DIEU SAIT
POURQUOI
INTRODUCTION
APPELS QUE J'AI REÇUS DE DIEU
- NÉE DANS UNE FAMILLE
CHRÉTIENNE.
- MAMAN (MA SECONDE MÈRE). - MORT DE
MAMAN. MON SÉJOUR A KOENIGSFELD (PASTEUR
JENSEN, EMMY S.).
- ATTENTE DE MON PREMIER BÉBÉ.
- LECTURE DE « FROM DEATH UNTO
LIFE » DE HASLAM.
- E. C. - C. I.
- MON OPÉRATION. MA MALADIE.
Ce court tableau de sa vie, placé par
Suzanne Hoffmann de Visme sous le signe même
de l'action divine, demande quelques commentaires,
complément qu'il nous sera facile de donner
ici, en suivant les dates rassemblées par
elle, dans l'un de ses cahiers, sous le
titre : « Emploi de ma
vie ».
Elle naquit le 29 septembre 1885,
à Paris. Son père, le pasteur Jean de
Visme, docteur en théologie honoris causa,
avait été directeur de l'École
préparatoire de théologie de
Batignolles durant trente-trois années. Il
était le fils cadet de Jonathan de Visme,
lui-même pasteur et fils de pasteur, et c'est
d'eux aussi que descendait, par sa
grand'mère maternelle, son cousin qui allait
devenir son époux.
Sa mère était une
Lemaistre, de Lillebonne, en Normandie, d'une
famille d'industriels protestants honorablement
connus. Elle eut la douleur de la perdre quand elle
n'avait que neuf ans et les années qui
suivirent lui furent bien dures. Mais sa seconde
mère, Alice Boissonnas, fut pour elle une
véritable « maman »,
ainsi qu'elle l'appelait. Celle-ci, en effet,
s'occupa de la cadette des enfants de son mari avec
un admirable sens pédagogique, et Suzanne
disait volontiers qu'elle lui devait à peu
près tout ce qu'elle était. À
peine avait-elle vingt ans, qu'elle la perdit
à son tour, et ce second départ
marqua profondément dans sa vie. Il est vrai
qu'elle avait déjà conquis sa
quasi-indépendance. Elle avait pu faire de
longs séjours en Allemagne et en Angleterre,
dans des familles et des écoles, où
elle enseignait le français, tout en se
perfectionnant dans la langue de ces deux pays,
qu'elle parvint à manier parfaitement.
Elle occupait enfin le poste de
répétitrice au lycée de
Versailles et la carrière de l'enseignement
semblait s'ouvrir devant elle, quand la mort de sa
belle-mère imprima à son existence
une orientation nouvelle. Elle dut assumer la
direction du ménage de son père, qui
jouissait d'une active retraite, à
Montmorency, près d'Enghien. C'est dans
l'église de cette localité, dont Paul
de Félice, le cousin germain de son
père, était le pasteur, qu'elle fit
ses premières armes comme monitrice
d'école du dimanche. Tout
de suite, elle fut adorée de son groupe de
garçons. Elle fonda aussi la première
union chrétienne de jeunes filles, et ses
compagnes d'alors se souviennent de l'influence
profonde qu'elle exerça sur elles. Avec
cela, elle continuait à donner des
leçons à Paris, soit dans tel
institut protestant réputé, soit dans
telle famille bien connue.
Mais ses dons évidents de
pédagogue et sa foi ardente la poussaient
ailleurs. Elle pensait à la Mission et s'y
préparait en sourdine. C'est pourquoi elle
accepta de donner ses jeudis au patronage de la
« Maison Verte » à
Montmartre. Plus tard, elle collabora avec son
cousin à l'école du jeudi que
celui-ci dirigeait à Bagnolet, dans la
banlieue est de Paris, oeuvre rattachée
à la paroisse luthérienne de Bon
Secours, dont il était le "pasteur". Un
voyage qu'elle fit en Allemagne, avec son
père, pendant l'été de 1907,
eut quelque importance pour sa vie spirituelle.
Elle fut impressionnée par la
piété ardente et simple des Moraves
de Königsfeld et le contact avec certaines
personnalités religieuses, le pasteur
Jensen, Mlle E. S., lui fut en grande
bénédiction.
