LE VEILLEUR SUR LA TOUR.
De Séir, on me crie : -
Veilleur, où en est la nuit ?
Qu'en est-il de la nuit, veilleur ?
Le veilleur dit : - Le matin
vient.
(Esaïe 21 :
11-12.)
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Le voyant est sur une tour, d'où il
domine l'histoire. C'est à lui qu'il
appartient d'annoncer la venue du jour à la
multitude des hommes, plongée dans la
nuit.
On l'interroge, de façon toujours
plus pressante : « Veilleur,
où en est la nuit ? Qu'en est-il de la
nuit, veilleur ? » Dans cette
répétition, comme on sent l'angoisse
d'un peuple opprimé ! Quand
luira-t-elle, l'aurore de la
délivrance ?
Et le veilleur dit : « Le
matin vient. »
Sans doute, il y a des brumes au ciel.
La lumière et l'obscurité se
combattent. Il faut encore attendre pour que le
jour vienne en sa plénitude. N'importe, le
matin est là. Et la parole du
prophète évoque en un raccourci
sublime l'espérance qui, pendant tant de
siècles, a soutenu son peuple.
Dans les temps de crise où nous
sommes, il semble que tout craque à la
fois : les vieilles
religions du monde non
chrétien, la morale traditionnelle, les
cadres de la société. Parmi
l'inquiétude qui grandit de toute part,
n'entendez-vous pas la multitude des âmes
crier à cette chrétienté dont
vous faites partie, et qui, faisant profession de
croire aux choses éternelles, doit
être capable de donner à ses
frères des raisons d'espérer :
« Veilleur, où en est la
nuit ? »
Ce que je vous demande aujourd'hui,
c'est si vous êtes en état de
répondre, aux approches de Noël :
« Le matin vient. »
Que le monde soit encore dans la nuit,
ceci ne fait doute pour personne. Il y a de la
lumière, toujours plus de lumière
dans l'ordre des connaissances scientifiques et de
leurs applications. Toutes ces découvertes
nous sont une raison de bénir Dieu. Mais
dans l'ordre de la vie morale, on n'a pas
avancé depuis les siècles
d'autrefois ; même, il faut noter
aujourd'hui de douloureux reculs. Quand la sagesse
laïque cherche des succédanés
pour remplacer la morale chrétienne, elle
les demande à l'antiquité. Pythagore
et Marc-Aurèle sont pour elle des
maîtres de choix. Elle apprend l'optimisme en
lisant les réflexions pleines de bon sens et
parfois plus chrétiennes qu'on ne croirait,
d'un Montaigne ; et il paraît que cette
lecture exerce une influence heureuse sur la
longueur de la vie, en développant une
confiance souriante, faite
d'acceptation de la destinée, et d'une
modération inspirée du rien de trop
des anciens.
En tout ceci, rien qui ressemble au jour
que nous attendons. Sans doute, nous avons bien
autre chose que Montaigne, puisque nous avons
l'Évangile. Mais, tout en regardant avec
joie du côté de ce passé
merveilleux que Noël va nous inviter à
célébrer une fois de plus, n'oublions
pas que l'Évangile est une promesse qui
n'est pas encore accomplie. L'humanité,
même chrétienne, est encore dans la
nuit.
Pourtant, elle a fini par comprendre
qu'elle ne devait pas prendre son parti de la
misère humaine ; elle aurait pu s'en
douter plus tôt, car c'étaient les
premiers rudiments de l'Évangile. Le
veilleur peut dire : « Le matin
vient », quand il regarde aux
révélations de Dieu. Quand il
considère la façon dont le monde
accueille ces révélations, il doit
répondre comme le prophète
jadis : « Le matin vient, mais la
nuit aussi. » Car Noël est une
promesse de transformation du monde, qui n'est pas
encore réalisée.
Mais c'est une promesse de
transformation des coeurs qui se réalise
sans cesse à nouveau, et c'est sur quoi je
voudrais insister.
« Être optimiste, disait
un prédicateur contemporain, c'est
être un sot. Être pessimiste, c'est
être un lâche. »
Nous n'avons pas à être
optimistes, ni pessimistes. Nous avons à
être ceux qui espèrent.
Et voici, en ce qui concerne les
âmes, notre raison d'espérer.
