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 2. Visite à Jérusalem. - La compagne

 

On comprend qu'elle tremble un peu, la main qui a rassemblé et arrangé jusqu'ici les feuillets de la biographie d'Henri Rappard, maintenant qu'elle va tisser dans la trame de ses souvenirs les pages qu'on va lire. Mais elles sont indispensables, tant pour faire connaître à fond sa personnalité à la fois si puissante, si délicate et si sensible, que pour permettre de le suivre dans ses pérégrinations.

En outre, il y a dans cette phase de sa carrière bien des choses qui pourront être en bénédiction à ses anciens élèves ainsi qu'à d'autres lecteurs. Cette considération doit mettre fin à toute hésitation.

Le besoin d'une main féminine se faisait de plus en plus sentir dans le vaste ménage de l'Okella d'Alexandrie, bien que le chef de la maisonnée prétendît, lorsqu'on soulevait la question, qu'il n'y avait pas de place pour une femme dans la maison et qu'il n'avait pas le loisir d'y songer.

Toutefois, lorsque son vénérable et paternel ami, M. Spittler de Bâle, lui eût fait écrire qu'il serait fort heureux d'apprendre que la famille missionnaire d'Alexandrie avait trouvé une mère, et qu'il eut ainsi reçu de son comité, sans l'avoir demandée, l'autorisation de se marier, il ne voulut pas interdire à son coeur d'y penser.

On approchait des vacances de Pâques (1867), et Rappard avait résolu de les passer à Jérusalem, chez sa soeur Herrmann. Il devait s'embarquer pour Jaffa un mercredi soir. En haut, auparavant, dans son cabinet, raconte-t-il, il s'agenouilla devant son Dieu en disant : « Tu sais, Seigneur, que j'avais fait un pacte avec mes yeux de ne point arrêter mes regards sur une jeune fille. Tu m'as fait la grâce de pouvoir rester fidèle à cette résolution. Me voici maintenant arrivé à l'heure où, de l'avis de mes supérieurs, je devrais avoir une compagne. Devant toi donc je descelle l'alliance scellée devant toi, et en toute simplicité je te le demande : Fais-moi voir la jeune fille que tu m'as destinée et que tu veux me donner. »

Il arriva à Jérusalem la veille du dimanche des Rameaux. Il rencontra sous un grand arbre, à Colonieh, non loin de l'antique Kiriathjearim, sa soeur et son beau-frère, venus à cheval à sa rencontre jusque là, et qui le ramenèrent avec joie à leur gentil foyer. Après s'être un peu reposé, il désira aller présenter ses hommages à l'évêque. Il le trouva sur le toit en terrasse de sa maison, où le vénérable patriarche avait coutume de passer chaque soir une heure de recueillement et de prière, tout en se promenant. Ce soir-là il n'était pas seul; sa femme et ses filles lui tenaient compagnie. La famille projetait de partir pour l'Angleterre immédiatement après Pâques, et l'on venait déjà d'achever tout le travail d'emballage et tous les arrangements nécessaires, de façon à pouvoir se consacrer sans distraction à la célébration de la semaine sainte. On avait ainsi le coeur en fête, et le voyageur d'Alexandrie fut cordialement accueilli.

Le soleil venait de se coucher derrière la massive Tour de David aux moellons de couleur sombre. Un flot doré de rayons enveloppait la ville comme d'un manteau resplendissant, dont l'éclat se concentrait sur le sommet du Mont des Oliviers. Dans le fond, les montagnes de Moab dessinaient leurs lignes harmonieuses sur l'azur léger du ciel et se coloraient de teintes empourprées et violettes telles qu'on n'en voit qu'en Orient. Heure infiniment douce et solennelle : déjà dans le coeur d'Henri une réponse à sa prière commençait à retentir.

La semaine sainte éveilla en lui, étranger à Jérusalem, une foule d'impressions diverses, et fut l'occasion de maintes rencontres avec l'évêque et les siens. L'après-midi de Pâques, Rappard eut le privilège de prêcher dans « l'église de Christ » sur le mont de Sion. Le lendemain matin il devait s'associer à un petit groupe de voyageurs pour une excursion au Jourdain. Il savait qu'à son retour il ne retrouverait plus la famille Gobat, et pourtant il était arrivé à la conviction d'y avoir rencontré celle que Dieu lui donnait comme compagne de sa vie. Mais il ne pouvait et ne voulait pas faire le pas décisif sans s'en être ouvert auparavant à sa mère. Il pria cependant son beau-frère de s'enquérir auprès de l'évêque si la main de sa fille Dora était encore libre et s'il serait autorisé à y aspirer.

