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  4. Dispensations diverses

 

Le bienheureux Tersteegen disait, en approchant de sa fin, que le Sauveur en agissait à son égard comme une mère qui commence par déshabiller son petit enfant avant de le mettre au lit pour la nuit. Ainsi le Père céleste dépouille ses enfants bien-aimés, et parfois ce dépouillement leur semble bien douloureux. Ils ne savent pas toujours reconnaître les tendres mains paternelles qui sont à l'oeuvre à leur insu. Ils ne remarquent que le rude attouchement des hommes qui ne savent pas les comprendre. Ils savourent l'amertume de leurs déceptions et ressentent péniblement la froideur avec laquelle leur amour est payé de retour. Ils sont gagnés par la tristesse en constatant que tant de prières faites avec foi n'ont pas encore été exaucées. L'insuccès de leurs efforts les mortifie, et plus encore le sentiment de leurs manquements.

Rappard n'échappa point à ce dépouillement. Il le montrait peu; au contraire, précisément alors qu'il souffrait le plus, il lui arrivait de paraître froid, et presque dur. Mais ceux qui le voyaient de près savaient à quoi s'en tenir. C'est de lui qu'on aurait pu dire : « Un aigle devant les hommes, un vermisseau devant Dieu. »

A présent qu'il n'est plus là, et après avoir avec une joie douloureuse fait entrer dans ce volume tant de grands et beaux témoignages d'amis et d'anciens élèves, nous croyons agir conformément à son sentiment en disant ici à quel point il avait lui-même l'impression d'être un « serviteur inutile. » Il s'humiliait profondément devant Dieu, et n'avait d'espoir qu'en sa grâce.

Il répétait fréquemment ce qu'il appelait, dans l'épître aux Romains, « notre dialogue » :

- « Où donc est le sujet de se glorifier? - Il est exclu ! (1) »

Telle était sa disposition d'esprit lorsqu'arriva son soixante-dixième anniversaire, le 26 décembre 1907- Il demanda qu'on s'abstînt de marquer ce jour par une fête quelconque. Mais l'amour avait absolument besoin de s'exprimer, et l'amour a raison le plus souvent. Cette fois-là c'étaient surtout les évangélistes qui s'étaient entendus pour lui faire fête, mais de différents côtés arrivèrent aussi bien des marques d'affection. Et lorsque, au soir de cette belle journée, soixante-dix petites bougies s'allumèrent à l'arbre de Noël, et qu'au milieu du cercle de famille un télégramme vint apporter de Lourenço-Marques les bons voeux des enfants les plus éloignés, l'antique parole de reconnaissance l'emporta au fond du coeur paternel : « je suis trop petit pour toutes les grâces et pour toute la fidélité dont tu as usé envers ton serviteur. »

Il adressait peu après à ses « frères » une lettre circulaire de remerciements :

.... Tu m'as réjoui, avec beaucoup d'autres, à mon soixante-dixième anniversaire. L'affection fait du bien. Nous savons où en est la source, et ce qu'Il a fait pour nous surpasse tout ce qu'on peut dire en langage humain. C'est sa Parole qui nous l'affirme, cette Parole que j'aime tant.

J'attache un grand prix à ce mot que m'a envoyé un « frère »

« Tes préceptes sont pour toujours mon héritage, car ils sont la joie de mon coeur. » Christ est la Parole, et la Personne de la Parole. je l'aime, et j'ai pu lui rendre témoignage depuis 1862. C'est une grâce qui m'a été faite, rattachée à l'amour qui pardonne et purifie.

Ce n'est pas peu de chose à mes yeux que de trouver plus de joie à être son témoin à mesure que je vieillis. je serai heureux de continuer à travailler aussi longtemps qu'il m'en donnera la force, mais je me réjouirai aussi de m'en aller et d'être avec Christ. Ma sécurité, il le sait, c'est son sang précieux répandu pour nous. Sans la purification par son sang, je ne sais ce que je deviendrais.

J'ai devant les yeux la belle photographie représentant les évangélistes suisses au service de la Pilgermission. Je puis bien dire que c'est pour moi un plaisir de me voir au milieu de mes « frères ». A propos de chacun d'eux, et de son travail dans la vigne du Seigneur, je me réjouis, avant à coeur vos joies et vos peines.

La magnifique image représentant Gethsémané doit m'apprendre à travailler à genoux et à prendre de la main du Père, pour la boire avec l'obéissance de la foi, n'importe quelle coupe de souffrance.

J'ai encore reçu une autre image qui m'est chère : la rencontre de Jésus avec les disciples d'Emmaüs. C'est du plus profond du coeur que je dis à mon tour : Seigneur, reste avec moi; car le soir est là, et j'ai plus que jamais besoin de ta présence.

Nous voulons tous être un, étant de ceux qu'il a établis afin qu'ils aillent et qu'ils portent du fruit et que leur fruit demeure, afin que ce que nous demanderons au Père en son nom, Il nous le donne.

En Lui, ton fidèle C.-H. R.

 

En mai 1908, il entreprit avec sa femme un voyage dans l'Allemagne du Nord, pour visiter les « frères » à l'oeuvre en Silésie et dans la Prusse orientale et occidentale, ainsi que quelques autres amis. De bien beaux souvenirs se rattachent à ces quatre semaines de vie à deux.