Une fête de Noël qui revient,
ce n'est pas seulement un anniversaire, et de tous
le plus aimé. C'est, chaque fois, une
nativité du Christ dans certaines
âmes. Car Celui dont nous allons fêter
la naissance est vivant, et à chaque instant
il continue de se réincarner par son Esprit
dans des êtres qui, sous l'influence de sa
grâce, deviennent de nouvelles
créatures, faisant déjà partie
de ce monde supérieur qui se
révélera un jour dans sa
magnificence.
Nous attendons la venue glorieuse de
Celui qui n'est encore, en apparence, que l'Homme
de douleur ; mais en attendant son triomphe,
la chrétienté s'élève
constamment sur le plan supérieur. Il y a
des âmes qui s'éveillent à la
vie éternelle, sous l'action du
Sauveur ; et ces âmes peuvent
dire : « Le matin est
venu ».
Quand nous lisons le compte-rendu des
missions entreprises par les jeunes pasteurs de la
Drôme dans nos provinces, nous y trouvons des
raisons nouvelles d'espérer.
Il y a là des régions dont
le vieux sol huguenot a été
arrosé du sang des martyrs. Puis, il a durci
étrangement. Pendant un temps, les souffles
du Réveil y avaient passé, et le
désert avait fleuri. Mais les fleurs du
Réveil s'étaient
peu à peu
desséchées. Et aujourd'hui, ceux qui
voulaient tenter de raviver la foi dans les coeurs
n'espéraient plus les résultats de
jadis. Quand on sait la puissance d'avarice et
d'égoïsme qu'il y a maintenant dans
l'âme des descendants des
persécutés, et qu'exagère
encore chez les jeunes la soif de bien-être
et de plaisir, on ne comprend pas comment tel de
ces trop vastes temples de là-bas, où
règne le froid de la solitude, a pu se
remplir progressivement, et enfin, après une
semaine d'appels, déborder d'une foule que
remuait la parole inspirée de ces jeunes
hommes qui apportent tout uniment, sans aucune
recherche littéraire, l'Évangile du
Salut.
On comprend que leur journal s'intitule
Le Matin vient.
Quand verra-t-on les mêmes
résultats dans nos milieux parisiens,
où tant de bons esprits ont fait, ou croient
avoir fait le tour de toutes choses, y compris les
choses éternelles !
Pourtant, même ici, il y a des
symptômes encourageants. Il y a la
popularité de l'Armée du Salut, dont
on ne songe plus à sourire, et dont les
esprits les plus détachés, voire les
plus malveillants, admirent l'inlassable
charité. N'est-il pas significatif que la
Maréchale ait trouvé dans notre
capitale, ces dernières années, un
accueil autrement enthousiaste que celui qu'elle y
avait reçu aux jours de sa
jeunesse ? Quand les
réalités spirituelles se manifestent
dans la prédication de l'amour du Sauveur,
ces histoires d'âmes mortes, que la
grâce a transformées, ont le don
d'imposer silence à l'ironie, et le sourire
du sceptique fait place aux larmes de celui qui
voudrait être croyant. L'âme à
qui on parle de la guérison des autres
entrevoit sa propre guérison. Le matin
vient.
Mes frères, vous avez le droit
d'espérer ; et c'est à cette
condition seulement que vous pouvez vous
réjouir de Noël. À quoi bon, je
vous le demande, fêter Noël, si vous ne
pouvez pas faire autre chose que d'apporter le
bilan de vos ruines et d'évoquer
l'être que vous étiez autrefois, en
ces « temps de jeunesse et
d'aurore » dont parle le poète,
lorsque la conscience « était
joyeuse encore », temps où la vie
n'avait inscrit sur l'âme aucun de ces
caractères de faiblesse et peut-être
de honte que, rien, hélas, n'a pu
effacer !
Noël, c'est la fête de
l'espérance : après s'être
retrempé l'âme dans le charme
mélancolique du passé, il faut
l'emplir de la vision de l'avenir.
L'espérance est un devoir. Et ce devoir
n'est pas très facile à remplir.
Péguy l'a dit admirablement, dans le Porche
du mystère de la deuxième
Vertu : « L'espérance ne va
pas de soi. L'espérance ne va pas toute
seule. Pour espérer, mon enfant, il faut
être bien heureux. Il faut
avoir obtenu une grande grâce.
