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LA PAROLE VIVANTE(Suite) Tout lecteur attentif de saint Jean doit avoir maintenant compris ma pensée, et en avoir en même temps reconnu la vérité. Au reste, je l'ai dit et je tiens à le redire, pour ne pas faire le choix entre les organes du Saint-Esprit, dont chacun a sa place marquée dans le plan de Dieu, et que nous devons interroger tous avec une égale confiance, sous peine d'être incomplets, sinon infidèles : la doctrine que j'essaye d'exposer ici, pour être plus sensible dans saint Jean que dans le reste du Nouveau Testament, ne lui est pourtant pas personnelle. L'esprit de saint Jean est l'esprit de saint Paul, et l'esprit de saint Paul est l'esprit de Saint Pierre, parce que chacun de ces esprits est l'Esprit de Dieu. Si saint Jean fait de la personne vivante de Jésus-Christ le coeur de son apostolat, c'est que Dieu avait commencé par en faire le coeur de la vérité salutaire ; Dieu, qui a voulu « récapituler toutes choses en Christ » et qui a « fait tenir en lui toutes choses ensemble » les ayant « toutes créées en lui, par lui, en vue de lui (*34). » Le point de vue que je viens d'exposer, en prenant saint Jean pour exemple et pour modèle, est celui où se sont placés également tous les autres apôtres, avec des nuances secondaires ; ou plutôt, ce n'est pas un point de vue, c'est le point de la vie : « En elle, » dit notre apôtre, en parlant de la Parole incarnée, « en elle était la vie; » en elle, la vie de la foi, et en elle aussi, par une suite nécessaire, la vie de l'apostolat. La vie de l'apostolat, ai-je dit : et comment ne serait pas en elle aussi la vie de notre ministère, qui n'est que l'apostolat continué, serviteurs de Jésus-Christ, mes chers compagnons d'oeuvre ? Nous nous sommes souvent occupés, et vous savez que celui qui vous parle s'en est occupé avec une ardeur particulière, de ce que nous avons à faire pour imiter saint Paul, qui est proprement notre apôtre, étant l'apôtre des Gentils: rendons-nous compte aujourd'hui de ce que nous avons à faire pour imiter aussi saint Jean, désigné tendrement à notre attention comme « le disciple que Jésus aimait. » Ne sentiez-vous pas « votre coeur brûler au dedans de vous, » taudis que j'étudiais tantôt avec vous l'esprit de saint Jean et le caractère de sa parole? Ce qu'il a dit du disciple, comme disciple, ne l'appliquiez-vous pas en vous-mêmes au prédicateur, comme prédicateur: « Celui qui a le Fils a « la vie ? » et avec la prédication de la pure et inflexible doctrine de l'Évangile, ne voulez-vous pas poursuivre la prédication de la personne vivante de Jésus-Christ, sur les traces et d'un saint Jean, et d'un saint Paul, et du corps apostolique tout entier ? Ma conscience se fait fort de répondre pour la vôtre. La prédication de la personne vivante de Jésus-Christ montre seule la foi chrétienne telle qu'elle est, une foi vivante, c'est-à-dire, une foi dont le fond est un fait, et un fait vivant. En nous donnant Jésus-Christ pour justice, Jésus-Christ pour sanctification, Jésus-Christ pour sagesse, Jésus-Christ pour rédemption (car il nous a été fait tout cela de la part du Père (*35)), elle fait reconnaître, au premier aspect, ce qui est si important à apprendre et si difficile, que le christianisme, ainsi défini dès ses premiers jours par un ange : « ces paroles de vie (*36), » n'est pas seulement, ni essentiellement, un système ou une doctrine, mais une vie, plus encore, la vie, et que ce qui le constitue proprement, ce n'est pas la simple acceptation de l'idée ou du précepte ou du fait, mais le renouvellement du fond de l'être en Jésus-Christ, et une sorte d'incarnation spirituelle par laquelle la nature divine s'unit à la nature humaine en chacun de nous.
Ce n'est pas tout. Qui a la vie, a tout avec elle et en elle. - Qui dit la vie, dit l'essence intime des choses; et la prédication de la personne vivante de Jésus-Christ appelle seule directement l'attention sur le caractère essentiel et distinctif de l'Évangile, qui doit être cherché dans la personne du Rédempteur, réunissant la nature divine et la nature humaine par sa naissance, pour les réconcilier par sa mort. Qui dit la vie, dit le principe supérieur d'où tout émane; et la prédication de la personne vivante de Jésus-Christ établit seule le fidèle dans le centre même de la foi, d'où sa croyance et son action peuvent rayonner librement dans toutes les directions, sans compromettre les proportions et l'équilibre de l'ensemble, parce que chaque chose, vue de ce centre, prend naturellement la place et les dimensions qui lui appartiennent (voir note A). Qui dit la vie, dit l'être entier ; et la prédication de la personne vivante de Jésus-Christ nous donne seule la vérité tout entière, ramassée dans son germe fécond. Rien d'écrit, fût-ce la Parole de Dieu même, ne peut tout exprimer. Il demeure toujours, comme entre les lignes, des vides où le langage ne saurait entrer, et qu'il n'appartient qu'à la vie de remplir. La vie seule est entière; elle ne peut même exister qu'entière: on ne dissèque que ce qui est mort. - Enfin, qui dit la vie, dit l'unité mère, au sein de laquelle se rejoint tout ce qui est, et se concilient jusqu'aux contraires; et la prédication de la personne vivante de Jésus-Christ possède seule le secret de se plier à tous les besoins, même aux plus opposés, par cette élasticité qui est propre à la vie (voir note B). Avec elle, tout l'Évangile, concentré dans sa substance et dans sa moelle, appelle à soi tout l'homme, intelligence, sentiment, volonté, et la plénitude de la vie divine est mise en contact par tous les points avec la plénitude de la vie humaine.