 

A son retour du Jourdain il trouvait une réponse encourageante, et il écrivit aussitôt à sa mère, lui faisant part de ses intentions et lui demandant son consentement et sa bénédiction. Rappard adressa sa lettre à l'évêque.

En ces temps-là l'Orient n'était pas relié télégraphiquement à l'Occident, et les communications postales étaient fort défectueuses, de sorte qu'il se passa huit semaines avant que, des belles collines du pays de Galles où séjournait l'évêque avec sa famille, une lettre vînt apporter au jeune missionnaire d'Alexandrie le oui décisif.

En de pareilles circonstances, huit semaines passent lentement, et les jeunes coeurs n'étaient pas alors moins impressionnables que de nos jours, où l'on peut lancer un joyeux message télégraphique par-dessus océans et continents. Mais l'attente forcée du temps jadis était une précieuse école de confiance en Dieu et de repos intérieur, et l'on peut se demander si, en nos temps enfiévrés, elle ne ferait pas grand bien à plus d'un coeur agité.

Les yeux humides, l'évêque Gobat dit à sa fille : « C'est un beau cadeau que Dieu te fait : le premier amour, fort et pur, d'un homme noble et pieux. »

Ah ! si tous les jeunes gens comprenaient qu'ils ne peuvent apporter à celles qui doivent devenir un jour leurs compagnes un joyau plus précieux que le diamant d'une jeunesse sans tache et d'un amour pur, sanctifié par Dieu, comme ils se mettraient en garde contre cette légèreté qui joue avec l'amour, et contre ces convoitises qui transforment en un poison mortel le plus précieux des biens terrestres que nous ait donnés notre Père céleste!

 

Voici quelques extraits caractéristiques des lettres d'Henri à sa fiancée :

Tu sais que mon père était un homme d'une trempe exceptionnelle, qui prenait au sérieux l'ordre de suivre le Seigneur Jésus. je suis fermement résolu à être sous ce rapport un digne fils de mon père. Des paroles telles que : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive, » sont profondément gravées en mon coeur, et je fais de plus en plus l'expérience qu'il est impossible en ce monde d'être un disciple fidèle de Jésus sans porter son opprobre. Spécialement attaché au service du Seigneur, je dois être prêt à toute heure à tout donner pour ce service. je n'ai pas le droit d'aspirer à ce qui est élevé et de chercher la gloire des hommes. je suis un missionnaire de Chrischona, et ma situation à Alexandrie n'a rien de brillant. Mon Seigneur et mon Dieu étant descendu au dernier degré de l'abaissement pour me sauver, moi pécheur, pourrais-je bien, connaissant et savourant cet amour ineffable, désirer autre chose que le suivre ? L'amour qui sait descendre et s'offrir avec abnégation pour le service, voilà ce qui doit être le ton dominant de ma vie.

Oh ! quelle joie de pouvoir t'écrire cela avec la certitude d'être compris ! Notre Seigneur n'est pas un maître sévère et dur. Il a le coeur tendre et bon, tu en as fait comme moi l'expérience. Nous n'aurons donc pas peur, en le suivant, d'avoir part à ses souffrances.

Ne te tourmente pas de ton inexpérience dans la tenue du ménage. Tu apprendras tout cela. J'attache plus de prix à la richesse du coeur qu'à l'habileté pratique des mains !

Pour moi, le chemin le plus direct pour te rencontrer passe par le trône de Jésus. C'est là que se rejoignent nos messages réciproques, et que, sanctifiés et bénis, ils atteignent leur but.

Le Seigneur Jésus, pour nous faire comprendre ce que sont les relations mutuelles d'amour et de dévouement entre Lui et son Église, parle de l'amour qui unit les fiancés. Pour nous, n'est-il pas merveilleusement précieux qu'il sanctionne et sanctifie ainsi notre amour mutuel ?

Je frémis souvent à la pensée, sanctifiante pour ma joie de fiancé, que le temps est court, que bientôt les jugements de Dieu vont fondre sur le monde des impies, et qu'il s'agit de travailler pendant qu'il est jour. Toi et moi, nous sommes tous deux appelés à être des témoins de Christ. C'est pour cela que Dieu nous a élevés, et, s'il nous unit maintenant, c'est pour que nous nous fortifiions et nous encouragions l'un l'autre dans cette vocation sainte.