Elle se fiança en avril 1908 et
continua sa vie active et bien remplie jusqu'aux
derniers jours avant son mariage. Il fut
célébré à
Genève, le 2 juillet 1909, dans
l'église de son beau-père, l'Eglise
luthérienne de cette ville. Puis ce fut le
départ pour l'Angleterre
qu'elle aimait tant déjà, et le
commencement d'un véritable ministère
à deux, à l'Eglise suisse de Londres
dont son mari avait été nommé
pasteur.
Ce que furent ces vingt-trois
années de collaboration intime et constante,
ces efforts, ces fatigues, ces courses et ces
visites, ces réceptions innombrables dans
une maison toujours ouverte, Dieu seul le sait. Peu
à peu, cependant, sa tâche se
précisa. Il y avait de nombreuses jeunes
filles, dans cette Église de
disséminés et d'exilés. Elle
s'en occupa avec amour, soit chez elle, tous les
samedis après-midi, soit au
« Swiss House », le home des
jeunes Suissesses où se faisait un culte
tous les quinze jours, soit à
l'église même, où bientôt
s'organisa une réunion du jeudi qui a
été en bénédiction
à beaucoup. Les jeunes gens étaient
reçus par elle tous les deuxièmes et
quatrièmes mercredis du mois, et avec quelle
grâce elle présidait ces grandes
tablées de dizaines de jeunes compatriotes,
tous heureux d'échapper, pour un soir,
à la monotonie de leurs boarding-houses pour
se retrouver « en
famille » ! Ce fut ensuite
l'école du dimanche, son école, car
elle réussit à la fonder et à
l'organiser en 1914, malgré les
difficultés énormes que la chose
présentait, dans une ville comme Londres,
où les familles de l'Eglise sont
dispersées sur une superficie immense. Elle
y parvint en sacrifiant son droit à aller au
culte, et en réunissant les enfants
à l'heure du service du
matin, dans une salle d'école proche de
l'église. Cela permettait aux parents
d'amener leurs enfants et résolvait le
problème matériel. Mais
c'était sa personnalité, son
attirance magnétique, malgré sa
réserve innée, son autorité et
son amour débordant qui captivaient les
enfants, dès la première rencontre.
Quant à son état-major de moniteurs
et de monitrices surtout, qu'elle réunissait
deux fois par mois, il n'était qu'un coeur
et qu'une âme avec elle. Et comment parler de
tous ceux dont elle s'occupa
individuellement ? Tels d'entre eux furent
pour elle de véritables
« appels » que Dieu avait mis
sur son chemin, ainsi E. C. aujourd'hui heureuse
mère de famille, qui cherche à faire,
parmi les siens et dans son milieu, ce qu'elle vit
faire à Suzanne Hoffmann de Visme ; ou
encore C. I., pauvre orphelin recueilli par elle et
élevé comme un de ses propres
enfants, pour lequel elle lutta et pria avec
larmes, ainsi qu'en témoignent les notes de
son carnet.
Ses propres enfants, enfin,
échelonnés au nombre de six sur douze
années, c'est pour eux que les
trésors de son coeur s'ouvrirent tout
grands. Elle les portait par la prière et si
jamais il y eut des « enfants de
prière », ce furent bien les
siens. Parmi ses notes privées, il en est
une, du 3 mars 1916, qui est
révélatrice :
Seigneur, Toi qui vois jusqu'au fond de
mon âme, Tu sais combien je
voudrais faire quelque chose pour Toi, combien je
voudrais par ma vie amener des âmes à
Toi. Oh ! Dieu, pénètre dans mon
âme, nettoie-la de toutes ses souillures,
prends-y toute la place, remplis-la et sanctifie-la
pour les autres, pour ceux que j'aime, ceux que Tu
m'as donnés ! ...
Et au milieu des difficultés,
des luttes et des déceptions de la vie - car
elle en connut de douloureuses avec tel ou tel dont
elle s'occupa, - son attitude était la
suivante : le 23 novembre 1926, elle jette un
cri d'angoisse et d'humiliation, où elle
s'accuse d'avoir failli à sa tâche et
s'écrie :
Seigneur, si j'ai erré, si j'ai
manqué de sagesse, que moi seule en souffre,
mais non l'enfant (1)
que tu m'as confié.
Puis elle se raccroche au devoir, et
c'est ce qui lui rend la paix et ses notes intimes
portent :
I slept and dreamt that life was beauty,
I woke and found that life was duty.
Oui, quand la détresse nous prend, quand
un souci nous écrase, et que tout,
même ce qui nous
était le plus lumineux,
paraît sombre, quand nous ne voyons plus
clair, béni soit le devoir qui seul nous
aide à marcher quand même, à
lever la tête, à vivre !