Pour moi, mes frères dans le ministère, je voudrais, dans la mesure où il me sera donné de suivre de si saints exemples, imprimer à tous mes discours le caractère que je relevais tantôt dans les écrits de saint Jean, et offrir sans cesse à la contemplation de mes auditeurs, après avoir commencé parla contempler moi-même, la personne vivante de Jésus-Christ. Je voudrais moins traiter du christianisme, de sa doctrine, de sa morale, de son histoire, de son inspiration divine, que vous montrer, que vous donner Jésus-Christ lui-même. Je voudrais plus encore. Non content de réserver à la personne de Jésus-Christ la première place, je voudrais faire d'elle le centre et le coeur de tout mon ministère, la contemplant dans tout autre objet et contemplant tout autre objet en elle. S'agit-il de la doctrine? La déduire avec rigueur, l'exposer avec méthode, la défendre avec force, cela est utile sans doute et souvent nécessaire; mais je voudrais surtout la prendre sur le fait dans la personne de Jésus-Christ : la miséricorde divine, dans l'envoi de ce Fils aimé le mystère de la Trinité, dans le prodige de sa naissance ; le salut gratuitement promis à la foi, dans les guérisons qu'il opère; dans sa mort, la malédiction et tout ensemble l'expiation du péché dans sa résurrection, le gage de la nôtre, et dans son ascension, le ciel ouvert pour recevoir les siens, - ce ciel dont il est lui-même la gloire et la joie. S'agit-il de la morale? Il est bon d'en éclaircir les obligations, de les ramener aux premiers principes, de les justifier par l'Écriture et de les presser sur la conscience ; mais je voudrais surtout les étudier dans la personne de Jésus-Christ, cette loi vivante, en qui le fait se confond avec le droit : la charité, dans sa mission; le renoncement, dans son obéissance; la piété, dans ses prières ; la vérité, dans ses discours; la patience, dans sa passion; la sainteté dans tout son être. S'agit-il de l'histoire ? L'histoire biblique, la plus vraie, la plus belle, la plus instructive de toutes les histoires, sans contredit, abonde en textes et en exemples salutaires ; mais je voudrais surtout en recueillir les membres épars sous l'unité vivante de la personne de Jésus-Christ, qui remplit à lui seul toutes les annales de l'humanité, avant, pendant et après sa courte apparition sur la terre; présent en figure dans les types de l'ancienne alliance, présent en chair dans les scènes des évangiles, présent en esprit dans le développement de l'Église, présent en attente dans la prophétie de son second avénement. S'agit-il enfin de l'autorité divine des Écritures? Il faut sans doute l'appuyer sur ces prophéties, sur ces miracles, sur ces faits qui la démontrent irrésistiblement pour un esprit droit; mais je voudrais surtout en appeler directement à la personne de Jésus-Christ : de Jésus-Christ se fortifiant par la Parole écrite, et lui rendant le témoignage qu'il reçoit d'elle; de Jésus-Christ reconnaissant l'inspiration des prophètes, garantissant celle des apôtres, et résolvant dans la pratique les questions les plus épineuses de la critique sacrée ; enfin, de Jésus-Christ sans erreur, et de Jésus-Christ sans péché, ces deux axiomes fondamentaux de la religion et de la morale, ces deux pôles immuables de la conscience humaine. Oui, je voudrais, ô mon Dieu Sauveur, et quel ministre fidèle ne le voudrait avec moi? ne chercher qu'en toi seul le principe, le milieu et la fin de tout mon ministère ! C'est toi, ta vie, ta personne, ton esprit, ta chair et ton sang, dont j'ai faim, dont j'ai soif, pour moi-même et pour ceux qui m'écoutent! C'est toi que je veux porter dans cette chaire ! toi que je veux annoncer à ce peuple ! toi que je veux apprendre à mes catéchumènes ! toi que je veux distribuer dans les sacrements ! toi tout entier, rien que toi, toi toujours, et encore toi !
Mais, indépendamment de ces raisons permanentes qui me détermineraient en tout temps à tenir haut élevée la personne vivante de Jésus-Christ, j'en trouve une autre, particulière à notre époque, dans le caractère du réveil religieux dont notre siècle a été honoré. On sait ce que j'entends par le réveil. Dans ces temps malheureux où des nations entières, la nôtre, hélas ! à leur tête, avaient abandonné l'alliance de leur Dieu, nos Églises, par un contrecoup inévitable de l'entraînement général, avaient dévié peu à peu de leur fidélité première, et délaissé les doctrines propres et vitales de la foi chrétienne. Mais Dieu prenant compassion de nous et se souvenant de nos pères, a visité l'une après l'autre toutes les Églises protestantes, leur a rendu l'Évangile de la grâce, et va opérant au sein de la Réforme une réforme nouvelle, qui se rattache par certains côtés à un mouvement plus étendu auquel participent toutes les communions chrétiennes. Ce réveil, faut-il le dire ? a toutes nos sympathies. A nos yeux, c'est un réveil digne d'être mis à côté, et, à quelques égards, au-dessus de celui du seizième siècle; un réveil dont les instruments, qui déjà disparaissent l'un après l'autre de la scène du monde, méritent d'être bénis vivants, et pleurés morts, parmi les premiers bienfaiteurs de leur génération; un réveil enfin, auquel la main de Dieu qui y est si visiblement empreinte, a confié l'espérance de l'Église et les germes d'un meilleur avenir. Mais ce n'est pas un réveil parfait, ni même un réveil qui ait dit son dernier mot. Eh bien, s'il m'est permis d'exprimer avec respect toute ma pensée, ce dernier mot que le réveil n'a pas dit encore, c'est celui que j'essaye avec d'autres, après d'autres, de bégayer aujourd'hui, et auquel s'associe, j'en suis sûr, tout ministre fidèle de Jésus-Christ. Oui, la contemplation de la personne vivante de Jésus-Christ a 'été, je n'ai garde de dire absolument, mais comparativement, négligée par notre réveil. Il s'est plus mis en présence de la Parole écrite que de la Parole vivante; il a été, pour tout dire, en deux mots, plus biblique que spirituel.
