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 LE PLAN DE DIEU

1850

 

SERMONS

par

ADOLPHE MONOD

 

TROISIÈME ÉDITION

TROISIÈME SÉRIE

 

G. FISCHBACHER, ÉDITEUR 33, RUE DE SEINE, 33

1881

octobre 1999

  


« Je connais, ô Éternel, que la voie de l'homme ne dépend pas de lui, et qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme qui marche de diriger ses pas. » (JÉRÉMIE X, 23.)

TEXTES PARALLÈLES (1)

« Les pas de l'homme sont conduits par l'Éternel, et il prend plaisir à ses voies. » (Ps. XXXVII, 23.)
« Le coeur de l'homme délibère de sa voie, mais l'Éternel conduit ses pas. » (Prov. XVI, 9.)
« Les pas de l'homme sont de par l'Éternel : continent donc l'homme entendra-t-il sa voie ? » (Prov. XX, 24).

Après cette faiblesse de la chair qui nous empêche d'accomplir la sainte loi de Dieu (2) , il n'y a rien de plus amer que l'impuissance de notre volonté pour réaliser les plans de vie que nous avons conçus. Peut-être même le regret de ne pouvoir pas ce que nous voulons a-t-il quelque chose de plus poignant que le repentir de n'avoir pas fait ce que nous devions, parce que ce regret, ayant un caractère moins précis et moins moral que le repentir, laisse moins de prise à l'Evangile soit pour accuser le mal, soit pour le réparer. Tel contemple avec paix, quoique avec une paix humide de douleur et d'amour, les péchés de sa vie expiés par le sacrifice de la croix, qui ne s'est point encore résigné à sa carrière entravée, à ses dons naturels sans emploi, à ses espérances de fortunes détruites, que sais-je ? à moins que cela peut-être, à une alliance, à une place, à une faveur, qu'il a recherchée sans l'obtenir.

L'amertume de ce regret n'est pas seulement dans la valeur que l'on attachait aux objets de cette poursuite infructueuse : elle est encore, elle est surtout dans la stérilité même de la poursuite. Pour un esprit tel que le nôtre, capable de résoudre avec fermeté et d'agir avec énergie, il y a un mécompte cruel à voir échouer ses plans, jusqu'aux plus louables, et à trouver un rocher de Sisyphe dans presque chacune des pierres, grandes ou petites, qu'il s'évertue à rouler contre le penchant de la montagne. Averti par tant de tristes expériences, l'homme se prend enfin à douter de lui-même ; ce qui est la plus grande des humiliations, et tout ensemble le plus grand des malheurs. Car la confiance est la condition de la force; et comme c'est une foi imperturbable au succès qui fait les hommes puissants dans tous les genres, c'est le désespoir de réussir qui fait les hommes faibles et timides dont la société est remplie, je voudrais n'avoir pas à ajouter, et les chrétiens faibles et timides dont l'Église est embarrassée.

