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 6. De retour à Sainte-Chrischona

 

« Mon coeur déborde de reconnaissance », avait écrit Rappard à son retour ; et il le répétait durant le court séjour de repos qu'il fit tôt après avec Mme Rappard à Wengen, dans l'Oberland bernois. Il aimait la montagne, et il pouvait rester des heures sans dire un mot, absorbé dans la contemplation des glaciers étincelants. Sur une carte postale adressée des hauteurs aux siens, on ne lit, à part ses amitiés, que ces mots: « Qu'elle est belle, la maison du Père ! »

Il reprit sa tâche ordinaire à Bâle au commencement de septembre, restauré de corps et d'âme.

« Mon coeur déborde de reconnaissance, » redisait-il à quelques mois de là en fêtant son cinquantième anniversaire, le 26 décembre 1887. Il ne lui était pas venu à l'idée de marquer cette journée. Mais quand l'affection des siens et des aînés d'entre les « frères » organisa une petite fête de famille, il s'en réjouit sincèrement. Les enfants se groupèrent, après le souper, dans un coin de la salle à manger de la Karthausgasse et refirent en vers et en dialogues l'histoire des jeunes années de leur père. Sa chère mère était à ses côtés, non moins surprise et heureuse que lui, et il jouit à sa manière, dans l'humilité et la paix, d'une de ces heures de joie profonde comme notre Père céleste aime à en accorder de temps à autre à ses enfants pour les encourager dans leur pèlerinage. Plus tard, il lui est souvent arrivé de repenser à cette douce soirée avec gratitude.

Rien de spécial ne marqua les années qui suivirent. On y peut noter, dans l'été 1888, un voyage à Londres à l'occasion d'une grande conférence missionnaire. Voici ce que Rappard en écrit:

A la conférence, à laquelle assistaient des ouvriers du Royaume de Dieu venant des cinq parties du monde, on a entendu retentir d'un bout à l'autre des réunions une note dominante : le Seigneur a mis devant son Église de Philadelphie (amour fraternel) une porte ouverte sur toute la terre, et que personne ne peut fermer. Prions-le donc de revêtir de son Saint-Esprit des ouvriers et de les envoyer dans sa moisson.

De Bâle, Rappard alla à plusieurs reprises avec sa famille passer quelques jours chez ses bons amis, M. et Mme Dändliker-Schnell, les directeurs de la maison des diaconesses de Berne. Au Wylergut, domaine de la maison, on coulait des jours de paix et de recueillement à l'ombre des vieux tilleuls et des vénérables ormeaux. D'autres fois, c'était au Blumenberg, l'idyllique logis des Dändliker, à proximité de l'hôpital de Salem, qu'on jouissait de la plus courtoise hospitalité, en compagnie de serviteurs de Dieu de toutes nations et de toutes langues. Aucun de ceux qui y ont pris part n'oubliera les repas pris en commun dans la véranda fleurie, en face de l'Aar et de la ville, tandis qu'au loin brillaient les Alpes neigeuses.

Dans ces rencontres de Berne, disait un des habitués, j'ai reçu bien des bénédictions, mais surtout aux repas du Blumenberg. Ces entretiens si riches sur la Parole de Dieu et sur son Royaume, cette large bienveillance et cette affection, cet esprit de sainteté pénétrant toutes les relations les plus ordinaires, m'ont fait savourer de la façon la plus bienfaisante la réalité de l'unité profonde des enfants de Dieu.

Rappard manquait rarement la fête de la Société évangélique, qui a lieu chaque année, à Berne, à la fin d'août. Il y parla maintes fois à la salle de fête du Muristalden, où l'on vient de toutes les parties du canton pour s'édifier en commun par l'étude de la Parole divine. La fin de ces journées est toujours consacrée à la fête annuelle de la maison des diaconesses.

