.

 3. Voyage au Sud de la Russie

 

En réponse à des invitations pressantes et réitérées, Rappard se décida, au printemps 1881, à aller visiter les frères à l'oeuvre au Sud de la Russie, pour leur apporter, à eux et à leurs troupeaux, quelque encouragement spirituel par la Parole de Dieu et la communion dans le Seigneur. Si remplies que fussent les journées, il sut trouver le temps d'adresser aux siens des lettres détaillées, publiées en partie dans le Glaubensbote, mais dont quelques extraits intéresseront certainement nos lecteurs

Le dimanche 29 mai, veille du départ, il y eut à la chapelle un service d'adieux, où le pasteur Jaeger parla sur la multiplication des pains. Comme parole d'adieu on remit à Rappard une poésie dont voici la conclusion

 

Rien que cinq pains et deux poissons !

Mais Jésus est là : sa présence

Supplée à tout, nous le savons,

Et nous comptons sur sa puissance.

Si Dieu t'envoie en sa moisson,

Va : de ces régions lointaines

Tu reviendras à la maison

Avec douze corbeilles pleines.

 

Le lundi 30, Rappard partait par Romanshorn, Lindau et Innsbruck pour Vienne, d'où est datée sa première lettre, du 3 1 mai.

Un peu ému au départ, je retrouvai bientôt la confiance, surtout à la lecture du Psaume 91. Que chaque phrase de cette prière est splendide

 

Odessa, 3 juin.

Après quarante-six heures de voyage, Dieu m'a fait arriver heureusement ici. Parti de Vienne par l'express de mercredi matin à onze heures, je suis arrivé ici, par Cracovie et Lemberg, vendredi à neuf heures du matin. Plusieurs heures durant, j'ai eu pour compagnons de route un riche juif de Vienne et un jeune Polonais catholique-romain. Ils m'ont écouté attentivement tandis que j'essayais de résoudre les divers problèmes qui concernent l'homme et son existence ici-bas, en m'appuyant sur la Sainte-Écriture, source merveilleuse de mes connaissances.

J'ai beaucoup pensé à vous tous devant le Seigneur dans ces longues nuits de chemin de fer....

.... La steppe proprement dite commence vers Odessa. Durant de longs trajets, on n'aperçoit pas un arbre, ce ne sont que d'incommensurables prairies verdoyantes, où paissent des troupeaux de chevaux et de boeufs. La nuit, on stationnait longtemps aux gares. Il m'arrivait alors fréquemment de sortir pour contempler le ciel étoilé.

Rappard était attendu à Odessa par un frère de Chrischona, M. Flubacher, qui l'accompagna dans un voyage de plusieurs jours à travers la steppe de Rohrbach.

 

Rohrbach, 6 juin.

Me voici depuis samedi soir chez nos bons amis Glinz, dans ce Rohrbach dont le nom nous est si familier. Nous avons eu un temps admirable pour le voyage. Pas un grain de poussière. Tout autour de nous, aussi loin que l'oeil pouvait atteindre, la steppe resplendissante du vert le plus magnifique. Toutes les vingt verstes (la verste ne dépasse guère le kilomètre) on changeait de chevaux et de cocher, de sorte qu'on avançait rapidement. Nous avons quitté la route postale à Worms ; pour un rouble, un frère allemand attela ses deux chevaux à notre voiture et nous mena en une demi-heure dans l'aimable presbytère de Rohrbach.

Hier, dimanche, j'ai pu faire bonne connaissance avec les « frères » de l'endroit, comme on appelle ceux qui suivent les réunions.... Outre la prédication habituelle que le pasteur m'avait prié de faire pour lui, on avait annoncé trois services exceptionnels, ici et à Worms. Pour moi, la journée a été bénie ; Dieu la bénisse aussi pour d'autres

 

Rohrbach, 10 juin.

Rentré hier soir d'une tournée de trois jours. je fais l'expérience que la grâce du Seigneur repose sur ma tournée ; oui, ce qui ensoleille mon voyage, c'est qu'à chaque visite je rencontre des âmes altérées à qui je puis rendre témoignage de Jésus.