« C'est la foi qui est facile,
et de ne pas croire qui serait impossible. C'est la
charité qui est facile, et de ne pas aimer
qui serait impossible. Mais c'est d'espérer
qui est difficile. »
Puis il ajoute :
« Et le facile et la pente est
de désespérer, et c'est la grande
tentation. »
Oui, mes frères, c'est la grande
tentation, et qu'il faut exorciser à la
veille de Noël. Noël, c'est la fête
des cieux ouverts, a-t-on dit. Quand on voit les
cieux ouverts, comment désespérer de
la vie ?
Mais l'espérance ne va pas de
soi, oh non !
Pour espérer, suffit-il d'avoir
reçu une grâce ? Suffit-il
d'être heureux ? je ne puis pas le
croire : ce n'est pas parmi les heureux du
monde que se recrutent, en général,
ceux qui espèrent. Pour nous,
espérer, c'est attendre la venue du
jour ; donc, le triomphe de Dieu. Pour
espérer, il faut avoir souffert ; mais
surtout, il faut avoir lutté. On ne peut
espérer qu'au prix d'un sacrifice : il
n'est logique de croire au triomphe de l'Esprit que
si l'on a commencé de vivre la vie de
l'Esprit.
L'espérance n'est pas le
complément de joies futures qu'une âme
égoïste et calculatrice essaye
d'ajouter aux joies du monde. On voit
des gens au coeur sec professer
sur l'au-delà et la survie des
théories merveilleuses. Je doute que cette
espérance-là puisse soutenir,
à leur heure dernière, ceux qui n'ont
jamais su faire de sacrifice à leur
idéal. Celui-là seul peut
goûter la douceur de l'espérance, qui
croit assez à son idéal pour en vivre
et lui subordonner ses intérêts, ses
caprices, ses convoitises. Il n'y a
d'espérance que pour l'âme qui se
repent et se consacre. Celle-là peut
s'écrier : « Le Matin
vient. » Car il lui est donné,
à l'heure de la lutte et de la victoire, de
discerner en elle-même les signes
précurseurs de la grande aurore.
Mais pourquoi le jour est-il si lent
à venir sur la terre ? Il y a une cause
à ce retard, que nous n'avons pas à
chercher bien loin. Certains font état des
objections de l'incrédulité.
Celles-ci ne doivent pas nous faire peur. Mais il y
a les chrétiens. C'est là qu'est
l'obstacle à la conversion du monde.
Les chrétiens qui s'accrochent
désespérément à la
terre, et qui y ont situé leurs
trésors. Les chrétiens qui ont une
âme de pharisien, ceux qui jugent et qui
repoussent. Les chrétiens qui font passer,
dans l'ordonnance de leur vie, le devoir religieux
après tous les autres. Les chrétiens
qui ne savent pas résister aux tentations de
la route, et dont le laisser-aller inflige à
leurs convictions sacrées de constants
démentis. Les
chrétiens qui, pour le devenir, n'ont rien
changé à leur vie. Enfin, les
chrétiens qui s'adaptent, et qui donnent le
plus singulier exemple de mimétisme, prenant
la livrée de leur entourage mondain, comme
certains insectes prennent l'aspect et la couleur
des feuilles mortes qui les environnent, pour
n'être pas dévorés. L'obstacle,
le voilà.
Il est étonnant que le
christianisme subsiste et que, malgré tout,
il grandisse, alors que tant de chrétiens
font tout ce qu'il faut pour le tuer. Mais il ne
nous suffit pas que le christianisme se maintienne,
ni même qu'il grandisse : il faut que le
jour vienne. Et ce que vous pouvez faire pour que
le jour vienne, c'est de faire disparaître
l'obstacle que créent vos
infidélités.
Dans deux jours, ce sera Noël.
Dites-vous que ce temps est un temps sacré.
Vous avez écouté, dans les semaines
de l'Avent, l'appel de la justice divine,
annonçant à un monde frivole et sans
volonté les nécessaires repentances.
Maintenant, c'est Noël qui approche :
l'heure où le message de l'amour de Dieu
trouve pour émouvoir les âmes ses plus
tendres accents. Le matin vient. Ne vous bornez pas
à interroger les veilleurs, sur la
tour ; ne vous contentez pas de regarder
à l'horizon. Regardez en vous : c'est
là que le matin doit venir d'abord.
Accueillez dans votre âme
l'Hôte pour lequel il n'y avait pas de place
dans l'hôtellerie de l'humanité
égoïste ; accueillez-Le comme vous
ne l'avez jamais accueilli, en mettant en Lui, et
en Lui seul, votre espérance ; et, dans
votre coeur, le matin viendra.
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