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 2. Participation à d'autres oeuvres

 

Comme il convenait l'oeuvre de la Pilgermission occupait toujours le premier rang dans les préoccupations de l'inspecteur. Mais il n'était pas homme à s'enfermer dans un cercle étroit, et il aimait à s'associer cordialement à tous les efforts qui avaient en vue le bien des hommes et l'avancement de la cause de Jésus-Christ.

En première ligne mentionnons: L'Alliance évangélique.

Avant même d'avoir entendu parler de l'association qui porte ce nom, la cause elle-même lui paraissait sacrée. Déjà tout jeune, en effet, il sentait, comme disciple de Jésus, que la prière sacerdotale du Seigneur ne sera exaucée que par l'unité réelle et profondément vécue du corps de Christ: « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous ! » Cette requête remuait les profondeurs de son coeur. Aussi entra-t-il avec une joyeuse conviction dans le Comité d'alliance évangélique qui se fonda à Bâle, et il en est resté jusqu'à sa mort un membre fidèle.

Je ne sais trop, disait-il un jour, ce qui domine en moi, de la douleur de voir les divisions du peuple de Dieu, ou de la joie de constater l'unité qui malgré tout s'y tait sentir.

Plus chacun d'entre nous, disait-il aussi, se rapproche de Jésus, comme du soleil autour duquel il gravite, plus nous nous rapprochons les uns des autres.

Le professeur d'Orelli, qui siégeait à ses côtés aux séances de l'Alliance évangélique de Bâle, et qu'il affectionnait, lui a rendu dans le Kirchenfreund le témoignage suivant :

Rappard était une personnalité irénique. Sans doute il n'admettait pas qu'on touchât à la confession de foi, base de toute communion chrétienne. Peut-être était-il parfois un peu trop strict sous ce rapport. Mais pour le reste il avait non seulement un coeur ouvert à tous, mais en outre une façon noble et délicate de passer par-dessus les divergences. Il serait à désirer qu'entre gens de « culture académique » les discussions restassent plus souvent à ce niveau élevé de bienséance chrétienne et de bon ton qu'il maintenait constamment. C'était vraiment l'homme de l'Alliance évangélique; car l'amabilité qui le distinguait provenait de ses dispositions intimes, chaudement fraternelles, qui elles-mêmes jaillissaient des profondeurs de son expérience des compassions de Jésus.

Tout évangéliste authentique a son charisme spécial : l'un sera un puissant prédicateur de la repentance, un autre fera retentir la note de la sanctification. Quant à Rappard, il excellait à gagner les coeurs par le témoignage qu'il rendait à la grâce salutaire de Dieu manifestée en son Fils; il avait été lui-même intérieurement illuminé par cet amour divin. C'est cet amour qui le rendait capable de supporter les autres avec tant de patience et de réprimer son moi avec une énergie qui ne lui était guère naturelle, mais qui semblait ne lui coûter aucun effort. Son départ sera douloureusement ressenti dans plus d'un cercle de frères, en Suisse et à l'étranger, où il était toujours le bienvenu, apportant toujours la note juste à l'heure où l'on en avait besoin.

Voici d'autre part ce qu'on a pu lire dans l'organe des églises indépendantes de la Suisse orientale et occidentale:

L'inspecteur Rappard était un homme d'alliance évangélique dans le meilleur sens du mot, un homme n'appartenant à aucun parti, mais à l'ensemble du Royaume de Dieu, à tout le peuple des croyants, un homme apostolique, dont la valeur ne sera pleinement reconnue qu'à présent qu'il n'est plus là, tant par beaucoup de ses amis que par ses adversaires.

On pourrait recueillir des témoignages analogues dans les camps les plus opposés.

En même temps Rappard était loin de méconnaître les difficultés qui entravent le déploiement du véritable esprit de l'Alliance évangélique, surtout dans la pratique du ministère, où il ne faut, pour en triompher, rien de moins qu'un reniement effectif de sa vie propre. Il insistait souvent sur la diversité dans l'unité.

Soyons reconnaissants de ce qu'il y a diversité de clefs correspondant à la diversité des serrures des coeurs. Il faut que chacun soit bien au clair sur sa manière de voir et s'en tienne à ce que Dieu lui a montré comme étant la vérité, mais qu'il respecte aussi la conviction des autres.

Le véritable esprit de l'Alliance évangélique a pour devise: « Quiconque croit que Jésus est le Christ né de Dieu, et quiconque aime celui qui l'a engendré aime aussi celui qui est né de lui » (I Jean 5, 1).

