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  5. La dernière année « Il s'est confié en Dieu »

 

L'année 1909 venait de s'ouvrir. Agenouillés côte à côte au milieu de la maisonnée de Chrischona, selon l'usage, les parents avaient attendu en priant en silence la cloche de minuit. Puis, au nom de tous, le père avait répandu son coeur devant Dieu, notre refuge de génération en génération, et l'on avait chanté:

 

Saisis ma main craintive - Et conduis-moi,

Fais que toujours je vive - Plus près de toi...

Quand la nuit la plus noire - Te voilerait,

Ton bras jusqu'à la gloire - Me porterait- (1)

 

Le soir du premier janvier divers membres de la famille s'étaient trouvés réunis autour de l'arbre allumé dans la chambre familiale de Friedau. On avait raconté des expériences de la puissance et de la grâce protectrices de Dieu. C'est dans ces occasions-là que le père de famille était plus que jamais de coeur avec les siens.

Nos coeurs étaient pleins d'une gratitude émue, écrivait alors un des membres de la famille. L'année qui s'ouvrait, recouverte d'un voile, soulevait plus d'une question, mais, après ce qu'on venait d'entendre, on ne pouvait que répondre : Nous n'avons pas le droit de trembler ; avec nous est un Dieu puissant, un

Sauveur qui nous garde et ne permettra pas que notre confiance en Lui soit confondue. Ni la mort ni la vie, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les grandes ni les petites, ne peuvent nous séparer de son amour.

Quelle signification chaque mot n'acquiert-il pas maintenant pour nous !

En février, l'inspecteur partit pour Hambourg, sur la cordiale invitation d'un ami du règne de Dieu. Il y tint une série de conférences à l'Union chrétienne de jeunes gens. C'était toujours pour lui une jouissance toute spéciale de s'occuper des jeunes. Dans ses notes se trouve un plan d'étude sur l'histoire de Daniel, qu'il a traitée à Hambourg:

1. Décision du jeune homme (Daniel 1, 8).

2. Expérience bénie du jeune homme (Daniel 1, 17).

3. Le monde vu à la lumière de la Bible par le jeune homme (Daniel 2, 31-35).

4. Victoire du jeune homme (Daniel 3, 15-18).

5. Fidélité de l'homme (Daniel 6, 10).

6. Le témoignage donné par Dieu (Daniel 10, 19).

Conclusion : Une parole de suprême encouragement (Daniel 12, 3).

 

Rappard eut aussi à Hambourg une conférence bénie avec un bon nombre de ses anciens élèves; puis il passa quelques jours chez M. de Tiele-Winkler dans le Mecklembourg, pour se 'remettre ensuite à son travail avec la fraîcheur et l'entrain d'un jeune homme.

La main de son Dieu le mena cette année une fois encore en Wurtemberg. Plusieurs étés de suite il avait passé une semaine avec Mme Rappard à Darmstadt, dans la villa Seckendorff (2), et avait été en grande bénédiction par le travail qu'il avait eu l'occasion d'y faire auprès des malades et des bien portants. Cette fois-ci, sur l'invitation d'une société de Stuttgart, il donna une conférence sur l'enseignement biblique au sujet dit sang de Christ. « Chaque fois que je parle du sang de Jésus-Christ, disait-il, en mon coeur retentit cette parole: Ote tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est saint. » Ce sujet lui était cher entre tous, et il mit tout son coeur au témoignage qu'il rendit.

Pour la conférence des évangélistes du commencement de juillet il se trouvait à son poste, plein d'une vigueur nouvelle.

Quelle joie pour nous, écrit un « frère » de le voir cette année si frais et vigoureux au milieu de nous, tout le contraire de l'année dernière! Comme il nous semblait bien permis d'espérer le voir encore des années parmi nous, comme un modèle à suivre pour lutter, pour agir, pour ne point nous lasser! Il lui a été accordé de travailler pour le Seigneur avec une vigueur exceptionnelle, et, malgré ses soixante-dix ans sonnés, son entrain n'avait point fléchi, et son oeil ne s'était point obscurci.

La séance plénière du comité avait lieu aussitôt après. On prit plusieurs résolutions importantes.

