Henri-A. Junod était revenu en
Suisse décidé à y passer un
temps prolongé pour s'occuper de ses
enfants, en particulier d'Henri-Philippe. Cette
nouvelle période de sa vie fut l'occasion
d'un travail intense. Il avait atteint la pleine
maturité de ses facultés. Il avait en
réserve beaucoup de notes inédites.
Aussi se mit-il à rédiger avec
persévérance le grand ouvrage de sa
vie, en anglais : « The Life of a
South African Tribe ». Je le vois encore
à cette époque, travaillant à
son bureau, dans le chalet que nous habitions. Il
était là debout, devant un pupitre très
élevé, car il aimait à
travailler debout, sa plume à la main, son
encrier rempli d'encre violette ; il
était si absorbé par sa
rédaction qu'il oubliait ses cheveux
maintenant entièrement blancs, et y essuyait
par inadvertance sa plume chargée d'encre
violette, au grand désespoir de sa compagne.
Quand la fatigue le prenait, que ses migraines
ophtalmiques se faisaient plus fréquentes
(un mal dont il souffrit toute sa vie et qui fut
une véritable écharde dans sa chair),
il s'en allait « tourner un
carreau » dans son jardin... car il
était fils des paysans de Lignières.
Ses mains noueuses, qu'il légua à ses
enfants, portaient les traces
héréditaires du travail de ses
ancêtres et il eut toujours un goût
prononcé pour son jardin potager. Il se
demandait à cette époque ce que
deviendrait son fils aimé. Fallait-il le
vouer à la terre de ses
ancêtres ? Fallait-il le laisser
continuer des études pour lesquelles il
semblait avoir certaines aptitudes ?
Après réflexion, Henri-A. Junod se
décida à laisser le temps agir.
L'enfant, qui devenait un adolescent, avait
toujours vécu dans des familles amies ou
chez des parents. Mais il avait souffert de
l'absence de sa propre famille. Peut-être
l'influence du home, de ce home qui fait la vraie
base du caractère de tout individu,
peut-être l'affection des parents, la douceur
de cette seconde maman, si profondément une
mère pour Henri-Philippe, arriveraient-ils
à canaliser ses instincts multiples.
En 1910, Henri-A. Junod reprit ses
conférences dans les Églises du pays.
Son bagage de connaissances s'était accru
encore. Aussi chacun se disputait-il le
privilège de l'entendre. Son esprit
méthodique donnait à tous ses
discours une forme, et son sens des valeurs du
coeur leur donnait une âme. Ses
prédications missionnaires portaient la
marque de cette piété profonde et
sérieuse, de ce sentiment tragique du
péché, de cette joie de la
grâce, qui avaient marqué si fort
celles de son père.
Au milieu de l'année, il se
décida à partir avec son fils
aîné pour une grande course dans les
Alpes. De Maracon ils gravirent
la Dent de Lys, passèrent dans la
vallée pour remonter sur le pic Chaussy...
Et je me souviens de cet endroit du chemin qui
monte vers le lac Lioson, où, avec un tact
infini et se penchant sur les fleurs des
prés, en magnifique floraison, il se mit
à me parler de ces questions graves qui
troublent si fort les adolescents. Il savait que ce
domaine ne doit pas être abordé
sèchement, avec une froideur scientifique,
une erreur que beaucoup commettent aujourd'hui. Il
savait d'autre part qu'il ne devait pas être
abordé non plus avec passion. Et je me
souviendrai toujours de cette conversation, qui
commençait à équilibrer une
âme en friche. Nous fîmes ensuite
l'ascension des Diablerets, une
révélation pour moi, le point
magnifique d'où date ma réelle
passion pour les Alpes. Il y avait dans cette
recherche de l'effort physique, dans cette
grimpée sur la montagne, un réel
symbole. Le père voulait entraîner son
fils à la vision de ce qu'il appelait
« les principes plus grands encore qui
régissent les enfants de Dieu ».
Pour tout Suisse, l'ascension est liée
intimement à l'effort moral. C'est là
que réside la vertu de « notre
alpinisme », et les étrangers, si
habiles grimpeurs qu'ils soient, ont rarement
surpris notre secret. J'aime à penser que
c'est à mon père que je dois les
premières intuitions des expériences
magnifiques que je fis plus tard.
Henri-A. Junod fut envoyé comme
délégué de la Mission Romande,
avec son ami Arthur Grandjean, au Congrès
missionnaire universel d'Edimbourg : une
expérience unique. On sait, en effet, tout
ce que le monde missionnaire doit à cette
merveilleuse rencontre de 1200
délégués, qui inaugura une
ère nouvelle dans l'histoire des Missions.
« Les événements
prouveront, dit A. Grandjean, que ce moment a
été fructueux pour le monde
entier ». Ils l'ont
prouvé.
C'est à ce moment aussi que se
créa en Suisse romande le faisceau des
Sociétés missionnaires de Jeunesse.
Dans ce milieu, qui lui
était particulièrement cher, Henri-A.
Junod exerça une influence profonde.
