Le 16 juin 1903, Henri-A. Junod parle au Synode
de l'Eglise indépendante neuchâteloise
sur l'avenir de la Mission Romande et le devoir des
Églises. Il résume la situation
missionnaire dans l'Afrique en comparant les quatre
grands fleuves, le Congo, le Zambèze,
l'Orange et le Limpopo, à quatre vieillards
auxquels il donne la parole. Après les trois
premiers, vient le Limpopo, qui dit :
« Ce que vous racontez, mes
chers confrères, me remplit de joie, mais
j'en suis un peu jaloux. Moi aussi je suis un grand
fleuve ; ils se comptent par centaines de
milles, ceux qui boivent mes eaux et celles de mes
affluents. Cependant mes rives sont encore
couvertes d'obscurité païenne. Ce
peuple souffre et n'a point d'espérance. Il
est vrai que, il y a quelques années, un
homme, un docteur suisse (le Dr Liengme), qui
était toujours pressé, est venu
s'établir auprès de moi et a
commencé un travail béni. Mais il a
été entraîné dans la
débandade qui suivit la chute de
Goungounyane et je ne l'ai plus jamais revu.
Cependant à qui regarderai-je dans mon
dénuement ? Je ne puis compter ni sur
Paris, ni sur l'Italie, ni sur Londres, ni sur
Stockholm, ce sont les Églises suisses qui
ont pris pitié de moi ; c'est à
elles que je regarde et j'espère bien
qu'elles ne m'oublieront pas. »
Il n'y avait dans ces paroles aucun
esprit de clocher. Henri A. Junod
fut toujours un soutien des Missions soeurs.
jusqu'à la fin de sa vie il lutta pour elles
aussi bien que pour sa Mission. Et cet esprit
irénique se manifesta
particulièrement quand il prit plus tard son
travail d'agent de la Mission à
Genève. Il voyait cependant que le devoir
des Églises de Suisse était clair. Et
c'est pourquoi, après ce préambule,
en forme de comparaison, il s'efforça de
montrer à son Église quelle
était sa dette spirituelle, il parcourut
rapidement les plans d'avenir, l'extension
nécessaire de l'oeuvre. Il montra que le
budget de la Mission devrait atteindre peu à
peu 500 000 fr. (un chiffre que nous avons atteint
aujourd'hui, mais qui paraissait une
impossibilité alors). Il montra que le moyen
pratique d'assurer ce développement
était dans une meilleure organisation des
dons. « Le Limpopo ne fait pas de
distinctions ecclésiastiques... C'est dans
la collaboration généreuse que je
vois aussi l'un des moyens de procurer à la
Mission du pays le développement que je
décrivais. »
« Le dimanche 20
décembre 1903, écrit la grand-maman
Junod, je vais à Couvet, où Henri
m'annonce ses fiançailles avec Mlle
Hélène Kern, de Zurich, qui a
été deux fois au Congo comme
aide-missionnaire. Quel soulagement le Seigneur
nous donne ; son serviteur ne retournera pas
seul à sa
tâche ! »
Hélène Kern - de
Schulthess était née à Paris
le 2 mars 1875. Elle eut une vocation missionnaire
précise dans son adolescence, si
caractérisée que le directeur de la
Mission de Paris pouvait écrire :
« Le bonheur qui l'a remplie dès
son arrivée à son poste et dont
rayonnaient ses messages et ses récits, a
donné à chacun la preuve qu'elle ne
s'était pas trompée en se disant
appelée aux Missions. Est-il d'ailleurs
interdit d'espérer qu'un jour Mlle Kern
pourra reprendre le chemin de l'Afrique ?
C'est son voeu le plus cher et notre joie serait
grande s'il pouvait se réaliser
... » (journal des Missions
évangéliques, avril 1903.)
Henri-A. Junod avait rencontré
Hélène Kern à diverses reprises, et il avait dû
être frappé d'emblée par
l'expression de son visage. Ceux qui l'ont connue
se souviennent d'elle comme d'une très
grande personne, dont la distinction et
l'éducation étaient évidentes.
Surtout il y avait une douceur, un charme
inexprimables dans son regard. Ce charme
enveloppait quiconque l'approchait, et l'on sentait
en elle une qualité d'âme tout
à fait supérieure. Exempte de tout
égoïsme, elle ne pensait qu'aux autres.