Béni soit, oh ! combien, tout devoir
impérieux qui, dans un tel moment, demande
toute notre conscience et tout notre
coeur !...
Seigneur, aide-moi à marcher
quand même, à faire mon devoir, tout
mon devoir vis-à-vis des autres et aide-moi
à compter sur Toi jusqu'au bout parce que
Tu aimes et parce que Tu veux
sauver !
On devine que, pour être
trempée de la sorte cette âme puisait
aux sources profondes. Sa Bible d'abord, tout
émaillée de traits et de renvois, et
dont elle copiait volontiers les passages qui
l'avaient frappée, prouve combien elle se
nourrissait de la « Parole de
Dieu ». Elle en faisait le centre de son
culte personnel, qu'elle tâchait de pratiquer
chaque jour, pour autant que ses incessantes
obligations de maîtresse de maison, de
mère de famille et de femme de pasteur, le
lui permettaient. Elle aimait aussi à lire
les auteurs qui lui faisaient du bien et chez
lesquels elle retrouvait l'accent indéniable
de la vraie expérience
chrétienne.
C'est en 1915 qu'elle lui le volume de
Haslam (2),
mentionné
parmi les « appels »
reçus. Il fit sur elle une profonde
impression.
Restent enfin les deux derniers de ces
« appels » qu'elle a
ajoutés au crayon à sa liste :
son opération, sa maladie. Les pages qui
suivent feront bien vite comprendre ce qu'ils
furent. En fait, sa maladie fut un mystère.
Comment le cancer s'insinua dans ce corps
parfaitement sain et équilibré, c'est
là chose incompréhensible ? Elle
n'avait jamais été malade, en somme.
Une fois seulement la grippe l'avait forcée
à s'aliter. C'était en 1919.
Autrement, les seules occasions où elle dut
garder le lit étaient les naissances de ses
enfants, toutes, ou presque toutes, très
difficiles, jusqu'à mettre sa vie en danger,
mais elle s'en remit chaque fois parfaitement, et
ses enfants étaient tout son bonheur. Elle
avait toujours désiré avoir une
nombreuse famille. Et voilà que, peu
à peu, vers 1928, une fatigue
incommensurable s'abattit sur elle. Elle ne
souffrait pas, elle ne paraissait pas malade ;
rien ne révélait le mal sournois qui
la minait. Malgré son épuisement,
elle continuait sa tâche, toute sa
tâche, luttant avec la dernière
énergie. C'était sa tâche, le
devoir, il fallait donc l'accomplir !
Bientôt, toutefois, le mal
physique, non encore découvert, se mit
à influer sur le moral. Une crise se
préparait, une crise dont elle ne confia
rien à ses proches durant longtemps, car
elle voulait la surmonter
grâce au seul secours de Dieu. Même son
cahier, son fidèle confident, n'en marque la
trace qu'à l'heure du paroxysme. Le 12
octobre 1929, à propos du passage de
Matthieu, ch. XIX, v. 14 :
« Ne les en empêchez
point... », elle écrit ces lignes,
où perce avant tout sa tendresse pour ses
enfants :
0 Dieu, c'est là mon
angoisse, ma tristesse, le poids qui m'a
oppressée... Comment conduire à
Jésus mes enfants... moi qui ne Le connais
pas ? Comment leur donner ce que je ne
possède point ? En Jésus seul
est le bonheur, la paix. Je le sais, mais je n'ai
encore trouvé ni ce bonheur, ni cette paix.
Ma foi est chancelante, un lumignon qui fume
à peine et Tu me demandes de donner à
mes enfants... et à tant d'autres... 0 Dieu,
Père, je crie à Toi pour eux. Je me
passerai, s'il le faut, de cette joie, de cette
paix, mais donne-la à mes six enfants,
complète, parfaite. Éloigne d'eux
toute angoisse, toute crainte en face de la vie,
en face de la mort surtout.
Saisis-les !
La seule chose que je Te demande,
Père, c'est de n'être pas une entrave
à l'action de Ton Esprit en
eux !
« Il te manque une
chose : vends tout ce que tu as, distribue-le
aux pauvres et tu auras un trésor dans le
ciel. Après cela, viens et
suis-moi. »
(Luc, ch. XVIII, 22.)