En novembre 1910 paraissait, à
Saint-Blaise, un roman d'Henri-A. Junod
intitulé :
« Zidji. » Il est
intéressant de noter ici qu'il le publia au
Foyer Solidariste. Il s'était lié
avec James de Meuron, et les idées de
solidarité qui étaient à la
base de cette entreprise eurent toujours pour Henri
Junod un grand attrait. je me souviens d'avoir eu,
alors qu'il était déjà fort
avancé en âge, une conversation avec
lui sur le communisme. Et j'avais été
frappé de son entière liberté
d'esprit. Il exécrait sans doute les
méthodes bolchévistes et leur
mépris du spirituel. Mais il voyait
clairement la déroute du capitalisme et
comprenait les erreurs fondamentales de ce
système économique. Il ne croyait pas
aux extrêmes qui répugnaient à
ses idées d'équilibre. Il
était entièrement
« disponible », comme dit
Gide.
« Zidji » est un
livre du plus haut intérêt et qui
mériterait d'être mieux connu. Henri
Junod y fait preuve d'un don d'exposition
remarquable, et j'aime à voir, dans le
Bulletin missionnaire qui en donne le compte rendu,
cette conclusion : « Aucun livre,
à notre connaissance, n'est capable de
donner une idée aussi complète du
milieu dans lequel travaille la Mission et de tous
les problèmes auxquels elle
touche. »
En décembre mourait à
Chézard Anna Biolley, la mère de la
première femme d'Henri Junod. Elle aussi
exerça sur tout son entourage une influence
profonde, et H. -A. Junod lui fut toujours
extrêmement attaché.
Le travail de rédaction du
« Life », comme il l'appelait,
continua pendant toute l'année 1911. Au
cours de l'été nous fîmes un
séjour à Chaumont, dans la
pittoresque demeure des « Trois
Cheminées ». Peu après, la
paroisse indépendante de Rochefort adressait
un appel à H. -A. Junod. Il l'accepta d'emblée et
fut
nommé pasteur de cette Église le 1er
octobre 1911. Dans la Bible de famille, il
écrit : « Collaboration avec
M. Mouchet. Activité bienfaisante durant
quinze mois. »
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L'activité d'Henri Junod comme pasteur de
Rochefort laissa une trace lumineuse dans la
paroisse. Il fit pendant l'été un
cours d'instruction religieuse de six semaines,
l'occasion pour lui de donner à son fils
l'essentiel de son expérience religieuse, et
l'occasion pour ce dernier d'une conversion claire
et nette, de son baptême et d'une vocation
missionnaire précise, rattachée
directement à la parole léguée
par Émilie Junod à ses enfants, sur
son lit de mort, à Shilouvane, en juillet
1901.
Le premier volume du « Life of
a South African Tribe » parut à
cette époque. Hélène Junod
avait consacré des semaines, des mois
à la correction des épreuves. Elle
seconda son mari avec une patience inlassable et
avec une intelligence parfaite. Sa connaissance
approfondie de l'anglais, en particulier, fut
très précieuse à son
mari.
À la fin de 1912, Henri Junod
quitte sa paroisse de Rochefort, cette paroisse
où son père avait été
pasteur avant lui, et se prépare à
retourner en Afrique. Il devait laisser ses enfants
derrière lui « Il n'y a pas de
solution à ce problème, dit-il, ou
plutôt il n'y en a qu'une possible :
l'obéissance à notre devoir
religieux. La Mission, comme disait le pasteur
Schroeder, c'est le service militaire de
l'Eglise ; il faut obéir pour
conquérir. » (Bulletin
missionnaire, décembre 1912.)
Avant de partir, Henri Junod mit la
dernière main au second volume du
« Life ». Ce bel ouvrage
paraissait dans son entier, avant son
quatrième départ pour
l'Afrique.
Ce départ fut
particulièrement émouvant. Je revois
le quai de la gare, et ressens encore le
déchirement de cette heure. Pendant
longtemps j'errai dans notre chère ville
natale comme désemparé, jusqu'au
moment où les deux mains tendues de Soeur
Elisabeth, directrice de l'Hôpital
Pourtalès, m'accueillirent. Henri et
Hélène Junod allaient au-devant d'un
plus granddéchirement
encore. À Paris, ils laissaient leur petit
Blaise, âgé de quatre ans, dans la
famille de leurs amis Allégret. Puis, en
Angleterre, ils prenaient congé
d'Anne-Marie, à Yeovil.
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Chapelle-école de Rikatla, et bâtiments de l'École d'Évangélistes. |
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Ils arrivèrent à la fin de juin
à Lourenço Marques et furent
reçus à bras ouverts à
Rikatla : « Tous nos vieux amis
étaient là - sauf ceux qui ont
disparu et il en manque beaucoup - et il y en avait
bien des nouveaux : l'oeuvre que nous fondions
à Manyiça, il y a cinq ans, a pris un
grand développement. il était venu
près de 150 personnes de ce district
éloigné, une belle jeunesse qui
faisait plaisir à voir, conduite par les
évangélistes Daboula et
Manuel. » (17 juillet 1913.)
