Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER

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L'ENFANCE. - DE L'ARGENT COMME FACTEUR D'ÉDUCATION. - LES IDÉES DE M. MÜLLER, PÈRE. -
ÉTUDES CLASSIQUES À HALBERSTADT. - PRÉCOCITÉ POUR LE MAL. - MORT DE MADAME MÜLLER. -
CONFIRMATION. -
DISSIPATION. - RÉSOLUTIONS NOMBREUSES JAMAIS TENUES. - RETOUR A HEIMERSLEBEN. - PLAISIRS.-
PRISON. -
RÉFORME EXTÉRIEURE SANS CHANGEMENT INTÉRIEUR. -
INDIGNITÉ ET REMORDS.




L'ENFANCE. - Je suis né le 25 septembre 1805, à Kroppenstaedt près de Halberstadt, en Prusse. En janvier 1810, mes parents quittèrent Kroppenstaedt pour Heimersleben qui est distant de quelque six kilomètres, et où mon père venait d'être nommé receveur des contributions indirectes.

Avant d'aller plus loin, je dirai ici que mon père avait un faible pour moi et me préférait à mon frère, ce qui nous fit beaucoup de mal à tous deux : chez moi cela entretint l'orgueil ; chez mon frère cela fit naître des sentiments d'inimitié contre mon père et contre moi.

Mon père, qui nous élevait selon les principes du monde, nous donnait des sommes d'argent relativement élevées pour notre âge. Non pour être dépensées, mais afin, disait-il, que nous apprissions à posséder sans dépenser. Je dois avouer que cette façon de faire eut de funestes résultats, et qu'elle nous induisit en de nombreux péchés'. Il m'arrivait fréquemment de dépenser mon argent en inutilité§', puis de dire quelque fausseté lorsque mon père s'enquérait de mon petit trésor. Ou bien je ne portais pas tout l'argent reçu, ou bien je lui assurais que je possédais plus que je n'avais en réalité, en comptant ostensiblement devant lui une somme imaginaire et que je n'avais plus en totalité. À la longue, cette supercherie fut découverte et je fus puni. Mais je dois ajouter que ceci ne m'amena pas à changer de conduite. Au contraire, il m'arriva souvent de prendre l'argent qu'on remettait à mon père et qui appartenait au gouvernement. Mon père dut donc, à bien des reprises, rembourser de sa poche ce qui manquait. Je n'avais pas dix ans !

Les vols se succédaient ; mon père s'avisa donc, certain jour, de compter une somme d'argent qu'il laissa dans la chambre où je me trouvais ; puis il sortit. Me voyant seul, j'en pris une partie que je dissimulai dans mes souliers, entre le pied et la semelle. Lorsque mon père revint, il compta l'argent, s'aperçut qu'il manquait quelque chose, me fouilla et découvrit le larcin.

Bien que je fusse puni en cette occasion et en plusieurs autres, je ne me souviens pas que cela fît sur moi d'autre impression que de m'amener à réfléchir sur la façon dont je pourrais, une autre fois, m'y prendre avec plus d'habileté. Ce ne fut donc pas la dernière fois que je me rendis coupable de vol.


À HALBERSTADT
. - J'avais dix ans et demi lorsque je fus envoyé à Halberstadt pour y commencer des études classiques en vue de l'Université. Mon père me destinait à devenir pasteur. Il ne pensait pas au service de Dieu, mais voulait que j'eusse plus tard une jolie situation. À Halberstadt mon temps se partageait entre l'étude, la lecture des romans et la dissipation, malgré ma grande jeunesse. J'y restai jusqu'à l'âge de quatorze ans.

C'est à cette époque que je perdis ma mère. Alors qu'elle se mourait et ignorant qu'elle fût malade, je passai la nuit à jouer aux cartes jusqu'à deux heures du matin. Le jour suivant, un dimanche, j'allai dans une taverne avec mes compagnons de péché ; puis, à moitié ivres, nous parcourûmes ensemble les rues de la ville. Le lendemain, j'assistai pour la première fois au cours d'instruction préparatoire à la confirmation. C'est à peine si j'écoutai ce qui fut dit. Lorsque je regagnai ma chambre, je trouvai mon père qui venait nous chercher, mon frère et moi, pour que nous assistions à l'enterrement de ma mère.


