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  2. Un jubilé

 

Quarante ans s'étaient écoulés depuis qu'Henri Rappard, le 14 août 1864, avait été consacré au service de Dieu sous les ombrages de la chapelle de Chrischona. Le Comité eut l'aimable pensée de marquer par une fête commémorative l'achèvement de ces quarante années passées au service de la Pilgermission, et l'on profita d'un séjour de vacances de M. et Mme Rappard, pendant le mois d'août, pour en faire les préparatifs.

La fête eut lieu le 6 septembre 1904, et fut une journée bénie, qui a dû laisser des souvenirs bienfaisants à tous ceux qui y ont pris part.

Elle fut placée d'emblée sous le mot d'ordre: Non pas à nous, Éternel, non pas à nous, mais à ton nom donne gloire ! La journée s'ouvrit au son des trompettes matinales et par un choeur des « frères ». L'inspecteur, qui se doutait peu de la richesse du programme, fût pris par surprise. Il ne sut que se cacher le visage dans les mains, dans sa chambre, en disant: « je suis confus ! » Puis il relut, seul avec sa femme, la prière sacerdotale, se fortifiant ainsi en Dieu pour la journée qu'il avait devant lui.

Un second choeur l'attendait: au déjeuner il trouva ses enfants réunis au complet et ne put que se joindre avec émotion au cantique de louange par lequel ils saluaient son arrivée:

 

Loue, ô mon coeur, ton divin Père!

Je le louerai jusqu'à la mort.

Tant que je serai sur la terre,

Je veux célébrer mon Dieu fort

 

Tous étaient venus; d'Allemagne, de France, d'Algérie. A l'insu de leur père, ils avaient déjà passé la nuit à Chrischona pour pouvoir l'entourer dès le matin de leur tendresse. C'était aussi le Comité qui avait eu l'aimable attention de les inviter expressément à préparer cette douce surprise.

Les autres invités firent leur apparition peu après neuf heures; c'étaient les membres du comité, des parents, des amis, les vétérans des ouvriers de la Pilgermission. Le président du Comité, le pasteur Isler, lut d'abord chez l'inspecteur une adresse pleine d'amour fraternel et de haute estime, puis, à l'appel de la cloche, on se rendit à la chapelle, déjà pleine de monde.

Après un choeur des « frères » et une prière, l'assemblée à son tour chanta. On avait préparé un petit recueil spécial contenant les cantiques favoris de l'inspecteur. M. Isler prêcha sur le Ps. 95, et M. Hermann, comme le plus ancien du comité donna essor à la reconnaissance qui remplissait les coeurs en parlant de la source de toute joie, de toute force et de toute bénédiction (d'après Deut. 8, 2-4)- « Heureux le peuple dont l'Éternel est le Dieu! » (Ps. 144, 15 -)

 

En exprimant sa surprise et sa gratitude, l'inspecteur donnait comme note dominante à son allocution la louange de la miséricorde de Dieu: « L'Éternel est miséricordieux et compatissant, lent à la colère et riche en bonté. » Voilà ce qui remplissait son âme en ce jour de fête. Sa joie suprême était d'être l'objet de la compassion de Dieu. Il célébra la fidélité de l'Éternel, qui l'avait trouvé dans sa première jeunesse et l'avait pris à son service, qui lui avait accordé jour par jour ce dont il avait eu besoin pour sa grande tâche et avait porté pour lui tous ses fardeaux. « On me demande souvent », dit-il, « pourquoi mes cheveux ont blanchi si tôt. je n'en connais pas la raison; c'est sans doute une particularité héréditaire. Mais il y a une chose que je sais : c'est que les soucis n'y sont pour rien. Mes soucis, je m'en suis constamment déchargé sur mon puissant Soutien, et j'ai toujours pu exécuter le coeur au large et plein de reconnaissance le travail qu'Il me confiait. Ces quarante ans de service attestent que j'ai un bon Maître. »