Eh bien, ce sentiment de notre impuissance, voici un grand penseur, un grand saint, un grand prophète, qui le partage, mais pour le relever. Au lieu de déplorer seulement dans cette impuissance une chose qui est, Jérémie y reconnaît, en même temps une chose qui doit être : « Je connais, ô Éternel, que la voie de l'homme ne dépend pas de lui, et qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme qui marche de diriger ses pas. » Je connais, littéralement, j'ai connu : voilà le langage de la réflexion; ô Éternel : voilà le ton de la prière; l'impuissance qui vous trouble est pour Jérémie une vérité d'expérience et de foi. Ce n'est pas que cette vérité ne soit, pour lui aussi, mêlée d'amertume. c'est du sein même de l'amertume qu'elle lui apparaît, dégagée qu'elle est des menaces que Dieu lui met à la bouche contre ses concitoyens (3).
C'est à la vue de la tente de Juda détruite et de ses enfants emmenés captifs, c'est au bruit des pas de l'ennemi descendant du pays d'Aquilon pour réduire les villes de Juda en désert, que Jérémie, personnifiant en lui-même tout son peuple, laisse échapper d'abord cette plainte : « Ma plaie est douloureuse , mais quoi qu'il en soit, c'est une maladie qu'il faut que je souffre; » après quoi il s'arrête, comme s'il se reprenait, et se recueille dans cette expression plus tranquille de son profond abattement : « Je connais, ô Éternel, que la voie de l'homme ne dépend pas de lui, et qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme qui marche de diriger ses pas. » Mais, au travers de cet abattement, ne discernez-vous pas un fond de paix et d'espérance? Ce Dieu entre les mains de qui nous sommes, c'est un Dieu rempli d'une miséricorde qui pénètre jusqu'à ses jugements les plus rigoureux sur les siens. Aussi le saint prophète se repose dans le sentiment que c'est Dieu qui nous conduit, et non pas nous-mêmes; il s'y repose, jusque sous les coups de sa verge sévère, mais toujours paternelle pour qui s'attend à lui : « 0 Éternel, châtie-moi, mais avec mesure et non dans ta colère, de peur que tu ne me réduises à néant » Puis, en prophète fidèle, qui dans sa vie et dans ses douleurs individuelles , recueille, comme autrefois David et Salomon, des expériences salutaires pour tout le genre humain, il transmet aux races futures, comme un gage d'humiliation et d'encouragement tout ensemble, cette maxime céleste : L'homme accomplit dans la vie, non son propre plan, mais celui de Dieu, qui triomphe toujours à la fin. Entrons plus avant dans sa pensée.

Créature intelligente et responsable, je sais me proposer un but et prendre des moyens pour y atteindre. C'est ainsi que je me fais un plan pour le développement de mes facultés, pour le choix de ma carrière, pour l'éducation de nia famille, pour la conduite de ma maison. Mais, pour être capable de vouloir et d'agir, je ne dispose cependant à mon gré ni des choses, ni des événements, ni de moi-même; et si parfois mes plans réussissent , souvent aussi, le plus souvent, ils échouent. Cette faiblesse inhérente à mon action y entretient quelque chose de manqué, par où ma vie réelle contraste péniblement avec ma vie idéale. C'est à ce moment qu'intervient Jérémie, pour me découvrir, dans ce désordre de mon plan, un ordre se rapportant à un plan supérieur, celui de Dieu pour moi : plan de perfection, qui vaut mieux que le mien, soit dans l'intérêt général, soit aussi dans mon intérêt personnel; plan de puissance, qui s'accomplit infailliblement, quelles que puissent être les destinées et les vicissitudes du mien; plan de contrôle, passez-moi l'expression, qui domine souverainement le mien, et qui au besoin le corrige. Alors, ce qui s'appelait revers dans mon plan, prend le nom de succès dans celui de Dieu; à peu près comme dans ces tableaux en tapisserie qui se peignent par derrière, les fils colorés que l'ouvrier tisse d'une main docile n'offrent à l'oeil qu'une confusion inextricable, jusqu'à ce qu'ils soient vus par leur vrai côté, qui est celui de l'artiste - le plan de l'homme n'est que l'envers de la vie, celui de Dieu en est l'endroit. Prise dans ce point de vue, mon action n'est jamais sans règle ni sans fruit; car j'accomplis toujours le plan de Dieu, le sachant ou non, disons plus, le voulant on non. Si je marche d'accord avec Dieu, je réussis, et j'accomplis son plan, tout en pensant peut-être n'accomplir que le mien; si je marche en opposition avec lui, j'échoue, mais j'accomplis encore son plan, par le renversement même du mien, et faute de le servir par mon obéissance, je le sers par ma désobéissance elle-même; car « toutes choses le servent (4). »