Une harmonie existe parfois entre des êtres,
même s'ils ne se connaissent pas, et ceux qui
remettent à Dieu la direction de leur vie
savent bien que certaines rencontres ne sont pas
fortuites.. Tout de suite Hélène Kern
et Henri Junod sentirent cette harmonie et leurs
destinées s'unirent tout naturellement. La
grâce de Dieu avait trouvé au
missionnaire solitaire et dépouillé
la compagne qui pouvait comprendre son
passé, qui ne désirait en rien
l'effacer, mais au contraire saurait
rétablir l'équilibre que la mort
d'Émilie Junod avait si tragiquement
brisé.
Ils se marièrent à Zurich,
le 17 mars 1904, et cette date marque le
début d'une nouvelle phase de la vie
d'Henri-A. Junod. Il entrait dans une famille qui
l'accueillit tout de suite dans son sein. Mme
Kern-de Schulthess était une âme
d'élite, une de ces âmes dont la trace
lumineuse ici-bas est un réconfort pour
plusieurs. Elle unissait à la profondeur une
vivacité d'esprit, un enjouement qui
ravissaient ceux qui eurent le bonheur de la
connaître. Comme beaucoup de ceux qui, en
Suisse alémanique, reçurent une
éducation à la fois germanique et
française, elle avait fondu en elle les
caractères essentiels de ces deux races,
toujours divisées par les tiers, et qui
pourtant sont si complémentaires.
L'influence de celle que nous appelâmes
d'emblée grand-maman, et qui nous
reçut dans son grand coeur, tout à
fait comme ses petits-enfants, enveloppa
désormais toute l'activité d'Henri et
d'Hélène Junod en Afrique. La
rectitude et le désintéressement de
leur père, M. Kern-de Schulthess, avaient
aussi apporté dans leur vie un exemple et un
stimulant nouveau. L'affection que les frères et
soeurs
d'Hélène Junod
témoignèrent à son mari ne se
départit jamais.
Le 16 mars, un télégramme
apportait en Suisse la triste nouvelle du
départ pour l'au-delà de Mlle Clara
Jacot. Il faudrait disposer de l'espace
nécessaire pour raconter avec détail
tout ce que Mlle Jacot fut pour la Mission et pour
Henri A. Junod dans son deuil. Son humilité,
son dévouement, ses qualités de coeur
firent que nous l'appelions tante.
N'écrivait-elle pas, peu après le
départ d'Émilie Junod :
« Je sens toujours plus ce que j'ai
perdu. Pourquoi n'est-ce pas moi qui ai
été rappelée ? je
n'aurais laissé aucun vide. Dieu choisit
autrement que nous le voudrions ; mais mon
tour viendra aussi, et alors j'irai dans les bras
de Celui qui a tout fait pour moi... » H.
-A. Junod écrit, en apprenant la nouvelle de
sa mort : « Elle a dirigé mon
ménage de veuf avec tant de tact, de
savoir-faire, d'affection ! Quel vide pour
nous, quelle perte pour l'école ! Mais
quel souvenir pur elle laisse ! Celui d'une
âme profondément pieuse et
consciencieuse... Par-dessus tout, elle
était consacrée entièrement
à la Mission, et elle accomplissait son
oeuvre avec une modestie, un charme et un
savoir-faire qui vont nous manquer
beaucoup. »
« Sa tombe a été
creusée à côté de celle
de l'amie à laquelle elle était unie
par toutes les fibres de son être. Que le
revoir a dû être beau pour elles dans
la gloire ! » (Bulletin
missionnaire, avril 1904.)
Henri et Hélène Junod
s'embarquèrent sur l'Avondale Castle. En
voyage, Henri Junod écrit :
« Que de questions se
présentent à mon esprit ! Je vis
davantage dans l'avenir que dans le passé.
je voudrais que notre
arrivée apportât une force vivante,
spirituelle, à ce continent noir, à
ce Sud-Afrique où il y a tant de mal. Le
sort des noirs me préoccupe. Ils s'agitent
pour obtenir des droits, ils veulent
s'émanciper, et j'ai l'impression que ce
n'est pas dans des conditions saines. La question
de l'éducation des indigènes surtout
se pose avec acuité. Nous
représentons un point de vue raisonnable,
juste : développer le noir sur son
propre terrain, dans sa langue, en formant son
esprit, son coeur. L'indigène lui-même
aspire plutôt à s'affubler de la
culture européenne, à ressembler, au
risque de n'être qu'une caricature, au blanc
qui l'a vaincu et dont la supériorité
éclate. Le gouvernement anglais,
prétendant enseigner en anglais, ne tenant
pas compte de sa vraie nature, l'encourage
plutôt dans cette imitation servile, qui lui
fera perdre son originalité et gâtera
son caractère.