Rappard s'attacha avec beaucoup d'amour et de dévouement à la Société de la Croix-Bleue.

Fondée à Genève en 1877, elle a pour but, comme on sait, le relèvement des buveurs et la lutte contre l'alcoolisme. Il se sentait en parfait accord avec ses statuts, vu leur caractère biblique et pondéré. L'expérience prouve qu'un buveur ne peut se corriger que par l'abstention complète de toute boisson alcoolique. C'est là la main, le pied, ou l'oeil qu'il faut à tout prix arracher et jeter loin de soi, comme étant une occasion de chute. Si d'autres se joignent à la Croix-Bleue sans avoir pour eux-mêmes besoin d'un voeu semblable, c'est qu'ils veulent bien, pour aider des frères plus faibles dans leur lutte, se lier par amour pour eux.

Rappard signa l'engagement d'abstinence totale en octobre 1882 avec un jeune valet d'écurie qui buvait trop et auquel il s'intéressait fort. Il disait parfois avec un sourire attristé : « J'ai toujours tenu mon engagement dès lors, mais pas lui!... »

Son adhésion à la Croix-Bleue lui fut de grand profit, surtout dans son ministère. Elle l'aida spécialement dans ses relations avec les pensionnaires de l'asile de buveurs de la Pilgerhütte à Chrischona, pour lesquels il éprouvait un intérêt cordial et à qui il aimait à dire d'expérience combien il fait bon être affranchi de tout péché et de toute passion. Pour lui, l'Évangile passait en première ligne, et l'abstinence n'était qu'un moyen en vue du but à atteindre.

En automne 1883, au cours d'un voyage dans l'Allemagne septentrionale, il fit la connaissance, à Königsberg, du major Curt von Knobelsdorff, qui avait bien passé par un réveil de conscience précédemment, mais qui était toujours à nouveau lié précisément par ses habitudes de boisson, et ne pouvait ainsi parvenir à une conversion radicale. Il assista avec sa femme à une réunion tenue par Rappard à Königsberg - tous deux en jouirent si bien qu'ils invitèrent à dîner le prédicateur. Mais à leur extrême surprise, il ne consentit à goûter à aucun des vins fins que le valet de chambre essayait de lui verser, et, en réponse à une question anxieuse de la maîtresse de maison, Rappard se déclara membre de la Croix-Bleue, dont il exposa les principes et les méthodes.

C'est alors que von Knobelsdorff entendit parler pour la première fois de la Croix-Bleue. bien qu'il se fût déjà précédemment, abstenu de boissons alcooliques. Cet exposé lui fit une impression profonde et troublante, mais, en dépit des appels réitérés de sa conscience, il s'écoula quatre ans encore avant qu'il arrivât à la liberté.

La délivrance vint alors de façon puissante. Son âme angoissée se brisa aux pieds du puissant Sauveur, qui, pénétrant en vainqueur, fit toutes choses nouvelles dans son coeur, dans sa vie, et dans ses habitudes. Knobelsdorff ne se borna pas à abandonner la boisson, il rompit entièrement avec le monde et ses us et coutumes. Il alla même, connaissant sa faiblesse, jusqu'à demander à se retirer de l'armée, ce qui lui fut accordé avec l'octroi du grade de lieutenant-colonel.

En souvenir de cette rencontre avec Rappard à Königsberg, le lieutenant-colonel de Knobelsdorff désira entrer à Chrischona, en partie pour approfondir sa connaissance des Écritures, en partie aussi, comme il disait, pour « achever de se débarrasser de toutes les reliques de sa vie de péché qui pouvaient être restées attachées à lui ».

 

En août 1888, après un séjour de huit mois dans l'institut de Chrischona, il demanda à être consacré au service du Seigneur, et il a dès lors, vaillant soldat de son céleste Roi, fait passer bien des âmes de la mort à la vie, de l'esclavage à la bienheureuse liberté. Jusqu'à sa mort, survenue en janvier 1904, l'inspecteur Rappard resta lié d'étroite amitié avec ce vaillant frère d'armes.