Sommes-nous donc quiétistes, ou fatalistes? Sommes-nous quiétistes? et sous prétexte que Dieu peut tout ce qu'il veut, méconnaissons-nous l'action de l'homme, et demandons-nous qu'il attende, les bras croisés, le développement du plan divin ? Loin de nous cette pensée L'homme peut beaucoup, probablement plus qu'aucun de nous n'a jamais ni réalisé ni conçu : ce laisser-aller serait donc chez lui l'abandon du plus glorieux privilège, en même temps que des plus saints devoirs. Mais, par un mystère que nous ne saurons jamais ici-bas pénétrer jusqu'au fond, l'action humaine a son libre jeu dans le vaste sein de la volonté divine, qui l'isole, et, si j'ose ainsi dire, la respecte, tout en la contrôlant. Ou bien, sommes-nous fatalistes ? et sous ombre que Dieu dispose souverainement de l'univers, nions-nous la liberté de l'homme, avec sa responsabilité morale qui en dépend? Encore moins.
Nier la liberté de l'homme, le supposer contraint dans sa désobéissance, ou même dans son obéissance, ce serait renverser le fondement de toute la morale, de toute la religion, plus spécialement de la religion chrétienne. Mais, par un second mystère plus impénétrable encore que le premier, la liberté humaine s'allie, sans s'aliéner, à la souveraineté divine, qui la contient sans la contraindre, et la dirige sans la déterminer. N'entrons pas plus avant dans ce double problème, que la philosophie a toujours trouvé insoluble, et que l'Ecriture elle-même a laissé irrésolu. Constater, comme des faits coexistants, tout contradictoires qu'ils paraissent, l'action réelle de l'homme et la toute-puissance de Dieu, la pleine liberté de l'homme et la souveraineté absolue de Dieu, c'est tout ce que nous pouvons faire. Aussi bien, c'est une assez glorieuse prérogative, pour un être créé, que d'avoir été fait capable du vouloir et du devoir, sans prétendre absorber dans son initiative empruntée l'initiative créatrice d'où elle émane. Quoi qu'il en soit, je me trouve dépendre à la fois de deux plans dont les secrets rapports m'échappent, le plan de Dieu et mon propre plan. Mais le premier de ces plans s'accomplissant infailliblement, ou avec l'autre, ou sans l'autre, ou contre l'autre, le domine toujours, sans l'écraser jamais; ce que l'on ne saurait exprimer ni avec plus de concision, ni avec plus de vérité, que l'a fait Salomon : « Le coeur de l'homme délibère de sa voie, mais l'Éternel conduit ses pas (5). »

L'expérience achèvera de nous éclaircir cette doctrine profonde. L'histoire des peuples, celle des grands hommes, celle de tous et de tous les jours, révèlent également à l'observateur attentif un plan de Dieu, décidant de tout, sans porter atteinte à l'action libre de l'homme.

De tous les peuples, celui qui me fournirait l'exemple le plus décisif, ce sont les Israélites. Leur histoire, où la direction de Dieu est rendue plus sensible qu'ailleurs par l'alliance qu'il a traitée avec eux, et plus visible par les révélations de sa Parole , met dans une égale lumière leur liberté, dont ils n'usent guère que pour traverser les desseins de la miséricorde céleste, et la souveraineté de Dieu, qui les emploie, jusque dans le jour de Golgotha, « pour faire toutes les choses que sa main et son conseil avaient auparavant déterminé devoir être faites (6). » Mais, pour prendre un exemple moins cité, contemplons cette ville étonnante qui a servi tour à tour de centre politique au monde ancien, et de centre religieux au monde moderne, et qui, aujourd'hui même que son étoile a pâli, possède encore, elle vient de le prouver, la redoutable prérogative de ne pouvoir ressentir de secousses intérieures qui n'aient leur contre-coup dans toute la chrétienté. Si jamais il y eut quelque part l'apparence d'un plan appartenant à l'homme, c'est dans Rome païenne, étendant de peuple à peuple le réseau d'une domination politique, qui parut longtemps douée du privilège unique de s'affermir en se développant; ou dans Rome chrétienne, étendant d'Église à Église le réseau plus subtil d'une domination religieuse, qu'on vit tour à tour, que dis-je ? qu'on vit presque en même temps et dans les mêmes lieux énergiquement repoussée et mollement subie, sinon recherchée.
Et pourtant, quand on y regarde de plus près, on découvre comme à l'oeil, dans tout ce qui est arrivé à l'une et à l'autre Rome, les marques d'un plan qui n'est point né du cerveau d'un homme, et qui prend dans une région plus haute son point de départ et d'appui. Il faut laisser à un écolier traduisant son De Pris illustribus, ou aux disciples prévenus d'un catéchisme intéressé, ce point de vue sans portée historique qui prête aux premiers consuls de Rome païenne le plan d'un empire universel, ou aux premiers évêques de Rome chrétienne celui d'une Église à la fois romaine et oecuménique. L'un ou l'autre plan était en voie d'exécution depuis des siècles, quand il commença de se révéler, dirai-je ? ou de s'imposer aux hommes qui ont eu mission de le reconnaître ou de le proclamer. La moitié du monde ou de l'Église était au pouvoir de Rome, avant qu'un Jules César ou un Grégoire VII songeât à se rendre maître de l'autre; et la vue de ce qui avait été fait a seule pu suggérer, même à leur ambition et à leur génie, la pensée de ce qui restait à faire. Ce ne sont pas les hommes qui ont fait le plan, c'est le plan qui a fait les hommes: ces hommes n'ont eu d'autre gloire que d'obéir avec intelligence à une direction que beaucoup d'autres avaient suivie sans la comprendre. Avec plus d'intelligence encore, ils auraient redit, chacun à sa manière, ce que dit Jérémie dans mon texte, en attendant que cette parole profonde fût vérifiée par le dernier des Césars, assistant au dernier jour de la Rome impériale, ou qu'elle le soit ci-après par le dernier des papes, assistant à cette chute terrible de la Rome pontificale, que la chrétienté spirituelle attend pour régner avec son roi Sauveur : « Je connais, ô Éternel, que la voie de l'homme ne dépend pas de lui, et qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme qui marche de diriger ses pas (7) »