L'École d'évangélistes
continue son cours normal.
L'évangélisation reprend aussi... et
les travaux manuels multiples :
« Maintenant je vous quitte,
écrit-il dans une de ses lettres, la plume
doit céder la place au
marteau. »
« Nous sommes en plein dans notre
travail de Rikatla, c'est une chasse du matin au
soir. Que de cloches qui sonnent ! Il n'y en a
à vrai dire qu'une, mais elle est tout le
temps en mouvement : à six heures elle
sonne pour le réveil ; à 6 1/2
h. pour la prière que les
élèves font entre eux ; à
7 h. c'est le commencement des leçons :
la gymnastique en portugais que je donne le mardi
ou l'exercice de la fanfare sur les instruments
bien gâtés et sur les nouveaux qui
nous ont été donnés et dont
l'éclat contraste avec la couleur
fanée et la condition cabossée de
ceux que j'avais reçus, il y a tantôt
quinze ans, de la Shilouvane de Genève.
À 7 1/2 h. M. Galley, en habit blanc, et
Mlle Sandoz apparaissent sur la place et donnent
leur leçon de portugais. Nouvelle cloche
à 8 3/4 pour annoncer l'arithmétique ou la
géographie. De 9 3/4 h. à 10 1/2 h.,
c'est le déjeuner des élèves
annoncés par une autre cloche. À 10
1/2 h. une nouvelle volée m'appelle et je
vais donner mes leçons bibliques et le petit
cours de science ou de pédagogie ou le chant
jusqu'à midi et demi. Ici repos de trois
quarts d'heure ; mais à 1 3/4 h. la
cloche impitoyable sonne la
répétition où les
élèves apprennent leurs cours
bibliques. Ils y resteront jusqu'à 2 1/2 h.,
moment auquel la cloche les expédiera aux
travaux manuels jusqu'à 5 1/2 h. Mais j'en
oublie de ces malheureuses cloches ! Il y a
celle de midi et demi pour l'école du
village, avertissement, et celle de 1 h. pour
l'entrée. Elle sert en même temps
à annoncer un catéchisme, celui du
mardi, présidé par Mme Junod, celui
du vendredi pour les baptisés, que je donne,
etc.
» A 7 h. retentit celle de la
prière du soir, à laquelle nous nous
rendons un quart d'heure plus tard, ainsi que les
gens des villages environnants... Ainsi nous ne
mangeons pas le pain de la paresse ; nous
n'avons du reste aucun goût pour ce
pain-là. » (Bulletin missionnaire,
décembre 1913.)
Henri Junod va visiter la Mission berlinoise
de Botchabélo. Il note en passant :
« Ce dont nous nous réjouissons
c'est d'être encore dans une Mission de
début, où l'on vit près des
noirs, et où les noirs sentent qu'ils ont
besoin de vous. »
Les missionnaires réunis en Synode au
Tembé apprennent la déclaration de
guerre ; M. Galley, ayant reçu son
ordre de marche, S'embarque le 11 août pour
la France.
À Rikatla, Henri Junod achète
et met en valeur un terrain, appelé
« terrain du Libombo », pour
permettre aux noirs de garder leurs champs et
stabiliser ainsi une partie de la population
indigène encerclée par les
blancs.
Le 9 octobre naît Etienne-Alexandre.
Blaise, en France, doit se réfugier à
La Baule, pendant le bombardement de Paris.
Anne-Marie avait gagné Couvet par le dernier
train avant les hostilités.
H. -A. Junod note ce que les noirs pensent
de la guerre>:
« Dans leurs réponses
(à nos questions) il faut distinguer celles des
païens qui ne
savent presque rien des blancs, et celles des
chrétiens.
» Pour sûr, disent les premiers,
c'est à cause de nous que les blancs se
battent. Il y en a qui veulent nous prendre
à nos maîtres actuels. Gare à
ce qui va arriver. Car certainement nos chefs
blancs nous armeront pour les défendre.
» D'autres sages, accroupis autour du
feu, sur la place publique du village,
déclarent sentencieusement que, si les
blancs se battent, c'est qu'ils sont beaucoup trop
nombreux ; ils ont vu eux-mêmes que le
temps était venu de diminuer un peu cette
multitude. Voilà pourquoi ils se tuent. (Il
y a peut-être plus de philosophie dans cette
opinion qu'il n'y parait au premier abord.)
» Chez les chrétiens, c'est
différent : « Nous sommes
dans les larmes. Nous ne trouvons pas une parole
à dire... »
» Charly ajoute : « Nous
ne savons que dire parce que nous ne voyons pas
quelle est l'affaire qui cause cette guerre ;
on dirait qu'il n'y en a point. On ne voit pas non
plus à quoi cela tend. Quel est donc le but
de ces massacres ? Ce qui navre par-dessus
tout, c'est de penser à ces foules de
misérables qui sont appelés sous les
drapeaux, qui doivent quitter femmes et enfants,
abandonner leurs villages dont plus personne ne
prendra soin.