Quant à l'intensité
tragique de la lutte spirituelle qu'elle eut
à subir, à ce moment, ce qu'elle en
avoua en décembre à son mari,
couchée immobile sur son lit
d'hôpital, le révèle
clairement :
Écoute, il faut que je
t'avoue quelque chose :
Croyante, active, je l'ai
été, tu le sais, et cependant j'ai
connu la dépression morale la plus sombre
à un moment donné. J'ai douté
de tout, même de l'Évangile,
même de Dieu. Oh, je continuais bien à
prier, je croyais, mais par la
volonté.
Cependant, il m'était
impossible de continuer ainsi pour toujours.
Comment pouvais-je élever mes enfants !
je n'avais plus la foi. N'étais-je pas en
train de devenir une hypocrite ?
Alors, j'ai jeté un cri dans
la nuit : « 0 Dieu, je n'en puis
plus. Si Tu es quelque part,
révèle-Toi à
moi ! »
Dans les vingt-quatre heures, tout
est revenu, la foi, la paix, la confiance. Et je me
suis demandé comment j'avais pu être
si stupide d'avoir douté.
Et cela ne m'a plus quittée.
Et maintenant : Jésus-Christ, je le
sens, je le comprends !
La victoire avait été
complète. Rien que son attitude en
présence de la dure réalité
une fois connue, allait bientôt le prouver.
En attendant, et comme si elle devinait ce qui la
menaçait, elle attachait sa pensée
raffermie au problème de la
mort. Le 22 octobre
déjà elle chante sa certitude de
croyante dans ces lignes de son cahier :
Y a-t-il une vie éternelle ou
n'y en a-t-il pas ? De là dépend
tout le sens de la vie ! Sans vie
éternelle, la vie terrestre n'est qu'une
comédie incompréhensible, qui n'a
aucun sens quelconque. Dans cette vie où
tout a une raison d'être, la vie seule n'en
aurait point ! C'est le
désespoir !
S'il y a une vie éternelle,
tout s'illumine, tout prend un sens, tout acte,
toute parole, toute pensée a une raison
d'être !
En fait nous ne savons
intellectuellement, scientifiquement, rien
concernant la vie éternelle, c'est vrai. La
seule chose que nous pouvons tangiblement constater
c'est que notre corps terrestre, seul instrument de
communication entre nous dans ce monde
matériel et visible, se détruit et
meurt. Est-ce une preuve définitive contre
l'idée de « vie
éternelle », c'est-à-dire
la prolongation infinie de ce qui est
véritablement la vie, c'est-à-dire
notre personnalité consciente qui aime,
pense, veut ? Sommes-nous seulement un
corps... ou quelque chose de plus dont le corps
n'est que l'enveloppe temporaire ? Et ce
quelque chose de plus - bien indépendant du
corps - est-il nécessairement détruit
parce que l'enveloppe est
détruite ?
Non, mille fois non !
La mort du corps n'est en rien une
preuve contre la vie éternelle.
En novembre 1929, elle consulta enfin un
médecin. Immédiatement
l'étendue du mal terrible se
révéla. Les deux côtés
de la poitrine étaient également
atteints, signe des plus graves. On décida
sur-le-champ d'opérer. Elle se
prépara à partir, comme si
c'était la chose la plus naturelle, pour
l'Hôpital allemand de Londres où elle
devait être soignée avec des soins et
un dévouement incomparables.
Elle continua à recevoir. Le
lendemain de la fatale révélation,
son salon était plein de visites :
celles-ci ne se doutèrent de rien !
Elle prit ses mesures pour assurer la marche de sa
chère école du dimanche et demanda
même une semaine de répit, pour
pouvoir parler encore une fois à ses
élèves. Puis, le matin du 18
novembre, après avoir fait son ménage
comme à l'ordinaire, elle s'en alla à
l'hôpital, en omnibus, par un fog
épais.
Dans son cahier, il y a :
22 novembre 1929 : Date de mon
opération.
Dieu m'a répondu. Avec
l'épreuve est venue la
délivrance.
Délivrance de toute
inquiétude physique, si réelle, que
la soeur qui l'accompagna à la salle
d'opération constata que
son pouls ne marquait aucune
accélération, au contraire.
Délivrance de toute
inquiétude morale, car elle dit quelques
jours plus tard à une amie qui lui rendait
visite :
Je crois que Dieu me prépare
pour le paradis.
Pour rien au monde je ne voudrais
avoir manqué tout ceci.
J'ai tant appris ici et tout le
monde a été si bon pour moi !
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