» Que ferons-nous ? Il faut
lutter pour notre principe. Je le sens. Si nous
sommes vaincus, que ce soit après avoir fait
tous nos efforts. Il y va de l'avenir de cette
race, qui n'est pas mûre pour une
civilisation avancée et que tout son
développement antérieur a
préparée autrement... Ce n'est pas
seulement une question de programmes scolaires. Ce
sont deux esprits en présence, deux
méthodes missionnaires, deux conceptions de
la vie. Passera-t-on le niveau de la platitude sur
toutes ces têtes crépues, ou les
appellera-t-on a prendre conscience
d'elles-mêmes, à chercher le
développement de leur don spécial,
à être une race originale et
intéressante, si même elle est moins
douée que sa soeur blanche ? il me
semble que, par toutes mes expériences
précédentes, je suis bien
préparé à rendre mon
témoignage sur cette question, et je veux,
avec l'aide de Dieu, faire ce que je puis dans ce
domaine. Peut-être est-ce là le but
spécial pour lequel Dieu me renvoie en
Afrique. » (26 mai 1904.)
La Conférence
générale des Missions dans l'Afrique
du Sud se réunissait à Johannesbourg
peu après, et Henri Junod exposa ces
idées. Il le fit avec persuasion, avec
l'objectivité qui venait
de sa méthode scientifique, et qui le guida
presque toujours. Après une discussion
intéressante, la Conférence fit
siennes les conclusions suivantes :
« La Conférence
considère comme très importants la
conservation et le développement des langues
indigènes dans les écoles et les
Églises. Tout en reconnaissant la
nécessité de l'enseignement de la
langue européenne officielle, elle insiste
avec force sur la place dominante de la langue
indigène, au moins dans les classes
inférieures. Elle recommande aussi le
développement de la littérature
indigène par la publication de livres dans
les principaux dialectes parlés dans
l'Afrique du Sud. »
Si l'on suit aujourd'hui le
développement de la politique scolaire en ce
qui concerne les indigènes, dans l'Union
Sud-Africaine, on peut constater que les vues
d'Henri Junod ont eu gain de cause. Les langues
vernaculaires se sont développées, et
leur importance dans l'instruction première
est entièrement reconnue.
Le 30 avril 1905 naissait Eveline Junod,
à Shilouvane. Malheureusement, elle
était reprise à ses parents le 12 mai
déjà.
« Et voilà, pour nous
consoler de notre douleur, Dieu nous accorde de
voir le réveil de notre Église
s'étendre aux enfants de l'école.
Dix-sept d'entre eux sont venus vers moi ces jours
mêmes pour s'engager à suivre le
Seigneur. Ce mouvement est sérieux. En
général, ces jeunes garçons et
ces jeunes filles ont un sentiment clair de leurs
péchés et désirent y renoncer.
Puissent ces bonnes dispositions durer et l'Esprit
de Dieu débarrasser l'Eglise de toutes ses
misères » (16 mai 1905.)
L'École
d'évangélistes avait repris. Mlle
Schlub (devenue depuis Mme P. Berthoud) y avait
remplacé Mlle Thélin, et elle raconte
comme suit ses expériences à ce
moment-là :
« En 1905, M. Junod entreprit
le déménagement de tout
l'établissement de l'École
d'évangélistes au sanatorium, sur la
montagne. C'était une entreprise devant
laquelle beaucoup auraient hésité. Il
s'agissait de faire transporter à dos ou
tête d'homme et à dos d'âne tout
le mobilier de notre école et de notre
maison d'habitation. Il n'y avait point de route
carrossable, pas même un vrai chemin, mais
seulement une piste... Et la montée
était rude et longue. H. Junod veillait
à tout et il surveillait tout : les
bâts des ânes, les charges de chaque
porteur, le temps qu'on prenait pour monter et pour
redescendre. Rien n'était
négligé. Cela était frappant.
Un homme occupé ordinairement de tout autres
questions veillait aux détails
matériels avec autant de conscience que s'il
s'était agi d'un ouvrage scientifique
à achever.
