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 4. Voyage dans la Prusse orientale et en Autriche

 

Fidèle à sa promesse, Rappard repartit en 1883 pour une tournée de visites dans les Etats autrichiens. Il la commença toutefois par un voyage d'inspection dans l'Allemagne du Nord, où il avait promis sa collaboration à une série de réunions, du 9 au 16 septembre, à Züllichau, petite ville du Brandebourg. Il y passa des journées bénies sous le toit hospitalier du surintendant Röhricht, dont le concours très fraternel ne contribua pas peu au succès de l'entreprise. Ce travail en commun cimenta des relations amicales durables. Un autre beau fruit de ces réunions fut la conversion radicale d'un jeune instituteur, plus tard élève de Chrischona, puis évangéliste fécond jusqu'à sa mort.

De là, par Elbing, Rappard se dirigea au nord puis à l'est vers Koenigsberg, où il tint une série de conférences et où il fit la connaissance du major von Knobelsdorff, comme on l'a vu plus haut.

C'est avec un vif intérêt qu'il visita les champs de travail des évangélistes de la Pilgermission dans la Prusse orientale. On marchait des heures pour venir aux réunions, et on voulait en avoir pour sa peine. Au milieu de tout ce travail de visites, Rappard écrivait à sa femme :

La seule activité vraiment sage du serviteur de Dieu se résumerait en ceci : Christ en nous, et nous en Lui. je vois de plus en plus combien il est important de Le laisser agir, Lui! Que de fois nous nous mettons en travers de sa route par notre prétention à agir par nous-mêmes, gens de peu de foi que nous sommes!

C'est pour moi une grande consolation de me dire que chaque instant Lui appartient, au cours de mon voyage aussi. J'ai le coeur plein de l'Évangile, source de bonheur et de salut pour l'homme.

Et plus tard :

Je suis presque constamment en route. Temps fatigant, mais fécond. J'ai été fort encouragé par ce que j'ai pu voir de l'effet des réunions. Il y a ici beaucoup d'enfants de Dieu à qui nos évangélistes sont en bénédiction.

J'ai été le 29 septembre à P., où le frère K. (propriétaire terrien richement doué comme évangéliste) a un local d'environ un millier de places. Il était bondé. J'ai parlé en allemand, K. en lithuanien ; à la fin, un prédicateur me traduisit encore en lithuanien. On était beaucoup venu de la Russie, plusieurs avaient fait à pied de douze à vingt-quatre lieues pour ne pas manquer ce rendez-vous. Les « frères » russes nous suppliaient les larmes aux yeux de ne pas les abandonner. Beaucoup d'Églises sont sans pasteur, les réunions sont interdites, ce n'est qu'à la dérobée et au milieu de la nuit qu'on peut prêcher. Que le Seigneur ait pitié des captifs de Sion !

Plus de cent personnes sont restées là toute la nuit, et le lendemain matin à six heures et demie on était de nouveau en réunion. On avait chanté des cantiques jusqu'après minuit, pour recommencer déjà à cinq heures du matin.

Jusqu'à présent je suis en parfaite santé et toujours à l'oeuvre pour le Seigneur et pour son Évangile. C'est la seule chose qui me console et me réconforte en compensation de ma longue absence. Le Seigneur est notre parfaite consolation pour le présent et pour l'avenir. Nous voulons demeurer en lui, libres de tout péché.

 

La dernière étape de la région, chez le comte von der Groeben, à Ponarien près Liebstadt, fut pour Rappard comme une reposante oasis.

Le 8 octobre, il passa en Bohême, visitant d'abord à Prague et à Tabor les frères Novotny et Kostomlatzky. Il écrit de Tabor :

Ce n'est pas sans intérêt que j'ai foulé cette forteresse naturelle du héros Ziska. Le fanatisme populaire a renversé la statue qu'on lui avait élevée. Il n'en reste que le piédestal, sur lequel sont énumérées toutes les victoires du héros. Les « frères » sont à leur poste, jouissant de la bénédiction et de la vie du Prince de la vie. J'ai tenu une réunion le soir. Le joli local était plein; à la fin, deux personnes déclarèrent vouloir s'en tenir désormais au Seigneur Jésus.

Nous sommes restés ensemble jusqu'à onze heures, puis nous nous sommes acheminés vers la gare dans le calme de la nuit.

Le lendemain soir Rappard arrivait à Graz, ayant passé par Vienne sans s'y arrêter. Le « frère » Iseli l'emmena tout droit à une réunion tenue par un ami, M. Ch. Fermaud, le secrétaire général des Unions chrétiennes de jeunes gens; il eut ainsi l'occasion de s'adresser à un auditoire de jeunes hommes.

Après des visites à Warasdin et à Essegg, il arriva en bateau sur le Danube à Vukowar, d'où il comptait aller en voiture à Neu-Banovce. N'ayant pu toutefois annoncer à temps son arrivée, il se demandait comment il ferait pour se procurer un véhicule. Mais voici que le « frère » Keller, de Banovce, s'était senti poussé intérieurement à aller à Vukowar, de sorte que l'inspecteur se trouva servi à souhait. Il y eut de grandes réunions tous les soirs, après lesquelles les membres des unions d'hommes venaient encore dans la chambre pour s'entretenir des choses de Dieu, chanter et prier.

