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  3. Dieu exauce

 

Une des bénédictions de la pauvreté, c'est qu'elle force l'enfant de Dieu à s'adresser à son Père. C'est l'expérience que fit à maintes reprises la petite communauté de Chrischona au cours des années dont nous nous occupons. La dette courante qui pesait sur la Pilgermission s'élevait à 36500 francs. Il ne s'agissait pas là seulement d'un déficit qu'on pût combler au moyen d'un fonds de roulement, c'était une dette qui se dressait devant le jeune inspecteur sous forme de factures à payer et de reconnaissances diverses, et qui lui procura bien des heures de luttes et d'angoisses. Mais il priait et attendait avec foi l'exaucement. Prier en croyant et vivre simplement, telle était sa devise. Et en cela il se sentait un avec l'excellent trésorier de l'oeuvre, M. Louis Jaeger.

A l'expiration de la première année déjà, la dette s'était amortie de 9645 francs, et elle alla dès lors en s'éteignant graduellement, si bien que le rapport financier de 1872 porte la belle rubrique : « Amortissement de l'ancienne dette: 14930 francs, et boni à porter en compte nouveau: 2300 francs. »

Quels chiffres éloquents ! aimait à dire Rappard ; ils parlent de beaucoup d'amour et d'abnégation de la part de nos donateurs, de beaucoup de supplications, d'actions de grâces de la part des bénéficiaires, de beaucoup de bonté et de fidélité de la part de Dieu.

 

La seconde année de son inspectorat, un certain nombre de « frères» devaient partir pour l'Amérique. On avait retenu leurs places pour la traversée, mais l'argent manquait pour les payer. Il s'en fallait de 450 francs. On priait, mais la réponse se faisait attendre. Finalement M. Jaeger se décida à demander à un ami de Bâle de bien vouloir lui avancer la somme nécessaire, en l'arrondissant et la portant à 500 francs. Après tant d'expériences bénies, il semblait doublement douloureux d'augmenter de nouveau la dette, et il remit encore dans son pupitre la lettre de sollicitation en tournant vers le Dieu de bonté un regard d'espérance. Là-haut, sur la colline de Chrischona, au culte du soir on s'adressa au Dieu à qui appartiennent l'or et l'argent. Et voici que le prochain courrier apporta une lettre chargée de 450 francs. C'était la mère de l'inspecteur qui, sans rien savoir du besoin momentané de l'institut, connaissait toutefois sa situation difficile. Elle avait eu l'intention d'envoyer 500 francs, mais n'ayant pas sous la main la somme totale en billets de banque, elle s'était sentie poussée cependant à ne pas faire attendre son don et avait envoyé, sans s'en douter, à un centime près la somme désirée.

Et que de traits semblables on pourrait raconter!

Les eaux étaient souvent fort basses dans la caisse de l'institut. Une ou deux fois elle ne contint plus que dix ou vingt francs. Mais elle n'a jamais été tout à fait vide! Pareille caisse aurait des récits merveilleux à relater. Voici, par exemple, un modique don qu'apporte la poste de la part d'une inconnue avec une lettre troublée: « Priez pour moi, je cherche la paix et le pardon de mes péchés! » En cas pareil, on ne saurait se borner à accuser réception, il s'agit de montrer le chemin de la paix, et l'on reste en contact avec la donatrice ; ou bien, c'est le père haut placé, aujourd'hui décédé depuis longtemps, d'un fils perdu et retrouvé, qui envoie « l'offrande d'actions de grâces du misérable qui a crié à l'Eternel, et il l'a délivré de sa détresse ». Ainsi la caisse a été l'intermédiaire d'une foule de relations avec des riches et surtout des pauvres, révélant leurs sympathies dans la gêne et dans la joie, et provoquant les prières et les exaucements. Ici encore Rappard pouvait non sans raison parler de « chiffres éloquents ».

Mais ce n'étaient pas là les seules complications pour lesquelles il s'en tenait à la recommandation royale: « En toutes choses exposez à Dieu vos demandes par des prières et des supplications avec des actions de grâces. » Quand survint la maladie, que ce fût dans sa propre famille ou dans la famille agrandie de l'institut, il cherchait la face de celui qui a dit: « je suis l'Eternel, ton médecin. » (Traduction de Luther.)

Un élève abyssin, Argawi, tomba dangereusement malade, si bien que le médecin exprima la crainte qu'il n'eût plus que peu de semaines à vivre. Douloureusement frappé, l'inspecteur, au culte du soir qui avait lieu aussitôt après, lut avec émotion le chapitre 22 de la Genèse. Il lui semblait que Dieu lui demandait aussi le sacrifice d'un Isaac bien-aimé et plein de promesses. Il put cependant demander avec foi sa guérison, d'abord en priant avec toute la communauté, puis en imposant les mains au cher malade. Il lui fut fait selon sa foi: Argawi se remit bientôt assez pour pouvoir retourner dans sa patrie, où il accomplit encore aujourd'hui une oeuvre bénie.

 

Cependant, dans tous les cas analogues, Rappard spécifiait que la foi ne devait pas être en première ligne un corps à corps avec Dieu pour lui arracher l'exaucement, mais avant tout un abandon de toute volonté propre, avec une paisible confiance dans le Seigneur tout-puissant et miséricordieux: il donne toujours ce qui vaut le mieux à son enfant qui prie, qui croit et qui attend, soit qu'il lui accorde ou qu'il lui refuse l'objet de sa requête.

Sur un point spécial les exaucements furent souvent très frappants. Individuellement et collectivement, avec ses collaborateurs, Rappard demandait instamment à Dieu d'éloigner lui-même de l'institut les éléments fâcheux et de ne pas permettre que leur mauvaise influence se fît sentir. Plus d'une fois l'action de la main de Dieu fut visible, soit que les coupables vinssent à reconnaître eux-mêmes leurs torts, soit qu'un malaise intérieur les contraignît à quitter la maison.

Au reste il n'y avait pas de domaine qui fût exclu du champ d'action de la prière, depuis les intérêts sacrés du Royaume de Dieu et de l'activité des « frères » envoyés au loin, jusqu'à l'état sanitaire du bétail de l'écurie, jusqu'aux cultures et aux fruits du verger. Rappard, en cela, mettait en pratique un de ses cantiques favoris :

 

Tout ce qui s'agite en ton coeur,

Soucis, chagrin, joie ou douleur,

Si Jésus est ton divin Frère,

Tout doit se changer en prière.

 


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