» - Et nous croyions que tuer son
prochain c'était
tabou ! »
» Filipi ajoute : « Pour
moi, ce qui m'épouvante, c'est de penser
à tous ces justes, à ces
chrétiens d'Europe qui sont tellement
meilleurs que moi et qui meurent dans ces trous
qu'ils ont creusés pour s'y cacher durant le
combat. je pleure ! Les chrétiens
meurent en foule, comme l'eau s'écoule et se
perd dans le sol ! »
Henri Junod ne découvre un jugement
que dans l'opinion du pasteur indigène
Calvin Mapopé : « C'est comme
si Dieu avait vu qu'il y a quelque chose qui n'est
pas tout à fait en règle dans le pays
des blancs, et alors il les punit, il les bat parce
que ce quelque chose doit être
changé »
Les missionnaires de Rikatla firent un
séjour chez le Dr Hertig, à Morija.
Puis au retour, H. Junod continue ses travaux
entomologiques et prépare une collection
complète pour le Musée de
Lourenço Marques. Il fait un voyage au Nord
jusqu'à Chikhoumbane à l'occasion de
la Conférence des missionnaires du
Littoral.
À l'École
d'évangélistes, des détails
matériels peu à peu provoquent un
mécontentement des élèves. Une
crise assez grave suivit, une sorte de conflit
entre le devoir moral des élèves et
leur esprit de corps. Henri Junod montra alors la
connaissance approfondie qu'il avait du coeur
humain. Il vaudrait la peine de reproduire en
entier le récit qu'il fit de toute cette
tentative de grève. Avec une patience
inlassable, il laissait les plaignants parler, puis
il leur montrait la pauvreté de leurs
arguments. Tout finit bien. Et l'école
reprit. L'autorité de son directeur en
était accrue.
À ce moment, l'Eglise indigène
était assez développée pour
que l'on pût songer à créer une
École pastorale. Cette création fut
décidée. On se mit à
construire les habitations nécessaires et
l'ouverture en fut fixée pour avril 1917,
sous la direction d'Henri Junod. Ce choix fut une
nouvelle preuve pour lui de l'estime de ses
collègues européens et de l'Eglise
indigène, une preuve aussi de la confiance
des directeurs de l'oeuvre en Suisse.
En juillet 1916, il se rendit à
Lovedale, où il visita ce qui devint
l'université indigène de l'Afrique du
Sud. Lovedale et Fort Hare sont le centre
d'éducation le plus important du pays en ce
qui concerne les noirs. Lovedale fêtait alors
son jubilé de 75 ans. Henri Junod note ses
impressions sur le système
ecclésiastique de nos frères
presbytériens d'Écosse :
« J'ai eu l'impression que ce
système a été un peu trop
appliqué de toutes pièces à la
Mission et qu'il n'y a pas eu, dans cette
Église déjà si ancienne,
l'évolution lente, mais consciente, vers
l'indépendance que nous cherchons à
favoriser chez nous. En un sens, les pasteurs et
anciens ont des droits très étendus.
D'autre part, plusieurs paraissent
mécontents, voulant réclamer plus de
pouvoir dans l'administration de l'Eglise. L'un
d'eux, Mama, qui semblait un peu bouffi de sa
propre importance, parlait sur un ton combatif qui
m'a surpris. J'ai eu le sentiment très clair
qu'il faut être bien sur ses gardes quant au
type d'indigènes que l'on admet dans le
gouvernement de l'Eglise. Quand les noirs semblent
dire : « Le moment est venu. Nous
pouvons faire seuls. Vous pouvez
partir... », que d'autre part les
missionnaires répondent :
« Le moment est encore
éloigné. Restez tranquilles et soyez
soumis... » la situation devient
dangereuse. Il faut beaucoup de doigté dans
ces discussions-là et surtout des relations
personnelles amicales, intimes, entre blancs et
noirs, pour conjurer le danger. » (25
juillet 1916.)
Cette page donne une idée très
claire de l'attitude d'Henri Junod dans la
politique à suivre vis-à-vis de
l'Eglise indigène. Là, comme
ailleurs, un équilibre entier des intuitions
du coeur et des directions de la raison.
Les travaux manuels accaparaient passablement le
directeur de l'École
d'évangélistes. De graves
préoccupations l'assaillirent
également au sujet de la santé de sa
compagne. Elle s'écoutait si peu, et son
mari était si occupé par sa
tâche considérable, que peu à
peu sa santé baissa sans que son entourage
s'en rendit suffisamment compte. Elle souffrait
sans rien dire et s'efforçait de toujours
paraître gaie et souriante à tous pour
ne pas apporter au personnel de Rikatla d'autres
soucis. Henri et Hélène Junod
partirent en vacances et firent
un séjour à Middlebourg, puis
à Aberfeldy dans l'État
libre d'Orange.
Ils revenaient à Rikatla quand,
l'état d'Hélène Junod
s'aggravant, elle fut conduite à
Lourenço Marques, où elle mourut
subitement, le 30 mars, des suites d'une
opération.