On a nettement saisi, hautement reconnu les droits de la Parole écrite. On l'a reçue, sans réserve, comme une règle divine et la règle unique de la foi; et le principe protestant, qu'on a résumé en ces termes : « Toute la Bible, rien que la Bible, » a été proclamé dans toute sa vérité, dirai-je? ou dans toute sa rigueur. De là des croyances pures, des convictions arrêtées, et une rare mesure de ce qu'on est convenu d'appeler du nom de fidélité, que, par une restriction significative, on réserve communément à la fidélité dans la doctrine. De là, pour quelques points de l'Évangile, et des points essentiels, la corruption humaine, la justification par la foi, la gloire divine de Jésus-Christ, la régénération par le Saint-Esprit, mais surtout la grâce toute gratuite de Dieu dans l'oeuvre du salut, une clarté d'enseignement, une force de prédication, qui n'a été surpassée, égalée peut-être à aucune époque, depuis les jours exceptionnels de l'inspiration. De là enfin, pour évangéliser le monde et plus spécialement pour l'évangéliser par la Bible, une ardeur inconnue du seizième siècle, des travaux qui embrassent la terre entière, en mettant au service de Dieu et de sa Parole la facilité croissante des communications tic terre et de mer, et tout ce grand mouvement qui a fait dire à un penseur chrétien, que si le premier siècle a été l'ère de la rédemption, et le seizième siècle l'ère de la réformation, le dix-neuvième siècle est l'ère de la Bible (*39). Ce mot peint admirablement la gloire de notre réveil, en même temps qu'il laisse entrevoir ce qui lui a manqué. Richement chargé des fruits de la Parole écrite, il a recueilli dans une moindre mesure ceux de la Parole vivante.
J'en appelle à vos souvenirs. Taudis que la doctrine de Jésus-Christ, sa morale, son oeuvre, son histoire, ont été si soigneusement étudiées et si clairement annoncées, où sont-ils ceux qui ont fait à sa personne vivante, à sa présence spirituelle, à la communion intérieure avec lui, la part que le Saint-Esprit leur a faite dans l'Évangile ? La question même que je vous adresse dans ce moment n'a-t-elle pas pour plusieurs un air de nouveauté qui lui suffit déjà de réponse ? Si l'on a pu dire d'une certaine prédication qu'elle offre un christianisme sans Christ, n'a-t-on pas pu reprocher parfois à la nôtre qu'elle offrait plus de christianisme que de Christ, et que, lorsqu'elle offrait Christ lui-même, c'était un Christ extérieur plutôt que le Christ intérieur, et s'il est permis d'ainsi dire, un Christ parlé ou écrit, plutôt que le Christ reçu, senti, vécu ? Aussi bien, il n'y a rien là à quoi l'on ne dût s'attendre, d'après la place donnée dans le réveil au Saint-Esprit. Le Père et sa grâce imméritée, le Fils et son sacrifice expiatoire, ont été bien plus contemplés de nos jours que le Saint-Esprit, sa personne, son oeuvre, et tout ce monde nouveau qu'il crée dans un coeur. Si l'on demandait à certains membres de cet auditoire, comme autrefois saint Paul à ses disciples d'Ephèse: « Avez-vous reçu le Saint-Esprit quand vous avez cru? » n'en est-il aucun qui fût tenté de répondre comme eux : « Nous n'avons pas même ouï dire qu'il y ait un Saint-Esprit? » Et pourtant cet Esprit est la promesse distinctive de la nouvelle alliance, la marque essentielle de l'Église chrétienne, le couronnement de l'oeuvre divine et de l'enseignement apostolique. Avec cette lacune dans le réveil, il n'était pas possible que la personne vivante de Jésus-Christ, qui ne nous est révélée, disons mieux, qui ne nous est communiquée que par le Saint-Esprit, fût mise au rang qui lui est dû.
Le temps n'est plus où cette infirmité du réveil n'était ni sentie, ni connue; et le temps n'est pas encore où elle doit être nettement discernée et décidément abandonnée. Voilà l'explication de ce vague malaise qui travaille le réveil, et qu'il est impossible de méconnaître. Il semble que les jours de la première joie et de la première liberté soient passés; on est triste, irrésolu, découragé même, comme si l'Évangile eût perdu de son ancienne puissance, et qu'il ne nous eût pas tenu tout ce qu'il avait promis; mécontent du passé, on demande à l'avenir un réveil dans le réveil. Eh bien, ce réveil dans le réveil est réservé, nous le croyons du fond de notre âme, à la contemplation de la personne vivante de Jésus-Christ. Rendez-vous compte, en effet, de ces plaintes mal définies dont le réveil est l'objet, même de votre part, et vous trouverez qu'il n'y a pas de moyen plus efficace de les dissiper, que de rendre désormais à la personne de Jésus-Christ toute la gloire qui lui appartient et qui ne lui a point été rendue.