C'étaient de beaux jours, raconte-t-il. Le Seigneur, qui connaît ceux qui sont siens, bénit abondamment ces « frères ». Le village a pris un autre aspect depuis que l'Évangile y domine. Un paysan m'affirmait que le prix du terrain avait doublé, personne ne consentant plus à en vendre, et chacun désirant en acquérir.

Jusque là le voyage avait pu s'effectuer par chemin de fer ou par bateau à vapeur; dès lors il s'agissait de se faire cahoter dans des chars de paysans roulant sur des routes primitives. Écoutons Rappard:

Un jeune croyant, J. Kettenbach, tenait à nous accompagner pour participer aux bénédictions de notre conférence de Rastovac. La dernière étape se fit à travers une sombre forêt et des eaux profondes ; mais les vaillantes bêtes de notre cocher d'Essegg nous amenèrent à bon port.

 

Le jeudi 25 octobre, nous prenions place sur deux chars tirés chacun par deux petits chevaux, et en route pour Rastovac, rendez-vous des « frères », pour la conférence. D'abord on traverse une forêt vierge et de la boue tant et plus. Et il pleuvait, il pleuvait toujours, et il fallait écarter les ramilles de ci et de là. Puis nous passons par des prairies et traversons un ruisseau dont le pont a été emporté. Le premier char passe sans encombre, sauf que ma valise prend un bain, auquel participe naturellement une partie du contenu. Quant au second char, il s'arrête net au milieu du courant. Déjà nous nous préparions à lui adjoindre nos chevaux, quand les efforts énergiques du cocher, secondés par l'instinct des chevaux, provoquèrent une derniére tentative désespérée des pauvres bêtes, qui parvinrent à tirer heureusement le char et son contenu de l'eau et de la vase.

On put alors continuer et on atteignit bientôt l'annexe de Gravic. je désirai y annoncer aussi l'Évangile. On se rassembla facilement et je parlai. Que ces gens sont pauvres ! Mais en Dieu, ils peuvent être riches. Bien des yeux étaient humides.

Une bonne heure plus tard, nous reprenions notre course, et vers trois heures nous stoppions à une pauvre auberge. Les chevaux n'en pouvaient plus, et nous étions affamés. On nous apprêta une oie et de la soupe au riz. Il valait mieux ne pas pénétrer dans la cuisine, si l'on voulait manger avec appétit 1

Enfin, vers minuit, nous atteignîmes Daruvar et le lendemain Rastovac. La grande salle d'école s'emplit bientôt et je tins une première réunion.

Notre conférence eut lieu le samedi 27 octobre....

Nous eûmes trois réunions le dimanche, et, le lundi à 2 heures du matin, il nous fallut repartir. Après douze heures de voiture, - voiture sans ressorts - nous arrivons à la gare de Sissek dix minutes avant le départ du train. A six heures nous sommes accueillis avec une grande joie par « frère » Palmer à Agram. Il vient de passer par un temps de persécution, et, quand on est dans le creuset de l'affliction, il fait toujours bon se rencontrer pour se fortifier mutuellement.

Après Agram, Trieste, où un ancien élève de Chrischona a le dépôt de la société biblique britannique et étrangère et déploie autant de savoir-faire que de sagesse spirituelle. Le dimanche 4 novembre, Rappard prêche le matin à l'église réformée et tient l'après-midi une réunion à l'église luthérienne.

Que le Seigneur soit éternellement béni, écrit-il, de ce que ses évangélistes ont quelque chose d'aussi bon à annoncer !

 

La dernière étape fut le château de la comtesse LaTour à Russiz, foyer d'une oeuvre magnifique d'amour chrétien et d'évangélisation. De là, par Milan et le Gothard, Rappard regagna son propre foyer.

Tandis que le train de nuit nous emportait à toute vitesse a travers la Haute-Italie, je pensais, écrit-il, à toutes ces localités qui m'apparaissaient comme des îles (Ps. 97, 1) dans la grande mer des peuples de l'Autriche et que j'ai pu réjouir par le message de l'Évangile.

Dans toutes j'avais trouvé quelques enfants de Dieu qui croyaient, priaient, louaient, luttaient et souffraient, sans parler de beaucoup de créatures humaines rachetées à grand prix, à qui la proclamation du salut en Christ avait fait une impression profonde.

Samedi 10 novembre, 7 heures du soir: gare de Bâle et revoir après une séparation de deux mois !

Voici comment l'inspecteur résume ensuite son impression d'ensemble:

Le Seigneur a accordé sa grâce à ce voyage. Portes et coeurs étaient ouverts. J'ai fait connaissance de la situation et du champ de travail de chacun des « frères », et c'était une bonne chose. Autant que faire se pouvait, j'ai visité les ecclésiastiques, et j'ai parlé ouvertement avec eux de l'oeuvre des évangélistes ; car dans ma conviction, les évangélistes ou missionnaires urbains doivent aussi être des messagers de paix à l'égard des Églises nationales et de leurs représentants.

J'ai constamment répété à mes « frères » que leur oeuvre doit avoir exclusivement pour objectif de conduire les hommes au Fils de Dieu fait homme, qui est le chemin, la vérité et la vie, et sans qui nul ne vient au Père.


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