PROMENADES À TRAVERS LE
PARIS DES MARTYRS
1523 -
1559
CHAPITRE VIII
Devant Notre-Dame
Notre-Dame. Jean Guibert. - L'ermite de Livry
et son procès en hérésie. Le
jargon de Lizet. - Supplice de Jean Guibert devant
Notre-Dame. - Jacques Belon.
« Avant la réalisation du
projet de l'évêque Maurice de Sully,
deux églises couvraient à peu
près l'espace de la cathédrale
actuelle : St-Étienne et Ste-Marie.
Notre-Dame fut commencée en 1163 et
terminée sous Philippe Auguste en 1223. Mais
l'oeuvre de Maurice de Sully subit depuis de
sensibles modifications. Tel qu'il est ce monument
de l'architecture gothique au XIIIe siècle
est un chef d'oeuvre qui ne manque jamais d'exciter
l'enthousiasme de ceux qui aiment le grand et le
beau.
Notre-Dame a été le
théâtre de plus d'un
événement historique. Philippe de
Valois après la victoire de Cassel y est
entré à cheval entouré de ses
barons. En mémoire de ce fait une statue
équestre avait été
érigée contre le
dernier pilier sud de la nef. Le comte de Toulouse
Raymond VII, y vint nu en chemise abjurer son
hérésie. Henri VI, roi d'Angleterre y
fut couronné roi de France en 1431. En 1431,
par un Te Deum on y a
célébré la sortie des Anglais.
Pendant la domination des seize sous la Ligue, la
cathédrale servait de caserne aux troupes
fidèles qu'on réunissait contre les
politiques et pour entretenir la terreur parmi les
bourgeois. La déesse Rason y eut son
culte ; les théophilanthropes y
prêchèrent. Rendue au culte en 1802,
Napoléon s'y fit sacrer en 1804. Autour de
Notre-Dame restèrent longtemps
groupées plusieurs petites églises
qui en dépendaient : St-Jean-le-Rond,
la Chapelle de l'Hôtel-Dieu,
Saint-Denis-du-Pas,
Sainte-Geneviève-des-Ardents. À la
pointe septentrionale de la Cité se trouvait
le Cloître, réunion de petites maisons
avec jardins, servant d'habitation aux chanoines du
chapitre. Le palais de l'Archevêché
démoli en 1838, était contigu
à la cathédrale.
Sur la place du Parvis devant le portail
principal, se trouvait une échelle
patibulaire, marque de la haute justice de
l'Évêque. Cette échelle fut
remplacée en 1767 par un carcan qui disparut
en 1792. C'est de ce poteau que partaient les
distances itinéraires de la France.
Les tours de Notre-Dame ont 65
mètres de hauteur.
(1) »
Malheureusement, Notre-Dame
évoque encore d'autres souvenirs. Pour ma
part, je ne passe jamais devant l'admirable
édifice sans donner une pensée
à tous ces pauvres
martyrs connus ou inconnus qui sont venus durement
expier devant lui leur hardiesse d'esprit ou leur
tentative de réformer l'Eglise,
C'est là qu'étaient
conduits d'abord pour y faire amende honorable, un
cierge de cire en main, souvent en chemise et pieds
nus, les hommes courageux qui avaient
rêvé, eux aussi, de ramener l'Eglise
de France à la pureté de ses
origines. On allait ensuite leur arracher la
langue, les étrangler et les brûler
ailleurs.
Il y eut pourtant aussi des supplices
devant Notre-Dame Nous n'en raconterons qu'un seul,
avec quelque détail, ce sera celui du martyr
qui n'a été longtemps connu que sous
le nom de l'ermite de Livry.
Dans l'état actuel de nos
connaissances, c'est le quatrième martyr de
la Réforme française qui ait subi sa
peine à Paris. Voici ce que l'on savait
jusqu'ici de lui :
« Pavanes, dit Crespin, fut
suivi quelque temps après par un
sur-nommé l'ermite de Livry, qui est
une bourgade sur le chemin de Meaux, lequel fut
brûlé vif à Paris, au parvis du
grand temple qu'ils appellent Notre-Dame, avec une
grande cérémonie, étant
sonnée la grosse cloche de ce temple
à grand branle pour émouvoir tout le
peuple de la ville, disant et affirmant les
docteurs (qui le voyaient persévérer
avec une constance invincible) que c'était
un homme damné qu'on menait au feu
d'enfer. » (2)
Nous sommes aujourd'hui mieux
renseignés et nous allons voir,
d'après les pièces mêmes de son
procès, ce
qu'était en
réalité cet « homme
damné » digne du « feu
d'enfer. »
Il s'appelait Jean Guibert et je le
soupçonne fort d'avoir été
normand, lui aussi, comme son malheureux
confrère Jean Vallière, qui, ermite
de Livry comme lui, avait été
brûlé au marché aux Pourceaux,
le 8 août 1523.