Hélène Junod s'était
intéressée aux Missions dès
son enfance. Pendant un séjour qu'elle fit
en Angleterre, sa vocation missionnaire
s'était affirmée. Elle partit pour le
Congo et revint avec une santé si
diminuée qu'il fut impossible de l'y
renvoyer, après son second séjour
à Talagouga. En 1904, elle épousait
Henri Junod et se donnait à la tâche
à laquelle il avait lui-même
voué sa vie entièrement. je cite ici
le Bulletin de, la Mission :
« Hélène Junod
était une personnalité
singulièrement attachante. Ce qui dominait
en elle, c'était la joie sereine, un
optimisme de bon aloi. Heureuse d'être en
Afrique, elle considérait toujours sa
vocation sous l'angle du privilège. D'une
humilité extrême, elle trouvait tout
trop bon pour elle. « je me suis permis
un accès de fièvre,
écrivait-elle un jour, et j'ai
été soignée comme une
princesse. » Son éducation
raffinée ne l'empêchait pas, en effet,
de se contenter de peu, de voir le beau
côté des choses et des gens, de se
plier avec grâce à toutes les
situations. Aussi transformait-elle tout ce qu'elle
touchait. Son intérieur, si rustique
fût-il par la force des choses,
révélait sa nature artiste ;
elle n'était pas de ceux qui estiment que le
bien doit fuir le beau, et dans les solitudes
africaines elle savait apporter la fleur et son
parfum. Sa correspondance, toujours
intéressante, révélait cette
sensibilité, ces dons de l'imagination qui
lui prêtaient un si grand charme.
» Dans ses relations avec le personnel
missionnaire, Mme Junod mettait une
délicatesse exquise. Elle était
l'harmonie et le tact personnifiés ;
autour d'elle se répandait une
atmosphère de contentement. Pour qui sait
que les missionnaires n'ont pas tous des
caractères parfaits, cette qualité
est une des plus hautes que l'on puisse apporter en
Mission. Ayant souffert, elle
savait aider à souffrir. Vivant dans les
autres, et ne se recherchant pas elle-même,
elle mettait constamment en pratique cette
devise : faire valoir.
» Et de quelle sollicitude elle
entourait les élèves
évangélistes, les gens de la
station ! (Les élèves l'avaient
nommée Tintîaiu, un nom magnifique qui
peut se traduire par
« grâces », mais qui se
rattache au verbe « kou
tsala », « mettre au
monde » et semble exprimer cette nature
spéciale de la grâce qui
caractérise l'amour maternel. -
Réd.). Avec quelle compréhension elle
collaborait aux travaux de son mari, à son
activité pastorale ! Son profond
sérieux, son amour des âmes
étaient puisés à la source
pure de ses relations avec Jésus-Christ. Il
est bien difficile de s'imaginer sans elle
l'École pastorale de Rikatla, qui est en
voie de fondation. Soit en Afrique, soit à
Rochefort, nombreux sont les paroissiens qui
pourraient témoigner de ce qu'ils ont
reçu d 'elle, sans qu'elle s'en
doutât. » (Mai 1917.)
« C'est dans ces
moments-là, dit Mme Paul Berthoud, que le
pauvre mari fut vraiment admirable : veillant
à tout, jusqu'aux plus petits
détails, s'occupant de son petit
garçon qui n'avait pas encore trois ans et
qui avait naturellement besoin des soins d'une
maman. Son père s'en chargea
entièrement. Il ne voulait pas se
séparer de l'enfant, bien que celui-ci le
dérangeât dans son repos. Il voulait
l'avoir auprès de lui et remplacer sa
mère autant que possible... »
Voici le récit qu'Henri Junod fit
lui-même de ces temps tragiques :
Après l'opération,
« à son réveil, la malade
souffrit énormément...
Déjà alors le docteur remarqua que le
pouls était anormalement faible. Cela
força à être très
prudent dans l'administration de la nourriture le
mercredi... Mais ce coeur si faible toujours !
Oh ! pourvu qu'il tienne encore deux
jours ! J'étais chargé de la
soigner de jour ; je lui lavais
fréquemment les mains et le visage et elle
était si reconnaissante pour tout, si
obéissante et patiente... une malade idéale !
Nous
parlions peu, elle était trop faible.
« Le jeudi matin, elle avait les mains
froides et pourtant de la fièvre et des
transpirations. Le pouls était plus faible,
on arrivait à peine à le trouver. Le
docteur fut inquiet... Le soir vient. Elle n'est
pas plus mal, mais le pouls, qui avait un peu
repris à certains moments, est très
faible. Je me décide à passer la nuit
dans le bureau de Paul Berthoud et à laisser
le petit aux soins de Ernesto (leur domestique
noir) pour aujourd'hui. Hélène trouve
que c'est bien et je vais me coucher à neuf
heures, tandis que Mlle Wyss vient veiller.
Impossible de dormir. Je vois qu'on n'éteint
pas la lampe du corridor à 11 heures. Enfin,
vers minuit, retentit le coup fatal à ma
porte. Mlle Wyss vient m'appeler ! Mon
Dieu !
