En 1703, le peuple protestant en France
était dans un état lamentable.
Presque toutes les grandes familles de la noblesse
avaient disparu du protestantisme depuis longtemps
une partie de la bourgeoisie avait abdiqué.
À la révocation de
l'Édit de Nantes, presque un tiers des
pasteurs avaient abjuré et deux tiers
avaient pris le chemin de l'exil,
dépouillés de leurs biens,
privés de leurs enfants âgés de
plus de sept ans. On les leur prenait pour les
enfermer dans des cloîtres ou dans des
prisons, et pour corrompre leurs âmes tendres
par des instructions et des exemples d'erreur et
d'idolâtrie. Il fallait une foi très
grande pour accepter un tel sacrifice.
Quant au peuple protestant, il fit en grande
partie semblant de se convertir au catholicisme. En
1685, un million de huguenots passa
extérieurement à l'Eglise romaine.
Nos grandes cités protestantes :
Nîmes, Montpellier,
Montauban, firent semblant de se convertir pour
n'avoir pas à loger des dragons. Le
relâchement de la piété et des
moeurs était très grand. C'est
pourquoi « cette chute si
générale ne m'étonna point,
écrivait le pasteur Jurieu. La
lâcheté universelle avec laquelle on
donna les signatures, était une suite
naturelle de cette malheureuse mondanité
à laquelle vous vous étiez
laissés entraîner. »
Cependant il se produisit un réveil
chez un grand nombre sous l'influence des
prédicants d'abord, des prophètes
ensuite. Quand tout manquait du côté
des hommes, Dieu envoya à son peuple des
inspirés qui prêchèrent avec
force la repentance et la guerre sainte.
Depuis plus d'un an, ils luttaient contre
des armées très supérieures en
nombre et en ressources. Leurs regards se
tournaient depuis longtemps vers leurs
frères de l'étranger auxquels ils
avaient adressé de nombreux appels, en leur
montrant leur indigence, leur faiblesse, leur
besoin d'être secourus et en leur
traçant le tableau de leurs longues
souffrances, de leur patience, de leur soumission,
puis enfin de
l'absolue nécessité de
l'insurrection.
« Ce n'est point ici,
disaient-ils, une révolte ni une
rébellion contre notre roi ; nous lui
avons toujours été soumis et
fidèles, et on a vu pendant tout le
traitement qu'on nous a fait, une obéissance
si profonde qu'elle a été en
admiration à toute la terre ; mais
c'est un droit, de la nature qui nous oblige en
conscience de nous armer, pour repousser la
force ; autrement nous serions complices de
nos propres malheurs, traîtres à
nous-mêmes et à notre patrie.
« Nous savons que notre pauvre
France est désolée et ruinée
dans toutes ses provinces, que les peuples y crient
et gémissent sous l'oppression, et que la
justice et la bonne foi sont bannies. Nous ne
voyons plus partout que violences, et nous ne
savons pas qui gouverne la France ; nous n'y
comprenons plus rien ; car jamais un bon roi,
comme le nôtre, n'a pris plaisir à
détruire ses sujets innocents, ni à
les perdre, ni à les massacrer, parce qu'on
les trouve priant Dieu dans leurs maisons ou dans
des trous de terre. Peut-on inspirer à un
roi la résolution de devenir l'ennemi d'un peuple
dont
il
avait juré d'être le père et le
protecteur ?
« Nous voyons tous les
préparatifs de guerre qu'on fait contre
nous, et que le Maréchal de Montrevel nous
menace d'un grand nombre de troupes
réglées pour nous détruire.
Notre résolution et notre
intrépidité ont, jusqu'à
présent, déconcerté nos
ennemis ; nous ne serons pas
épouvantés de leur grand
nombre ; nous les poursuivrons partout, sans
pourtant faire du mal à ceux qui ne nous en
veulent pas ; mais nous ferons de justes
représailles contre les persécuteurs
en vertu de la loi du talion, ordonnée par
la Parole de Dieu et pratiquée par toutes
les nations du monde ; et nous ne mettrons
jamais bas les armes que nous ne puissions
professer publiquement notre religion, pour faire
revivre les édits et les déclarations
qui en autorisaient le libre
exercice. »
Ces plaintes si émouvantes, qui
auraient dû rendre les États
protestants conscients de leur solidarité et
de leur responsabilité à
l'égard de leurs frères de France,
furent stériles.