En effet, parmi treize
élèves qui étudiaient en 1520
à Caen sous Pierre de Pratis (Des
Prés) j'ai relevé le nom d'un
« Jean Gybert » qui me
paraît bien être le même que
notre malheureux ermite.
Ermite de Livry comme Jean
Vallière
(3), Jean Guibert
fut trouvé sans doute contaminé des
mêmes erreurs luthériennes. La mort de
Vallière est du 8 août 1523, le
procès de Jean Guibert avait commencé
à peu près à la même
époque devant l'official de Paris et
l'inquisiteur de la foi. « Ils
assemblèrent des docteurs et autres et
donnèrent sentence qu'il abjurerait
publiquement au Parvis Notre-Dame ses dogmes
erronés, qu'il déposerait sa barbe et
son habit (4) et
serait banni. »
Guibert en appela au Parlement et sa
cause fut plaidée le jeudi 26 novembre
1523.
Il avait pris pour avocat ce même
Bochart qui s'était rendu
célèbre pour le courage dont il avait
fait preuve dans son opposition au Concordat de
1516. Bochart exposa qu'avant de plaider en faveur
de l'appelant, il l'avait voulu
le voir et l'entendre et qu'il avait
été réconforté par
l'humilité de cet homme et
l'intégrité de sa foi.
C'était, d'après lui, un
homme plein d'austérité et de
dévotion fervente qui odit animan suam in
hoc mundo. Il n'a aucun souci humain, aucun
égard des personnes, désirant
ferventement l'honneur de Dieu. Lui aussi peut
dire : le zèle de ta maison me
dévore. Heureux ceux qui ont faim de justice
en tout temps. Plût à Dieu que
plusieurs eussent aujourd'hui une partie seulement
de son zèle pour la gloire de
Dieu !
Le pape et les autres prélats,
dit Bochart, avec leur juridiction spirituelle, ne
sont pourtant pas plus grands que
Jésus-Christ dont ils sont les vicaires. Or
Notre Seigneur Jésus étant sur la
terre a dit : Mon règne n'est pas de ce
monde, et il n'a voulu se montrer maître que
dans son temple et église et c'est de
là qu'il a chassé les acheteurs et
les vendeurs... Donc, les prélats de
l'église ne peuvent pas ôter les
terres et seigneuries, ils ne peuvent pas bannir,
et, s'ils le font, ils mettent leur faux dans la
moisson d'autrui, ponunt falcem in messem
alienam.
En second lieu, la juridiction en
première instance appartient aux juges
ordinaires et le pape ne peut y commettre ou
déléguer, et les inquisiteurs de la
foi n'ont aucune juridiction. Autrement la chose
serait très dangereuse et plusieurs bons
chrétiens et bonnes bourses seraient en
danger d'être légèrement
traités d'hérétiques, et on en
a vu l'exemple chez les Vaudois d'Arras et
d'ailleurs. Le pape peut bien envoyer des
inquisiteurs pour s'enquérir et
dénoncer aux juges ordinaires et
diocésains, mais non pour les appeler
à juger.
Guibert, depuis 40 ans environ, a suivi
la doctrine évangélique,
renonçant à lui-même, vivant
dans une extrême austérité et
pénitence, suivant la vie, de St-Paul ermite
et autres saints-pères, criant comme
Jean-Baptiste : Repentez-vous.