CONFIRMATION
. - Cette épreuve ne fit pas d'impression durable sur moi ; et je continuai à m'enfoncer toujours davantage dans le mal. Trois ou quatre jours avant ma confirmation, et par conséquent avant mon admission à la Sainte Cène, je me rendis coupable d'un péché grossier ; et la veille même du jour où je fus confirmé, alors que, selon la coutume, je confessais mes péchés au pasteur dans la sacristie, je le volai délibérément de la douzième partie de ce que mon père m'avait donné pour lui remettre.

C'est avec ces sentiments, et alors que j'ignorais la prière, la repentance véritable, la foi, le plan du salut, que je fus confirmé et que je m'approchai pour la première fois de la Table Sainte le dimanche qui suivit Pâques, en l'année 1820.
Toutefois, je ne fus pas sans ressentir en une certaine mesure, la solennité de l'acte accompli : je restai à la maison l'après-midi et le soir, tandis que ceux qui avaient été confirmés avec moi, garçons et filles, parlaient se promener à la campagne. C'est aussi à cette occasion que je pris la résolution d'abandonner mes vices, et d'étudier davantage. Mais comme je ne comptais pas sur Dieu et seulement sur moi-même, ces résolutions restèrent inutiles et je ne tardai pas à devenir plus mauvais encore. Jusqu'en juillet 1821 l'étude et les plaisirs se partagèrent mon temps. Ces derniers avaient la plus grande part : je jouais du piano et de la guitare, je lisais des romans et fréquentais les tavernes, malgré toutes les résolutions souvent prises de changer de vie. Comme je dépensais fréquemment en plaisirs l'argent destiné à mon entretien, je fus à plusieurs reprises plongé dans l'embarras. Certain jour, ayant faim, je volai un morceau de pain grossier, la ration d'un soldat de passage, logé dans la maison que j'habitais. Quelle chose amère et douloureuse dès ici-bas, que le service de Satan !

En juillet 1821, mon père fut nommé à Schoenebeck, près de Magdebourg. Je vis là l'occasion de rompre avec ma vie de dissipation, et je demandai à mon père de me faire quitter Halberstadt pour entrer au collège de Magdebourg. Je pensais que d'être séparé de mes compagnons de débauche et éloigné de certains pièges, enfin que d'étudier avec d'autres professeurs, m'aiderait à vivre d'une vie meilleure. Mon père consentit à ce que je lui demandais. Toutefois, comme je ne comptais pas sur Dieu, au lieu que le changement souhaité se produisît, je continuai de descendre la pente du péché.

Je quittai donc Halberstadt pour m'installer à Heimersleben ; il était convenu que j'y resterais jusqu'à la Saint-Michel pour surveiller certains travaux d'aménagement que mon père faisait faire, afin de louer sa maison de façon plus avantageuse. Libre désormais de toute tutelle, je devins de plus en plus paresseux, et tombai toujours plus bas en toutes sortes de péchés.

La Saint-Michel venue, je demandai à mon père de rester jusqu'à Pâques, proposant d'aller chez le Dr Naegel, un pasteur, pour étudier avec lui les classiques. Comme le Docteur était très érudit, qu'il prenait des élèves, demeurait aussi à Heimersleben, et qu'il était un ami de mon père, j'obtins ce que je demandais.


VIE DE DISSIPATION
. - Je m'installai alors dans la propriété paternelle où je vécus presque sans aucune surveillance. Chargé de percevoir pour le compte de mon père de fortes sommes qui lui étaient dues, je donnais les quittances de l'argent reçu, mais en prenais pour moi une bonne partie, faisant croire à mon père qu'il n'y avait eu qu'un règlement partiel.

En novembre, j'allai à Magdebourg pour mon plaisir. J'y descendis dans un hôtel de premier ordre, où, en dix jours, j'avais dissipé mon avoir. Bien que mon père eût découvert ma fugue, une fois de retour à Heimersleben je fis rentrer à nouveau tout l'argent possible ; puis, avant entassé mensonges sur mensonges pour obtenir le consentement de mon professeur, je partis pour Brunswick où j'étais attiré par une jeune personne dont j'avais fait la connaissance dix-huit mois auparavant. Je m'installai dans un hôtel de premier ordre, et, la semaine terminée, je n'avais plus rien. Comme je désirais prolonger encore mon séjour, je m'avisai que j'avais un oncle dans la ville, un beau-frère de "mon père, et j'allai le voir en m'excusant d'avoir tardé à le faire. Je restai huit jours chez lui ; après quoi, il me pria poliment de m'en aller.

