FRANK
THOMAS
SA VIE - SON
OEUVRE
CHAPITRE VIII
FRANK THOMAS ET LE SOCIALISME. SON OEUVRE
ÉCRITE.
À côté des questions
proprement religieuses, les questions de justice
ont beaucoup préoccupé Frank Thomas
et il les a souvent abordées dans ses
discours. Il était un adepte du
christianisme social, mais malgré tout
l'intérêt qu'il prenait au socialisme
et à certaines de ses revendications, il ne
put jamais se trouver entièrement d'accord
avec ses doctrines. Il s'est plus d'une fois
adressé aux socialistes dans ses sermons et
dans ses discours pour leur prouver l'erreur
profonde qu'ils commettent en ne tenant aucun
compte de la personne et de l'oeuvre de
Jésus-Christ. Il les a affrontés dans
des conférences contradictoires et il a
fait, en 1903, au Victoria Hall une série de
conférences publiées sous le nom
de Christianisme
et
Socialisme, destinées à concilier
ces deux éléments. Il aimait les
ouvriers et il aurait puissamment
désiré leur venir en aide, mais il ne
pouvait être en complète sympathie
avec ceux qui adhéraient
intégralement aux doctrines
marxistes.
D'ailleurs, il ne ménageait pas
non plus la société bourgeoise, ni
l'Eglise à laquelle il s'est plus d'une fois
adressé en des termes les plus
sévères, lui faisant honte de son
indifférence en face des problèmes
sociaux.
Voici un extrait de ses sermons qui rend
compte d'une façon assez claire et
complète de ses idées à ce
sujet.
Je
voudrais
dire bien haut aux ouvriers socialistes qui se
croient très forts lorsque, sous l'influence
de leurs meneurs, ils combattent le christianisme,
qu'ils commettent une grave, très grave
erreur. Je voudrais leur crier que s'ils sont
sincères et réellement
désireux d'améliorer l'état
social du monde, s'ils soupirent après plus
de fraternité, plus de justice et plus de
bonheur, ils ont grandement tort de combattre le
christianisme, Jésus-Christ étant
leur meilleur ami et leur plus sûr
allié. D'innombrables socialistes
d'Amérique, d'Angleterre, d'Allemagne, de
Belgique et d'ailleurs l'ont compris, et
désormais ils se garderaient bien de
combattre encore celui sans
lequel ils n'existeraient pas. À Bruxelles,
ils ont placé le portrait du Christ, un
grand, un immense portrait, dans l'une de leurs
principales salles, c'est même, si je me
souviens bien, le seul portrait qui existe dans
toute la maison. En Angleterre, ils se comptent par
centaines de mille les ouvriers chrétiens,
qui dimanche après dimanche, se
réunissent en Fraternités pour s'édifier et se
développer au point de vue religieux comme
à tous les autres, et cela ne les
empêche pas d'être des socialistes
convaincus.
Je
voudrais
donc supplier ceux de mes lecteurs qui combattent
l'Évangile au nom du socialisme, de cesser
ce jeu à la fois injuste et dangereux. Eux,
qui ont soif de justice, ils devraient se montrer
plus justes à l'égard du grand
méconnu de l'histoire. Eux, qui
désirent tant une transformation sociale,
ils devraient être reconnaissants envers
celui qui est seul capable de transformer le coeur
d'un bourgeois, comme celui d'un ouvrier. Sans
Jésus-Christ, j'ai peur de
l'égoïsme des riches, ils ont pour eux
l'argent et la culture dont ils pourront se servir
contre les classes populaires, mais j'ai tout aussi
peur de l'égoïsme des
prolétaires ! Ils ont pour eux la masse
et la force matérielle dont ils ne
manqueront pas de se servir contre les riches dont
ils se feront des ennemis. Que nos socialistes et
nos anarchistes, qui sont si fiers de se dire
libre-penseurs, fassent usage de leur pensée
libre pour s'affranchir de ceux qui les
mènent et des préjugés qui les
aveuglent ; qu'ils s'en servent pour
dégager le Christ lui-même de tout ce
qui l'a altéré et
faussé à travers les siècles.