On se plaint que notre réveil, pris dans son rapport à l'individu, manque de vie spirituelle. Par vie spirituelle, j'entends moins la vie religieuse en général, qu'une des formes de la vie religieuse, mais une forme essentielle, si essentielle qu'elle mérite moins le nom de forme que celui de fond : cette grâce intérieure de l'Esprit-Saint, cette vie du ciel cachée avec Christ en Dieu, cette onction du sanctuaire, composée d'amour et d'humilité, qui est le propre et le secret de la sainteté chrétienne, et qui se traduit au dehors par l'accomplissement exact, mais paisible, des petits devoirs de la vocation. Eh bien, m'avancé-je trop en votre nom, mes chers frères, en affirmant que, comme moi, vous soupirez après cette « vie de Dieu, » et que, comme moi, vous confessez avec douleur qu'elle n'a pas été, je ne veux pas dire assez visible, cela n'est pas dans sa nature, mais assez recherchée parmi nous ? La piété du réveil n'a-t-elle pas eu quelque chose de trop dogmatique dans sa conception, de trop agité dans son action, de trop extérieur dans ses tendances, de trop éclatant dans ses oeuvres, de trop humain dans ses moyens? Il fallait faire ce qui a été fait, mais le faire mieux encore. Il fallait donner plus de place à Dieu, à son Esprit, à sa force qui s'accomplit dans l'infirmité, en donner moins peut-être à l'homme, à l'association, à l'organisation, à la délibération, à la publicité et quoique beaucoup de bien ait été accompli, il est permis de demander s'il n'en eût pas été accompli encore davantage avec moins de mouvement et plus de prière, moins de discours et plus de recueillement. Il fallait, tout en « faisant une belle profession de la vie éternelle devant beaucoup de témoins, » se montrer dans le sanctuaire de la vie privée en « homme de Dieu, » domptant son coeur, fuyant la convoitise des richesses, et recherchant « la justice, la piété, la foi, la charité, la patience, la douceur. » Il fallait, tout en envoyant l'Évangile au bout du monde, satisfaire aux obligations journalières de la vie domestique, aimer tendrement sa femme, élever chrétiennement ses enfants, veiller sur l'Ame de ses serviteurs, éviter jusqu'à l'apparence de cet oubli des siens qui nous rendrait, selon saint Paul, pire que les infidèles (*40). Il fallait enfin, ou plutôt il faut, entrer dans une sainteté nouvelle, plus substantielle à la fois et moins apparente, plus pratique, plus humble, ou pour tout dire en un mot, plus vivante, et devenir avant tout des hommes de renoncement et d'amour. D'où vient, mes chers frères, que cela n'a pas été fait encore ? C'est qu'on s'est mis trop en peine de l'idée, pas assez de la vie ; trop de ce qu'un homme pense et dit, pas assez de ce qu'il fait, disons mieux, de ce qu'il est; trop de savoir s'il accepte l'enseignement de Jésus-Christ, le peuple de Jésus-Christ, je dirais même le service de Jésus-Christ, pas assez de savoir s'il a reçu Jésus-Christ lui-même dans son coeur, et s'il le porte partout avec lui. S'il y a un trait qui ait caractérisé Jésus-Christ dans sa vie humaine, c'est cette onction intérieure et paisible dont nous parlons ; et ce que vous appelez plus spécialement vous-mêmes l'esprit de Jésus-Christ, ce n'est ni l'esprit d'activité, ni l'esprit de zèle, ni l'esprit de vérité, ni l'esprit de force, ni l'esprit de courage, quoique tout cela se soit trouvé réuni dans l'homme parfait, mais c'est l'esprit de patience, d'humilité, de renoncement, d'amour, dont vous êtes jaloux avant tout pour vous-mêmes et pour le réveil. Qu'y a-t-il donc à faire pour y parvenir, que de vivre près de Jésus-Christ et comme dans sa société intime, que dis-je? que de le recevoir au dedans de nous, de « demeurer nous en lui et lui en nous » par le Saint-Esprit, en d'autres termes, que de nous attacher à sa personne vivante, de peur qu'on ne vienne à dire de nous-mêmes, tout orthodoxes que nous pouvons être, ce qu'on a dit, avec autant d'esprit que de vérité, du christianisme froid et négatif auquel Dieu a daigné nous soustraire : « On a enlevé mon Seigneur et je ne sais où on l'a mis? » Croyez-en votre propre expérience. Quels sont les jours, les moments où vous avez le plus approché de cette vie spirituelle qui vous fait envie, si ce n'est ceux où vous avez vécu avec Jésus-Christ, je veux dire où une humble et fervente prière avait rempli votre coeur du Saint-Esprit, et uni votre âme étroitement à celui qui est le vrai Dieu, la vie éternelle, le Prince de la vie? Ah ! vivons donc toujours avec lui, et nous aurons toujours la vie en abondance (*41).
On se plaint encore que notre réveil, pris dans son rapport à l'Église, manque de cette union fraternelle qui doit exister entre les vrais chrétiens. Si la bonne harmonie était bannie du sein de la terre, elle devrait trouver un refuge dans le coeur des enfants de Dieu. Montrer à quel point cette union est précieuse, ce serait perdre son temps, soit quant à l'Église, qui y voit la condition première de sa prospérité, et l'espérance de cette unité de culte et de profession dont on parle tant aujourd'hui, soit aussi quant au monde, qui en croit cette union plus que tout le reste, et n'en croit pas le reste sans elle, vérifiant ainsi à sa manière cette parole du Maître : « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. » L'absence de cette union serait un deuil pour l'Église, un scandale pour le monde... Hélas ! que sert de se flatter? Ce deuil, ce scandale existe.
