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  4. Son enseignement

 

Il va de soi que l'enseignement formait une partie essentielle de la grande tâche de l'inspecteur. Si de nature il n'avait guère de goût pour ce genre de travail, et s'il a vivement souffert parfois des lacunes de son éducation première à cet égard, d'autre part sa soif innée de clarté et son amour pour ce qui était l'objet de son enseignement lui ont été d'un grand secours.

Nous avons en mains bien des lettres qui témoignent de la reconnaissance profonde de ceux qui ont joui de ses leçons.

Voici, par exemple, ce qu'écrit M. W. Dröner, qui est devenu lui-même un des maîtres de Chrischona, après en avoir été un élève il y a quelque quarante ans :

Notre cher inspecteur était pour nous un maître absolument supérieur, ce qui ne l'empêchait pas de savoir se mettre d'une façon admirable à la portée de ceux d'entre nous qui n'avaient reçu qu'une toute simple instruction primaire. Il avait toujours un langage simple, clair et élevé, usant rarement d'un terme étranger, à moins qu'il n'en donnât l'explication. C'était une vraie jouissance d'être initié sous sa direction à la dogmatique, à la symbolique, à la morale et à la psychologie; avec lui les problèmes les plus ardus devenaient lucides et intelligibles. Mais quand nous étions comme suspendus à ses lèvres, c'est lorsqu'il nous faisait pénétrer à sa suite dans les trésors de la Parole de Dieu et nous signalait la profondeur et la richesse des pensées et des actes de Dieu pour le salut des pécheurs.

Ces leçons n'étaient pas seulement des plus instructives, elles étaient aussi toujours profondément édifiantes et nous affinaient la conscience. Quant à ses méditations, allocutions ou prédications, elles étaient toujours pour nous des modèles, tant pour la forme que pour le fond.

Notre cher inspecteur avait spécialement à coeur de nous amener à une intelligente compréhension de la Bible ; aussi préférait-il adopter pour ses prédications le genre homélie, qui permet d'expliquer un fragment biblique verset par verset, pour l'appliquer à la vie pratique et à la conduite des auditeurs. Comme il estimait que cette manière d'étudier, d'exposer et d'appliquer la Parole de Dieu était la meilleure pour notre ministère futur, il insistait pour nous la faire apprendre de façon à nous l'assimiler et à pouvoir l'enseigner à notre tour. En conséquence, nous avions à tour de rôle, dans la classe supérieure, chaque semaine, un texte sur lequel nous devions apporter par écrit, dans une leçon spéciale, une analyse ou un plan d'homélie de notre crû. Nous en donnions lecture, et l'inspecteur en faisait la critique ; après quoi il nous dictait sa propre analyse du même texte. Comme les élèves de cette classe allaient chaque dimanche tenir des réunions dans les localités voisines, ces exercices et les analyses de l'inspecteur leur étaient d'un grand secours.

Veut-on un exemple d'une de ces analyses dictées par l'inspecteur ? Voici celle de la parabole du grain de sénevé, d'après Marc 4, 30-32.

SUJET : L'extension du Royaume des cieux.

EXORDE : Il est dans la nature même du règne de Dieu de s'étendre. Quiconque fait partie de ce royaume se trouve soumis à cette loi de croissance.

DIVISION :

I. Ses petits commencements.

Il. Ses progrès constants.

III. Son immense accroissement.

 

I. Les petits commencements du Royaume de Dieu sur la terre.

a) Le petit grain de semence (comme un grain de sénevé)

1. Le premier mouvement de coeur produit par la grâce prévenante;

2. La première parole divine qui fait impression

3. La première prière venant du coeur ;

4. Le premier chapitre qu'on lit d'un coeur affamé et avec adoration ;

5. Le premier argent qu'on donne pour le Royaume de Dieu;

6. La première parole qu'on adresse à son prochain au sujet de son âme.

b) La terre dans laquelle il est semé

1 . Vide et déserte encore au début;

2. Douze pêcheurs à Jérusalem;

3. Paul à Philippes; la mission;

4. L'orphelinat de Francke à Halle;

5. Spittler et Chrischona ;

6. Georges Müller à Bristol;

7. L'oeuvre de Männedorf.

 

Il. Les progrès réjouissants du Royaume de Dieu,

a) Une fois semé, il germe et croît :

1 . Parce que la semence est bonne

2. Elle est semée avec foi et avec espérance;

3. Le Seigneur est là avec sa bénédiction qui fait prospérer.

b) Il devient plus grand que tous les légumes et pousse des branches.

1 . Promesse et stimulant : ceux qui travaillent dans le Royaume connaîtront la joie du succès ;

2. Prophétie concernant les temps de la fin, où le Royaume de Dieu sera plus vaste et plus glorieux que tous les autres. (Dan. 2, 44-45).

