ai-je le droit de me plaindre ? Dans sa faiblesse, mon coeur dit : Oui, et d'autant plus que je sens quelle sympathie mes peines éveilleront dans vos coeurs. Mais mon Dieu et sa Parole disent : Non; et toi, mon frère en Christ et mon collègue, tu dis aussi : Non. C'est à moi que s'adresse le mot de l'apôtre - Endure les souffrances comme un bon soldat de Jésus-Christ; persévère avec patience dans le combat qui t'est imposé. J'ouvre volontiers mon coeur à ce divin « non ». je n'ai en effet rien d'autre pour me soutenir à Alexandrie, pas d'autre joie dans ma vie. Se trouver dans des circonstances telles que l'on soit contraint de chercher en Dieu seul tout son plaisir et toute sa joie, ce n'est pas quelque chose de triste, à tout bien considérer. je veux donc, d'une bouche pleine d'allégresse, louer mon Dieu, raconter tout simplement ce qui me concerne sans parler de moi-même.

Je ferai le jour de l'an ma première prédication en français. Mais il n'y a d'ordinaire pas plus de vingt auditeurs, tandis qu'une soixantaine d'Allemands peut-être suivent nos cultes, bien qu'il y ait, me dit-on, 1 100 Suisses dans la ville.

Adieu, mes bien-aimés. N'oubliez pas que j'habite un désert spirituel, et maintenez-moi toujours en communion avec vous.

 

Du journal, un peu plus tard :

4 janvier 1866. - Nous n'avons toujours point d'élèves. Un riche Grec me confierait volontiers ses garçons, s'il était sûr que je ne prenne que des élèves de son rang. Il m'offre 500 francs par an pour l'éducation de son fils.... je ne sais trop ce que je dois faire.

10 janvier. - Tout semble se liguer contre nous; c'est une vraie lutte pour ne pas murmurer contre Dieu et contre les hommes.

18 janvier. - Un jeune instituteur chrétien de Syrie, nommé Fadl' Allah, qui m'est recommandé par le Dr Yule, loue une de nos chambres et veut ouvrir une école.

21 janvier (dimanche). - Triste journée pour nous. Nos coeurs lourds ne peuvent que demander : Seigneur, pourquoi? Pendant que nous étions à l'église, des voleurs ont pénétré dans notre appartement au moyen d'une fausse-clef, ont fouillé toutes nos caisses et tous nos tiroirs, et ont emporté tout l'argent que nous avions, sauf une petite somme que G. avait bien cachée. Le consul n'y peut rien. Ici, c'est entendu, ce qui est volé est volé.

5 février. - J'ai fait un arrangement avec le jeune instituteur Fadl' Allah: il prend pension chez nous, nourriture et logement, et reçoit la moitié des écolages, en échange de quoi il se charge des leçons en arabe, et nous du français et du reste. Nous avons un petit commencement d'école, dix élèves arabes et trois allemands.

25 février. - Prêché aujourd'hui en anglais à l'église du Dr Yule.

20 avril. - Le Dr Yule va passer l'été en Angleterre et me transmet sa charge pendant ce temps. J'aurai ainsi à prêcher deux fois par dimanche en anglais. Quelle joie d'avoir ce travail que je n'ai point cherché!

29 avril. - La préparation de mes prédications anglaises exige passablement de travail. J'avais aujourd'hui quatre-vingt-quinze auditeurs (hommes) sur le Béthel.

24 mai. - Nos trente élèves donnent bien de l'animation à notre maison.

2 août. - L'école me donne beaucoup à faire; je suis presque seul pour surveiller nos quarante garçons.

26 août. - Belle réunion sur un voilier; vingt matelots.

14 octobre. - Prêché en français et donné la Sainte-Cène.

 

Nous arrêtons ici ces citations, qui pourront encourager plus d'un jeune ouvrier du Seigneur. Rappard parlait d'expérience, plus tard, quand il disait souvent à ses élèves

« Les difficultés sont là pour qu'on les surmonte. »

Le journal mentionne de temps à autre une rencontre avec M. Ed. Burckhardt de Bâle, alors à Alexandrie, et qui, bien des années plus tard, de retour en Suisse, devait être si étroitement uni à Rappard dans l'oeuvre du Seigneur.