L'évêque de Paris peut
témoigner de sa vie. Il a même
permission du pape de recevoir avec lui d'autres
ermites. Il n'a pas cherché les honneurs et
les biens du monde. Peut-être, voyant
plusieurs choses contre l'honneur de Dieu, la
simonie, les exactions et autres choses à
reprendre en a-t-il parlé avec
colère. Il a été cité
devant l'official de Paris et devant inquisiteur de
la foi qui n'a aucune juridiction. Le promoteur lui
a fait plusieurs reproches particuliers ; ce
n'est pas une raison pour le dire
hérétique. Il faut seulement
l'avertir et le corriger. Au contraire, l'official
et l'inquisiteur ont donné contre lui une
sentence portant bannissement. Ils n'en ont pas le
pouvoir et c'est ce dont Guibert appelle comme
d'abus à la cour de Parlement. Son avocat.
demande que l'évêque de Paris donne
vicaire à l'évêque de Langres
et à quelques autres bonnes personnes pour
connaître de la matière et, qu'en
attendant, le dit Guibert soit mis aux
Célestins, aux Chartreux, à
St-Martin-des-Champs ou à
St-Germain-des-Prés.
Là-dessus, Gron, procureur de
l'évêque de Paris, répondit que
la cause était du ressort de
l'archevêque de Sens, qu'il n'y avait pas
entreprise sur la juridiction du roi. Il peut
prouver que l'official a depuis trois cents ans le
droit de condamner au bannissement. Il n'y a pas
d'abus : l'official et l'inquisiteur ont
toujours agi en présence
de cinq ou six docteurs en théologie et,
autres gros personnages.
Là-dessus, Brion faisant fonction
d'avocat de l'évêque de Paris,
s'appropria les observations de Gron et conclut en
faveur de l'official contre l'appelant.
Lizet, avocat du roi, dont le
zèle persécuteur était
à ses débuts, prit ensuite la parole
et prononça un long discours, où le
français se mêle à ce latin de
cuisine ou de prétoire qui faisait à
bon droit sauter Érasme d'indignation. Nous
résumerons le plus possible ce long
réquisitoire scolastique, et verbeux, et
nous en citerons seulement une page pour en donner
l'idée, à ceux qui ne peuvent le lire
en son entier.
Ceux qui élisent l'état de
vie solitaire et
« érémitique, »
dit Lizet, sont réputés dignes
d'honneur. Toutefois, en matière concernant
la foi ou la vérité de la doctrine
catholique, il ne faut pas se fier à celui
qui présente seulement l'apparence de la
sainteté quand même il ferait des
miracles... « Et à cette cause
sans s'arrêter ad austeritatem vitae
(5), dont
l'avocat de Guibert a parlé, il
s'arrêtera seulement in veritate
doctrinae et en ce qui est de droit,
secundum ecclesiaslicas traditiones. Dit
qu'il y a deux points en la matière, le
premier est l'appellation interjetée de la
sentence donnée par les official de Paris et
inquisiteur de la foi conjointement in materia
lidei, assavoir si en tout ou partie la dite
sentence est exécutoire nonobstant l'appel,
ou si la cour doit ordonner,
etiam ubi nulla esset sententia, la
réparation du scandale fieri debere
simul et pourvoir au personnage, ne deterius
illi et allis contingat... »
L'échantillon suffit. Ce qui nous
intéresse pour l'histoire des idées
dans tout le latin macaronique de Lizet et au
milieu de ses citations et de ses gloses, c'est ce
qu'il pense sur les droits de l'Eglise en
matière de répression de
l'hérésie, et la manière dont
il les établit.
Il ressort de son jargon
légaliste qu'il donne d'abord raison
à l'avocat de Guibert.
La sentence des juges d'église a
prononcé la peine du bannissement, mais
c'est une entreprise sur la justice laïque. Le
juge laïque a seul qualité pour bannir,
car le juge ecclésiastique ne peut prononcer
qu'une peine spirituelle. Celui qui a semé
quelque nouvelle doctrine contre les traditions
ecclésiastiques et s'est élevé
contre elles peut être banni - mais par le
juge séculier. Le juge d'église peut
déclarer les dogmes de Guibert
erronés, schismatiques et
hérétiques, mais quant à la
punition, elle appartient, - même de droit
divin - au juge laïque ; les exemples
contraires allégués par le conseil de
l'évêque ne prouvent rien, car, s'il y
en avait ce seraient des actes clandestins.
L'évêque de Paris et ses
« officiaux », ont donc
« abusivement procédé,
jugé et sentencié ».