Le mardi 7 juin, j'ai prêché à Worms, où les hommes ont entonné un cantique magnifique à la fin du service. Le lendemain de bonne heure je partais avec le frère Flubacher pour les chutters. (Un chutter est un grand domaine agricole.) il faisait un temps superbe, et le brave « frère » de Worms nous conduisit rapidement et gratuitement chez M. G., qui vit comme un prince au petit pied dans son chutter. En approchant d'un chutter, on aperçoit d'abord une quantité de maisonnettes d'argile recouvertes de toits de boue ou de chaume. Au milieu se trouve une maison blanche, un peu plus grande, entourée d'acacias. C'est la demeure du patriarche, tandis que ses enfants mariés et les domestiques russes habitent les maisonnettes avec leurs familles. Le cocher nous amène au galop dans la cour. Les chiens s'en donnent à coeur joie d'aboyer. A la porte de sa maison, le chef de famille souhaite la bienvenue au nouvel arrivant. Une fois entré, je cherchais à dissiper la timidité des gens par quelques paroles cordiales, ce qui me réussit chaque fois. Au bout d'un certain temps, tous les Allemands du chutter se trouvaient rassemblés pour « l'église », comme ils disent. J'invitais, après la méditation, les pères de famille à prier à leur tour ; leurs prières témoignaient d'une expérience chrétienne mûrie. (Ces gens sont des descendants d'émigrants souabes.)

A une heure, la voiture à quatre chevaux de M. G. était devant la porte, prête à nous conduire à un autre chutter, où il y avait aussi « l'église » de quatre à cinq. Quand, après moi, le patriarche pria à son tour, les larmes lui coupèrent la parole.

De là, une voiture à trois chevaux nous transporta à la colonie de Rosenthal, environ vingt verstes plus loin. On ne nous attendait pas, et le soleil était déjà couché quand nous mîmes pied à terre devant la chaumière d'un frère. La petite cloche de l'école retentit, et à 9 heures quelque quatre-vingts personnes se trouvaient réunies. J'avais eu une journée si remplie qu'il m'était bien permis de sentir quelque peu la fatigue ; mais la prière, la Parole de Dieu et l'attention de ces braves gens me restaurèrent. Il n'était pas loin de 11 heures quand nous avons quitté l'école.

Je me retirai chez un excellent frère, charron de son métier, et père de neuf enfants, tous encore à la maison. Dans la chambrette aux fenêtres scellées dans le mur, je partageai, en fait de couche, le divan de bois où reposaient le père, la mère, et quelques-uns des enfants, et j'y dormis presque aussi bien que dans mon lit. Fort heureusement pour moi, il se trouvait qu'un des garçons, probablement, avait cassé une des vitres de la petite fenêtre, ce qui ne laissait pas que de me procurer quelque fraîcheur. Pourvu que le brave enfant n'ait pas reçu la verge pour m'avoir, à son insu, accordé ce bienfait !...

Le jeudi matin nous trouva réunis à Marosawa. La grande dame russe dans les domaines de qui sont établies ces dix-sept familles avait aménagé son propre salon pour cette réunion. Oh ! comme ces bonnes gens écoutaient la proclamation de l'Évangile 1 Flubacher a été en vraie bénédiction à ces colons. Depuis cinq ans, ils n'avaient pas eu une seule visite pastorale !

Nous avons encore visité plusieurs chutters semblables. Une fois la réunion comptait soixante-quinze auditeurs. Dieu nous a bénis. Nous sommes rentrés vendredi soir à la cure de Rohrbach, où nous avons vraiment joui d'une bonne nuit de repos !

 

Odessa, 16 juin.

D'après le calendrier grec, la Pentecôte russe tombait sur le 12 juin. je prêchai ce matin-là à Rohrbach, et le soir à Worms, dans l'oratoire luthérien.

Le lundi de Pentecôte eut lieu une réunion en plein air pour la première fois depuis bien des années. Il y a ici et là dans la steppe de petites collines rondes, de forme tout à fait régulière, ressemblant à de vraies pyramides. C'est sur une de ces collines, voisine de Rohrbach, qu'on avait convoqué la réunion. Quand, au sortir de la cure, nous en approchâmes, elle était déjà couverte de monde, on eût dit de loin une énorme fourmilière. Tout autour étaient rangés en forme de rempart plus de cent véhicules de tout genre, à deux, trois, ou quatre chevaux. Les orateurs se placèrent au bas de la pente, tandis que la foule campait aux flancs et jusqu'au haut de la colline. Schlarb, Glinz et Flubacher parlèrent sur Rom. 8, 1-27 ; ce fut à moi de conclure ; ce que je fis en profitant de l'occasion pour insister sur la responsabilité des colons allemands de la Russie méridionale à l'égard du peuple russe : il faut qu'ils soient sel et lumière.