Resserrons le champ de notre observation. Contemplons un de ces hommes que le monde honore du nom de grands, pour la longue trace qu'ils laissent après eux sur la terre. Lorsqu'on a, de nos jours, dépeint les grands hommes comme obéissant fatalement à l'esprit de leur siècle qu'ils résumaient, on avait perdu de vue la volonté et la liberté humaine; mais cette erreur même dit assez combien est visible dans la vie de ces géants de l'histoire, à côté et comme au-dessus de leur action propre, un plan dont elle relève, et qui, plus que tous les leurs, les fait être ce qu'ils sont. Ôtez à un grand homme son pays, son époque, son éducation, son entourage, toutes choses qui ne dépendent pas de lui, et vous lui ôtez les éléments essentiels de sa grandeur. Pour ne rien dire que des hommes religieux, rappelez-vous comment ont été préparés ces instruments de Dieu qui ont imprimé une impulsion nouvelle aux affaires de son règne, un Moïse, un Samuel, un saint Paul, un saint Augustin, un Luther, un Whitfield : puis, dites si le plan réalisé par chacun d'eux est de lui-même ou de Dieu. Si ma pensée ne vous est pas encore bien sensible, prenons un exemple, Moïse, le premier homme bien connu que nous présente l'histoire de la religion.

Quoi de plus libre, de plus énergique, de plus individuel que Moïse, aux prises tour à tour avec le roi d'Égypte dont il brave la colère, avec Israël dont il surmonte les résistances opiniâtres, avec le désert dont il féconde la stérilité, avec 'lé ciel même dont il désarme la vengeance; Moïse, cet homme multiple, à la fois souverain, prophète, sacrificateur, libérateur, pourvoyeur, législateur, réformateur et fondateur d'un peuple nouveau, - et de quel peuple, et dans quel temps! Mais, pensez-vous que le plan exécuté par Moïse fût de lui? Eh qui pourrait attribuer un tel plan à l'esprit d'un homme, sans folie ou sans impiété ? Il était si peu de Moïse que, lorsqu'il lui fut proposé de Dieu, Moïse commença par s'y refuser obstinément, en s'excusant sur sa timidité naturelle et sur sa parole embarrassée (8).
Le plan de Moïse n'était, et ne pouvait être, que de ce Dieu qui, avant de le proposer à Moïse, avait préparé Moïse pour l'accomplir durant tout le cours des deux premiers tiers de sa vie : quatre-vingts ans d'éducation pour une activité de quarante années, « est-ce là la manière d'agir des hommes (9) » ou de celui qu'un Père de l'Église a si bien défini : « patient parce qu'il est éternel ? » Nourri dans le palais de.) ces mêmes Pharaons au joug desquels il devait soustraire son peuple, et là, mis en contact journalier avec cette double puissance des rois et des prêtres contre laquelle il devait lutter dans le temps de Dieu, Moïse s'instruit aussi directement pour une carrière dont il ne sait rien, qu'un soldat se forme au métier de la guerre par les exercices quotidiens de l'art militaire (10) : en voilà pour quarante ans. Puis, après une courte visite faite à ses frères, il s'en va ajouter aux quarante années passées à interroger l'Égypte, quarante autres années passées à étudier le désert, conduisant les troupeaux de Réhuel par ces mêmes chemins où il devait un jour conduire ceux du Seigneur (11). C'est dans une de ces excursions nomades, c'est au pied de la montagne de Sinaï, c'est parvenu à cet âge de quatre-vingts ans qu'il assigne lui-même « aux plus vigoureux (12), » que Moïse, croyant peut-être toucher au terme d'une carrière qu'il gémissait de n'avoir pu rendre utile à son peuple, apprend enfin à connaître le but de sa vie passée , qui l'avait préparé pour Israël, pour l'Égypte, pour le désert, pour tout, - excepté pour Canaan, où Dieu savait qu'il ne devait pas entrer. Ah quand, à la vue de cette même Canaan et après les quarante ans de son vrai travail achevés, Moïse s'endormit en Dieu, de quel coeur jugez-vous qu'il lui aura dit dans ses dernières prières - « Je connais, ô Éternel, que la voie de l'homme ne dépend pas de lui, et qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme qui marche de diriger ses pas ? »