Et alors, dans une alliance féconde et
puissante, les vrais chrétiens de toutes les
classes et les hommes honnêtes de tous les
partis politiques pourront monter à l'assaut
des vieilles forteresses de l'oppression et de
l'injustice, et préparer cette cité
de demain après laquelle nous soupirons
tous, depuis que la Bible nous en a donné la
merveilleuse vision. (1)
Pour terminer l'étude des travaux
de Frank Thomas, il nous reste encore à
parler de ses écrits. Il serait injuste de
juger ses innombrables ouvrages comme on jugerait
l'oeuvre d'un écrivain. Tous ou presque tous
les volumes qu'il a publiés sont des
séries de discours qui ont été
hâtivement lancés dans le public sans
avoir été l'objet d'un travail
approfondi de rédaction. Sitôt
imprimés, ils étaient accueillis
comme des actualités sortant de la bouche et
du coeur d'un grand orateur.
S'il a tant, et selon nous trop
publié, ce n'était pas chez lui
manque de modestie, il connaissait les
déficits de sa plume, mais désir
ardent de faire du bien, et certes il y a
réussi.
Ceci dit, cherchons à analyser
son oeuvre.
Ses premiers ouvrages revêtent un
caractère plus homogène que les
derniers qui ne sont guère que des recueils
de sermons. Ils abordent des questions qui forment
l'objet du volume tout entier. Sans grande
originalité, d'un style peu fouillé,
ils témoignent tous cependant d'un
très noble idéal et d'un ardent
désir de conduire ses lecteurs sur les
hauteurs de la vie spirituelle. Rien de touchant
comme cet amour indéfectible du bien qui
anime l'auteur, du début à la fin de
ses ouvrages. Il y a là un effort admirable
qui a dû voir mûrir de beaux fruits, et
combien, à plus forte raison, lorsque ces
mêmes paroles jaillissaient bouillonnantes de
son coeur apportant avec elles ce quelque chose de
rayonnant qui émanait de ses discours et de
sa personnalité. Il n'est pas possible de
parler ici de tous ses ouvrages. Nous en passerons
cependant rapidement quelques-uns en revue.
Notre corps et ses
destinées est un livre de vulgarisation
scientifique sans grande profondeur intellectuelle
mais débordant de foi et qui contient,
à la fin, des passages très
intéressants sur la vie
après la mort. Il est important relativement
à la pensée de Frank Thomas sur
l'Au-delà et témoigne de beaucoup de
largeur d'idées.
La Famille est un très
beau livre plein de conseils pratiques et de haut
idéalisme. Rien ne prouve mieux l'amour du
bien, la conscience, l'enthousiasme qui animaient
Frank Thomas, que cet ouvrage courageux. On sent
qu'il est lui-même un terrain magnifiquement
ensemencé. Il est un juste dans lequel il
n'y a pas de fraude, une conscience lumineuse,
travaillée dès l'enfance par l'Esprit
de Dieu. Il n'a qu'un désir, attirer tous
ses lecteurs et auditeurs au bien, à
l'idéal qui est le sien et qu'il leur
propose.
La Vie en Christ est
peut-être le plus délicat et le plus
tendre de tous les livres écrits par Frank
Thomas. Il contient des passages très
élevés dont la forme est plus
soignée que celle de la plupart de ses
autres ouvrages.
Mais, à notre avis, le meilleur
de tous est le petit volume
intitulé :
La Souffrance. Il est
médité, bien écrit et d'une
pensée exceptionnellement fouillée.
Il témoigne d'une
compréhension étonnante de la
douleur, de la part d'un homme qui, à cette
époque, avait peu souffert. L'on n'y sent
pas comme dans le livre d'Ernest Rostan sur la
Valeur de la souffrance le cri d'un coeur
déchiré et broyé qui a
creusé avec une angoisse inexprimable le
problème de la douleur, pour y chercher une
explication à sa propre
destinée ; on y trouve pourtant une
très grande connaissance du coeur humain et
une vraie science de la douleur des autres. Il y a
dans ces pages une explication, simple, lumineuse
et bienfaisante de la souffrance. Certainement des
coeurs meurtris ont dû y trouver et y
trouveront encore un réconfort.
Quant aux sermons de Frank Thomas,
intitulés Bonne Nouvelle, ils ont
été publiés à raison
d'un par mois de 1898 à sa mort et sont de
valeur inégale. Quelques-uns d'entre eux
sont admirables, animés d'un souffle
puissant et d'un élan remarquable ;
d'autres dénotent un travail trop
hâtif, presque toujours, cependant,
même dans ceux-ci, au milieu de formules
quelconques, s'élèvent comme une
fusée, des passages pleins de foi, de
spontanéité, des
cris du coeur, des appels à la conscience,
vibrants, incisifs, qui dépassent de
plusieurs coudées leur contexte.
