Cellule 33
Noël, 24 décembre
1944.
QUE LA GRÂCE ET LA PAIX NOUS SOIENT
DONNÉES DE LA PART DE CELUI QUI EST, QUI
ÉTAIT ET QUI VIENT ! AMEN.
Écoutons le message de Noël, tel
qu'il est contenu dans
Luc 2: 10-12:
« Ne craignez
point ; car je vous annonce une bonne
nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet
d'une grande joie : c'est qu'aujourd'hui, dans
la ville de David, il vous est né un
Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici
à quel signe vous le
reconnaîtrez : vous trouverez un enfant
emmailloté et couché dans une
crèche. »
Célébrer Noël dans la
captivité est chose plutôt triste.
Cela se comprend aisément. Aussi, chaque
année, sommes-nous heureux de pouvoir
dire : les fêtes sont
passées !... Rien de plus naturel,
puisqu'aucune fête de l'année ne nous
émeut autant et n'évoque autant de
souvenirs très chers et très
personnels, n'éveille aussi fortement la
nostalgie de tout ce qui nous a été
pris. Il arrive donc qu'en ces jours-ci nous nous
sentions peu sûrs de nous-mêmes, et que
nous craignions de perdre contenance. Nous risquons
de nous laisser gagner par l'amertume, sous le
poids qui nous accable, et de nous insurger contre
notre sort. Une foule de sentiments contradictoires
se combattent dans notre for intérieur. Nous
en venons à nous
réjouir de voir la monotonie des jours
ordinaires reprendre son cours et s'apaiser les
vagues des impressions qui nous ont
troublés.
Dans ces conditions, il reste peu de place
pour la joie du coeur telle que nous l'avons
éprouvée naguère pendant les
jours de Noël et qui remplissait nos
âmes de clarté et de gratitude. Nous
sommes bien « le peuple qui marche dans
les ténèbres », selon le
mot du prophète, des hommes ballottés
de la crainte à l'espérance et qui,
au bout du compte, ne peuvent rien de mieux que de
laisser les choses suivre leur cours.
Voici pourtant que l'antique nouvelle
retentit à nos oreilles, l'Évangile
de Noël contenu dans le message que les anges
ont adressé aux bergers, l'histoire
touchante de l'enfant couché dans la
crèche et qui doit apporter au peuple tout
entier allégresse et salut. Les
siècles y ont puisé consolation,
joie, espérance. Or il semble aujourd'hui
que le temps de la grâce soit révolu,
que nos oreilles n'en perçoivent qu'un
écho lointain, trop faible pour
émouvoir des coeurs humains. Si nous
demandons d'où elle vient, nous recevons la
réponse lourde de sens : L'homme s'est
habitué à vivre sans Dieu.
Entendons-nous bien, chers amis ; je ne
vise pas les gens qui se disent
« Sans-Dieu », qui pour des
raisons soi-disant scientifiques, philosophiques ou
politiques déclarent : « Il
n'y a pas de Dieu », et dont nous ne
sommes pas. Non, je pense à
nous-mêmes, qui sommes ici présents,
qui avons gardé l'habitude de commencer et
de finir notre journée dans la
prière, mais à qui Dieu paraît
si lointain qu'il ne semble plus s'occuper du tout
de notre planète. N'aurait-il pas, en effet,
abandonné notre monde à
lui-même, afin que les hommes
l'anéantissent totalement ? Il s'en
faut de peu que le doute nous assaille : Dieu
se soucie-t-il vraiment de moi, pauvre, et
chétif petit être humain, alors que
des centaines de milliers et des millions
périssent lamentablement ? N'est-il pas
insensé et paradoxal de le croire ?
Quand de telles pensées s'imposent à
nous, il nous arrive de dissocier
l'idée de Dieu de notre vie quotidienne.
Nous ne voyons plus que les hommes et les
circonstances terrestres, desquelles seules nous
faisons dépendre nos espoirs et nos
craintes. Voilà l'état d'esprit que
j'appelle une « vie sans
Dieu », qui nous empêche de trouver
consolation, joie et espérance dans les
récits de Noël, comme le firent nos
pères.