Dans la seconde moitié du siècle dernier, Dieu avait donné au canton de Berne toute une pléiade d'hommes qui tenaient haut élevé le drapeau de la croix, et avec lesquels Rappard se sentait uni d'étroite affection ; mentionnons seulement MM. les pasteurs Gerber, de Watteville et A. Bovet, ainsi que le colonel de Büren, M. Dändliker et M. de Lerber. Ils sont tous déjà auprès du Seigneur, mais leurs oeuvres les suivent.

Un événement inattendu eut des conséquences considérables, non seulement pour la carrière future de Rappard et de son beau-frère Théodore Haarbeck, mais aussi pour l'oeuvre de l'évangélisation en Allemagne. Le digne pasteur Théodore Christlieb, professeur de théologie à Bonn, mourut le 15 août 1889. Trois ans auparavant, il avait fondé une école d'évangélistes, le Johanneum, lui consacrant ses soins et son coeur. Se sentant gravement atteint, il avait désiré qu'on remît l'oeuvre à un homme jeune, et le Comité directeur jeta les yeux sur M. Haarbeck pour l'appeler à prendre sa succession.

C'est au milieu d'une tournée d'évangélisation que Rappard apprit ce qui se passait.

La lettre qui m'attendait à mon arrivée ici, écrit-il à sa femme, m'a profondément remué. Je dépose devant le Seigneur cette importante question de notre réinstallation à Chrischona. Si c'est Lui qui nous y ramène, j'y retournerai avec foi et d'un coeur reconnaissant. Ces jours-ci, le Seigneur est particulièrement près de moi.

Je suis reconnaissant envers le Seigneur d'avoir conduit les choses de telle façon que je sois absent précisément en ce moment. Ainsi je ne me mêle pas de cette affaire, et je laisse tout faire au Seigneur. S'Il veut me retenir dans ma situation et mon oeuvre actuelles, ce sera le mieux pour nous. N'a-t-il pas été pour nous de tout temps plein de bonté et de grâce? Béni soit son nom de Père!

Le 28 mars, M. et Mme Haarbeck quittaient l'institut pour aller occuper l'important poste de Bonn. Peu d'années plus tard, le Johanneum se transporta à Barmen, où il prospéra sous la direction entendue de M. Haarbeck, accomplissant une oeuvre considérable.

Ce même 28 mars 1890 l'inspecteur Rappard rentrait avec sa famille à l'institut qu'il avait quitté près de sept ans auparavant,

Si profonde que soit notre reconnaissance en songeant à ce passé et au double travail qu'il a rendu possible, le Comité n'en a pourtant pas moins eu l'impression, à la suite de l'appel adressé à M. Haarbeck, que le mieux et le plus simple était que l'ancien inspecteur reprit son poste à Chrischona pour diriger de là aussi l'oeuvre des stations. Il incombera aux « frères » engagés depuis longtemps dans le travail de seconder plus souvent leurs cadets de leurs conseils et de leur appui, et en général de travailler au progrès et au développement de l'oeuvre entière.

Aux doux rayons d'un soleil de printemps, la famille réintégra son ancien nid coutumier. Dans ce logis familier, point n'était besoin d'initiation nouvelle. Toutefois les expériences de Bâle avaient laissé leur empreinte sur tous les coeurs, leur donnant plus de maturité.

L'antique parole brillait d'un éclat nouveau à la paroi du cabinet de travail de l'inspecteur :

L'ETERNEL N'ABANDONNERA POINT SON PEUPLE, A CAUSE DE SON GRAND NOM (I Sam. 12, 22)

 

Nous avons suivi Rappard pour ainsi dire pas à pas dans sa carrière à mesure qu'elle se déroulait, de 1837 à 1890 La plante à la croissance de laquelle il avait voué tous ses soins, ses prières, son amour et sa foi, le travail d'évangélisation de la Pilgermission avait pris en vingt ans un développement qu'il vaut la peine de retracer. Nous interrompons l'histoire personnelle de l'inspecteur pour parler plus longuement de cette oeuvre de sa vie.


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