C'est là ce qui a fait le
génie propre de Frank Thomas, ce qui l'a
distingué des autres prédicateurs.
Même écrits, alors que sa parole ne
les anime plus, ces passages gardent toute leur
valeur.
En
dehors
de Jésus-Christ, et de Jésus-Christ
crucifié, l'humanité, fille de Dieu
ressemble à une orpheline qui cherche en
pleurant un père que la mort lui a
enlevé ; elle appelle, elle crie, et
personne ne répond ; elle rencontre
parfois des êtres qui lui rappellent son
père, car le souvenir de celui-ci est
gravé au fond de son coeur meurtri, mais
aucun ne ressemble à Celui qu'elle
cherche : ni le Dieu de ses rêves, ni le
dieu des philosophes, d'un Platon par exemple, ni
même le Dieu d'Israël ne peuvent calmer
ses angoisses : ces dieux sont trop hauts ou
trop éloignés, trop abstraits ou trop
vagues, trop séparés d'elle en tout
cas pour pouvoir étancher sa soif ardente et
remplir son coeur.
Mais
tout
change quand elle approche du Calvaire, car
là elle rencontre enfin le Dieu de
sainteté et d'amour à la fois,
après lequel elle soupirait, elle peut enfin
se jeter dans les bras d'un Père tendre et
compatissant qui la fait tressaillir de joie en la
serrant sur son coeur. Autrement dit, si nous
voulions exprimer d'un mot ce que nous donne la
croix, nous dirions qu'elle nous donne tout,
puisqu'elle nous donne le
Dieu
paternel ; notre péché l'avait
fait perdre ; la sainteté parfaite de
Christ et surtout sa mort expiatoire nous l'ont
fait retrouver. (2)
À
travers les siècles, l'amour de Dieu
continue à se manifester toujours le
même, toujours aussi saint, aussi pur, aussi
incompréhensible pour tous les
hommes...
À
l'heure où tu lis ces lignes, ô mon
frère... tu es tout enveloppé, tout
pénétré de l'amour de Dieu,
même si, jusqu'ici, tu es resté
indifférent, même si tu nies son
existence, même si, Le haïssant, tu
t'arrêtes un instant dans ta lecture, pour Le
maudire...
La
bonne
nouvelle de l'amour rédempteur est tellement
extraordinaire et contraire aux calculs de notre
coeur naturel qu'elle apparaît comme une
folie... et c'est là ce qui retient loin
d'elle bien des hommes, ce qui te retient
peut-être, toi-même, loin de Christ,
loin de Dieu : son amour est trop grand, trop
sublime, pour que tu oses
approcher !
Approche-toi
néanmoins, tout
cet amour est pour toi.
Une autre caractéristique des
discours de Frank Thomas, c'est comme on l'a
déjà dit, l'actualité. Il y a
abordé tout ce qui a préoccupé
la pensée de ses contemporains et s'est
efforcé de chercher une solution aux
problèmes qui ont
agité son époque, et,
spécialement, sa Patrie.
Un certain nombre de ses recueils de
sermons sont groupés par sujets,
ainsi : Questions vitales, - Les
Heureux, (3)
- Guerre et Foi,
etc., et
forment un tout au point de vue des idées
générales, mais ne doivent pas
être confondus avec les ouvrages qui traitent
d'un seul sujet comme ceux que nous avons
analysés.
Il faut ajouter encore à tout
cela, quantité de brochures destinées
à répandre une idée,
telles :
- Comment utiliser le Nouveau
Testament.
- La Mission de la jeune fille,
etc.
À noter aussi les
éphémérides qui ont paru
toutes les années de 1904 à 1929,
sous le nom de Calendrier Frank Thomas, et
contenant une lecture biblique et une
méditation, à la fois spirituelle et
pratique, pour chaque jour. D'innombrables
âmes ont été fortifiées
par ces lectures quotidiennes.
L'oeuvre écrite de Frank Thomas
se trouve donc être une oeuvre
considérable qui, dans son ensemble, forme
toute une bibliothèque ; elle n'est pas
autre chose que la rédaction de ses
discours, c'est un point qu'il
ne faut jamais oublier quand on entreprend de la
juger. Ce qui a fait la force de leur auteur, son
succès, sa réputation, c'est son
talent d'orateur, c'est le contact qu'il savait
établir avec son public ; ses ouvrages
n'en sont qu'un reflet très indirect.
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