Une lettre de son ami Bauder que Rappard avait appelé à son aide pour retirer le filet lorsque la tâche s'accrut, nous montrera l'extension prise par l'école fondée à Alexandrie. Voici ce qu'il écrit

C'est dans l'automne 186 5 que Rappard avait fondé la station de Saint-Matthieu. Les débuts ne furent pas faciles. 11 devint bientôt évident que seule une école pouvait réussir. On en ouvrit une dans le quartier arabe de la ville avec l'aide d'un instituteur arabe. Les élèves vinrent peu à peu, et avant la fin de l'année ils atteignaient la centaine. Mais Rappard sentait qu'il avait besoin à ses côtés d'un instituteur proprement dit, et il m'écrivit, me priant de lui venir en aide. je m'en remis à la décision du comité, qui, dans l'automne 1866, m'autorisa à y aller, après un séjour de quelques mois à Miolan près Genève, pour apprendre le français. Je me réjouis à la pensée de revoir mon ami et de travailler avec lui.

La rentrée des classes avait lieu peu de jours après mon arrivée à Alexandrie. Mais quelles furent notre surprise et notre détresse en ne voyant revenir que vingt-huit élèves, des cent qu'il y avait eu auparavant! Plus un seul Arabe! On apprit que Fadl' Allah, l'instituteur arabe, avait profité des vacances pour aller voir les parents et leur dire que l'école de Rappard avait été fondée par la Mission, et que les écoliers risquaient de devenir protestants; qu'il allait ouvrir lui-même une école, et qu'ils devaient lui confier leurs enfants.

Pour nous, c'était une amère déception. Rappard s'en entretint avec le consul prussien Theremin, ainsi qu'avec d'autres personnes influentes, allemandes et suisses. On l'encouragea à ouvrir une école dans le quartier européen. Des recherches assez longues firent découvrir dans une grande Okella (ensemble de maisons bâties en carré autour d'une vaste cour et comprenant de 20 à 50 logements) un local approprié, au premier étage de la Banque Oppenheim, tout près de la belle Place des Consuls, avec un loyer annuel de 4060 francs. Nous nous y installions au commencement de décembre. Il y eut d'abord quelques difficultés, quand les Arabes qui nous louaient l'appartement apprirent que nous tenions une école. Ils pensaient que les employés de la banque en seraient dérangés, et ils déposèrent une plainte contre M. Rappard. Cependant le consul prussien parvint à calmer leurs appréhensions, les assurant que maîtres et surveillants feraient de leur mieux pour éviter tout tapage. Dans ces circonstances, nous contraignîmes naturellement les élèves à l'ordre, à la politesse et à la tranquillité. Semaines, mois, années même s'écoulèrent sans qu'on entendît de plaintes. En guise de plancher, nous avions d'épaisses dalles de grès, que ne pouvait percer aucun bruit de pas. L'école prit un essor rapide ; des enfants de conditions supérieures y affluaient ; il régnait un bon esprit de joie et d'entrain ; des examens publics fournissaient aux parents l'occasion de voir de leurs yeux le travail accompli et les résultats obtenus. Le nombre des élèves s'éleva à deux cents, si bien que plus tard, quand Rappard se retira, me laissant la direction de l'école, le second étage avait dû s'ajouter au premier (1).

 

Notre ménage de garçons n'était pas peu de chose. Outre les maîtres, notre grande tablée réunissait des négociants qui se plaisaient chez nous, et un certain nombre d'élèves qui nous restaient pour le dîner. Un ton enjoué égayait les repas. En tant que missionnaires de Chrischona, obligés de nous suffire à nous-mêmes, nous étions tenus à une extrême économie. M. Rappard avait un talent particulier pour faire produire beaucoup au peu dont il disposait.

Ainsi le Seigneur avait fait prospérer ses serviteurs. Les difficultés matérielles avaient été surmontées, la station pourvoyait elle-même à son entretien, et la maisonnée était en mesure de cheminer tranquillement.