La figure humaine, créée à l'image de Dieu, est infiniment riche et variée. Il y a une beauté des traits et une autre beauté que j'appellerai la beauté de l'expression. Sans être aveugle pour la première, j'ai toujours été beaucoup plus sensible à la seconde.... Puisse la beauté du plus beau des fils des hommes gagner nos coeurs et rayonner sur nos visages !

Pas de bonheur véritable sans une confiance absolue. je te dirai toujours tout, tout, et tu feras de même à mon égard. Oh ! il faut que notre vie à deux soit riche, riche de confiance, riche d'amour, riche de courtoisie mutuelle authentique.

La vie se compose d'innombrables riens, grands et petits. Tu ne pourras pas avoir ton foyer et ta maison à toi sans que s'y installent quelques préoccupations toutes nouvelles pour toi. Nous en partagerons le fardeau, et ensemble nous nous en déchargerons sur le Seigneur. N'allons pas faire peser à l'avance sur nos coeurs les soucis terrestres, pénétrons-nous plutôt de la règle donnée par le Seigneur: Ne vous mettez pas en peine du lendemain ; à chaque jour suffit sa peine.

Sais-tu comment nous ferons pour être toujours vraiment bons l'un pour l'autre ? Comme il y a dans la Bible beaucoup de passages sur les devoirs réciproques des époux, j'apprendrai par coeur ceux qui traitent des devoirs des maris, et toi ceux qui exposent les devoirs des femmes. C'est tout juste le contraire qu'on voit dans nombre de ménages chrétiens : le mari ne sait que les passages qui lui disent ce que sa femme lui doit.

Or ce n'est pas à lui qu'ils s'adressent, dans la pensée de Dieu, c'est à sa femme....

Quelle joie si l'on m'accordait la permission d'aller en Suisse! Si je le voulais, je pourrais bien la prendre moi-même, aux vacances. Mais je craindrais de gâter précisément ma joie. je ne veux l'avoir que comme un cadeau de mon bon Maître, s'il juge à propos de me l'accorder; sinon, tout est bien quand même. Il faut qu'il soit toujours entre nous deux.

Je vais prêcher au Caire tous les quinze jours; je pars le samedi à midi pour rentrer le lundi soir. Ici en revanche je n'ai pas de prédications régulières. Si cet automne je vois décidément que c'est l'école qui doit être ma principale occupation, et non la prédication, je m'y consacrerai plus entièrement, et je m'efforcerai de faire de notre école la meilleure de la ville. je ne suis pas d'avis qu'un missionnaire puisse abandonner son poste au bout de si peu de temps. Il doit travailler de son mieux, où il peut et comme il peut, jusqu'à ce que le Seigneur lui montre clairement qu'il le veut ailleurs.

Ce qu'il y a de réel dans la vie, c'est à coup sûr le péché, qui est venu tout gâter à tel point que nous n'avons plus même le droit d'appeler cette terre notre patrie. Et la vie nouvelle, que crée en nous la grâce de Dieu, ne peut pas faire pour nous de cette terre un paradis, mais elle fait du ciel un séjour de félicité pour nos âmes, si nous luttons fidèlement. Crois-moi, nos heures les plus belles ne seront pas celles où nous jouirons ensemble de ce que la terre nous offre de beau, ce seront celles où, les regards tournés en haut, nous aurons comme une vision de gloire à venir auprès de Jésus.

Cette lettre te joindra à Iben, auprès de ma mère, de mes soeurs et de mes frères. C'est vraiment pour moi une douce joie de te voir là en pensée. Salue-les tous de ma part, mes bien-aimés. Salue le noyer, la maison, la véranda, les bois, les prés, les champs et le ciel qui s'étend au-dessus de tout cela.... Et que Dieu te salue, toi !

Tu me feras grand plaisir en allant à Sainte-Chrischona, si tu le peux. J'y ai été très heureux. Dans la chambrette au haut de la tour, j'ai senti profondément la présence de mon Sauveur, et un bonheur qui n'a rien de commun avec la terre a rempli mon coeur. Pourquoi n'en est-il plus ainsi à présent ? Et pourtant qu'est-ce que j'aurais si je ne l'avais pas ?

