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 CHAPITRE VI

TEMPS BÉNIS 1874-1882

 

Etre vraiment uni à Dieu, c'est quelquechose d'indescriptible.

C.-H. R.

 

I. Dix jours à Oxford

 

Il faut dans ces pages parler un peu longuement des grâces spirituelles que Rappard reçut avec beaucoup d'autres en 1874. Ce ne fut pas en effet pour lui une expérience passagère. Toute sa vie et son activité en ont ressenti le contre-coup. Donnons les passages essentiels des communications qu'il publia alors :

Pressé par un vif sentiment de reconnaissance envers le Seigneur et d'amour pour mes frères, je viens dire quelque chose d'un temps particulièrement béni que mon Dieu m'a accordé dans sa grâce. Je suis bien persuadé que beaucoup de vrais croyants me comprendront si j'affirme que depuis ma conversion et pendant une période d'une dizaine d'années de travail comme témoin de l'Evangile, j'ai souvent douloureusement souffert d'un déficit dans ma sanctification intérieure, dans mon affranchissement du péché, et dans ma communion avec Dieu. Ce Dieu fidèle, exauçant les soupirs de son enfant, me fit inviter par un frère, d'une façon fort inattendue, à une série de réunions organisées à Oxford par un Américain, M. Pearsall Smith, et qui avaient précisément pour but, comme je l'appris bientôt, d'obtenir ce qui me manquait. Grâce à la bonne volonté de mes collaborateurs, les obstacles qui auraient pu m'arrêter furent écartés, et je partais le 26 août 1874 pour l'Angleterre avec mon beau-frère Paul Kober-Gobat. Nous arrivions à Oxford le 29. M. Smith y était déjà et avait tout préparé pour recevoir ses hôtes.

 

Permettez-moi, chers frères, de suivre pas à pas dans mon récit l'action de Dieu au cours de ces dix journées, telle que je l'ai subie moi-même, et telle que me l'ont racontée plusieurs des assistants.

Il y eut d'abord un apaisement général des esprits recueillis à l'écart de l'agitation de la vie ordinaire et placés sous l'influence de la prière et de la Parole divine ; nous nous sommes sentis placés en la présence de Dieu. Pour plusieurs d'entre nous, ce recueillement et ce silence n'étaient pas synonymes de la joie et de la paix, ce n'était que trop le silence du chaos.... Mais les coeurs étaient ouverts, et la lumière put se lever ; l'Esprit de Dieu nous sondait. Plus d'un péché jusqu'alors excusé, plus d'une attitude contraire à Dieu, surtout la recherche de soi, l'égoïsme, l'amour-propre et la volonté propre, furent mis au jour comme jamais.

Il y eut dans les heures calmes de la nuit, alors qu'on était seul et chacun avec son Dieu, des larmes brûlantes et de rudes combats. La question se posait avec toujours plus d'insistance : Veux-tu te livrer sans réserve à ton Sauveur qui t'a aimé et t'a racheté avec son sang ? Veux-tu ranger ta volonté du côté de Dieu, haïr ce qu'il hait, délaisser ce qu'il veut que tu délaisses, et faire tout ce qu'il t'appelle à faire ? Veux-tu en finir avec tes oeuvres propres, et veux-tu dire du fond du coeur : « Céleste Vigneron, émonde-moi pour que je porte beaucoup de fruits à ta gloire »

Mes bien-aimés, il vous semble tout simple de répondre à ces questions ; mais quand c'est l'Esprit de Dieu qui les pose à un coeur qu'il éclaire lui-même et qu'il sonde, c'est plus malaisé qu'il ne paraît, j'en ai fait l'expérience. Beaucoup cependant ont répondu, et je l'ai fait aussi. Ce fut un acte de décision accompli en la présence de Dieu, qui produit le vouloir et le faire.

Cet abandon sincère du moi écartait l'obstacle à la plénitude de la bénédiction que Dieu tient en réserve pour les siens. Oh ! être vraiment uni à Dieu, et avoir libre accès auprès du Père par le Fils, qui nous purifie entièrement par son sang, c'est quelque chose d'indescriptible. Le Père, le créateur de l'amour paternel et maternel, nous a été révélé dans sa divine beauté, et je dois confesser qu'une nuit je ne pus pendant bien des heures faire autre chose sur ma couche que de tourner et retourner dans mon coeur ce nom si doux de Père, dont la grâce et la tendresse me sont apparues toujours plus insondables et inépuisables. Un autre fruit précieux de cet afflux de la grâce, c'est que la Bible nous apparut comme un livre tout nouveau, écrit comme en lettres lumineuses, et tel qu'il en découle une vertu qui nourrit sans cesse la foi et la maintient intacte.