Mais c'est précisément dans
cette détresse que la bonne nouvelle de
Noël apporte son secours, si du moins nous lui
prêtons une oreille attentive et si nous
l'acceptons comme la parole que nous adresse le
Dieu vivant et que nous allons méditer.
Voici donc l'enfant couché dans la
crèche. Poètes et peintres l'ont
chanté ou représenté dans
leurs oeuvres, et dès les jours de notre
enfance nous le, voyons auréolé et
transfiguré par le reflet romantique que
l'art et la poésie humaine ont
projeté sur l'étable de
Bethléem.
Le réalisme du message
évangélique ignore cette
atmosphère de féerie. Dans l'annonce
faite aux bergers, il n'y a que l'indication de
deux signes qui sont deux traits
caractéristiques de cet enfant et de sa
destinée : il est
« emmailloté » et
« couché dans une
crèche ». Bien de plus. Qu'est-ce
que cela signifie pour nous ? Tout d'abord,
l'enfant couché là, enveloppé
de ses langes, est aussi faible et
désarmé que n'importe quel enfant
venant au monde ; sa mère doit en
prendre soin afin qu'il ne dépérisse
pas, l'emmailloter et le nourrir afin qu'il ne
meure ni de froid ni de faim. Ces langes sont un
signe précurseur de la vie de l'homme dont
on dira plus tard : « Il a
sauvé les autres et ne peut se sauver
lui-même ». Quant à la
crèche, elle n'est pas davantage un attribut
plastique destiné à mettre en relief
la poésie de la nuit de Noël. Elle est
également un signe, le signe de l'enfant
sans feu ni lieu :
« Il n'y avait pas de place à
l'hôtellerie. » Cela aussi est un
indice précurseur : cet enfant
deviendra l'homme qui dira de lui-même :
« Les renards ont des tanières, et
les oiseaux du ciel ont des nids - mais le Fils de
l'homme n'a pas où reposer sa
tête. » Tels sont les signes
donnés aux bergers et à
nous-mêmes.
Si, maintenant, nous essayons d'aller au
fond des choses et que nous demandions ce que
signifie pour nous cet état de faiblesse et
d'abandon de l'enfant Jésus, nous
commençons à percevoir la vraie bonne
nouvelle : Dieu, le Dieu infiniment riche et
tout-puissant, descend dans la misère
humaine la plus extrême qui se puisse
concevoir. Il n'y a pas d'homme si faible et
désarmé que Dieu ne puisse, en
Jésus-Christ, venir à lui et
pénétrer jusqu'au coeur de notre
détresse. Il n'y a pas d'homme aussi
abandonné et errant dans ce monde, que Dieu
ne le visite, au plus profond de sa
misère.
Ici il en va tout autrement que dans les
religions inventées par les hommes où
c'est nous qui devons nous mettre en route pour
nous approcher d'une divinité lointaine dont
la majesté trône dans les
sphères inaccessibles vers lesquelles nous
devons nous hisser péniblement sans jamais y
parvenir, faute d'une force suffisante. Ici, c'est
Dieu lui-même qui descend vers nous et
s'occupe de nous. Il ne donne pas sa
préférence aux forts et aux bons,
abandonnant les faibles et les malades à
eux-mêmes et à leur sort. De ces
langes, et de cette crèche vient à
nous l'invitation : « Venez à
moi vous tous qui êtes fatigués et
chargés, et je vous donnerai le
repos ». Ici se réalise la parole
consolante de l'apôtre Paul :
« Vous connaissez la grâce de notre
Seigneur Jésus-Christ qui, pour vous, s'est
fait pauvre, de riche qu'il était.
Voilà ce que le message
chrétien du salut a de très
particulier. Il nous dit : Tu n'as pas
à te mettre en frais pour rechercher Dieu.
Tu ne dois pas t'imaginer qu'il est loin de toi et
ne se préoccupe pas de ce qui t'oppresse. Il
est là, tout proche de toi, dans la
personne de cet homme qui fut un
enfant emmailloté et couché dans la
crèche. Ta détresse lui est si peu
étrangère qu'il s'en est
chargé spontanément afin de la porter
avec toi. Quiconque accepte cela avec foi n'est pas
abandonné, même dans la prison et dans
la mort. Jusque dans les ténèbres les
plus épaisses, il peut dire :
« Tu es avec moi ; ta houlette et
ton bâton me rassurent ».