Chacun en sait là-dessus plus que je ne pourrais, que je ne voudrais en dire ici. Un coup d'oeil jeté en passant sur nos feuilles périodiques, sur nos institutions religieuses, sur notre Église, je devrais dire sur nos Églises, suffit pour nous faire reconnaître avec confusion que ce fond d'amour fraternel qui se montre dans quelques grandes occasions, grâces à Dieu, est traversé habituellement par de tristes divisions, qui ne sont pas toujours réservées pour l'intérieur de la famille religieuse. Rendons cependant justice au réveil : cette désunion a des causes consciencieuses; elle est moins de passion que de principe; c'est moins désaffection que dissentiment. Accordons plus encore : c'est l'abus ou le déplacement d'une chose bonne en soi. Nous avons chacun, (et ceci est vrai des Églises comme des individus), nous avons chacun, dans la vérité commune, notre position, notre aptitude, notre sympathie personnelle; et peut-être aussi, selon ces différences, que la grâce sanctifie sans les détruire, chacun notre mission individuelle dans le plan de Dieu. Cela est bon en soi, car nul esprit n'étant capable d'embrasser la vérité par toutes ses faces à la fois, il en est qui ne seraient pas contemplées et représentées sans cette variété de dons et de tendances. Mais cela n'est bon qu'autant que ces intérêts particuliers consentiront à se ranger sous le grand intérêt général, et que les choses fondamentales, où nous sommes tous d'accord, domineront hautement dans nos moeurs, comme elles font dans l'Écriture, les choses comparativement secondaires, sur lesquelles seules on est partagé. Or, c'est là ce qui manque aujourd'hui. On s'est donné mutuellement l'exemple, inévitablement contagieux en pareille matière, de mettre au premier rang ce que Dieu a mis au second; et l'on s'est montré aussi affirmatif, aussi intraitable, si ce n'est plus encore, sur l'accessoire que sur l'essentiel, par où l'union fraternelle est rendue impossible. On commence à le reconnaître généralement; et en même temps que le coeur des enfants de Dieu soupire dans toutes les parties du monde après l'union, l'intelligence et l'expérience les avertissent qu'on n'y saurait arriver qu'en subordonnant franchement le secondaire au fondamental; témoin ces Alliances Évangéliques qui se forment de tous les côtés, et qui, quoi qu'on puisse penser de leurs premiers essais, naissent d'un besoin éminemment chrétien et qui se fera son chemin, soyez en sûrs. Mais, je le demande à tous mes frères : comment arrivera-t-on à donner aux choses fondamentales ce rang suprême qui leur appartient exclusivement, si ce n'est en tenant haut élevée la personne vivante de Jésus-Christ, qui est le fondement même ? Aurait-on pu se diviser pour des divergences secondaires, si l'on avait tenu les yeux fixés sur celui en qui nous sommes tous un, qui nous aime tous également, et qui est également aimé de tous ? Quand cette querelle des apôtres qui nous est rapportée dans les évangiles aurait été aussi grave qu'elle était futile (*42), pensez-vous qu'elle leur eût paru encore digne de les diviser, lorsqu'ils se trouvèrent bientôt après groupés autour de leur Maître? Indépendamment même de sa question : « De quoi disputiez-vous en chemin? » sa présence seule, son regard, ce trésor commun qu'ils ont en lui, ne les unissent-ils pas, et ne se trouvent-ils pas, en se rapprochant de lui, s'être, sans y songer, rapprochés les uns des autres ? Supposez une réunion formée de vrais chrétiens, répartis entre toutes ces opinions différentes qui divisent aujourd'hui le peuple de Dieu; ils ont parlé d'Église unie et d'Église libre, de cène ouverte et de cène close, du point de vue de Luther et du point de vue de Calvin, de prédestination et de rédemption universelle, et l'on s'est animé, disputé, aigri Que tout à coup Jésus vienne à paraitre au milieu de ses disciples, comme autrefois dans cette chambre haute; qu'il les aborde avec sa salutation favorite : « Que la paix soit avec vous !» qu'il prie, et qu'on entende sortir ces paroles de sa bouche : « Père ! qu'ils soient un comme nous sommes un ! » - mais non, qu'il ne prie ni ne parle, qu'il soit là seulement au milieu d'eux, tous les yeux tournés vers lui Que sont devenues toutes ces querelles ? Comme tout cela est tombé au second, au troisième, au dixième rang ! C'est qu'il est arrivé un moment ce qui arriverait toujours si la personne vivante de Jésus-Christ était pour nous ce qu'elle devrait être. Ah ! donnez-moi seulement la personne vivante de Jésus-Christ, sa personne telle qu'elle était, mieux encore, sa personne telle qu'elle est, et je vous donnerai l'union des frères et par elle la prospérité de l'Église et l'édification du monde. Nous avons chacun, disions-nous, notre position, nos aptitudes, nos sympathies; mais nous n'avons tous qu'un Christ, et qui de nous le voudrait échanger contre un autre? Pourvu qu'il soit mis en sa place, nous saurons, sans cesser d'obéir chacun à sa persuasion propre, nous comprendre, nous supporter, nous rechercher les uns les autres, et nous ferons voir encore au monde que s'il y a plus d'une bergerie, il n'y a pourtant « qu'un seul troupeau sous un seul pasteur. »