C'était toujours le travail missionnaire proprement dit des prédications et des visites que Rappard avait spécialement à coeur. L'école était seulement pour lui pendant longtemps, disait-il, ce qu'était pour l'apôtre Paul le tissage des tentes: un moyen d'existence. La matière première en était cependant autrement précieuse, et il bénissait Dieu de ce que son ami Bauder s'entendît aussi bien à ce travail. Il prenait d'ailleurs lui-même aussi fidèlement sa part de l'enseignement, et il portait un vif intérêt à ses garçons et à leurs parents.

Ce fut pendant son séjour à Alexandrie que survinrent deux événements de famille. Le premier fut le mariage de sa soeur A. avec M. Johann Hermann, négociant missionnaire à Jérusalem. Ce fut pour lui une grande joie, non seulement de la saluer à son passage, mais aussi de l'avoir presque dans son voisinage, Jérusalem n'étant pas à plus de deux ou trois jours de navigation.

 

Le second événement est ainsi relaté dans son journal

10 octobre. - Reçu du Löwenstein une lettre qui me donne à penser. Mon père est malade. Je pourrais même le supposer mourant, à certaines expressions de la lettre de ma soeur J. Oh! comme j'aimerais pouvoir voler à la maison, le revoir encore, être auprès de ma mère !

25 octobre. - journée inoubliable! où m'arriva la nouvelle que je ne reverrai plus mon père ici-bas. Le gardien de mes jeunes années, celui qui a amené mon âme à Jésus, à ce Jésus qui est devenu ma vie, a lui-même atteint le but. Il est entré vainqueur dans le royaume de son Seigneur, pour régner avec lui dans la plénitude de la perfection d'éternité en éternité. Ma mère est veuve, mes frères et soeurs sont orphelins. Mais Dieu dans sa bonté fait sienne la cause des veuves et des orphelins.

C'est le soir du 7 octobre 1866 que mon père a passé dans l'éternité. Maman et mes dix frères et soeurs entouraient son lit. Moi seul, le fils aîné, j'étais au loin, à l'étranger! Mais mon Maître, mon Sauveur Jésus-Christ est avec moi.

L'hiver de 1866 à 1867 fut bien rempli. Plus encore alors qu'aujourd'hui, Alexandrie était un lieu de passage, soit qu'on se rendît d'Europe dans la Haute-Egypte ou aux Indes (le percement de l'isthme de Suez n'était encore qu'un projet lointain et Port-Saïd n'existait même pas), soit qu'on allât en Syrie et au Levant. Des missionnaires en grand nombre et d'autres voyageurs venaient fréquemment demander à ceux de Chrischona aide et asile. Nos deux amis savaient alors tirer parti de leur local au-dessus de la banque Oppenheim. Ah! la cordiale hospitalité qu'on y trouvait! Plus d'une fois une famille entière parvint à s'y caser - une fois même plusieurs familles sans ressources y logèrent ensemble, venant de Souabe. L'amour chrétien rend ingénieux : on tendit des cordes au travers de la grande salle qui servait de réfectoire, on jeta dessus des draps, en guise de cloisons, formant ainsi en nombre suffisant de vraies cellules, où les braves Souabes passèrent deux nuits reposantes avant de poursuivre leur voyage vers Jérusalem et la colonie du Temple.

On peut bien consigner ici encore un petit fait. On se rappelle que la Société Écossaise des Missions avait engagé Rappard à se joindre à elle et à travailler en Egypte sous sa direction. Le Dr Yule, s'étant uni à lui d'étroite amitié, lui réitéra cette demande. C'était un beau champ de travail qui s'ouvrait devant lui, avec de brillantes perspectives à tous égards. Tout sensible qu'il fût à l'affection et à la confiance qu'on lui témoignait, sa réponse fut simple et nette : Le Seigneur m'a conduit dans la Pilgermission, je ne puis la quitter sans indication précise de sa part.

Mentionnons ici aussi que c'est en 1866 que la famille Rappard a acquis, sur le désir du père, le droit de bourgeoisie suisse, dans la commune de Hauptwil (Thurgovie).


Table des matières

Précédent:3. Précieuses rencontres. -- Consécration. - Adieux

Suivant:2. Visite à Jérusalem. - La compagne

ACCUEIL

 


.

1) Sous la direction de M. Bauder, l'école allemande d'Alexandrie a encore joui pendant de longues années d'une grande considération.