C'était l'heure du dîner. Mais cette fois la salle à manger se trouvait trop petite, et la maisonnée agrandie se transporta pour le repas dans la vaste salle d' « Ebénézer », toute décorée de verdure, et où l'on avait dressé quatre longues tables. En face du jubilaire, on lisait, en caractères de grandes dimensions : « Que ta vigueur dure autant que tes jours ! » Derrière son siège, contre l'estrade, on voyait une belle reproduction du tableau d'Eug. Burnand, « la prière sacerdotale ». Tout lecteur de la Bible, en contemplant cette scène, croit aussitôt entendre à nouveau Jésus prononcer cette prière inoubliable.

Le repas fut assaisonné de chants et de discours. Notons comme particulièrement intéressante l'allocution de l'ami des jeunes années, M. Jean Bauder, ce vieux collaborateur de quarante années. Il pouvait exhiber bien des souvenirs de leur activité commune en Égypte, totalement inconnus de ses auditeurs. Mentionnons aussi les paroles débordantes de tendresse filiale d'Henri Rappard fils, celles des amis bâlois, d'Édouard Burckhardt entre autres, qui le premier avait eu l'idée de cette fête.

Le repas fini, on s'en alla passer quelques instants délicieux sous les beaux pommiers de « Zu den Bergen ». Le temps était splendide; un voile léger recouvrait monts et vallées, les premiers colchiques émaillaient les prairies, et une fraîche bise embaumée faisait onduler les arbres de la forêt.

Ensuite on se retrouva dans la grande salle d' « Ebénézer », cette fois avec tous les habitants des diverses maisons de la colline de Chrischona, - ce qui formait une belle assemblée d'environ deux cent vingt personnes. On parla, on chanta, même les plus petits eurent leur rôle à jouer, racontant en vers comment grand-papa, jadis, ensemençant un champ, « avait soudain préféré devenir un semeur de la parole divine, et l'était en effet devenu. »

Mais déjà le soleil s'abaissait à l'horizon, annonçant l'heure de la séparation. Encore un dernier beau cantique, encore une prière de foi et d'actions de grâces.... En cet instant, par le vitrail de l'ouest, un rayon pénétra dans la salle et vint jusqu'à l'estrade se poser sur le tableau mentionné plus haut et illuminer d'un éclat merveilleux la grande figure de Jésus. Tous en furent saisis. C'était comme si ce rayon eût voulu nous redire à la fin de la fête le mot de la transfiguration : Ils ne virent plus que Jésus seul.

 

Peut-être nous sommes-nous laissé retenir trop longuement par la description de cette journée unique? Mais ne convenait-il pas de montrer une fois comment le Maître se plaît aussi à encourager ses serviteurs, quand ils en ont besoin, par des joies palpables, distribuées avec amour et sans parcimonie, bien qu'il doive souvent les faire passer par des sentiers épineux et sombres ? Mais surtout nous avions l'impression, et plusieurs participants ont exprimé cette pensée, qu'il y avait là pour nos jeunes «frères » une leçon de choses, leçon qui, bien entendu, concentrait leurs regards sur le Seigneur, montrant en lui le plus tendre et le plus fidèle des maîtres. Oui, déjà ici-bas, il fait bon à son service. Quand il prend pour le servir un de ses rachetés qui se donne avec foi, il lui désigne sa tâche, il lui fournit ce dont il a besoin, et pour salaire il lui accorde un surcroît de grâce, de tendres compassions, de paix et des fruits qui demeurent dans la vie éternelle :

Heureux et libre, ô Dieu, qui vient se mettre A ton service, et qui sait reconnaître De quel bonheur tu le fais hériter! Il dit, joyeux : « J'aime mon Maître Et ne veux jamais le quitter! »

Tu peux percer mon oreille, et paraître Dur et cruel; mais il est si doux d'être Ton serviteur, que, bien loin d'éviter Ta main, je dis : « J'aime mon Maître Et ne veux jamais le quitter! »


Table des matières

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