On se plaint enfin que le réveil, pris dans son rapport au monde, manque de vertu d'évangélisation. Ce n'est pas que l'évangélisation ait été négligée: jamais, peut-être, depuis les travaux apostoliques, elle n'a été aussi active ni aussi dévouée; jamais, certainement, elle n'a été si pure, ni si étendue, même aux jours de la Réformation. L'évangélisation, une évangélisation sans passion comme sans limite, est le fait saillant et glorieux du réveil contemporain. Mais le succès, tout réel qu'il est, n'a pas para en proportion avec les efforts et les sacrifices. Rien de comparable, près de nous, à ces grands mouvements de la Réforme qui entraînaient des populations entières; ou si l'on répond à cela que la politique n'y avait guère moins de part que la religion, et que l'Église primitive a également ignoré ces conversions nationales, rien de comparable aujourd'hui à cette sensation générale, immense, profonde, qu'excitèrent autour d'elles et la parole des apôtres et celle des réformateurs. Le progrès d'aujourd'hui est restreint; nous manquons de prise sur le siècle; nous demeurons isolés. Pourquoi cela? Parmi les personnes qui se tiennent éloignées de l'Évangile, il y en a, sans doute, comme dans tous les temps, que leur propre conscience a condamnées avant Dieu, et qui ne fuient la lumière que pour se mettre à l'aise avec leurs oeuvres de ténèbres (*43); mais il y en a d'autres, n'en doutez pas, il y en a beaucoup aujourd'hui, qui ont des sentiments plus élevés, et qui, en résistant à la vérité qu'ils admirent, pensent obéir à des besoins d'intelligence, de coeur, de conscience peut-être. Entre de tels hommes, qui ont besoin de l'Évangile sans le savoir, et nous, qui aurions tant à coeur de les y attirer, pourquoi le rapprochement ne se fait-il pas ? N'aurions-nous pas à nous en prendre un peu à nous-mêmes ? Ne serait-ce pas que nous les aurions trop abordés avec la Parole écrite et l'idée, pas assez avec la Parole vivante et la vie ? Nous leur avons offert la Bible: mais pour lire la Bible, il faudrait s'y intéresser; pour s'y intéresser, il faudrait l'avoir lue; comment sortir de ce cercle vicieux, sinon par une première impulsion, qu'un livre, même celui de Dieu, communique bien rarement? Nous leur avons prouvé, par les miracles et par les prophéties, que la Bible est inspirée : mais ces preuves, toutes solides qu'elles sont, n'entrent pas d'ailleurs jusqu'à ce dedans de l'homme où les grandes questions se décident, et ne sont pas dans le goût du temps, qui n'aime pas les démonstrations didactiques. Ce je ne sais quoi de plus direct, de plus pénétrant, de plus sympathique, de plus vivant enfin, c'est le mot où il en faut toujours revenir, où le trouverons-nous? Vous avez répondu pour moi : Dans la personne de Jésus-Christ. Comptez sur elle, vous dis-je, pour se prouver en se montrant. Mettez, mettez votre auditeur devant Jésus-Christ, le Saint des saints, accomplissant la loi de Dieu avec une perfection absolue; devant Jésus Christ, l'empreinte terrestre de l'amour céleste, allant de lieu en lieu pour faire le bien; devant Jésus-Christ, guérissant, consolant, pardonnant, sauvant; - et puis voyez si la mission, l'histoire, la vie de ce Jésus, avec la perspective de l'avoir lui-même pour Consolateur et pour Sauveur, ne remuera pas jusqu'au fond de son âme. Vous n'avez pu le conduire de la Bible à Jésus : essayez de le conduire de Jésus à la Bible. Donnez-lui la Bible par les mains de Jésus, comme le livre de Jésus; un livre auquel Jésus a soumis tout son coeur, un livre qui lui a servi d'appui dans le temple, dans le désert, sur la montagne et jusque sur la croix; et puis voyez s'il osera douter qu'il ne trouve Dieu dans un témoignage où Jésus a trouvé Dieu tout entier. Protestants, prévenus peut-être contre notre Évangile, n'est-il pas vrai que si nous vous présentions Jésus-Christ en toutes choses et toutes choses en Jésus-Christ, si nous ne vous laissions d'alternative que de recevoir ce que nous prêchons ou de rejeter Jésus-Christ, votre choix serait bientôt fait? Catholiques-romains, n'est-il pas vrai que si nous ne vous présentions jamais dans ces discours que Jésus-Christ, et Jésus-Christ dans la plénitude de sa double vie; si nous vous offrions dans sa personne vivante la réalité de cette présence réelle que vous avez eu raison de chercher, mais que vous avez eu tort de demander à la vue et à la chair, au lieu de la demander à la foi et au Saint-Esprit, vous seriez avec nous, je ne dis pas de nom, ce n'est pas ce que je cherche, mais d'esprit et de coeur? Et vous-mêmes, sages et savants de ce siècle, lumières du monde, que nous voudrions voir converties en lumières de Dieu, n'est-il pas vrai que si nous savions effacer ou subordonner tout le reste pour ne laisser paraître que Jésus-Christ, vous auriez trouvé en lui ce que votre esprit pressent, ce que votre coeur appelle, ce que votre conscience réclame? Non, mes frères, non, jamais on ne saura tout ce que l'Évangile a de puissance et de droits sur l'homme, sur tout homme (car c'est, comme l'Apôtre, « à tout homme (*44) » que nous en voulons), jusqu'à ce que nous ayons proclamé dans toute sa gloire Jésus-Christ lui-même, sa personne, sa vie. À la hauteur où l'on se trouve alors transporté, toutes les pensées grandes et vraies se rencontrent et se rejoignent, comme dans une région supérieure; et chacun reconnaît à sa manière, s'il a le coeur droit, que Jésus est le repos de l'homme, la lumière de l'homme, le salut de l'homme, le Dieu de l'homme; qu'en entrant dans le monde, « il est venu chez soi, » et que « les siens » ne peuvent refuser de le recevoir, que sous peine de se condamner eux-mêmes.
Avais-je tort de dire, mes frères, que la prédication de la personne vivante de Jésus-Christ, nécessaire en tout temps, l'est doublement à notre époque, où elle peut seule réaliser toutes les espérances du réveil, et en faire aboutir la crise actuelle à un magnifique progrès?
Entre la génération apostolique et la nôtre, le christianisme a eu deux grands moments de gloire et de prospérité : l'Église primitive et l'Église de la Réformation. Unies par le fond de la foi, elles ont été marquées cependant par des tendances différentes, de telle sorte qu'incomplètes l'une sans l'autre, elles s'achèvent réciproquement. Tel est le caractère des choses humaines; l'inspiration jouit seule du privilège de pourvoir à tout dans un parfait équilibre, parce que dans l'inspiration, ce n'est pas l'homme qui voit, c'est le Saint-Esprit.
L'église primitive, époque enfantine et naïve, animée de cette vie première qui ne songe pas à se replier sur elle-même, d'ailleurs toute pleine des souvenirs de la personne du Sauveur et presque témoin de sa présence dans la chair, a été tendrement préoccupée de la Parole-vivante. Elle s'entretient de Jésus-Christ, comme d'un ami qui vient de partir et qui va revenir; faut-il s'étonner de cette vivacité charmante de joie et d'espérance qui la caractérise?