» En effet, le pouls avait encore
baissé : la malade était
très essoufflée. J'arrive, elle me
reconnaît très bien ; j'entends
sortir de sa bouche des paroles ineffables, qui
résonnent encore dans mes oreilles , mais
elle ne peut plus faire une phrase - et, pour moi,
mon devoir est clair, je dois tourner ses yeux en
haut, lui dire son espérance, lui montrer la
vraie vie dans laquelle elle va entrer, l'amour du
Père, l'amour du Christ...
« Eveline ! » je lui
rappelle notre fillette morte à
Shilouvane ; elle répète
« Eveline »... Mais
déjà sa langue refuse son concours
à sa pensée. Puis la pensée
elle-même se trouble aussi. Le regard devient
fixe, et maintenant c'est l'agonie. Le dernier
combat pour la vie, un combat qu'on sait d'avance
inutile et qu'on voudrait abréger. Chez elle
il fut court : une heure et demie, sans
efforts trop pénibles, et elle s'endormit
à trois heures et demie du matin, ce 30 mars
1917.
» Pourquoi vous ai-je raconté
tout cela, alors que mon coeur se brise pour la
centième fois en revoyant ces moments
affreux ? C'est que, d'autre part, cela me
fait du bien que vous mêliez vos larmes aux
miennes, et que vous sachiez comment a fini cette
femme d'élite, toute rayonnante d'amour, de
bonté, de sainteté, tellement femme,
tellement humaine et si profondément
chrétienne. Qu'elle était belle dans
son grand cercueil doublé
de blanc... toute blanche, mais avec une expression
si paisible, au milieu des roses dont on l'avait
entourée, dormant son dernier sommeil.
» Lugubre retour à Rikatla
à travers la brousse d'Afrique. Combien
différent de celui que nous
espérions ! La lune parut
bientôt... Nous rencontrâmes nos chars
de Rikatla à l'endroit dit Contine,
transbordâmes le précieux
chargement... Et c'est ainsi que je ramenai ma
bien-aimée à la maison. Les boeufs
dociles allaient vite. La brousse était
silencieuse, et dans ces circonstances solennelles,
Dieu parlait.
» A Hangwane, nous croisons trois
cavaliers, M. Cattaneo et les deux instituteurs qui
viennent à notre rencontre. Plus loin, un
groupe de femmes au bord du chemin. C'est Martha la
lessiveuse et ses compagnes de notre village. Leurs
cris de douleur éclatent quand nous nous
arrêtons et qu'elles nous touchent la main.
Mais nous partons et je vois Martha qui s'est
laissée tomber dans les herbes en
sanglotant... Plus loin c'est Elias et quelques
autres hommes. Ils nous serrent la main
silencieusement. Ainsi le cortège
funèbre et nocturne croit et, à onze
heures, nous atteignons la maison. Le cercueil
n'entrera pas dans ma maison, sous mon toit. Elle
n'est déjà plus à moi, elle
est au Seigneur. Les boeufs continuent
jusqu'à l'église où une place
a été préparée pour le
cercueil. Toute la congrégation est
là.
» Le lendemain eut lieu l'enterrement,
dans le cimetière abandonné où
se trouve la tombe de mon petit Henri-Alexis, mort
à sa naissance en 1893. Oh ! combien
j'espérais qu'on n'aurait pas besoin de le
rouvrir... mais la pensée m'avait
traversé l'esprit déjà... Les
hommes ont débroussé le champ du
repos... C'est la vraie brousse du pays ronga, avec
tous ses arbres caractéristiques. Elle
reposera au milieu de ce qu'elle a aimé.
Oh ! surtout pas le cimetière de la
ville où l'on est enterré par des
« coolies » aux cheveux
frisés, qui s'insultent et jettent
violemment la terre sur le cercueil ! Quel
soulagement d'être ici entouré de
notre famille noire ! - « Nous sommes
revenus !
leur
dis-je. Mais comment ? Quel
mystère !... Je suis heureux qu'elle
vienne reposer ici et non chez les blancs de la
ville, car elle s'était donnée pour
les noirs ; elle ne tenait nullement aux
relations avec les blancs. C'est à vous
qu'elle souriait et vous qu'elle
aimait ! » N'allaient-ils pas
sacrifier, eux aussi, quelque chose pour le
Maître ? Renoncer à cette boisson
qui ruine l'Eglise, se laisser conduire par
l'Esprit d'amour qu'ils avaient vu à
l'oeuvre chez elle ? Pour moi, j'étais
comme un arbre battu une première fois par
la foudre, lequel, grâce à elle, avait
reverdi, retrouvé force et joie. Mais la
foudre était tombée de nouveau,
cassant le tronc et les branches. C'est bien
mystérieux. Alors ce que je demandais
à Dieu, c'était non de partir, mais
d'aller de l'avant dans l'oeuvre d'amour, aimant
les noirs comme elle l'avait fait, avec plus de
douceur, de patience, de foi... » Les
noirs, eux aussi, parlèrent. Et Henri Junod
termine son message comme suit :
« La nuit est profonde. Cette
douce lumière s'est évanouie. Mais au
profond des coeurs elle brille encore, et elle
restera suspendue, comme un précieux
luminaire, sur notre école, notre station,
notre Mission, et elle nous aidera à marcher
dans la nuit ! À vous dans le Seigneur.