La fête terminée, c'était intéressant de voir voitures et cavaliers se disperser dans toutes les directions. Dans ce pays de pâturages, il n'y a pas de route, et chacun s'en allait tout droit vers sa colonie.

En rentrant à Odessa, je visitai en route Johannesthal et Alexanderfeld, et j'y tins aussi des réunions. Les souvenirs de ces douze journées dans la steppe me resteront en bénédiction. jamais encore je n'avais si bien senti la vérité de la parole

« Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort. »

Puis vint la seconde partie du voyage, d'Odessa à la mer d'Azof et retour, en passant par la Crimée.

 

Sébastopol, 17 juin

Nous avons quitté Odessa hier après-midi, et nous abordions ici heureusement ce matin. J'ai joui d'un coeur reconnaissant du calme de la traversée. Comme mon train ne part qu'à minuit, nous avons eu amplement le temps de parcourir cette pauvre citadelle bombardée. je n'avais jamais encore vu une ville pareillement ravagée.

 

Freudenthal en Crimée, 21 juin.

Me voici de nouveau parmi des colons, depuis samedi, occupé du matin au soir par les prédications, les entretiens particuliers et les courses. J'ai visité trois colonies. Dans celle d'Annenfeld demeure un ancien instituteur de Calw, en Russie, (ces Souabes tiennent mordicus aux noms originaires de la patrie), qui a tellement joui des réunions qu'il m'a prié d'en tenir aussi dans les trois colonies qui se trouvent sur le chemin de Feodosia, voulant, disait-il, me conduire avec ses chevaux jusqu'à leurs oratoires. Ainsi advint-il que ce matin à 7 1/2 heures je donnais une étude biblique dans le gracieux oratoire de Calw, puis que je trace ces lignes dans celui de Freudenthal, où je dois parler à midi, tandis que ce soir à 7 heures j'aurai à donner une conférence dans une colonie située à 3 5 verstes en deçà de Feodosia, et que je passerai en voiture la plus grande partie de la nuit, pour attraper demain matin le bateau qui me transportera à Berdjansk avec mes chers compagnons de route les frères Eberle, Krähenbühl et Flubacher.

 

Berdjansk, 24 juin.

Les réunions que j'annonçais ont eu des participants très nombreux et très reconnaissants. La soirée fut occupée par des visites jusqu'à 10 heures ; après quoi nous nous étendîmes tout habillés sur des divans jusqu'à une heure, puis un brave « frère » nous fit franchir en voiture les 35 verstes qui nous séparaient de Feodosia, de façon à ne pas nous faire manquer le bateau. A midi, nous atteignions la forte citadelle de Kertsch, qui opposa une résistance si énergique, dans la dernière guerre, à la flotte turque, lorsqu'elle voulut pénétrer dans la mer d'Azof. Le trajet sur la mer d'Azof vers Berdjansk fut des plus agréables : pas une ride sur le miroir des eaux, un coucher de soleil unique. Nous sommes restés longtemps sur le pont. Les « frères » chantaient. Nous atteignîmes Berdjansk peu après 3 heures du matin. je courus sur le pont, et j'aperçus bientôt un joli canot qui se dirigeait vers nous, orné d'un drapeau. je reconnus les « frères » Christen, Grüninger, Lehmann ; il y avait aussi deux pasteurs mennonites. Nous nous embrassâmes, la joie du revoir au coeur.

Une oeuvre importante m'attend. je demande au Seigneur de grandes bénédictions, mais à titre de pure grâce, et qu'à Lui seul soit toute la gloire. D'après la Parole de Dieu, il est beaucoup offert et beaucoup donné à la foi !

 

Neu-Hoffnung, 27 juin.

La traversée de Berdjansk ici était fort agréable, l'arrivée à Neu-Hoffnung, d'une beauté saisissante. Devant le presbytère enseveli dans la verdure étaient réunis les conseillers de paroisse avec les instituteurs et leurs femmes. On nous souhaita cordialement la bienvenue. Les plus âgés, les larmes aux yeux, exprimèrent leur reconnaissance de ce que de Chrischona un pasteur était venu jusqu'à eux.