Rapprochons-nous encore. Venons à la vie de tous et de tous les jours, et à cette vie prise dans ce qu'elle a de plus inhérent à notre personne et à notre action : quelle part réelle vous revient-il dans l'arrangement de votre vie domestique? A commencer par le commencement, un proverbe populaire vous apprendrait à lui seul par combien de côtés l'union conjugale la mieux combinée échappe, non seulement au contrôle de l'homme, mais à ses prévisions mêmes : la vie, la santé, la famille, les ressources, que dis-je? la sympathie et la tendresse mutuelle, de combien de choses dépendent-elles, qui ne dépendent guère plus de notre volonté « que le sort jeté au giron » dont « la décision est de par l'Éternel (13)? » Mais, arrêtons-nous à ce qui en dépend le plus l'éducation de nos enfants.

Voici un fils qui vient de me naître. J'exerce sur lui, après Dieu, la plus grande puissance matérielle, intellectuelle, spirituelle, qui soit au monde. On dirait qu'il va devenir ce que je voudrai le faire, à part l'imprévu, - oui, à part l'imprévu (14) ; mais que cette restriction va loin la France est aujourd'hui ce qu'elle était il y a deux ans, à part l'imprévu ; - mais quand, de cet idéal d'un fils formé par vos soins, pour une carrière de votre choix, vous passez à la réalité, quelle chute Hélas! l'humiliante distinction de la théorie et de la pratique, où est-elle plus humiliante qu'en éducation ? Où la théorie est-elle plus libre, plus expansive, plus confiante en soi-même, plus sévère envers autrui; et la pratique ?... Mais admettons une éducation modèle, telle que nous la rêvions, vous ou moi, le jour que Dieu nous fit don de notre premier enfant : activité, fidélité, prudence, travail, sacrifices, piété, prières, exemples, rien n'aura manqué. Même alors, que de conditions où vous ne pouvez rien veulent être réunies pour l'heureux développement de ce fils, objet de tant d'amour et de tant de sollicitude Sa santé: un tempérament délicat, une conformation mal prise, une voix grêle, l'ouïe dure, la vue basse, en voilà assez pour entraver tous vos projets; - ou bien non, forcez la nature, jusqu'à ce qu'un vaisseau rompu dans la poitrine, ou les fibres du cerveau distendues, viennent anéantir toutes vos espérances... Ses facultés intellectuelles : une certaine mesure d'aptitude est nécessaire pour tout travail, et cette mesure n'est pas en tous. Votre enfant, se forçant pour vous plaire, languira peut-être sur la tâche à laquelle vous l'avez condamné, jusqu'au jour où, tardivement convaincu de votre erreur, vous lui laisserez suivre sa vocation propre ; le voici qui revit, qui devient un autre homme, qui l'emporte sur ses concurrents, seulement parce qu'il a échappé à votre plan pour entrer enfin dans celui de Dieu.