Défense doit leur être faite de ne
plus prononcer aucune sentence de bannissement,
à moins que ce ne soit à la
requête du bras séculier.
Au contraire, c'est à bon droit
que l'évêque de Paris a
procédé contre Guibert conjointement
avec l'inquisiteur de la foi. Car
l'évêque a le droit de connaître
des choses de la foi. La
sentence contre Guibert qui est une sentence de
simple réparation, doit être
exécutée malgré l'appel. Mais
c'est encore au juge laïque à la faire
exécuter. C'est la doctrine même de
St-Augustin.
Dans l'espèce, bien que Guibert
ait, jusqu'ici, vécu d'une vie très
austère et recommandable, il est
accusé d'avoir suivi et favorisé la
doctrine de Luther, spécialement en ce qui
concerne l'abolition de la messe privée,
d'avoir au mépris des commandements de
l'Eglise, négligé d'entendre la messe
les dimanches et fêtes, d'avoir dit qu'il
valait autant ou qu'il valait mieux lire l'Evangile
dans sa cellule, que d'entendre la messe, d'avoir
entendu en confession un prêtre qui demeurait
dans son ermitage, d'avoir reçu profession
de ses compagnons, comme si sa religion
était approuvée, d'avoir dit et
répété que c'était de
la simonie que de donner six blancs pour faire dire
une messe, d'avoir affirmé qu'il
n'était ni bon, ni salutaire, de faire prier
Dieu pour les morts... Guibert continue Lizet, a
reconnu quelques-unes de ces erreurs sans y
persévérer. La preuve absolue des
autres chefs d'accusation n'a pas été
faite par les témoins entendus. En tous cas,
il y a eu scandale. et de sa part zèle
indiscret. Mais comme il n'est pas demeuré
obstiné et qu'il est revenu dans le giron de
l'Eglise sur les remontrances de ses juges et des
docteurs de la Faculté de théologie,
il ne peut pas être déclaré
obstiné et hérétique.
Condamné à abjurer ses dogmes
erronés, il s'est soumis et il a lu
l'abjuration et profession qui lui a
été remise par écrit.
En conséquence, il a
été condamné, outre le
bannissement, à
être mis publiquement un jour de dimanche,
près d'un prêcheur, au parvis de
Notre-Dame où le dit prêcheur devra
prêcher contre les dogmes erronés du
dit Guibert. Après la prédication,
ledit Guibert se rétractera publiquement
devant le peuple. Il a été
condamné encore à faire raser sa
barbe et à déposer son habit d'ermite
et à garder la prison pendant six mois,
à la bonne grâce de
l'évêque de Paris.
La réparation publique sur le
parvis de Notre-Dame est un peu
« scandaleuse », dit
l'excellent Lizet. Elle noterait Guibert d'infamie
si elle était exécutée telle
quelle. Il suffira donc, dans l'espèce,
qu'elle ait lieu dans Notre-Dame même et dans
les différents lieux où Guibert a
demeuré, après la prédication
ordinaire en présence de Guibert
placé de telle manière que le peuple
puisse l'apercevoir. La prédication faite,
Guibert rétractera publiquement les dogmes
erronés dont il a été
convaincu.
Quant à sa personne, et pour
qu'il ne retombe pas dans ses erreurs
premières, il faut le retirer de la vie
solitaire et érémétique, car,
dit St-Jérôme : c'est dans la
solitude que s'exalte l'orgueil et tout ce qui
s'ensuit.
Comme Guibert n'a pas été
nourri en monastère régulier, mais
qu'il est entré d'un coup dans sa vie
d'ermite, il a besoin de demeurer quelque temps
dans un monastère de St-Benoît
réformé. Et ce sera pour lui
plutôt un bénéfice qu'un
supplice. Lizet requiert donc que Guibert soit tenu
de vivre dans quelque bon monastère de
St-Benoît, sous l'obéissance du
Supérieur qui lui donnera « le
plus simple et le moins
lettré » de ses gens pour le
servir.