» L'année suivante, les
élèves firent grève. M. Junod
était admirable de patience et de
bonté envers ces jeunes hommes
désobéissants. À force de
patience, il vint à bout de la
résistance des grévistes. Sa grande
connaissance du coeur humain, jointe à sa
grande bonté, lui donna la
victoire. »
Peu à peu, les différentes
branches de l'enseignement furent
séparées, par suite des
décisions du gouvernement du Transvaal et
des difficultés que les
évangélistes du Littoral avaient
à passer la frontière. La Mission
fonda l'École normale pour instituteurs
à Lémana, et il fut
décidé que l'École
d'évangélistes serait
déménagée au Littoral,
à Rikatla, au cours de l'année 1907.
M. Lenoir, M. Dentan et Mlle Jeanne Jacot
étaient choisis pour Lémana et Henri
Junod retournait au Littoral pour continuer
à former les futurs
évangélistes.
Avant de partir pour Rikatla, il
résume comme suit l'activité de
l'École
d'évangélistes :
« Arrivés au terme de
cette première phase de l'École
d'évangélistes, jetons un regard en
arrière sur ces sept ans et demi
passés à Shilouvane. Il ne faut pas
que les déceptions de ce dernier semestre
nous fassent oublier toutes les joies
éprouvées, toutes les
bénédictions accordées, tout
le travail accompli et tous les
succès remportés : 44
élèves se sont succédé
dans notre école. Sur ce nombre, 21 sont
employés maintenant activement soit au
Littoral, soit aux Spelonken, soit dans les
villes ; 13 continuent leurs 'études au
Lessouto, à Lémana ou dans notre
école. Des 10 qui restent, 5 sont sortis de
l'école, deux pour incapacité, trois
ensuite d'une expulsion. Un sixième est mort
(Rangane, de Mhinga, garçon plein de
promesses). Quant aux trois derniers, ils
étaient entrés dans l'oeuvre ;
deux ont été expulsés pour
mauvaises moeurs. Le dernier, Aquilas, vient de
quitter son annexe par pure paresse, semble-t-il.
Les expériences faites pendant ces quelques
années n'ont point été
inutiles non plus. Nous avons cherché
à réaliser en quelque manière
l'idéal d'une éducation à la
fois biblique et pédagogique dans leur
langue et conformément à leur
génie.
Malheureusement les gouvernements
coloniaux du Sud de l'Afrique ne partagent
guère nos vues et notre idéal.
Cependant la question de l'éducation des
noirs est discutée et notre
témoignage n'est pas resté tout
à fait vain dans le cercle missionnaire plus
vaste du Sud de l'Afrique. Que deviendra notre
école sur la terre nouvelle où elle
sera transportée ? Cela dépendra
en partie des décisions que nous allons
être appelés à prendre, et en
partie du gouvernement portugais ; mais cela
dépendra surtout de Celui qui est le
maître du travail, de Celui que nous nous
efforçons de servir en cultivant les
âmes, les caractères, les
intelligences de nos futurs
évangélistes. Que sa
bénédiction repose sur l'avenir,
comme sa grâce nous a accompagnés tout
le long de cette première
période ! » (Bulletin
missionnaire, mars 1907.)
Henri Junod fit un voyage au Littoral
pour fixer l'emplacement de l'École
d'évangélistes. Au retour, il assista
aux séances de la Société des
Sciences naturelles, à
Johannesbourg.
Le 7 février, une
dépêche arrive au sanatorium de
Shilouvane, où la famille Junod passait
l'été. Elle annonçait que la
mère d'Henri Junod venait de mourir à
Neuchâtel. La main
fidèle qui traçait la chronique de la
famille dans la vieille Bible avait disparu, et
dès lors Henri Junod reprend cette chronique
lui-même, spécialement celle de la
branche aînée de la famille Une grave
maladie d'Hélène Junod, à la
fin de février, vint troubler la paix des
coeurs. Le départ de sa mère fut
très dur à Henri Junod. Il lui
était très attaché, et je me
souviens, comme petit garçon, de cette tombe
ouverte au cimetière de Beauregard et du
sentiment si poignant de devoir, si petit, prendre
la place de mon père.