Sais-tu bien déjà ce que c'est que souffrir ? je crois le savoir, et c'est ce qui me pousse à prier deux fois par jour pour tous ceux qui passent par n'importe quelles souffrances. jamais je n'oublierai par où j'ai passé au cours de ma première année à Alexandrie.

Il y a une grande différence entre la joie de l'homme du monde et la joie de l'enfant de Dieu. Le premier cherche son bonheur dans les choses de ce monde et il le trouve. L'enfant de Dieu essayera peut-être de l'y trouver aussi, mais il n'y réussira jamais. Non, le sort en est jeté, jamais le monde ne pourra nous procurer la joie qu'il procure aux siens. Nous pourrions extérieurement avoir l'air heureux, mais au fond de nos coeurs une voix nous dirait toujours: « Vous n'êtes pas vraiment joyeux. » Notre plus grand bonheur terrestre, même le bonheur d'être enfin unis, ne nous rendra vraiment heureux que si nous sommes en Jésus. Je bénis Dieu de ce qu'il a tellement transformé nos coeurs qu'ils ne peuvent à la longue jouir de ce qui passe, et de ce qu'une sorte d'inquiétude intérieure nous pousse toujours à nouveau aux pieds de Jésus.

 

La poste vient de m'apporter la joyeuse nouvelle que je puis aller en Suisse. je remercie le comité, qui m'accorde la permission, et ma mère, qui m'envoie l'argent du voyage. Te trouver chez nous à Iben avec ma mère, et y rester pour les premiers jours que nous passerons ensemble, quel précieux cadeau de notre Seigneur

On voit par ces lignes que Rappard vint en Suisse en automne de cette année, et qu'il y trouva sa fiancée et la famille Gobat, sa mère ayant désiré que les deux familles fussent réunies pour la célébration du mariage.

L'endroit choisi pour cette fête était Beuggen, antique château sur le Rhin, non loin de Bâle, où Christian-Henri Zeller, le grand-père de la fiancée, avait fondé une maison d'éducation et un séminaire bien connus, et où avait grandi elle-même Mme Gobat (née Zeller). C'est là que le 28 novembre 1867 Charles-Henri Rappard fut uni par le mariage à Dora Gobat, seconde fille de l'évêque de Jérusalem. Cet heureux père bénit lui-même le jeune couple, selon le beau rite de l'Église anglicane, tandis que l'oncle Reinhard Zeller, cet inspecteur qu'Henri avait déjà tant aimé en son temps à Chrischona, présidait à la seconde partie de la fête. Cette union a été la source d'un bonheur profond et d'une riche bénédiction, qui survit à l'amertume de la séparation,

Chose remarquable, la première étape du voyage de noce des jeunes missionnaires, fut Sainte-Chrischona. Ils furent logés dans la maison même qui, l'année suivante déjà, allait devenir leur foyer pour longtemps. A Bâle, ils purent encore saluer C.F. Spittler, mourant, dont les dernières paroles de bénédiction leur furent un précieux souvenir.

Embarqués à Marseille, ils arrivèrent le 14 décembre à Alexandrie, tout heureux, après une traversée exceptionnellement pénible, du cordial accueil de l'ami Bauder. Rarement jeune femme a été saluée avec une joie aussi chevaleresque que cette nouvelle maîtresse de maison à la station de Saint-Matthieu. Elle y trouva une tablée de huit à dix messieurs et de douze à quatorze garçons lui souhaitant la plus aimable bienvenue, et lui témoignant leur vive reconnaissance par un constant empressement et une inépuisable complaisance. Jusqu'au cuisinier de fondation, Jacob Rosenzweig, un prosélyte de Galicie, qui se surpassa à cette occasion, quoiqu'il sût qu'il allait être détrôné.

 

Quelques souvenirs des mois suivants méritent d'être relatés. Malheureusement le journal intime s'arrête ici, et il faudra dès lors avoir recours aux données de la mémoire.