1° M. Veiel, alors administrateur de la maison « Zu den Bergen », fut appelé aux fonctions de maître de théologie pour la maison des frères, avec la tâche spéciale de remplacer l'inspecteur pendant ses absences;

2 °Mme Rappard, avec le titre de Hausmutter, fut placée à la tête de la maison « Zu den Bergen » qui devait rester une maison de repos. Toutefois, pendant les mois d'hiver, d'octobre à mai, on devait y installer une école biblique pour dames.

Il y avait plusieurs années déjà que la pensée de fonder cette école biblique féminine sommeillait dans le coeur de Rappard, maintenant la chose lui semblait pouvoir se réaliser tout simplement.

Ces résolutions lui paraissaient avoir l'approbation de Dieu. « La nuée s'est levée », disait-il, faisant allusion à Ex. 40, 36-37. Aussi pouvait-il envisager l'avenir avec une paisible confiance.

3° Une troisième décision prise dans cette séance concernait une petite librairie fondée à Giessen, dans la Hesse, sous la direction des évangélistes de cette station (3).

Pour ceux qui ont été appelés à prendre la direction de l'oeuvre de Chrischona, c'est une chose bien remarquable que ces importantes décisions aient pu être prises immédiatement avant le départ de l'inspecteur. Ils ont d'autant plus conscience de leur responsabilité et regardent à Dieu, comptant sur Lui.

Et maintenant vint la fête de consécration, dont l'inspecteur sentit profondément, comme d'habitude, la solennité. La « semaine de retraite » qui précéda ce dimanche fut un temps de vrai recueillement. « Nous sentons notre indigence et notre indignité, disait Rappard, mais si nous en sommes humiliés, nous ne perdons pas courage, puisque nous pouvons le dire au Seigneur. »

Dès le matin, la salle de fête se remplit d'une grande foule pour prendre part à la Sainte-Cène. Les vingt-quatre « frères » auxquels il imposa les mains, - c'était la quarante-deuxième « volée » qui prenait son essor depuis qu'il était en fonctions, - n'oublieront jamais cette heure. Le vieil inspecteur avait lui-même ce soir-là le sentiment d'avoir achevé une grande tâche, en arrivant au terme de ce cycle d'études, et il se réjouissait de pouvoir goûter quelque repos.

Ce n'est pas qu'il fût las de travailler. Il avait un peu maigri et pâli, ce qui frappait surtout les étrangers mais on peut bien dire qu'il travaillait cette année-là avec une joie et un entrain tout particuliers. Il était décidé à ne se faire aucun souci quant à l'avenir et aux restrictions qu'il aurait à apporter à son activité.

Je ne veux pas cesser moi-même le travail, disait-il, je veux attendre la direction de Dieu. - J'ai vu une fois un cheval qui en avait assez de sa voiture et prétendait se dételer lui-même ; cela donna des coups et des meurtrissures, et un timon cassé. Quand c'est le maître qui dételle, cela se fait aisément et en douceur !

Il disait dans une lettre circulaire adressée aux frères dans le premier numéro du Glaubensbote de 1909 :

C'est notre Dieu qui nous a placés à Ste-Chrischona, ma chère femme et moi, et qui nous a préparés en Jésus-Christ pour le service qu'il voulait nous confier ici.

Nous voici tous deux âgés maintenant. Mais jusqu'à ce jour il nous a conservé notre vigueur, et nous continuerons à le servir jusqu'à ce qu'il nous dise : « C'est assez ! » Un sage l'a dit, mieux vaut laisser que délaisser. Le Maître prendra soin qu'au jour où les forces deviendront insuffisantes et où l'oeuvre risquera d'être délaissée, elle soit placée, au moins en partie, sur des épaules plus jeunes. C'est d'ailleurs déjà ce qui a lieu partiellement, et je regarde en bénissant Dieu les aides qu'Il m'a lui-même préparés.