Mes chers amis, en cette fête de
Noël, cherchons dans l'enfant de
Bethléem celui qui est venu à nous
afin de porter avec nous tout ce qui nous accable.
Nous éprouverons certainement quelque chose
de la grande joie qui nous est annoncée. De
la clarté qui enveloppe les bergers, un
reflet illuminera notre obscurité, car cet
enfant s'appelle : Emmanuel,
c'est-à-dire « Dieu avec
nous ». Oui, Dieu lui-même a
jeté un pont sur l'abîme qui le
séparait de nous ; le soleil levant
nous a visités d'en-haut !
Nous avons considéré un aspect du
message de Noël, et il semble que nous ayons
dit l'essentiel. Mais il en est un autre, dont
l'importance peut être plus grande
encore.
Assurément, quand l'enfant aura
grandi et sera devenu homme, les signes - les
langes et la crèche - continueront à
le caractériser. Il poursuivra son chemin
dans les profondeurs de l'humanité - il sera
un prédicateur itinérant, suivi de
gens simples, tandis que les grands et les savants
seront sceptiques à son endroit, pour autant
qu'ils prêteront attention à lui. Il
sera ce saint étrange qui fraiera avec des
péagers et des gens de mauvaise vie, avec
des prostituées et des lépreux. Il
sera finalement l'homme de douleur, trahi par un de
ses disciples, incompris de tous ses amis,
abandonné de Dieu lui-même. Sa vie
terrestre aboutira à la croix,
c'est-à-dire au gibet :
« Voici l'homme ! » De la
crèche jusqu'au tombeau, toute sa vie sera
un chemin de patience et de
souffrance. Son sépulcre même ne lui
appartiendra pas. Voilà la vie de cet
enfant, telle qu'elle apparaît à nos
yeux.
Mais Dieu a apposé à cette vie
sa propre signature. Il nous fait dire au sujet de
cet enfant : « Aujourd'hui, il vous
est né un Sauveur, qui est le Christ, le
Seigneur ». Cela est plus que la nouvelle
consolante que Dieu se penche sur nous. Il s'agit
de salut, de notre libération d'une
détresse et d'un danger mortels, car le
terme que la Bible traduit par
« sauveur » désigne le
sauveur ou le sauveteur qui vient nous secourir
là où il ne nous est plus possible de
nous aider nous-mêmes.
L'Écriture sainte ne laisse subsister
aucun doute, an sujet de la détresse dont
seul un Sauveur, un Libérateur peut nous
affranchir. Elle parle sans fard du
péché, par où elle entend
notre désobéissance aux saints
commandements de Dieu, la rébellion
orgueilleuse de la créature humaine contre
son Créateur. Elle fait remonter aux
origines de l'espèce humaine cette
corruption du rapport de l'homme avec Dieu et porte
un jugement totalement pessimiste sur tout effort
humain pour remédier à cet
état de choses : « Les
pensées de l'homme sont mauvaises dès
sa jeunesse ». C'est pourquoi tout finit
par la mort et le jugement, car, « le
salaire du péché, c'est la
mort » et Dieu jugera « chacun
selon ses oeuvres ».
Pour constater la vérité de ce
diagnostic, point n'est besoin de parcourir pas
à pas toute l'histoire de
l'humanité : Mieux que tous les
exemples un regard sur notre coeur et sur notre vie
- pourvu qu'il soit sincère - suffit
à nous montrer que nous ne pouvons subsister
un seul instant devant le Dieu saint et devant ses
commandements - qu'au fond toute la misère
de notre vie est méritée, si
toutefois il y a un Dieu dans le ciel et qui exige
notre obéissance à sa volonté
sainte. C'est bien pourquoi la mauvaise conscience
est presque toujours le ressort caché de
tout athéisme grossier ou raffiné.
Pour qui veut se débarrasser de sa mauvaise
conscience et de ses péchés, le
moyen le plus simple n'est-il pas
de nier Dieu, ou de l'oublier, si possible, et de
s'ériger, à la place de Dieu, son
propre législateur et son propre
maître ?