Elle s'est peinte d'un seul trait dans ce mot de l'un de ses représentants les plus fidèles, saint Polycarpe : « Tout chrétien doit être un christophore, » c'est-à-dire, un porteur du Christ. Elle est moins occupée de la Parole écrite, surtout du Nouveau Testament, qu'elle a d'ailleurs à peine eu le temps de recueillir. On dirait qu'à la courte distance où elle se trouve des choses vivantes, elle sent moins que nous le besoin des témoignages écrits, ou bien qu'elle voit les apôtres de trop près pour mesurer toute la hauteur dont ils s'élèvent au-dessus de tout ce qui les entoure. C'est la période de la vie, plus que de l'Écriture. Son apôtre de prédilection, on pouvait le pressentir, c'est saint-Jean ; et c'est lui qu'elle a honoré du nom de Théologien, que notre réveil aussi bien que la Réformation, aurait sans contredit réservé plutôt à saint Paul.
Au seizième siècle, tout a changé de face. C'est la même piété : ce sont d'autres temps. La mission de la Réforme est de retirer la Parole écrite de dessous le boisseau dont on la tenait couverte pour abuser impunément de son nom. Cette mission, elle l'accomplit glorieusement. Elle rassemble les forces des sciences et des lettres renaissantes pour étudier cette Parole, en retracer l'origine, en reconnaître les titres, en proclamer l'autorité divine, devant laquelle toute lumière humaine doit s'abaisser. A la faveur de l'imprimerie, qui semble n'avoir été inventée que pour cela, elle donne à cette Parole une circulation jusqu'alors inconnue. Elle l'explique dans des commentaires qui s'élèvent du premier bond au-dessus de tout ce qu'avait produit le moyen âge, ou même l'Église primitive. Enfin, elle la résume dans des confessions de foi qui, pour l'intelligence de la doctrine, la clarté de l'exposition, l'ordre et les proportions des matières, la plénitude des enseignements, l'emportent de beaucoup sur tout ce qui avait précédé, et qui ajoutent à tous ces mérites celui d'une harmonie essentielle, que leur nombre et leurs divergences secondaires ne servent qu'à faire mieux ressortir. C'est véritablement la période de la Parole écrite; c'est dans une moindre mesure celle de la Parole vivante. Non que le Saint-Esprit et la personne de Jésus-Christ n'aient été contemplés, proclamés par la Réforme; mais ils ne l'ont pas été autant que l'autorité des Écritures. Cette période a aussi son apôtre favori: c'est saint Paul, on pouvait le pressentir encore; et si la Réforme ne lui a pas donné un nom de prédilection, comme l'Église primitive à saint Jean, c'est qu'elle eût craint sans doute de blesser un principe; mais saint Paul n'en est pas moins évidemment l'homme de Luther, de Calvin, de la Réformation en général.
Eh bien, il ne s'agit pas pour nous de choisir entre ces deux époques, encore moins entre: ces deux grands apôtres en qui elles se personnifient de préférence, il s'agit de les combiner. Il y a du seizième siècle dans le premier, et du premier siècle dans le seizième; et il est bien superflu d'ajouter qu'il y a du saint Paul dans saint Jean, qui se montre si jaloux de la doctrine, et du saint Jean dans saint Paul, qui ne l'est pas moins de la vie (*45). Adopter à la fois la tendance de l'Église primitive et celle de l'Église des réformateurs, non pour les opposer l'une à l'autre, mais pour les fortifier l'une par l'autre; les rassembler dans une nouvelle période qui, réalisant complètement ce fond de l'Évangile où elles ont puisé l'une et l'autre, donnera une égale gloire à la Parole écrite et à la Parole vivante; et par là satisfaire tout ensemble au double besoin de la foi et au double voeu de la nature, en tenant un compte égal de la doctrine et de la vie, du livre et de l'esprit, voilà, selon moi, la tâche de l'époque vers laquelle nous marchons, voilà le caractère de l'Église à venir que j'appelle de tous mes voeux.
Si donc, par Église de l'avenir, quelqu'un entendait une Église émancipée, où la Parole écrite perdrait quelque chose de cette antique autorité que les siècles ont reconnue, éprouvée et confirmée, et où l'enseignement fermé et permanent de cette Parole ferait place à l'enseignement mobile et personnel de l'esprit humain, nous ne voulons pas d'une telle Église de l'avenir. Mais si par l'Église de l'avenir on entend, comme nous, une Église où la Parole écrite et la Parole vivante régneront avec des titres égaux, parce qu'ils sont divins; où la Parole écrite, demeurant avec toute son autorité, nous donnera la Parole vivante dans toute sa plénitude, et où la Parole vivante, rendant à la Parole écrite gloire pour gloire, nous la renverra comme récrite de la main de celui qui l'inspira; où Jésus-Christ, remplissant de sa présence non seulement le ciel et la terre, mais l'Écriture de vérité et le coeur du fidèle, se posera devant la conscience de l'Église comme le Dieu Sauveur et le Rocher d'éternité où dogme, morale, histoire, inspiration, apologétique, critique même, tout sera contemplé dans le sein vivant de son être, et comme au travers de sa personne; où le témoin de la vérité sera Jésus-Christ, l'interprète des Écritures Jésus-Christ, la ver tu des miracles Jésus-Christ, la substance des prophéties Jésus-Christ, l'abrégé de l'histoire Jésus-Christ, le résumé de la doctrine Jésus-Christ, la voie du salut Jésus-Christ, la loi du fidèle Jésus-Christ, le trésor de son âme Jésus-Christ, la vie de sa vie Jésus-Christ oh ! vienne alors, vienne l'Église de l'avenir, hâtée par les prières de tous ceux qui ont appris du disciple bien-aimé à dire : « Seigneur Jésus, viens ! » Qu'elle vienne, et qu'elle secoue sur nous, de ses ailes enflées par le souffle de Dieu, une nouvelle rosée de la vertu d'en haut, une nouvelle onction d'union fraternelle et une nouvelle moisson mûrissant pour le ciel ! Qu'elle vienne, et qu'elle rassemble dans une même foi, dans un même esprit, dans un même travail, et la studieuse Allemagne, et la consciencieuse Angleterre, et l'entreprenante Amérique, et l'active France, et tous les peuples, sous tous les climats ! Qu'elle vienne, et qu'elle amène ces jours de grâce où les noms de calviniste, de luthérien, d'anglican, de morave, de national, d'indépendant, et pourquoi n'ajouterais-je pas, les noms de protestant, de catholique, de grec, tomberont absorbés dans un seul nom, celui de leur Seigneur, et du nôtre, Jésus-Christ ! Qu'elle vienne, et que les prophètes l'appellent, que les Apôtres la saluent, que les Pères la louent, que les Réformateurs la bénissent, que tous les saints l'accueillent avec joie, sans compter les anges qui attendent sa venue pour entonner avec elle un nouveau cantique à la gloire de celui dont elle portera le nom et l'image ! Qu'elle vienne... Mais plutôt toi, « Seigneur Jésus, viens ! » Viens, pour qu'un entraînement humain ne nous dérobe pas ton Esprit par les efforts mêmes que nous faisons pour le saisir ! Viens, pour ne laisser pas tourner à l'idée
jusqu'à cette méditation sur le danger de substituer l'idée à ta personne vivante ! Viens, et nous ne cesserons de parler de toi que pour te mieux recueillir dans le calme de la prière et dans le silence de l'amour !