- Henri-A. Junod. (31 mars 1917.)
J'aime à ajouter ici ces mots de M.
Cattaneo:
« Je ne puis penser à la
vie de Mme Junod, à ce sacrifice consenti
avec tant de joie, à cette mort une semaine
avant la Pâque, sans me reporter au
récit de Jésus, oint à
Béthanie par Marie qui, ayant pris une livre
de nard pur de grand prix, oignit les pieds de
Jésus. Il y aura des gens pour dire :
Pourquoi de tels sacrifices ? Ce sont des
choses incommensurables que l'on comprend par la
foi. Le moindre mouvement de charité vaut
toute la science, toute la connaissance, il a des
répercussions à l'infini. La maison
est remplie de l'odeur du parfum. La voix du
Sauveur dit : « Va et fais de
même. »
Le jour où le
télégramme annonçant cette
nouvelle nous arrivait en Suisse, nous
étions à Neuchâtel. Il restera
gravé dans ma
mémoire, car ce fut celui où
Anne-Marie Junod résolut de partir
immédiatement pour refaire à son
père dans la détresse un nouveau
foyer. Elle comprit d'emblée son devoir, et
malgré les problèmes que posait son
avenir, elle n'hésita que bien peu de temps.
Elle se prépara pendant quelques semaines,
et sur le quai de la gare d'Yverdon, où
l'école de recrues m'avait appelé, je
la serrai dans mes bras un instant, et elle
disparut, entraînée, elle aussi, vers
cette Afrique où elle était
née, vers Rikatla où peu à peu
s'accumulent pour nous les plus poignants
souvenirs. Ce fut une joie immense pour son
père : « Je lui en avais
écrit dès la première heure,
mais avant d'avoir reçu mon appel, elle
avait décidé de venir. Cela m'est
très doux. »
Le 28 septembre, Anne-Marie Junod
débarquait à Lourenço Marques.
Sur la tombe d'Hélène Junod, on avait
écrit cette belle parole :
« Lirandu a li lahleki »
(l'Amour ne périt jamais).
On avait déjà inauguré
l'École pastorale le 9 septembre 1917.
L'allocution d'ouverture était sur ce
texte : « Quand je suis faible,
c'est alors que je suis fort ! »
Malgré son deuil et grâce au ressort
magnifique de sa foi, Henri Junod se remit à
la tâche. C'est le lieu ici de montrer que le
fond réel de la grandeur de cet homme n'est
pas tant dans l'ampleur de son intelligence, dans
le nombre et la diversité de ses dons, dans
la pénétration et la perfection de
ses ouvrages, que dans sa piété.
Henri Junod était un homme
foncièrement pieux, dans le sens le plus
élevé du mot. Il n'aimait pas le
jargon religieux ; il avait une horreur
innée du patois de Canaan. Mais sa
piété était toute simple. Elle
ne s'étalait pas en phrases, et bien qu'il
fût éloquent, il croyait au travail
pour Dieu plus qu'à la parole. Le culte de
famille était l'occasion pour lui d'une
courte méditation pour ses enfants,
très simple, mais aussi très
profonde.
Je me souviens d'une étude qu'il fit
avec nous de l'épître aux
Hébreux ; il sut nous
faire comprendre la réelle portée de
ce livre sacré, où les détours
de l'argumentation rabbinique sont souvent si
obscurs. Il me parla un jour de la souffrance. Nous
sortions d'un culte où le pasteur Albert
Dartigue avait parlé dans le sens d'un vrai
dualisme, montrant que Dieu n'envoie pas la
souffrance... Et je revois Henri Junod,
âgé, et pourtant encore ingambe, sur
le chemin de Richemont, secouant sa tête
blanche. « Non, il y a plus que cela dans
la souffrance. Elle n'est pas si facilement
expliquée. Il n'est pas si facile de la
comprendre. Sans doute elle est souvent
révoltante et inexplicable. Mais il y a plus
en elle. Elle est intimement liée à
l'ordre moral. » Car il remettait tout
à Dieu, et il acceptait tout de la main de
Dieu. Bien que son intelligence le portât
fort loin, - il l'a prouvé, - il ne la
croyait pas capable de résoudre
entièrement les mystères et les
contradictions apparentes du monde moral. La
souffrance était peut-être un de ces
postulats, « de ces principes plus grands
encore qui régissent les enfants de
Dieu. » Chez lui, en tout cas,
peut-être à cause du fait qu'il
était une nature forte, la souffrance se
transforma, se sublimisa. Il en fit un moyen
d'affinement, d'épuration intérieure,
et cela à cause de cette piété
toute simple et fondamentale » qui fut le
secret de toutes ses victoires, piété
qui réalisait simplement, jour après
jour, que le Christ vivant se donne à ses
disciples, et leur redit : « Ma
grâce te suffit. »
En 1918, après un court séjour
à Johannesbourg, avec sa fille et son petit
Étienne, l'École pastorale l'occupa
entièrement. Il fit un voyage au Nord pour
le Synode de Chikhoumbane. En décembre,
Anne-Marie Junod fut atteinte de la grippe et
très gravement malade. Heureusement elle se
remit et put reprendre sa place à la
direction du ménage.