Ses dispositions morales : ici encore vous n'êtes pas maître absolu. Au lieu d'un enfant qui veut et ne peut pas, c'est un enfant qui peut et ne veut pas, un fils paresseux qui fait honte, » sur lequel vous épuisez toutes les voies d'avertissement, de supplication, d'exhortation, de châtiment, mais sans fruit, - le fruit, si vous êtes fidèle, viendra dans le temps de Dieu (15); mais après que Dieu vous aura bien fait voir qu'il est seul Dieu, et que vous ne tenez pas même dans vos mains le coeur de cet enfant que vous dirigez « dès le sein de sa mère. » Et sa vie? - vraiment j'oubliais sa vie, - sa vie, hélas coupée peut-être dans sa racine, au moment où l'éducation commence; ou bien, deux fois hélas! coupée dans sa fleur, au moment que l'éducation finit... Et l'occasion ? et l'entourage ? et l'exemple ? et les camarades ? et les maîtres ? et la fortune ? et la localité ? et l'esprit de l'époque ? et la législation du pays? et l'organisation de l'instruction publique, que vous blâmez peut-être, et que vous suivez en dépit de vous ? Où est l'homme assez insensé pour se flatter de fixer l'avenir de son fils ? Que d'éducations qui trompent toutes les prévisions ! les unes, échouant malgré les précautions prises, et où ces précautions mêmes semblent nuire; les autres, réussissant malgré les précautions négligées, et où cette négligence même semble avoir provoqué un développement plus individuel et plus vrai Est-ce à dire qu'il faille tout abandonner au hasard des événements, sous prétexte de laisser faire à Dieu? Non, sans doute : il faut n'avoir rien à se reprocher; il faut même redoubler de vigilance et de sagesse, par la pensée de travailler à un plan qui est de Dieu; mais, après tout, l'éducation, ce champ de la plus grande puissance de l'homme, est aussi celui de sa plus grande impuissance, et il n'y a personne sur la terre de mieux instruit à redire la leçon de Jérémie que le père d'une nombreuse famille, entrant, comme Moïse, dans son repos, en présence de cette Canaan inconnue où s'aventure la génération qui le suit : « Je connais, ô Éternel, que la voie de l'homme ne dépend pas de lui, et qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme qui marche de diriger ses pas »

Désormais, la maxime de notre prophète, tour à tour proclamée par les Écritures, conciliée avec la saine philosophie, suivie dans tout le cours de l'expérience humaine, et je pourrais ajouter, passée en dicton populaire: L'homme propose et Dieu dispose, nous apparaît sans contestation possible , et sans autre obscurité que celle qui demeure au fond de toutes les grandes questions morales. Les plans humains sont dominés par un plan divin, qui s'accomplit dans l'homme sans porter atteinte à sa volonté efficace; ni surtout à sa liberté morale. Mais il y aurait peu d'avantage à avoir établi cette doctrine, si nous ne montrions l'usage que le chrétien en doit faire dans la conduite de la vie. Ce sera l'objet du reste de ce discours, dont nous abordons ici le point vivant et capital. Que l'Esprit de Dieu nous soit en aide

Le chrétien n'a pas de moyen plus simple, ni tout ensemble plus sûr, d'entrer dans l'esprit d'une doctrine révélée, que de la contempler mise en action par « Jésus-Christ venu en chair, » cet homme type, en qui toutes les grandes vérités invisibles ont revêtu un corps visible et reçu le souffle de la vie. C'est donc en lui qu'il faut rechercher, disons mieux, qu'il faut regarder comment doit être pratiquée la maxime de Jérémie, devenue la maxime de Jésus, le prophète des prophètes et le saint des saints.