Henri et Hélène Junod
gagnèrent le Littoral et firent un
séjour au Tembé, chez M. Paul
Berthoud, en attendant que les constructions
entreprises pour l'École
d'évangélistes à Rikatla
fussent terminées (avril à
septembre). L'inauguration de la nouvelle
école eut lieu le 17 novembre. Ce fut une
belle fête, à laquelle
assistèrent tous les missionnaires du
Littoral. Dix élèves étaient
inscrits. Le premier trimestre fut celui de
l'organisation du travail, et quand vinrent les
vacances, H. Junod et sa femme partirent pour
Amanzimtoti, au Natal. Ils passèrent d'abord
quinze jours à Kranzkloof, à 600
mètres d'altitude.
« Le home de Kranzkloof est
très joliment tenu. Il domine les gorges
profondes et pittoresques du Molwéni, un
affluent de l'Umgéni. Je m'en suis
donné à explorer cette gorge,
à baigner mes pieds dans les bassins d'eau
de la rivière claire ! Quel beau
pays !... J'ai fait un ou deux beaux coups de
filet dans ces parages, bien que la faune
entomologique fût plutôt
pauvre. »
Ils descendirent à Amanzimtoti,
la grande station de la Mission américaine,
puis ils retournèrent à leur poste.
Le 9 juin, le gouverneur général de
la province venait visiter Rikatla. C'était
le général Freire d'Andrade, un homme
très cultivé et fin, qui devint par
la suite un vrai ami d'Henri Junod. M. Freire
d'Andrade
était un homme intelligent, dont
l'intérêt pour la science était
réel. Il avait publié un ouvrage de
valeur sur la flore arborescente de la province.
Aussi put-il dire en toute vérité
qu'il appréciait le travail de la Mission,
parce qu'elle contribuait au progrès de la
Colonie ainsi que lui l'entendait.
Le 31 juillet 1908 naissait à
Lourenço Marques Blaise Edouard Junod. Ce
fut une très grande joie pour les parents.
Un arc de triomphe les attendait à leur
retour à Rikatla.
La période qui suivit fut toute
remplie par les discussions sur les programmes
scolaires. Le gouvernement portugais
commençait à rédiger un
ensemble de lois à ce sujet. Et ce fut
à grand-peine que les missionnaires
réussirent à faire tolérer
l'emploi de la langue indigène dans les
trois premières années
d'école. À l'heure actuelle,
hélas ! ces concessions n'existent
même plus, et l'on peut se demander si jamais
nos amis portugais reviendront à une
conception plus saine des choses.
Mlle Schlub résume ses
impressions de ce temps-là comme
suit :
« Je me retrouvais sous le
toit de M. et Mme Junod, à Rikatla, en 1908.
Le travail se poursuivit très paisiblement,
car tout se faisait d'après un plan bien
réfléchi et personne n'aurait
osé critiquer ce que M. Junod avait
ordonné. Son prestige et son autorité
étaient très grands parmi ses
élèves. À Rikatla comme
à Shilouvane, on travaillait beaucoup, pas
seulement aux leçons, mais aux travaux
matériels de tout genre. À Rikatla,
on faisait des canaux dans le marais pour
assécher le sol et le rendre
cultivable. »
Le temps du retour en Europe approchait. Henri,
Hélène et Blaise Junod partirent et
s'arrêtèrent à Lovedale, puis
à Bloemfontein, où se tinrent les
assises de la troisième Conférence
générale des Missions. De nouveau
Henri Junod est chargé de présenter
un travail sur la méthode à adopter
pour l'éducation des indigènes. Ses
propositions essentielles sont adoptées.
Dans l'éducation indigène, trois
stades devraient être reconnus en ce qui
concerne l'instruction primaire :
a) Le stade vernaculaire, durant lequel
l'enfant apprend à lire et à
écrire sa propre langue, l'anglais
n'étant enseigné
qu'oralement.
b) Le stade anglo-vernaculaire, durant
lequel l'enfant apprend à lire et à
écrire l'anglais, le langage indigène
demeurant le médium de l'instruction pour la
plupart des branches.
c) Le stade anglais, où l'anglais
est étudié plus à fond comme
un langage et employé autant que possible
comme médium d'instruction.
(Saint-Blaise, 19 octobre 1909.)
Henri et Hélène Junod
arrivent en Suisse avec leur petit Blaise le 30
juillet 1909. Il s'arrêtent à Couvet,
font un séjour à Gsteigwyler, puis
à Zurich. Ils s'établissent à
Saint-Blaise, dans le Chalet Ramel, en octobre.
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