Au cours de l'été, sa femme lui ayant demandé un jour s'il ne serait pas sage de mettre par écrit quelques indications pour la continuation de l'oeuvre, il répliqua: « Ouvre ta Bible à Josué, 1, 2. » Et elle lut: « L'Éternel dit à Josué: Moïse, mon serviteur, est mort ; maintenant, lève-toi, etc. » Alors lui, tout simplement: « Quand un jour Dieu dira: Rappard, mon serviteur, est mort, Josué sera déjà là. Vois-tu, poursuivit-il, pour moi c'est aussi une question de foi : je l'ai remise au Seigneur et j'ai pleine confiance en lui. »

Quant aux besoins de l'institut, il écrivait:

Il y a quatre choses nécessaires pour la continuation de l'oeuvre, et il faut en faire chaque jour un sujet de prière :

 

1. La grâce de Dieu, pour que nous restions tous dans l'ordre et que rien en nous n'entrave la bénédiction.

2. Des candidats en nombre suffisant, et vraiment convertis appelés au service du Seigneur.

3. Des portes ouvertes et des champs de travail pour les « frères » qui ont achevé leurs quatre ans de préparation.

4. Notre pain quotidien, tant pour la famille de l'institut avec tous ses besoins, que pour les « frères » à l'oeuvre au loin qui dépendent de la Pilgermission.

 

Il était heureux d'être contraint de demander toujours à nouveau ces choses à son Père céleste.

Cette dépendance du Seigneur, disait-il, n'est pas seulement une attitude de foi et de respect filial, c'est aussi une discipline salutaire. Que de serviteurs de Jésus ont attesté avec adoration que, pour leur vie spirituelle, cela avait été une sauvegarde et un stimulant très particuliers que d'être obligés, jour après jour, d'occasion en occasion, de demander et de recevoir de leur Père céleste ce dont ils avaient besoin même dans le domaine matériel

Celui qui s'attend à l'Éternel ne sera pas confondu.

A la fin de sa carrière terrestre, écrivait-il une fois, le Seigneur demanda à ses disciples : Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac, et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? Ils répondirent : De rien. Les serviteurs de Dieu ont pour toujours la promesse : je ne te laisserai point, je ne t'abandonnerai point. (Hébr. 13, 5-)

 

Au début de l'année 1868, alors que j'étais au Caire, le Comité de Ste-Chrischona m'appela à me charger de la direction de l'oeuvre. Je n'ignorais pas que les dernières années avaient été difficiles, que l'institut avait des dettes et qu'amis et voisins prévoyaient le prochain effondrement de l'oeuvre. En mon coeur s'agita la pensée qu'il appartiendrait peut-être à mes attributions d'inspecteur de Chrischona de recommander l'oeuvre à la libéralité du public par des conférences.

Je mis la chose devant le Seigneur. En mon coeur alors retentit la prière : « Notre Père qui es aux cieux, donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ! »

L'Esprit qui conduit dans toute la vérité me montra alors clairement que ma vie durant je n'aurais pas autre chose à faire qu'à enseigner la Parole de Dieu et à prêcher l'Évangile, et que le Père céleste, à qui l'or et l'argent appartiennent, pourvoirait à nos besoins.

Le Comité, à qui je fis part de ma manière de voir, me laissa pleine liberté sur ce point.

Aujourd'hui, après quarante ans, je puis attester que le Seigneur a été fidèle à sa Parole. Il m'a accordé la grâce de proclamer partout la parole de la croix, et en Père riche, il a donné leur pain quotidien à ses enfants qui s'attendaient à Lui. Les dettes ont été payées, l'oeuvre a pris de l'extension, et nous n'avons manqué de rien. Il a pourvu à tout jour par jour !

On pourrait, écrivait un « frère », donner comme épigraphe à la vie de Rappard ces simples mots : « Il s'est confié en Dieu! »

Quant à lui, il écrirait plutôt: DIEU EST FIDELE. IL EST POUR L'ETERNITE UN ROCHER. HEUREUX OUI SE CONFIE EN LUI!


Table des matières

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1) Chants évangéliques, No 153.

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2) Dès lors, en 1911 cette villa a été officiellement rattachée à Chrischona comme une branche de l'oeuvre de la Pilgermission.

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3) C'est cette librairie qui a publié l'édition allemande de cet ouvrage.