Le Saint-Esprit soufflait et il ébranlait, non pas les locaux des réunions, mais bien les coeurs. J'eus aussitôt le sentiment profond qu'il ne s'agissait pas là de quelque chose d'éphémère, mais d'une conquête qui irait toujours s'affermissant par une marche constante dans l'obéissance de la foi.

Les réunions gardèrent jusqu'à la fin le même caractère. Elles n'étaient pas destinées aux inconvertis, ayant pour premier but de faire pénétrer les croyants toujours plus avant dans la plénitude du salut en Christ. Elles n'en exercèrent pas moins sur le monde une grande force d'attraction. Les employés des hôtels désirèrent assister aux réunions, désir qui était certainement le fruit de la marche dans la lumière et dans l'amour de ceux qu'ils servaient. Il y avait 1.1 quelque chose de nouveau pour eux.

Les coeurs débordants de reconnaissance et de joie profonde, nous avons au bout de dix jours quitté la ville d'Oxford, qui s'était révélée à un bon nombre d'entre nous comme la première des universités. Si maintenant, rentré dans la vie quotidienne, je me demande ce qui me reste acquis de ces dix journées de bénédictions, je puis répondre avec joie : « Tout me reste, et c'est de plus en plus réel. »

Ce qui assure la marche en avant, c'est l'entier abandon à Dieu et le transfert de la volonté du côté de Dieu. Déposé sur l'autel, le sacrifice vivant reçoit le feu d'En Haut. La certitude d'être délivré par Christ, non seulement de la culpabilité et du châtiment du péché, mais aussi de sa domination et de son pouvoir, et d'être purifié de toute souillure par le sang de l'Agneau, ouvre aux coeurs l'accès du Père.

 

La perversité du coeur dévoilée par la clarté croissante émanant de la Parole devenue vivante et efficace, de même que les tentations du dehors, ne sont plus aux prises avec la force propre qui n'est que faiblesse, mais, grâce à cette foi qui se livre à Jésus et ne regarde qu'à lui, elle est constamment traitée comme ayant été déjà vaincue par le Lion de Juda, selon le mot de l'apôtre : « Considérez-vous comme morts au péché et vivants pour Dieu, en Christ-Jésus, notre Seigneur. » Ces incitations mauvaises que nous découvrons encore en nous ne sauraient troubler notre paix, bien qu'elles nous rappellent parfois douloureusement quelles pauvres créatures nous sommes, et qu'elles nous fassent vivement sentir que, séparés de Christ, ne fût-ce qu'un instant, nous sommes de pauvres pécheurs, et que nous avons à veiller et à prier pour demeurer cachés en Lui, notre retraite et notre forteresse.

Nous nous déchargeons sur Lui des responsabilités de notre vocation, et de tous nos soucis de la vie de chaque jour : il s'en charge. Il nous conduit de son oeil ; mais notre oeil est constamment fixé sur Lui, et la volonté du Dieu d'amour s'opère de bon coeur et sans résistance en son enfant racheté. Le coeur prend plaisir à son Seigneur. Sa Parole est plus douce que le miel. Alléluia !

 

Citons encore quelques extraits de ses lettres à sa femme:

Le principal obstacle à la bénédiction, c'est le moi. Il faut qu'il se renie catégoriquement, Oui, même le moi qui prêche. C'est l'un des pires... Il faut que l'inspecteur meure et reste mort...

Le Seigneur nous bénit de plus en plus. On pourrait se figurer, de loin, que c'est affaire de sentiments, mais je puis te certifier que c'est une réalité. Ajouter foi aux promesses de Dieu, qu'y a-t-il au monde de plus réel ? Prends une déclaration de ton Dieu, examine-la attentivement dans son contexte, puis, d'un coeur entièrement livré, crois tout simplement que Dieu entend bien dire ce qu'il dit.

On nous a mis sur le coeur à réitérées fois d'être tout à fait simples et naturels, d'aimer du fond du coeur ceux qui nous tiennent de près, d'être tendres et aimables dans le cercle dé la famille.

Ces dix journées sont derrière nous, mais la bénédiction en est en nous. Le Sauveur est plus près de moi, il m'est plus précieux que jamais auparavant. Je reviens à toi beaucoup plus pauvre que je ne suis parti, mais Jésus subviendra à mes besoins journaliers. je suis beaucoup plus faible, quant à moi-même je ne suis rien ; mais Jésus agira en moi et par moi.

 

D'Oxford, Rappard se rendit à Liverpool pour passer de là à Belfast, que Moody et Sankey évangélisaient alors. Ces réunions puissantes l'intéressèrent vivement, et ce fut pour lui une grande joie de faire la connaissance personnelle de ces deux hommes. Après une visite à ses anciens et fidèles amis Scott à Edimbourg et un séjour un peu plus prolongé à Londres chez ses frère et soeur, il rentra heureusement chez lui le 21 septembre.


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