Le soir il y eut à l'église une réunion de bienvenue. Auparavant, nous avions fait encore une promenade en commun dans la forêt et au cimetière. La vue d'une longue rangée de tombes d'enfants m'émut profondément. Sur telle d'entre elles, entourée d'une petite clôture, on pouvait lire : Les cinq enfants des parents N. ; ou : Quatre enfants des parents 0. ; etc. Quand, le lendemain, le frère Christen me pria de me charger d'un service funèbre pour un enfant, je me sentis pressé d'adresser aux parents, aux mères surtout, des consolations, en prenant pour texte les paroles profondes de Jérémie 3 1, 15-17

Dimanche, je me suis levé en bénissant Dieu de ce que je pouvais lui remettre avec confiance tous les miens et proclamer son glorieux Évangile. La grande église était toute pleine à 9 1/2 heures.

 

Kornthal, 1er juillet.

Jésus reste notre Berger fidèle, et notre Père céleste, en qui nous nous confions de tout notre coeur, reste le Dieu bon et miséricordieux. Jusqu'ici tout a bien marché. J'ai été bien souvent fatigué par des nuits trop courtes ou franchement mauvaises. Mais entre deux, le Seigneur m'a toujours à nouveau donné de temps à autre une bonne nuit.

 

Une traversée de douze heures, décrite dans une lettre, l'amène de Neu-Hoffnung à Ostheim.

 

Ostheim, 5 juillet.

La conférence des frères a eu lieu ici le samedi 2 juillet. Huit frères de Chrischona se trouvaient réunis à 8 1/2 heures dans l'oratoire, quatre d'entre eux avec leurs femmes. On choisit comme sujet d'entretien I Cor. 13. Chacun dit son mot, y compris les anciens de Neu-Hoffnung, et d'Ostheim. Le Seigneur nous a donné des paroles bienfaisantes. Après quoi nous avons prié, non sans larmes, puis autour de la table du Seigneur nous avons pris en mémoire de lui son corps rompu pour nous, son sang versé pour nous.

Le dimanche 3, service divin à Ostheim d'abord, puis à Kornthal l'après-midi et à Ostheim de nouveau le soir. Le Seigneur nous a donné, aux frères et à moi, un joyeux entrain. Les gens avaient soif de la Parole de vie ; il y avait partout encore du monde aux fenêtres. Oh ! quelle source inépuisable que l'Évangile !

D'Ostheim, notre voyageur prit la direction de l'ouest, et ainsi de la patrie. Il écrit encore :

A quatre heures du matin, nous étions réunis devant l'école. Presque tous les hommes d'Ostheim se trouvaient là. Quatre voitures de voyage se tenaient prêtes. Nous avions 1 10 verstes à faire en un jour avec les mêmes chevaux, nous qui allions à Neu-Hoffnung.

Encore un cantique de louange, une prière, d'affectueux adieux.... et nous voilà partis, gravissant des prairies en pente pour sortir de la vallée d'Ostheim, puis cheminant à travers l'interminable steppe sans un arbre, aux blés onduleux alternant avec les vastes pâturages.

Trois arrêts, pour donner à manger à nos excellents chevaux, et nous atteignons Neu-Hoffnung à 9 1/2 heures, tout dispos après dix-sept heures de voiture. Il fallut en repartir le 5 juillet.

Les adieux furent des plus affectueux, écrit Rappard ; nous étions devenus chers les uns aux autres.

Pour le retour à Sébastopol, on fit route par la terre ferme, en traversant le territoire de Berdjansk et la Maloschna toute en fleurs, « où l'on oublie qu'on est dans la steppe russe ». En chemin, Rappard put visiter plusieurs localités, villages, villes, etc. Partout on lui témoigne une affectueuse reconnaissance, on met à sa disposition chevaux et voitures, et l'on accueille avec empressement la prédication de la Parole.

A la réunion, écrit-il un jour, le Seigneur nous a richement bénis. J'avais pu lui demander avec foi Son message pour l'Église. A ce que nous avons appris depuis, le Saint-Esprit a agi avec puissance dans plus d'un coeur pendant que je parlais. L'Évangile, ici encore, a montré sa puissance dans sa simplicité.

La plupart des paroisses sont si étendues que certaines localités isolées n'ont que bien rarement des visites. De là ce soupir de notre voyageur :

Ah! que l'Église n'admet-elle le ministère des diacres! Que de bon travail pourrait faire dans tous ces petits hameaux un évangéliste capable ! ...

.... Je poursuivis seul ma route, mais à chaque station je suis plus près de la patrie. J'aurais eu bien souvent le heimweh si l'air natal du glorieux Évangile ne m'avait pas accompagné de lieu en lieu.

 

En mer, entre Sébastopol et Odessa, le 10 juillet.

