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 CHAPITRE VIII

L'OEUVRE DE L'ÉVANGÉLISATION

 

Messagers, gagnez les monts,

Descendez dans les vallons,

Parlez à la multitude,

A l'âme en sa solitude,

Au coeur fatigué, chargé,

Par sa misère épuisé

A qui dort dans l'opulence,

Ou gémit dans l'indigence,

Dites que pour tout pécheur

Il n'est qu'un seul Rédempteur.

 

1. De l'évangélisation en général

 

Rappard était profondément convaincu que tout pécheur sauvé a pour tâche d'en amener d'autres à son Sauveur. Aussi n'était-ce point assez pour lui de s'attacher personnellement à ce service aimé, il s'appliquait à y diriger et à y pousser les autres croyants et tout spécialement les «frères » de Sainte-Chrischona.

On a parlé de lui de différents côtés comme d'un pionnier de l'évangélisation moderne, et, bien qu'au début de son activité il n'y ait nullement songé, il est de fait que c'est dans ce domaine qu'il a excellé et qu'il a donné ce qu'il avait de meilleur. Il convient donc d'écouter ce qu'il peut avoir à nous dire sur ce sujet capital.

C'est bien à tort qu'on a parfois reproché à Rappard une certaine animosité contre les Églises. Pour réduire à néant cette accusation, il suffira de reproduire ce fragment d'une lettre qu'il adressait à son oncle Bräm de Neukirchen en 1867 à son premier retour d'Égypte. Tout en appréciant les avantages de l'Église nationale, il en constatait les lacunes et estimait nécessaire l'évangélisation indépendante pour y remédier.

Comme on apprend à apprécier la communion fraternelle, dit-il, quand on en a été privé pendant quelques années, et surtout quand c'est dans les ténèbres de l'Égypte qu'on a été mis à l'écart ! Oui, toute la chrétienté comme telle m'apparaît sous un jour nouveau depuis mon retour d'Alexandrie. C'est pourtant quelque chose que la doctrine chrétienne soit enseignée et inculquée, malgré le formalisme et les infirmités qui trop souvent déparent cet enseignement. La chrétienté d'Europe a de grands privilèges ; elle jouit d'un temps de grâce de la part du Seigneur. Malheur à elle, si elle ne le reconnaît pas, ne s'en montre pas digne et n'en fait pas son profit ! Ils sont la lumière et le sel de notre pays, ces nombreux enfants de Dieu qui font monter vers leur Rédempteur, le Roi de tous les rois, les prières de leur foi. Ils font briller leur lumière, ils ont de la saveur et ils la communiquent. Pour s'en rendre compte, il faut s'en aller dans une contrée où le Prince de ce monde est moins entravé dans son action sur la race incrédule.

L'inspecteur Rappard a fréquemment et clairement exposé ses pensées sur l'évangélisation et sur les évangélistes dans ses rapports annuels, et aussi en d'autres occasions; nous ne donnerons de cette abondance que quelques miettes :

L'évangélisation est un fruit de cet amour universel qui, né de l'amour fraternel, voudrait amener tout homme atteint de la maladie du péché au glorieux Médecin de l'âme, pour lui faire obtenir la guérison et le bonheur éternel. Aussi l'évangéliste doit-il avoir un coeur chaud ; de l'abondance de ce coeur la bouche parlera, disant les faits rédempteurs dont il fait lui-même l'expérience constante. Il faut qu'il soit un homme du Royaume de Dieu, qui en aime l'air pur et vivifiant, et qui cherche à assainir par son moyen l'air lourd et renfermé des coeurs aux intérêts bornés.

Ils sont nombreux de nos jours ceux qui portent le beau nom d'évangélistes ; par où l'on entend habituellement des « frères D travaillant de façon indépendante et dont la tâche est avant tout de répandre dans le peuple la connaissance du Seigneur. Les circonstances les conduisent le plus souvent à travailler aussi comme bergers et conducteurs parmi ceux qu'ils ont gagnés à Jésus, de même que plus d'un « berger » attitré fait aussi franchement oeuvre d'évangéliste. Béni soit le Seigneur pour la liberté qu'il accorde à ses esclaves!... Ce ne sont pas les organisations humaines qui peuvent faire les vrais évangélistes ou les vrais bergers. C'est le Seigneur seul. Qu'Il donne à son Église en nos temps des bergers et des conducteurs sages et fidèles ! Mais qu'Il envoie aussi des armées d'hommes qui soient des évangélistes de bonne trempe ! Seigneur, envoies-en aussi qui sortent de chez nous !

Le ministère de l'évangéliste est encore trop peu exercé et trop peu compris. On pourrait alléguer contre cette activité de la mission intérieure qu'elle empiète constamment sur le domaine d'autrui, l'Église ayant partout, dans la chrétienté d'Europe, ses services organisés. Cependant un ecclésiastique fidèle le disait lui-même : « Nous autres pasteurs, nous sommes des fonctionnaires, au service, non seulement de Dieu, mais aussi de l'État. Nous sommes là pour la masse du peuple, et tellement surchargés de besognes temporelles qu'il nous devient difficile de faire oeuvre directe et positive, comme le peut un évangéliste. » C'est assez vrai, en somme, et c'est le devoir des sociétés indépendantes de respecter cette situation pénible, comme aussi les fonctionnaires nos frères devraient reconnaître le bon droit et la légitimité du ministère des évangélistes.