 

III. Son Immense accroissement, tel que « les oiseaux du ciel peuvent habiter sous son ombre ».

a) Les oiseaux du ciel:

1. Des hommes de toutes conditions, nations et régions

2. Ceux qui, répondant à l'appel, descendent d'abord dans les profondeurs de la repentance, pour prendre ensuite leur vol sur les ailes saintes de la foi ;

3. Les hirondelles du royaume des cieux, qui cherchent un nid et le trouvent;

4. Les enfants de la vérité.

b) Habitent sous son ombre

1. Ils ont trouvé ce dont leur âme avait soif;

2. Ils savourent la bienveillance de Jésus ;

3. Ils se reposent en travaillant à l'ombre du Rocher sur lequel ils se sont établis ;

4. Ils sont bienheureux de savoir avec certitude qu'ils n'appartiennent plus aux royaumes du monde, mais à celui de Jésus.

CONCLUSION :

Est-ce que le règne de Dieu a commencé en toi? S'y développe-t-il? Y grandit-il de façon à conquérir ton coeur et ton activité au dehors ?

 

Combien j'aimerais, continue Dröner, si l'espace le permettait, reproduire encore des analyses sur quelques textes des Psaumes, des prophètes ou des épîtres ! ...

C'est toujours avec une joie et une gratitude profondes envers Dieu que je pense aux quatre années que j'ai passées à Chrischona sous la direction de notre inoubliable inspecteur, notre excellent maître. Elles ont été richement bénies pour moi comme pour beaucoup d'autres.

Voici quelques lignes d'un autre ancien élève

Dans sa vie et son enseignement, l'inspecteur Rappard n'a jamais varié dans son attachement à l'Écriture sainte tout entière, et dans sa confiance en elle. Nous voulons, disait-il, nous laisser critiquer par la Bible : voilà notre critique biblique. Il nous semblait parfois presque trop intransigeant à l'endroit du courant novateur. Mais aujourd'hui, en voyant où l'on arrive sur ce chemin-là, nous lui savons gré de son attitude. Il a posé nos pieds sur le roc.

Il a souvent parlé contre la théologie moderne, mais je ne me souviens pas de l'avoir jamais entendu parler contre l'Église comme telle pendant les trente-trois ans que j'ai été en relations avec lui. Il nous a appris, non pas à démolir, mais à édifier.

Donnons encore cette émouvante description qui est de la plume d'un « frère » plus jeune

Les leçons que l'inspecteur donnait à la classe supérieure avaient toujours lieu au début de la journée. Quelle consécration, et quelle force divine émanait de sa personne! S'il y avait eu dans la classe quelque chose qui n'aurait pas dû être, ou si l'on n'était pas soi-même tout à fait en règle, voilà qu'il entrait, qu'il se mettait à prier,... et immédiatement survenait la débâcle intérieure, on était saisi par la sainte présence de Dieu. On sentait qu'il venait lui-même du divin sanctuaire, de sorte qu'il y introduisait les autres par sa seule présence.

Il disait dans une leçon à propos d'une explication biblique

« Ce n'est pas assez de savoir cela ou de le comprendre, frères, il faut vous l'assimiler. Nous ne sommes pas ici simplement pour expliquer la Bible. Ou bien suffirait-il, à midi, en nous mettant à table, de vous expliquer la valeur nutritive des aliments ? Ce ne serait peut-être pas mal pour la caisse de l'institut, mais vous n'en seriez guère nourris.

Ce que l'Esprit de Dieu ne rend pas vivant pour notre coeur, ce qui ne pénètre que dans notre tête, nous appartient tout juste comme les pommes suspendues à un sapin de Noël lui appartiennent. »

Dans une leçon biblique aux deux classes supérieures, il en vint une fois à parler de la science: « Frères », s'écria-t-il tout à coup, « je vais vous montrer ce que c'est que la science! » Et s'emparant de la craie, il traça sur le tableau noir un immense point d'interrogation.

Une autre fois il racontait qu'un médecin français avait fait dans un écrit la proposition d'élever un monument à Jésus de Nazareth comme au plus grand Maître de l'humanité et au plus parfait représentant de la fraternité : « Frères », demanda-t-il, « où se trouve le monument du Seigneur Jésus? » - « Sur Golgotha! » répondit-on comme d'une seule bouche.

Une remarque encore pour achever de caractériser l'enseignement de Rappard :

Il serrait profondément dans son coeur le mot du Seigneur : « Un seul est votre Maître, le Christ. » Dans la salle d'étude de Chrischona comme dans les grandes assemblées où il était appelé parfois à enseigner, il ne voulait point dominer, il voulait servir. Il avait une salutaire frayeur de tout esprit de coterie, il avait peur de faire école, peur de l'importance donnée à l'homme. Il cherchait à agir dans le sens de la largeur; le désir de former un petit cercle fermé autour de sa personne lui a toujours été antipathique. On l'a admirablement défini, en tant que maître, en l'appelant « un père en Christ, ferme, précis et humble ».


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