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 5. Traits de sa vie. Dans l'institut

 

Quelques traits marquants de la vie de l'inspecteur permettront de se faire une idée plus juste et plus complète de sa personnalité.

De la plume d'un évangéliste à l'oeuvre en Suisse

Ce qui me touchait particulièrement dans le caractère de notre inspecteur, c'était son amour désintéressé. Mon coeur s'en délectait. Voici à ce propos un souvenir de 1891. La désunion s'était glissée parmi les élèves des deux classes supérieures, le frère N. ayant été accusé d'avoir commis une faute. Pendant quelque temps, l'inspecteur ne s'en mêla pas ; cependant il finit par se sentir poussé à réunir les élèves en conférence. Interrogé par l'inspecteur, qui en appelle à sa conscience, N. se juge offensé et répond insolemment : « Monsieur l'inspecteur, il faut d'abord que je vous dise que vous êtes loin de nous satisfaire ! » Cette réponse déplacée m'indigna à tel point que mes cheveux me semblèrent se dresser sur ma tête ; j'étais révolté d'une telle injustice. je regardai l'inspecteur d'un oeil anxieux, attendant sa réplique le coeur tremblant. Il commença par regarder tranquillement tous les élèves à la ronde, comme pour voir ce qu'ils pensaient de ce reproche ; après quoi, avec le plus grand calme : « Frères », dit-il, « que vous pensiez de moi ceci ou cela m'importe peu et ne peut me faire de mal, puisque c'est avec le don que j'ai reçu de Dieu que je sers. Mais je voudrais vous prier pourtant de vous abstenir de pareils jugements, parce que c'est à vous qu'ils font du mal. » Puis se tournant vers N. : « Si tu avais dit cela de l'un de Messieurs les maîtres », lui dit-il, « tu serais renvoyé sur-le-champ. Mais puisque c'est de moi que tu l'as dit, tu peux rester tranquillement ici. »

Je tombais des nues ; jamais encore je n'avais rencontré pareille grandeur d'âme.

Un matin, selon son habitude, l'inspecteur dictait un résumé, lorsqu'il crut remarquer qu'un des élèves écrivait trop rapidement. Il s'approcha de lui et constata qu'en effet son écriture était « au-dessous de toute critique. » « Relis ce que tu as écrit », lui dit-il. Mais le malheureux en était incapable. Alors sous l'habit de l'inspecteur se réveilla le maître offensé, qui ordonna sèchement à l'élève de prendre son cahier et de quitter la salle.

Après le dîner, faisant sa ronde coutumière, l'inspecteur aperçut de loin l'élève en question, - que sans doute il cherchait, - vint à lui et lui dit simplement: « Pardonne-moi, frère, j'ai eu tort. » Pareille chose a dû se passer plus d'une fois. A ce frère-là, ce souvenir est resté cher.

Un soir, après une réunion à Grenzach (village voisin, situé dans le grand-duché), Rappard rentrait avec un élève qui portait une lanterne. Ils s'arrêtèrent un instant sur la hauteur, à la frontière « Regarde », fit l'inspecteur, « comme la nuit est sombre derrière nous tout est noir, devant nous, tout est noir, mais la lumière se fait à mesure que nous avançons. C'est ainsi que le Seigneur nous conduit : souvent tout est voilé devant nous. Mais sa lumière nous fait toujours voir un pas à la fois, et cela nous suffit. »

Un autre soir aussi, traversant avec sa femme la sombre forêt de Riehen : « Regarde, disait-il, quelle belle illustration de la maxime du psalmiste: « Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier », avec quelle sécurité nous pouvons avancer pas à pas à la clarté de cette lanterne! Voilà comment Dieu nous trace le chemin par sa Parole. »

 

Encore un trait qui intéressera sûrement la jeunesse

Un jour arrive des coteaux verdoyants de la contrée d'Appenzell un jeune garçon tailleur en quête de travail. De Rheinfelden, où il a traversé le Rhin, à la bonne ville de Bâle, où il pense passer la nuit, la route est longue et poussiéreuse : il se voit obligé de s'arrêter au village de Wyhlen. C'est jour de fête, et l'auberge est pleine de monde. On rit, on dit des folies : « Dommage que les saints de Chrischona ne soient pas là! » Chrischona! Ce nom n'est pas entièrement inconnu au jeune homme. Sa mère lui en a parlé, croit-il, et il a grande envie d'y aller. De bon matin il demande à l'aubergiste si c'est bien loin. « Mais non, tu y vas en une heure, tu n'as qu'à suivre le chemin par la forêt. »

Effectivement, voici le sentier qui le conduit au vieux cloître dit la « porte du ciel» : bientôt il arrive aux quelques bâtiments groupés sur la colline et demande timidement s'il y a de l'ouvrage pour lui.

On répond négativement, parce qu'il y a un élève qui est du métier et qui fait l'ouvrage, mais on l'invite quand même amicalement à visiter un peu l'établissement et à rester pour dîner. Sur ces entrefaites arrive le facteur, qui apporte une lettre pressante pour le dit frère-tailleur, lui annonçant que sa mère est mourante, et le priant de venir de suite. Il vient en prévenir l'inspecteur et demander si son départ est possible. L'inspecteur fait venir le jeune Appenzellois dans sa chambre : « Vous aimeriez travailler ici, dit-il, et les circonstances sont maintenant telles que nous pourrions bien vous occuper. Seulement nos maisons ne nous appartiennent pas, elles sont au Seigneur. Ici tout lui appartient, et quiconque demeure et travaille ici doit se soumettre à sa Parole et à sa volonté et marcher dans sa crainte. Y consentez-vous ? » demande-t-il avec autant de sérieux que de bonté.

« Cela me faisait l'effet encore plus solennel que nia confirmation », racontait plus tard le jeune homme, « et j'ai répondu d'un coeur sincère : Oui ! »

Voilà comment resta cet étranger,... qui bientôt n'en fut plus un; ce fut non seulement un membre aimé de la famille de Chrischona, mais un concitoyen des saints et un enfant de la maison de Dieu. Il sentit bientôt en effet qu'il lui manquait quelque chose; il chercha, il trouva, et il fut trouvé.

Vingt-cinq ans plus tard, au jour anniversaire de cette première visite, l'Appenzellois, devenu dès longtemps un maître tailleur bien établi, gravissait de nouveau les pentes ombreuses de Chrischona par le sentier de Wyhlen, pour apporter au Seigneur son sacrifice d'actions de grâces, et racontait de nouveau en détail et d'un coeur joyeux son aventure de jadis.

Chrischona a vu d'autres faits semblables. Quelle joie d'être présent quand une brebis égarée entend pour la première fois la voix du Berger et se laisse ramener au bercail !


Table des matières

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