Rappard savait pertinemment que l'oeuvre de l'évangélisation n'était ni approuvée ni comprise de beaucoup d'hommes qu'il vénérait, et il en souffrait vivement.

De tout temps, écrit-il, cela a été chose difficile dans le Royaume de Dieu, mais aussi chose bénie, que de frayer de nouvelles voies. Quiconque veut monter à l'assaut, dans un monde où tant de facteurs hostiles se dressent contre l'Évangile, doit s'attendre à la lutte, à la contradiction, aux dédains, à la haine et au mépris.

Mais cette attitude militante au sein d'une oeuvre pacifique est riche en bénédictions. C'est pour l'évangéliste une école de foi, qui l'oblige à trouver auprès du Seigneur force et consolation. Elle attire sur lui l'opprobre de Christ, la parure la plus salutaire et la plus belle que puisse avoir un chrétien.

Bienheureux le pays où se trouvent des croyants qui portent l'opprobre de Christ dans la prière et la louange. Même ceux qui restent froids à leur égard reçoivent sans s'en douter une bénédiction par leur moyen.

 

Les remarques qui suivent montrent combien l'inspecteur avait à coeur de maintenir dans des lianes saines l'oeuvre sans cesse grandissante

Pour résister aux entraînements divers de notre époque, il est indispensable de s'en tenir aux routes antiques, lumineuses et éprouvées de la Bible. On ne risque alors pas de s'égarer, pas plus dans les exagérations fanatiques de droite que dans la tiédeur et la mondanité de gauche.

Nous insistons pour que l'oeuvre se poursuive dans la sobriété et la soumission à la Bible. Nous avons appris à fuir toute excitation artificielle du sentiment, pour n'avoir que des fruits qui demeurent pour la vie éternelle. Nous attachons une importance primordiale à une doctrine saine et à une cure d'âme persévérante de ceux qui sont parvenus à une foi vivante en Christ.

Rappard eut la joie de constater que même ceux qui, au début, s'étaient montrés hostiles à l'oeuvre de l'évangélisation, finirent par se convaincre que le travail était de bonne qualité et que la bénédiction d'En-Haut était visible.

C'est, dit-il, un fait généralement reconnu que le culte public régulier est mieux fréquenté (pourvu que le pasteur soit croyant) partout où il y a des réunions libres vivantes. C'est ce que reconnaissent de plus en plus les pasteurs qui voient clair.

On comprendra un jour, dans l'éternité, que ce n'est pas la prétendue agitation piétiste qui a fait du tort à l'Eglise, mais que ce sont de tout autres causes. Nous avons l'impression que nous n'avons pas à regarder en arrière après avoir mis la main à la charrue, mais bien plutôt à aller de l'avant, comme des serviteurs appelés, conduits et confirmés par le Maître de la moisson. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu des fautes et des manquements ; mais, quand il y en a, nous en sommes peinés, et nous nous efforçons de redresser tout ce qu'il y a à redresser.

L'inspecteur ne se lassait pas de répéter à ses frères d'armes que la fécondité de leur ministère dépendait de leur attitude à l'égard de Christ: « Celui qui demeure en moi, dit le Seigneur, porte beaucoup de fruit. » On lit ceci dans un rapport:

« Ce qu'il nous faut, disait un brahmane, ce n'est pas le christianisme, ce sont des chrétiens. » C'est aussi ce que nous disons. Ce qu'il faut à nos chrétiens de nom, ce sont des hommes sanctifiés, revêtus d'une divine puissance de vie par une communion vivante avec le Prince de la vie. Celui qui a toutes les peines du monde à se maintenir à flot ne sera pas d'un grand secours à ceux qui se noient. Celui qui n'a pas nettement rompu avec le péché et qui dans sa vie intime va de défaite en défaite, celui-là n'est pas en état de pénétrer dans les domaines du diable pour arracher les hommes à son pouvoir et les convertir à Dieu. (Actes 26, 18.)

Combien le Maître de la vigne aime à accorder à ceux qui les lui demandent sincèrement les dons et les forces dont ils ont besoin !

A mesure que se multipliaient en Allemagne et en Suisse les sociétés d'évangélisation, la Pilgermission se sentait moins isolée et constatait que l'union fait la force.

On se reconnaît les uns les autres comme ayant tous le même Chef, écrivait Rappard. Au-dessus des compartiments ecclésiastiques flotte la bannière de Jésus-Christ. Sous cette bannière royale s'en vont les messagers, et leur instante prière est que la Parole de la croix fasse éprouver aux pécheurs sa puissance libératrice.


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