Il fit une expérience quelque peu différente lors d'un voyage de visites dans la campagne wurtembergeoise. Allant de village en village, où on l'appelait, accompagné d'un ami, il prêchait dans les églises et les salles de réunions. Là-dessus lui arriva d'un de ces villages une lettre d'un paysan lui exprimant sa gratitude pour la bénédiction qu'il avait reçue. A l'église déjà, disait-il, il avait entendu bien des choses d'importance, mais c'est à la maison seulement que s'était passée la chose la plus importante. On avait voulu offrir du vin à l'inspecteur, et il l'avait refusé amicalement, mais catégoriquement, et quand on avait essayé d'insister, il avait exposé ses raisons, en parlant de l'amour des boissons, cet interdit qui empoisonnait tant de vies. A part cela, il s'était montré si peu exigeant, si accommodant, si aimable, que, pour lui, l'auteur de la lettre, c'avait été comme un aiguillon dans son coeur. Rangé depuis longtemps parmi les convertis, il se sentait pourtant un point faible, c'était l'amour du vin. Que de fois sa conscience l'avait tourmenté lorsqu'il avait cédé à son penchant, en cachette le plus souvent, mais il avait su se trouver des excuses, et il avait ainsi peu à peu descendu la pente. Maintenant ses yeux étaient ouverts, et avec l'aide de Dieu, il triompherait.

Ce petit récit peut être en bénédiction à ceux qui travaillent pour le Seigneur, peut-être aussi à quelque malheureux esclave.... Qu'une discipline fidèle exercée sur soi-même est importante 1 Nous servons bien plus le Seigneur encore par ce que nous sommes que par ce que nous disons.

Il y avait longtemps que H. Rappard était un ami intime du pasteur Arnold Bovet, président de la branche allemande de la Croix-Bleue suisse. A plusieurs reprises, des cours bibliques pour les amis de la Croix-Bleue se tinrent à Chrischona, et c'était une joie pour l'inspecteur de passer ces heures bénies avec de fidèles frères d'armes, tels que les pasteurs Fischer, de Essen, Furer, de Zäziwil et d'autres. Naturellement M. Nabholz, président de la section de Bâle, ne manquait pas ces rendez-vous. Voici comment il fit part du départ de Rappard dans le journal de la Croix-Bleue :

 

La Croix-Bleue suisse perd en Ch.-H. Rappard un collaborateur toujours disposé à lui prêter son concours. Dans nos conférences, comme dans les cours bibliques cantonaux ou suisses, il savait toujours placer devant les âmes la parole de Dieu de façon qu'elle portât du fruit. Sa vie et l'influence qu'il a exercée nous sont un exemple vivant de cette foi vraie qui est agissante par la charité.

Enfin, c'est ici le lieu de montrer en Rappard un ami d'Israël.

Sa connaissance de la parole prophétique, sa foi aux promesses divines, et surtout son amour pour le Messie, issu d'Israël selon la chair, firent naître en son coeur, pour le peuple juif, un intérêt d'autant plus vif qu'il eut à se frayer son chemin au travers de bien des opinions contraires. Nous sommes heureux de pouvoir laisser à ce propos la parole à M. le professeur Heman, de Bâle, président de l'Union des Amis d'Israël.

Le nom et la personne de cet homme de Dieu, écrit-il sur le compte de M. Rappard, sont bien connus des chrétiens de la Suisse et de l'étranger; des milliers l'ont entendu proclamer la gloire et le bonheur de l'amour de Christ, et ont été gagnés, car il s'était donné pour tâche d'allumer partout la flamme de l'amour de Christ, et de l'entretenir. Aussi des journaux en grand nombre ont-ils décrit sa carrière et son activité infatigable. Mais il manque au portrait qu'ils ont retracé de cette riche personnalité un trait caractéristique, aussi important pour sa vie et sa pensée intimes que pour l'oeuvre de Chrischona.

 

Comme sa vie intérieure reposait d'une façon inébranlable sur les Écritures, parole et révélation de son Dieu, il était rempli d'un amour profond pour Israël, l'ancien peuple de l'alliance. C'était à ses yeux chose absolument sûre et certaine que toutes les promesses faites à Israël auraient leur accomplissement, et que notre devoir, à nous chrétiens, était de concourir, pour notre part, à la réalisation de cette espérance. Aussi eut-il constamment à coeur, pendant toute la durée de son inspectorat, de soutenir les Israélites croyants et de les faire progresser dans la connaissance de Jésus-Christ. Il leur faisait bon accueil dans l'institut, et à peine y a-t-il eu un jour où Chrischona n'ait pas compté parmi ses élèves plusieurs prosélytes israélites bénéficiant de ce contact avec des frères chrétiens.

Le souvenir de Rappard demeurera aussi en bénédiction aux Amis d'Israël.


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