Dehors et sans argent, je me rendis alors dans un village des environs de Brunswick où je descendis à l'hôtel et dépensai sans compter durant toute une semaine. Mais le propriétaire soupçonnant sans doute que j'étais sans moyens d'existence, présenta sa note. Comme je ne pouvais la régler, je dus laisser en gages mes meilleurs vêtements, et partir. Ce ne fut pas sans difficulté que j'évitai la prison.

De là, je me rendis à Wolfenbüttel, à quelque huit kilomètres, et m'installai confortablement à l'auberge comme si j'avais eu les poches bien garnies. J'y restai deux jours, puis songeai au moyen de disparaître, car cette fois je n'avais plus rien à laisser en gage. Au matin du deuxième ou troisième jour, je sortis tranquillement de la cour ; mais une fois dehors, je me mis à courir. Il paraît qu'on m'observait de la maison, car on cria après moi et je dus revenir. J'expliquai alors ma situation. L'aubergiste fut sans pitié. Il me fit arrêter et on me conduisit à la gendarmerie entre deux soldats. Là, l'officier me soupçonnant d'être un vagabond ou un voleur de profession, me fit subir un long interrogatoire qui dura trois heures ; puis il ordonna qu'on me conduisît en prison. De sorte qu'à l'âge de seize ans, je me trouvai sous le même toit que des voleurs de profession et des meurtriers, et je fus mis à leur régime.

EN PRISON. - Ainsi, ma distinction et mes bonnes manières n'avaient pas suffi à me tirer d'affaire. Le premier soir, et comme faveur spéciale, on ajouta, bien quelque chose au pain du repas ; mais dès le lendemain je fus mis au régime des prisonniers : du pain, un pain très grossier et de l'eau ; pour le déjeuner, des légumes, pas de viande.

Ma situation était vraiment des plus misérables. J'étais bel et bien sous les verrous, dans une cellule, dont je ne pouvais sortir ni le jour ni la nuit. Quant au déjeuner, il était tel que, d'abord, je ne pus me résoudre à y toucher ; le second jour j'en pris un peu ; le troisième je mangeai tout ; le quatrième et par la suite j'aurais bien voulu avoir une plus grosse portion. Le lendemain de mon incarcération, je demandai une Bible au gardien. Hélas ! ce n'était pas que je désirasse me nourrir du texte sacré, mais pour tuer le temps. Ma demande resta sans réponse. Je me trouvai donc seul, sans personne à qui parler, sans livres, sans rien à faire ! Et à la toute petite ouverture de ma cellule, de solides barres de fer !

La deuxième nuit que je passai en prison, je fus réveillé en sursaut par un bruit de verrous tirés et de clefs. Trois hommes venaient d'entrer , et comme, effrayé, je leur demandais ce qu'ils voulaient, ils se contentèrent de rire et se dirigeant vers la fenêtre, ils se mirent en devoir de s'assurer de la solidité des barreaux. Évidemment pour se convaincre de l'impossibilité d'une évasion.

Après quelques jours de complet isolement, j'appris qu'il y avait un voleur dans la cellule voisine de la mienne ; et j'essayai d'entrer en conversation avec lui, pour autant que le permettait une épaisse cloison de bois. Peu après, et comme faveur spéciale à mon endroit, le directeur permit qu'il partageât ma cellule. Nous passâmes alors nos journées à nous raconter mutuellement nos aventures; et à ce moment j'étais devenu si mauvais que, non content de mentionner le mal que j'avais fait, je me mis à inventer des histoires pour montrer quel brillant compagnon j'étais !

Avec chaque nouvelle journée, j'espérais voir arriver ma libération, mais en vain. Au bout de quelque temps mon compagnon et moi nous nous disputâmes, et pour augmenter notre misère, nous cessâmes de nous adresser la parole ; désormais nous passâmes dans le silence toutes nos journées.

Il y avait vingt-cinq jours que j'étais emprisonné lorsque, enfin, le gardien vint me chercher pour me conduire devant le fonctionnaire qui m'avait fait subir l'interrogatoire. C'était le 12 janvier 1822, et j'avais été arrêté, le 18 décembre 1821. J'appris qu'on avait écrit à mon oncle de Brunswick, et qu'il avait répondu qu'on devait prévenir mon père et le renseigner sur ma conduite. On s'était donc mis en rapport avec mon père; et on m'avait gardé en prison jusqu'à ce qu'il eût envoyé l'argent nécessaire à payer l'aubergiste, mon entretien dans la prison et les frais de voyage pour rentrer à la maison. Libéré, j'oubliai les petites attentions qu'avait eues pour moi mon camarade de cellule, et montrai mon ingratitude en négligeant d'aller voir sa soeur pour lui donner un message de sa part, comme je le lui avais promis. Quant au châtiment que je venais de subir, il avait porté si peu de fruit que deux heures après avoir quitté la ville où j'avais été emprisonné, et bien que j'allasse à la rencontre d'un père courroucé, je choisis pour voyager la compagnie d'une personne dont la mauvaise réputation et la méchanceté étaient notoires.
J'étais arrivé depuis deux jours à Heimersleben, lorsque mon père vint m'y rejoindre.