En 1919, la famille fit un séjour aux
Downs près de Shilouvane. Henri Junod se
remit avec passion à la botanique et compléta ses
anciennes
collections. Il fit quelques conférences
ethnographiques à Prétoria. Revenu
à la côte il continua son
enseignement, fit un voyage à Makoulane, au
sud de la province, en août, et étudia
avec soin un mouvement de réveil,
très intéressant, au sein de
l'animisme thonga, le mouvement de Mourimi, qu'il
eut, nous le verrons, l'occasion de
décrire.
L'École pastorale arrivait à
son terme. Une note d'un des élèves,
envoyée après la mort d'Henri Junod,
fera comprendre l'esprit qui animait son
directeur :
« Le missionnaire H. Junod
enseignait la parole de Dieu, mais il essayait de
mettre en pratique ce qu'il enseignait. Quand nous
étions à l'École pastorale, il
nous expliquait les agapes (pourtant les riches
mangent de bonnes choses, et les pauvres mangent de
mauvaises choses). Un jour, il nous dit :
« Allons nous récréer au
Nkomati avec vos femmes. Nous, vos missionnaires,
nous prendrons un jour de congé ».
Nous entrâmes dans un bateau, fîmes un
tour sur l'eau en chantant, puis nous allâmes
nous reposer et manger. Nous et nos femmes, nous
mangions les patates et la bouillie de maïs
que nous avions préparées. Eux, ils
mangeaient du pain et de la viande et buvaient du
café. Alors nous le vîmes venir avec
du pain et de la viande, et il se mit à nous
en donner à tous, à nous, à
nos femmes et à nos enfants. Il nous donnait
les bonnes choses qu'ils mangeaient
eux-mêmes. Alors nous, les hommes de
l'École pastorale, nous comprimes
d'emblée ce qu'il nous avait expliqué
à l'École, à propos des agapes
des Juifs... » (Article dans le
« Nyéléti », de
Ozias Magadzi.)
Le retour d'Henri Junod en Suisse
était proche. Il fit encore une étude
approfondie du système familial des Bantou
sud-africains, étudiant non seulement les
Thongas, mais les Pédis, les Soutos, les
Vendas et les Chopis. On en peut voir le
résultat dans la seconde édition du
« Life ».
En juin 1920, avait lieu la
consécration de quatre des nouveaux pasteurs
indigènes à Rikatla. Mme Paul
Berthoud écrit : « Cette fois encore
le
maître de Rikatla organisa et surveilla tout.
Il était présent quand on tua le porc
destiné aux repas des
délégués du Synode et c'est
lui-même qui passa en revue les tables mises
en plein air pour les repas des
délégués. Il s'informa
auprès des invités pour savoir s'ils
avaient des nattes et couvertures en suffisance. Et
pourtant c'était lui qui devait
présider à la consécration de
ses élèves et à tout le
Synode. Mais il trouvait le temps de tout faire, de
penser à tout et de s'occuper de tout. Si sa
bonté était grande, sa
piété l'était tout autant. Il
remettait tout à Dieu et acceptait tout de
la main de Dieu. Il était un parfait
gentleman, d'une politesse exquise vis-à-vis
de tout le monde. Il ne voulait pas croire au mal
chez les autres et ce n'était
qu'après avoir eu des preuves tangibles
qu'il se rendait à l'évidence. Parce
qu'il croyait au bien dans les humains, il
réussit à faire du bien à ses
élèves et à ses
paroissiens. »
La cérémonie de
consécration fut très
impressionnante :
« Quand les quatre pasteurs eurent
fini de parler, ils durent répondre à
un questionnaire serré, puis tous les
missionnaires présents, blancs et noirs,
leur imposèrent les mains. »
(Bulletin missionnaire, novembre 1920.) Un
cinquième candidat, qui appartenait à
l'Eglise du Transvaal, fut consacré à
Shilouvane, le 4 juillet suivant, par Henri-A.
Junod également.
Le temps de la relâche était
arrivé. Comme s'il avait clairement compris
qu'il ne reviendrait pas en Afrique, Henri-A. Junod
fit un séjour au pays des Ba-Venda. Il donna
quelques conférences à
l'Université de Johannesbourg, puis partit
avec la Société des Sciences
naturelles pour Boulawayo et le Zambèze. Le
9 septembre, il s'embarquait pour l'Europe,
arrivait en Suisse le 15 octobre et s'installait
à Auvernier dans la maison de la Mission. La
famille était de nouveau réunie pour
un temps, un temps très court, puisque peu
après, accepté comme candidat de la
Mission, et consacré par mon père le
27 octobre, je gagnais l'Angleterre pour y
compléter ma préparation.
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