Un des pensionnaires de la maison, jeune Écossais arrivé souffrant en Égypte, avait d'emblée frappé ses hôtes par son air maladif. Ils pressentirent bientôt qu'ils auraient peut-être à assister une âme à son grand départ. Comme on se rapproche en face de l'Éternité 1 Un soir, peu après le nouvel an, Richard se sentait bien las et misérable. On insista pour qu'il se retirât de bonne heure ; mais il ne voulait pas, disait-il, manquer le culte du soir. Lorsqu'on lui offrit de le faire dans sa chambre, il accepta avec reconnaissance. A l'heure habituelle, on se rassembla autour de sa couche. Rappard lut le chapitre 17 de saint Jean et recommanda au Seigneur le jeune frère par une prière venant du coeur. Pendant la nuit une inquiétude indéfinissable contraignit la maîtresse de maison à aller le voir; elle le trouva assis sur son lit, très faible, mais mieux, lui semblait-il, et la reconnaissance et la louange sur les lèvres. « Il me faut vous quitter de nouveau, mon cher Richard, lui dit-elle au bout d'un moment, mais le Seigneur Jésus demeure. » A quoi il répondit, le visage rayonnant: « Il vaut la peine de rester éveillé toute la nuit pour l'avoir si près de soi. »

Quand au matin Henri voulut aller le voir, il ne trouva plus que sa dépouille inanimée. L'enfant lassé était arrivé à la maison paternelle.

La lettre détaillée adressée à sa famille en Écosse produisit une impression si profonde que le pasteur tînt à la lire en chaire, et qu'il eut la joie de voir plusieurs jeunes gens se décider à cette occasion à suivre le Sauveur.

Un autre jeune pensionnaire fut appelé à faire partie, en qualité d'interprète supérieur, de l'expédition anglaise envoyée en Abyssinie, sous la direction de Lord Napier de Magdala, pour délivrer des missionnaires captifs. La veille de son départ, au culte du soir, on chanta un cantique où se trouvent ces mots : « Nous reverrons-nous jamais ? » avec la réponse : « Nous nous reverrons un jour. » Quelques semaines plus tard arrivait une lettre du théâtre de la guerre donnant toutes sortes d'intéressants détails. « Il faut encore que je vous dise, continuait le correspondant, quel rôle a joué pour moi ce cantique du dernier culte. Plus d'une fois, dans ce milieu grossier, lorsqu'une tentation survenait, je croyais entendre chanter encore: « Nous reverrons-nous jamais? » Et ce souvenir m'aidait à triompher du mal. »

La visite d'une quinzaine de jours que l'évêque Gobat vint faire aux communautés d'Alexandrie et du Caire, qui rentraient dans son diocèse, procura une bien douce joie à ses enfants. Au lieu de descendre comme de coutume chez un grand négociant anglais, il se contenta de la modeste demeure de la Pilgermission. Quel bonheur d'être ensemble! Avec quelle joie la fille et l'épouse écoutait les entretiens traitant tantôt des grandes choses qu'avaient opérées dans le passé les révélations divines, tantôt des glorieuses perspectives d'avenir que nous font entrevoir les promesses des prophètes, spécialement en ce qui concerne Israël ! Quelle bonne entente entre les deux missionnaires d'âges si différents! Tous deux si enthousiastes de la Parole éternelle, tous deux si solides dans leur foi, tous deux si profondément modestes.

 

Au point de vue extérieur, la vie d'Alexandrie n'offrait rien de bien réjouissant. C'était l'époque où le puissant essor de l'industrie cotonnière avait jeté dans le pays des négociants en grand nombre. On évaluait à 200,000 environ le chiffre des habitants de la ville, dont la moitié étaient des Européens: Grecs, Italiens, Maltais, Allemands, Suisses, Français, Anglais. L'argent abondait, mais le péché aussi. Le pillage et le meurtre étaient à l'ordre du jour. Chaque matin apportait la nouvelle de quelques horreurs, batailles à coups de couteaux ou autres violences, perpétrées pendant la nuit. Aussi les missionnaires appréciaient-ils d'autant plus leur tranquille demeure, où ils pouvaient non seulement vivre eux-mêmes en paix, mais encore montrer à d'autres le chemin de la paix. Rappard comprenait de mieux en mieux l'importance de l'école dans cette ville, où la génération qui grandissait était le seul espoir d'un avenir meilleur.

Il ouvrait la journée à 8 1/2 heures chaque matin, avec tous les élèves, par la prière et l'histoire biblique, en français. A 9 heures, on les répartissait en classes, et il fallait bien tout le savoir-faire du personnel enseignant, M. Bauder en tête, pour faire face aux besoins d'élèves de quatre ou cinq nationalités et langues différentes. Pourtant tout marchait bien, et la bénédiction de Dieu reposait visiblement sur cette activité.

Mais précisément au moment où Rappard avait appris à organiser son activité, non selon ses propres désirs et plans, mais selon les directions d'En Haut, son Maître l'envoya dans un nouveau champ de travail.


Table des matières

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