Nul autre n'a réalisé plus complètement que Jésus la pensée de mon texte. Nul autre ne s'est plus exactement réglé sur le plan divin - Jésus ne fait rien, ne peut rien faire de lui-même (16); il n'annonce pas sa doctrine, mais la doctrine du Père qui l'a envoyé (17); il ne cherche pas sa gloire, mais la gloire du Père qui l'a envoyé (18) ; il n'accomplit pas sa volonté, mais la volonté du Père qui l'a envoyé (19); il ne dit que les choses que le Père lui a dites, il ne fait que les choses que le Père lui a commandées (20). Nul autre aussi n'a été plus visiblement préparé de Dieu pour l'exécution d'un plan divin : la tribu de Jésus, sa parenté, sa naissance, Bethléem et son étoile, les bergers et les mages, la fuite en Égypte et la retraite à Nazareth, le baptême de Jean et la tentation du désert, tout est arrangé par la main paternelle; de préparation humaine, de plan humain, il n'y en a pas trace dans la vie de Jésus.

Et pourtant, en nul autre la volonté de l'homme ni sa liberté n'ont relui plus clairement qu'en Jésus. Ce même plan qui vient de nous apparaître comme n'appartenant qu'au Père qui l'a conçu, nous apparaît également comme n'appartenant qu'au Fils qui l'exécute. Du commencement à la fin, dès avant sa naissance et jusqu'après sa mort, Jésus ne fait rien qu'il ne veuille faire. S'il naît dans la race humaine, c'est qu'il l'a voulu : « Étant en forme de Dieu, il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme d'un esclave, ayant été fait à la ressemblance des hommes (21). » S'il meurt comme un homme, c'est qu'il l'a voulu : « Étant trouvé quant à la figure comme un homme, il s'est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix (22). » Que dis-je? S'il est ressuscité d'entre les morts, c'est qu'il l'a voulu : « Je laisse ma vie pour la reprendre ; personne ne me l'ôte, mais je la laisse de moi-même; j'ai le pouvoir de la laisser et j'ai le pouvoir de la reprendre (23); » et ce témoignage, le plus éclatant qu'il ait rendu de sa puissance propre, il le termine, chose étrange par ces mots qui semblent le contredire : « J'ai reçu ce commandement de mon Père. »

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-1. Le prédicateur rencontre parfois, en méditant sur sa matière, des passages de l'Ecriture propres à confirmer ou à éclaircir celui qui lui sert de texte, mais qu'il ne trouve pas l'occasion de développer dans son discours. Ce sont ces passages que je range sous le titre de Textes parallèles.
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-2. Rom. VIII, 3.
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-3. Par cette double relation du prophète, où semble se refléter la double nature du Fils de Dieu, ce prophète des prophètes, Jérémie représente à la fois Dieu auprès de son peuple et son peuple auprès de Dieu. C'est pour cela qu'on le voit, tour à tour, s'identifier tellement avec le Dieu qui parle par lui, qu'il épouse sa juste vengeance, et avec le peuple dont il est la chair et le sang, qu'il croit souffrir lui-même tous les maux dont il le menace. De là ce merveilleux dialogue, où la parole passe, sans transition indiquée, de celui qui frappe à celui qui est frappé (de 18 à 19, 20; de 21, 22 à 23, 25), Jérémie s'effaçant, tantôt devant le Dieu qu'il annonce, tantôt devant le peuple qu'il personnifie.
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-4. Ps. CXIX, 91.

-5. Prov. XVI, 9.

-6. Actes IV, 28.
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-7. Ps. XXXIII, 10, 11; Prov. XIX, 21.
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-8. « Or cet homme, Moïse, était fort doux, et plus que tous les hommes qui étaient sur la terre. » (Nomb. XII, 3.)
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-9. 2 Sam. VII, 19.
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-10. « Et Moïse fut instruit dans toute la science des Égyptiens, et il était puissant en paroles et en actions. » (Actes VII, 22). C'est probablement à la fin de ces quarante ans que Moïse commença de pressentir sa mission (v. 25).
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-11. Es. LXIII, 11, etc.

-12. Ps. XC, 10.

-13. Prov. XVI,
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-14. Ce discours a été prononcé le 13 janvier 1850.
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-15. Prov. XXII, 6.
 

-16. Jean VIII, 28; V, 30.
 

-17. Jean VII, 16.
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-18. VII, 18; VIII, 50.

-19. V, 30.

-20. VIII, 28, 29, 38, XII, 49, 50, etc.
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-21. Phil. II, 6, 7.

-22. Phil. II, 8.

-23. Jean X, 17, 18.

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