Je comptais partir de Sébastopol samedi ; mais le bateau ne levait l'ancre que dimanche après-midi. J'avais ainsi, pour la première fois, une journée et demie de loisir. Ayant promis de prêcher ce dimanche-là à Odessa, ce délai ne me souriait guère; j'y vis toutefois la main de Dieu, et je me dis qu'il voulait m'accorder un jour de repos. J'allai voir les vastes cimetières anglais, et je m'arrêtai avec émotion devant le tombeau du capitaine Hedley Vicar. Le consul anglais, qui m'accompagnait, m'ayant dit que le surveillant d'un des cimetières était allemand, je priai le dit consul de me permettre de réunir au salon la famille allemande pour lire la Parole de Dieu et prier avec ces gens. Ils ont tous pleuré ; c'était la première fois qu'un pasteur allemand entrait chez eux!

Tandis que je trace ces lignes, il y a grand tapage sur le navire ; pour pouvoir sanctifier le jour du Seigneur, il faut que l'esprit s'arrache positivement à tout ce train-train journalier et se réfugie dans le sanctuaire.

C'est encore Odessa qui fut le point de départ de la troisième partie du voyage, une tournée dans les Etats autrichiens. Il se trouva que sur cette route les correspondances des chemins de fer étaient des plus défectueuses; en outre des inondations avaient occasionné la suppression de tous les express et de tous les trains de nuit, de sorte que l'inspecteur se rendit bientôt compte qu'il ne pourrait pas venir à bout de ses projets.

Il me fut fort désagréable, écrivait-il de Belgrade le 17 juillet, de ne point trouver de train de nuit à Jassy, et d'être ainsi obligé d'abandonner tout espoir d'atteindre le bateau de Galatz, aussi n'étais-je pas loin de me sentir déprimé. Mais j'eus bientôt honte de ma mauvaise humeur, et le trajet de Jassy à Braïla fut pour moi un chemin d'humiliation profonde et de prière. Je compris que mon divin éducateur m'avait conduit dans ce désert de la campagne roumaine pour me débarrasser de ce que mes tournées en Russie, couronnées de tant de succès, m'avaient insufflé d'amour de la gloire et de satisfaction propre. Ah ! que je me suis senti pauvre et misérable ! Ce parcours-là a été pour moi un temps de lutte, mais aussi de bénédiction. J'ai relu en entier la 1re aux Corinthiens avec méditation et prière.

A Belgrade, j'étais attendu par le cher frère Lichtenberger, qui m'emmena chez lui. Jésus est tous les jours avec nous.

La dernière partie de ce voyage abonda en travail comme en joie. L'inspecteur put visiter Neu-Banovce, Essegg, Agram, Warasdin et Trieste, et faire de riches semailles, quoique le temps lui manquât pour une oeuvre proprement dite. Il ne put que promettre à ces amis de revenir si possible deux ans plus tard.

Il avait déjà franchi la frontière suisse lorsqu'il écrivit la dernière lettre de cette tournée :

 

Flüelen, 30 juillet de bon matin.

J'ai le coeur plein de gratitude envers le Seigneur en pensant à la façon dont il m'a conduit tout le long de mon voyage. Il m'a gardé sur terre et sur mer. Il a été pour son faible disciple un bon éducateur, me faisant constamment sentir dans ma conscience la discipline de son Saint-Esprit, qui me châtiait ou m'avertissait. J'éprouve un besoin toujours plus intense de vous revoir, et c'est bien par une dispensation de la sagesse de Dieu que mon voyage ne durera pas un jour de plus que les deux mois prévus. Parti le 30 mai, je rentre le 30 juillet. Dieu soit béni pour tout!

 

On peut ajouter avec actions de grâces que ce voyage a laissé des traces durables. De nombreuses lettres en ont fait foi à maintes reprises. Plusieurs jeunes gens de cette région sont entrés plus tard comme élèves à Sainte-Chrischona, d'autres en plus grand nombre comme « hôtes » (1). Rappard conserva toujours au fond du coeur un intérêt spécial pour le grand empire moscovite et pour son peuple si ignorant et si réceptif pourtant au point de vue religieux.


Table des matières

Précédent:2. Participation à d'autres oeuvres

Suivant:4. Voyage dans la Prusse orientale et en Autriche

ACCUEIL

 


.

1) Les «hôtes » de Chrischona sont des élèves qui n'y séjournent que quelques mois au plus.