Bochart répliqua en montrant
qu'il avait bien touché les deux abus, le
bannissement illégal et la juridiction
usurpée par l'inquisiteur de la foi. Aux
ecclésiastiques qui prononcent sans droit
une condamnation de bannissement, il rappelle la
parole évangélique : Rendez
à César ce qui est à
César, et à Dieu ce qui est à
Dieu. Quant à la juridiction usurpée
par l'inquisiteur, c'est une chose abusive,
périlleuse et de conséquence
« qui ferait mettre le feu partout sans
propos. » Il rappela
l'intégrité de la vie de Guibert et
pria qu'en dépassant la mesure de la
correction fraternelle on ne le mît pas hors
du chemin et de l'espoir.
L'avocat du roi reprenant la parole,
requit l'internement de Guibert dans un
monastère
« réformé » en
lui laissant le choix de la maison. D'ailleurs
« il y a suffisant témoignage de
l'homme par la longue et continuelle conversation
d'icelui en l'ermitage. » Il y a des gens
de bon zèle, ajoute-t-il, que les grands
abus qu'ils voient contraignent de parler avec
véhémence. La cour, d'ailleurs,
pourra voir et entendre l'accusé
lui-même. Il a de l'âge. Il faut aussi
que la cour considère qu'en disant
simplement la vérité Guibert a pu se
faire des ennemis, des
« haineux ». Veritas enim
odium, parit. Il conclut au renvoi dans un
monastère, dans les conditions susdites. La
cour renvoya les parties à trois jours en
enjoignant à l'évêque de Paris
« de bien traiter cependant le dit
appelant. »
« La cause fut
appointée. »
Voilà un procès qui
paraissait tourner tout à l'honneur du brave
ermite réformateur. Ceux qui ont
l'habitude de ces procès
d'hérésie ne peuvent qu'être
touchés du courage de Bochart, de la
modération relative de l'avocat du roi, de
l'hommage rendu à la vie sainte de Jean
Guibert. Mais les idées saines de
tolérance et de respect de l'âme
humaine, jusque dans ses erreurs, n'étaient
encore que le fait de quelques-uns. Guibert et ses
pareils en mettant la main sur les plaies de
l'Eglise, se faisaient d'implacables ennemis,
incapables ni de se réformer, ni de
pardonner.
Échappé une
première fois à la mort par sa
soumission, Guibert que le supplice de Jean
Vallière avait fort bien pu intimider un
moment, se retrouva bientôt tout entier. Que
se passa-t-il alors ? Comment fut-il
ressaisi ? Nous l'ignorons. Nous savons
seulement que, trois ans après ce premier
procès, Jean Guibert fut brûlé
en grande pompe devant Notre-Dame. Nous connaissons
ses crimes : pauvreté,
piété, austérité de
vie, constance invincible dans sa foi
réformatrice. Tel était l'homme que
les docteurs présentaient au pauvre peuple
égaré comme « un
damné qu'on conduisait au feu
d'enfer. » (6).
Il y eut bien d'autres supplices devant
Notre-Dame. Le 4 juillet 1548, par exemple, il y
eut messe solennelle à Notre-Dame devant le
roi et le Parlement, puis grand
dîner à
l'évêché. Au dessert, le
prévôt de Paris, Claude Guyot,
s'adressant au roi lui dit qu'il n'y avait pas
d'autre ville au monde « où il se
fasse plus diligente inquisition contre les gens
notés et suspects de mauvaise vie ni
où, par justice, ils soient plus promptement
corrigés et punis de leurs
démérites. »
Malheureusement, les préjugés du
temps assimilaient l'hérésie ou ce
que l'on appelait ainsi à la mauvaise
vie.
C'était « mauvaise
vie » que de vouloir réformer la
religion du roi et de ses conseillers. En sortant
du banquet de l'évêché, le roi
et les invités de l'évêque
purent contempler l'agonie de deux prêtres
obstinés dont l'un au moins n'était
brûlé que pour avoir voulu organiser
l'émigration de quelques familles
forcées par la persécution d'aller
chercher à l'étranger un refuge
où ils pourraient adorer Dieu selon leur
conscience (7).
Le 1er septembre de la même
année, un hérétique, encore
fut brûlé sur le parvis Notre-Dame. Il
s'appelait Jacques Belon. Nouveau Polyeucte, il
avait commis un outrage à l'égard de
la statue de la Vierge Marie qui se trouvait
à Notre-Dame. Il fut condamné
à être conduit de la Conciergerie au
parvis Notre-Dame où il fut
brûlé après avoir eu le poing
coupé. (8).
|