On put enclaver dans l'itinéraire une visite à la Warthura, ainsi qu'un court séjour dans le domaine seigneurial d'un ami et cousin, M. de Zastrow, à Schönberg, qui a donné sous son toit asile à la Parole de Dieu et a fait de sa maison un rendez-vous des disciples de Jésus. On alla jusqu'à la frontière de la Pologne, dans les beaux instituts de soeur Eva de Thiele-Winkler à Miechowitz, où le nom de Jésus déploie chaque jour sa puissance miraculeuse parmi jeunes et vieux, même parmi les plus misérables et les plus chétifs.

De là on passa à la frontière de la Bohême. A Hausdorf, château de la comtesse de Pfeil, il y eut une réunion nombreuse et vivante et une conférence bénie avec les « frères » du voisinage, quelques-uns même venus de Bohême et de Hongrie.

Ensuite vint un long trajet en chemin de fer, vers le Nord, dans la Prusse occidentale d'abord, puis dans la Prusse orientale. Quelles transformations ces trente années avaient opérées! Quelle influence profonde peut avoir sur toute une contrée une seule maison où Jésus demeure et où sa Parole est souveraine! Nous avons pu là nous en rendre compte, le voir de nos yeux.

Au retour on passa par Berlin, où l'on vit des parents, et où l'on jouit de quelques heures bienfaisantes dans la société des « frères » à l'oeuvre dans la grande capitale et dans leurs communautés.

Au culte du matin de Pentecôte à la cathédrale, où tant de choses parlent si puissamment à l'âme, Rappard jouit profondément d'entendre prêcher avec la divine simplicité de la foi Jésus crucifié et ressuscité. Le soir il prenait part à une réunion vivante dans le milieu des Gemeinschaften. Ainsi dans la splendide cathédrale comme dans l'humble local du Vereinshaus, ce qui seul élève vraiment l'âme, c'est la parole de la croix.

 

Peu de semaines après, Rappard tomba subitement gravement malade, comme il venait de recevoir de mauvaises nouvelles de l'un des champs de travail. Il ressentait de si violentes douleurs dans la région du coeur qu'on se demandait avec angoisse si cette fois on ne pourrait pas parler en vérité d'un « coeur brisé ». Toutefois, le Seigneur eut pitié de son enfant et le rétablit bientôt. Déjà l'on s'était fait à l'idée de tenir sans l'inspecteur la conférence des évangélistes, quand, au matin du grand jour de la conférence, on le vit se lever silencieusement sans se soucier des supplications de ceux qui le sollicitaient de se ménager, puis ouvrir les délibérations par un discours long et particulièrement sérieux. De jour en jour le mieux s'affermit et les forces revinrent. Ces journées ne demeurèrent pas sans fruits.

Dès lors partout, dans ses lettres, dans ses conversations, dans ses prédications, dans ses prières surtout, revenait le mot garder, jaillissant des profondeurs de son coeur.

Pour ce qui me concerne, disait-il, je sens vivement le besoin de prier Dieu de me garder. Même à mon âge on peut encore broncher et tomber. Ce n'est que la puissance de Dieu qui nous garde.

Sans doute, tout vrai croyant a le Saint-Esprit (Rom. 8, 9 ;

I Cor, 3, 16 ; Eph. 1, 13 ; I Jean 1, 5) ; mais il n'en résulte pas nécessairement que l'homme entier se soit placé sous la domination du Saint-Esprit. Il y a encore souvent des points contestés qui restent en vie pendant des années. Quand enfin ils sont livrés à la mort et placés sous l'action purifiante du sang de Christ, alors seulement l'Esprit peut se mouvoir librement, alors nous sommes puissamment soulevés au-dessus de nous-mêmes, alors nous ne vivons plus pour nous, mais pour notre divin Maître.

S'il arrive qu'un ouvrier de Dieu ne croisse pas de toutes manières selon ces lignes-là en Celui qui est son Chef, Christ, il sortira peu à peu du courant puissant de la vie divine, et arrivera à un point mort, d'où une sincère repentance pourra seule le ramener.

Lors de sa dernière visite à Saarbrücken, en novembre 1908, l'inspecteur disait à la fin de la fête annuelle :

En souvenir de ce beau jour, je vous laisse quatre prières que j'adresse moi-même journellement à Dieu:

1. Seigneur, purifie-moi par ton sang! I Jean 1, 7.

2. Donne-moi par le Saint-Esprit un amour parfait! Rom. 5, 5 .

3. Donne-moi une joie permanente parfaite ! Jean 15, 11 .

4. Donne-moi ta paix ! Jean 14, 27.

 

La fin de 1908 fut marquée par diverses mutations dans le personnel de Chrischona, qui s'enrichit notamment, du moins pendant quelque temps, d'un aide apprécié en la personne du pasteur Langmesser de Davos, membre du comité de la Pilgermission depuis l'année précédente.

Dans le cercle de famille, en revanche, tout était bien calme.. Il ne restait plus à la maison qu'une fille et la soeur cadette de l'inspecteur. Aussi avait-il souvent sur les lèvres une citation française qu'il avait lue sur la paroi d'une chambre d'amis pendant une insomnie:

 

On a si peu de temps à s'aimer sur la terre

Oh! qu'il faut se hâter de dépenser son coeur


Table des matières

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1) La traduction de Luther est plus énergique : « Il est disparu ! » (Rom. 3, 27)