RÉFORME EXTÉRIEURE
. - Après m'avoir très sévèrement châtié, il m'emmena avec lui à Schoenebeck où il se proposait de me garder jusqu'à Pâques. Après quoi, il avait décidé que j'entrerais dans une école de Halle, où un professeur serait chargé spécialement d'exercer sur moi une constante tutelle et une sévère discipline. Durant les semaines qui me séparaient de cette date, je me mis à donner des leçons particulières de latin, de français, d'arithmétique, de grammaire allemande, tout en poursuivant avec zèle mes études personnelles. Je m'appliquais à reconquérir les bonnes grâces de mon père. En apparence, ma conduite devint exemplaire : je faisais des progrès, mes leçons étaient appréciées, tout le monde m'aimait ; aussi très peu de temps après, il avait tout oublié. Cependant mon coeur était resté le même : foncièrement mauvais, et je n'avais pas cessé de me rendre coupable,» en secret, de grands péchés.

Pâques arriva. À cause de ma bonne conduite, de mon zèle à étudier, aussi parce que je n'étais plus pour mon père une cause de dépenses et gagnais bien plus que je ne lui coûtais, j'arrivai facilement à le convaincre de me laisser avec lui jusqu'à la saint Michel (1). Mais une fois ce moment venu, il refusa absolument de me garder davantage ; de sorte que je dus quitter la maison.

Il était convenu que je me rendrais à Halle, pour y subir un examen. Toutefois, comme j'éprouvais la plus vive antipathie pour la sévère discipline dont j'avais entendu parler, que d'autre part je savais que je trouverais là-bas des jeunes gens de ma connaissance qui, eux, suivraient les cours de l'Université et auraient toute la liberté dont jouissent les étudiants allemands alors que je serais encore à l'école, pour ces raisons et plusieurs autres je me dirigeai sur Nordhausen, afin d'y être examiné par le directeur du Gymnase et de continuer mes études avec lui. Je revins à la maison sans rien dire à mon père. Mais la veille de mon départ, je fus bien obligé de l'avertir ; et, pour me disculper, j'inventai un chapelet de mensonges. Mon père se mit fort en colère ; mais à la fin, à force de supplications et de promesses, je l'amenai à céder ; de sorte que je fus autorisé à partir pour le lycée de mon choix.

Je restai deux ans et demi à Nordhausen : jusqu'à Pâques 1825. J'y étudiai avec zèle les classiques latins, le français, l'histoire, l'allemand, mais je ne fis que peu de chose en hébreu, en grec et en mathématiques. J'étais en pension chez le directeur, et par mon travail et ma conduite je gagnai rapidement son estime, au point qu'il me proposa en exemple à tous les élèves de première. Presque toujours, il m'emmenait dans ses promenades pour converser avec moi en latin. À cette époque, j'avais pris l'habitude de me lever à quatre heures hiver comme été, et d'étudier toute la journée jusque vers 10 h. du soir. C'était la règle qui souffrait peu d'exceptions.

Tandis que ma bonne conduite apparente me valait l'estime de mes semblables, je ne me souciais pas de Dieu et vivais secrètement dans le péché. De sorte que je tombai malade, et dus garder la chambre pendant trois mois. Cette maladie ne m'amena pas à faire le retour sur moi-même ; toutefois, éprouvant certaines impressions religieuses naturelles, je lus entièrement et sans fatigue les oeuvres de Klopstock. Quant à la Parole de Dieu, elle ne m'intéressait pas. Je possédais à peu près trois cents livres, mais pas de Bible. J'accordais bien plus de valeur aux oeuvres d'Horace et de Cicéron, de Voltaire et de Montaigne, qu'au Livre inspiré.