-34. Eph. 1, 10; Col. 1, 16. -35. 1 Cor. I, 29.
-36. Littéralement : « Les paroles dû cette vie. » Act, V. 20.
-39. Stapfer, discours prononcé devant la Société biblique.
-40. 1 Tim. V, 8. « Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il a renié la foi, et il est pire qu'un infidèle. »
-41. Jean X, 10. -42. Marc IX, 33, 34. -43. Jean III, 19, 21.
-44. Col. 1. 28. -45. 2 Cor. V, 17; 2 Jean 10, etc.
NOTE A
Ce point est un peu obscur peut-être, mais il est capital. Noblement asservi à la loi de l'unité, notre esprit, qu'il s'en rende compte ou non, cherchera inévitablement un centre auquel il puisse rapporter son existence morale; et faute de le prendre où Dieu l'a mis, dans la personne de son Fils, il le prendra dans quelque autre objet choisi d'après sa personnalité propre : tantôt dans un dogme, tel que la justification par la foi ou l'élection de grâce; tantôt dans un précepte, tel que la vie de renoncement ou l'activité de l'évangélisation ; tantôt peut-être, que sais-je ? dans un article plus individuel encore, et moins capital en proportion, tel que la doctrine, si ce n'est la discipline de la cène, ou le rapport normal de l'Église à l'État. Mais faisons l'hypothèse la plus favorable : que ce centre moral ne soit pris que dans un côté vital, essentiel de l'Évangile. Même alors, ce point spécial et privilégié absorbant nos regards au préjudice du reste, nous porterons dans notre domaine spirituel une perturbation semblable à celle que portaient dans le monde physique ces astronomes anciens qui donnaient leur habitation pour centre à tout le mouvement céleste. Au fond, chacun se fait toujours son Christ; si ce n'est le véritable, c'en sera un autre, et l'équilibre sera rompu; ce précieux équilibre, si merveilleusement gardé dans les Écritures, et sans lequel la piété la plus sincère ne sera pas exempte d'un certain air étroit ou exclusif, également préjudiciable à notre développement personnel et à notre influence au dehors.
NOTE B
C'est quand la prédication sera conçue dans cet esprit, que notre Évangile sera tout à la fois le plus spirituel et le plus exact : le plus spirituel, car entre la personne vivante de Jésus-Christ et nous, il n'y a de communication possible que par l'intermédiaire du Saint-Esprit ; mais aussi le plus exact, car la doctrine n'est jamais plus nette, plus ferme, que lorsqu'elle se fond dans les réalités de l'histoire et de la vie. C'est alors que notre Évangile sera tout à la fois le plus populaire et le plus philosophique : le plus populaire, car les choses spirituelles prennent de la vie et presque du corps dans la personne de Jésus-Christ, et assurément, le Christ vivant, allant, parlant, mourant, sa parole pour toute doctrine, son exemple pour toute morale, sa mort pour toute rédemption, trouvera plus d'accès dans la tête d'un enfant que les droits de la loi divine, ou le péché originel. ou la justification par la foi ; mais en même temps le plus philosophique, car quel est le problème éternel de la philosophie, si ce n'est le fond réel des choses, l'unité substantielle, l'être en soi, c'est-à-dire la vie ? et quelle vie plus vivante (je ne sais pas d'autre mot) que celle qui nous apparaît en Jésus-Christ, sortant toute faite du sein du Père, sans avoir suivi le chemin du système et subi l'élaboration rapetissante de l'esprit humain ? C'est alors enfin que notre Évangile sera tout à la fois le plus saisissant pour le coeur et le plus lumineux pour l'intelligence : le plus saisissant, car rien ne remue comme la vie, rien n'attache le coeur comme la personne réelle, surtout quand cette personne est celle du plus aimant et du plus aimable de tous les êtres ; mais en même temps le plus lumineux, car toute lumière véritable suppose la vie et procède de la vie, selon cette parole profonde de notre apôtre, qui en complète une autre déjà citée : « En elle était la vie, et la -vie était la lumière « des hommes. » remarquez-le bien, c'est la vie qui fait la lumière, Don la lumière qui fait la vie.