Nul, cependant, ne peut échapper
à la mainmise de Dieu. « Si je
monte aux cieux, tu y es ; si je me couche au
séjour des morts, t'y voilà. Si je
prends les ailes de l'aurore et que j'aille habiter
à l'extrémité de la mer,
là aussi ta main me conduira et ta droite me
saisira. » Il n'existe aucun moyen
d'échapper à Dieu et de fuir son
jugement. Il ne faut donc pas s'étonner si
cette terre devient toujours plus un enfer
où tous sont en lutte contre tous. Ce qui
est étonnant, c'est que dans un tel monde
retentisse le message : « Le Sauveur
vous est né, le Christ vous est
donné ».
Comment s'accomplit le salut promis, comment
s'opère notre libération,
l'Évangile de Noël ne nous le dit pas
encore. Quelques indications nous sont pourtant
données. Ainsi le prophète
(Esaïe 53) en a eu la prescience quand il a
écrit : « Il a porté
nos souffrances, il s'est chargé de nos
douleurs ». Un croyant a formulé
cette parole expressive : « La
Passion de Christ commence avec ses
langes ».
En Christ, Dieu lui-même apporte la
délivrance que nous sommes incapables de
réaliser nous-mêmes ; il ne se
borne pas à se pencher sur nous, il nous
élève jusqu'à lui.
« C'est moi qui efface tes
transgressions, et je ne me souviens plus de tes
péchés ! » Christ,
« Dieu avec nous » est aussi
« Dieu pour nous ». Nous
pouvons nous écrier avec
allégresse :
« Si Dieu est pour nous, qui sera
contre nous ?
Voilà bien un message qui
mérite d'être qualifié de
« grande joie ». Toute crainte
peut se dissiper : « Ne craignez
point, car je vous annonce une bonne nouvelle qui
sera pour tout le peuple le sujet d'une grande
joie ». Cette joie dépasse, bien
sûr, toute explication et
compréhension ; puisqu'il s'agit des
actes de Dieu, comment serions-nous à
même de les comprendre ? Cette joie est
au delà de toute attente et espérance
humaines. Nous ne pouvons que la
recevoir dans l'adoration et dans
la foi. Croire, c'est la posséder.
C'est à des bergers, à des
gens frustes et pauvres que fut annoncée en
premier lieu la nouvelle du Sauveur couché
dans la crèche.
« L'Évangile est annoncé
aux pauvres. » Ils ne nourrissaient
certainement pas d'ambitions
démesurées ni d'espoirs grandioses
pour leur existence terrestre - ils ne
rêvaient assurément pas de la venue
d'un paradis ici-bas. Faire cela, c'est toujours
passer à côté du message
biblique du Christ. Mais quiconque veut se mettre
en règle avec Dieu et chercher la paix du
coeur, peut être assuré du secours que
lui annonce le message de Noël : Dieu est
tout près de toi pour t'aider ;
Jésus-Christ, ton frère et ton
Sauveur, est présent, ne crains pas, crois
seulement !
Et nous, chers amis, qui sommes
coupés du monde extérieur,
spectateurs inactifs des luttes et des convulsions
dont il est le théâtre, nous
disposons, chaque jour, de beaucoup d'heures pour
réfléchir aux
événements et pour nous mettre au
clair sur nous-mêmes. Nous souffrons souvent
de n'avoir pas la paix du coeur, parce que nous
regardons aux hommes et à leurs actions, au
lieu de lever les yeux vers Dieu et
d'écouter sa Parole.
N'avons-nous pas particulièrement
besoin que Dieu nous ouvre les oreilles
intérieures pour la nouvelle que nous
apporte l'Évangile de Noël ? La
parole de la grande joie ne nous concerne-t-elle
pas très spécialement, nous qui
connaissons si bien la peur, celle de mourir et
celle de vivre ?
En cette veille de Noël, prions le
Seigneur Jésus-Christ - venu comme un faible
enfant dans ce monde hostile à Dieu pour le
sauver - afin qu'il fasse son entrée chez
nous aussi, et nous apporte son salut et nous fasse
le don de sa joie.
Amen.
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