À plusieurs reprises, je m'étais dit qu'il fallait que je devinsse une autre créature et que je changeasse de conduite. C'est surtout lorsque je communiais (ce que je faisais avec les autres élèves deux fois par an), que ces pensées se présentaient à moi et que j'essayais d'amender mes voies. La veille du jour où je devais communier, j'avais coutume de me garder de certaines choses, le jour venu j'étais sérieux, et à une ou deux reprises, alors que j'avais dans la bouche l'emblème du Corps brisé, je fis le serment de devenir meilleur, pensant qu'à cause du serment, je serais amené à me réformer. Mais dès le lendemain ou le surlendemain, je retombais dans le mal.


INDIGNITÉ ET REMORDS
. - Ma méchanceté allait se développant, et je pouvais maintenant mentir sans rougir. Pour indiquer le degré de dépravation dans lequel j'étais tombé, je vais choisir parmi beaucoup d'autres, l'un des grands péchés dont je me rendis coupable à Nordhausen. La vie de dissipation que je menais m'avait. amené à contracter des dettes que j'étais dans l'impossibilité de régler, puisque mon père ne pouvait faire plus que subvenir à mes frais d'études. Un jour que j'avais reçu de lui une certaine somme d'argent, je la fis voir intentionnellement à mes camarades. Peu après, je prétendis qu'on avait forcé la serrure de ma malle et qu'on m'avait volé !
Pour détourner les soupçons qui auraient pu se porter sur moi, j'avais aussi brisé la boîte de ma guitare. Feignant d'être fort effrayé, à demi-dévêtu, je m'étais précipité dans la chambre du Directeur pour lui dire le vol dont je venais d'être victime ! On me plaignit fort, et des amis se cotisèrent pour me donner l'équivalent de la somme que je prétendais avoir perdue. En même temps et pour la même raison, J'obtenais des gens à qui je devais de nouveaux délais. Mais je récoltai les fruits amers de mon indignité ; car le Directeur qui avait quelque sujet de me soupçonner me retira sa confiance.

Bien que je fusse très mauvais et que j'eusse endurci ma conscience, même à mon propre jugement, je trouvai que cette fois mon indignité dépassait les limites. Et dès lors, je ne pus me défendre d'un certain malaise en la présence de la femme du Directeur qui m'avait soigné avec beaucoup de dévouement et comme une bonne mère pendant ma maladie. Car c'était sur elle que retombaient maintenant les conséquences de ma honteuse conduite !

J'admire la patience de Dieu à mon endroit, et qu'Il se retint alors de me détruire. Ce fut aussi une grande bonté de sa part de n'avoir pas permis qu'on appelât la police, auquel cas j'aurais été promptement découvert. Pour plusieurs raisons [et l'indignité de ma conduite en cette affaire n'était pas la moindre], je fus heureux de quitter l'école pour l'Université.




Douloureuse histoire que celle de cette enfance, de cette jeunesse sans Dieu ! Spectacle poignant que celui de cet inégal combat entre les bonnes résolutions et les penchants mauvais ; que ces sursauts de la conscience qui proteste malgré des actes menaçant de l'atrophier : des vols, des mensonges, la fourberie, l'hypocrisie, l'impureté !

Et à côté de cette pauvre vie, qui, selon toute apparence, roule aux abîmes, observons les manifestations de l'Amour divin, lequel veille quand même et fait entendre sa voix : Il réveille la conscience que le péché menace d'engourdir. Il se penche sur l'âme malade et y fait naître des aspirations, des désirs, des résolutions de changement de vie et la honte du mal accompli. Voyez ce prodigue, ce jeune blasé, oui ne peut supporter sans malaise le pur regard de celle qui l'a soigné comme une mère. Car l'Esprit de Dieu est à l'oeuvre quand même dans cette conscience, en apparence atrophiée.

Mères qui pleurez, n'abandonnez pas tout espoir : vous voyez l'insensibilité, le visage fermé, l'attitude orgueilleuse ; vous voyez le péché des enfants que vous voudriez arracher à la perdition... Mais la lassitude du mal accompli, des résolutions prises et jamais tenues, l'amertume trouvée au fond de la coupe du plaisir, cela vous ne le discernez pas. Et c'est ici l'action du Saint-Esprit. Priez avec foi, et sans vous lasser. « Tout est possible pour celui qui croit. »

Parents qui souffrez de l'égarement d'un fils, ayez bon courage. Pour Dieu, il n'y a point de cas désespérés. « Je chercherai la brebis perdue ; je ramènerai l'égarée ; je panserai la blessée, et je fortifierai la malade. » Telles sont les promesses de l'Éternel. ( Ezéchiel XXXIV : 16.)


(1) Le 29 septembre; époque de la rentrée des classes. 
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