La Cour de Louis XIV connaissait ces appels
au secours
adressés par les Cévenols aux Anglais
et aux Hollandais ; elle en instruisit le
Maréchal de Montrevel et Bâville.
C'est alors que celui-ci fit à la Cour
d'atroces propositions pour détruire par le
fer et le feu tous les huguenots. Il s'agissait
pour affamer les Cévenols et leurs familles,
de faire des Hautes-Cévennes un
désert en détruisant par l'incendie
quatre cent soixante villages et hameaux. La Cour
n'accepta que partiellement cette proposition.
Le Maréchal commença sa
sinistre tragédie en brûlant
Saint-Bauzeli et Souzet, deux bourgs à une
lieue de Nîmes. En même temps, il
donnait ordre à la garnison de
Sommières de brûler tous les villages
des environs. Canne, Serignac, Mandazel et Podignan
furent réduits en cendres. Comme
représailles, Cavalier fit dire à
Montrevel que pour chaque village protestant
brûlé, il mettrait le feu à
deux villages catholiques, et il mit le feu aux
faubourgs de Sommières, puis aux villages de
Saint-Sériès et de
Sauvigniarques ; Julien reçut l'ordre
de brûler soixante bourgs ou villages, tous
habités par des protestants, pendant que son
collègue, le brigadier
Planque, avec ses huit régiments
d'infanterie et ses dix compagnies de misquelets,
brûlait et détruisait tout ce qu'il
trouvait sur son chemin. Du côté
d'Uzès, les catholiques avaient pris les
armes et tombaient sur les protestants, pillant et
incendiant, puis tuant tous ceux qu'ils
trouvaient.
Les Camisards étaient dans une grande
consternation. Les incendies les privaient de tout
moyen d'avoir des vivres. Les familles protestantes
étaient aussi dans une horrible
détresse. Tout leur manquait. Ce pauvre
peuple affamé et persécuté
serait tombé dans le désespoir sans
les inspirations et les révélations
de ses prophètes.
Dans ces circonstances tragiques, les
officiers cévenols et leurs troupes
montrèrent une grandeur d'âme
extraordinaire et un courage surhumain. Roland
attaqua la garnison de Genolhac et la passa au fil
de l'épée. Cavalier se rendit du
côté de Sommières et de la
Vaunage pour protéger les huguenots qu'on
voulait tous mettre à mort. À Nages,
il convoqua à un culte le dimanche, les
protestants du voisinage.
Plus de mille personnes y vinrent. Le curé
Terrien, de
Montprézat, avait averti le gouverneur de
Nîmes qu'une assemblée était
convoquée. Le colonel de Firmacon vint
aussitôt avec une armée. Il trouva
cinq à six cents soldats huguenots et deux
mille hommes et femmes assemblés pour
entendre la prédication de
l'Évangile.
Le combat ne dura guère qu'une
demi-heure. Les femmes montrèrent une
très grande vaillance ; elles
encouragèrent les hommes, prirent
elles-mêmes des pierres et se battirent
courageusement. Jamais le sexe faible ne montra
plus d'énergie. Les mères aidaient
leurs fils et les femmes leurs maris à
combattre. Une jeune fille de dix-huit ans,
Lucrèce Guignon, dite la Vivaraise, assise
sur le penchant de la montagne, criait :
Courage, vive l'épée de
l'Éternel ! Puis elle sauta sur un mur,
avec un sabre qu'elle avait pris à un dragon
blessé, et elle taillait en pièces
les ennemis avec une audace admirable. On se
battait au chant des psaumes en criant :
« Vive Dieu et notre bon Roi. Fin du
clergé. »
Le Maréchal accourut avec un corps
d'armée de dix mille hommes pour s'emparer de
Cavalier qu'il ne put
trouver. Il en était
désespéré. Il écrivit
à Chamillart le 4 décembre 1703 -
« Ni vous, ni moi n'avons jamais rien vu
de si singulier et de si extraordinaire que la
conduite de ces enragés. Ne regardez pas
cette diabolique révolte comme vous la
regardez. Je ne peux pas promettre au Roi de
détruire cette canaille, parce que, pour les
détruire, il faut les trouver, et pour les
trouver il faut qu'ils le veuillent, car quand ils
ne le veulent pas, cela est absolument impossible,
parce que tout le pays est pour
eux. »
Cependant le brigadier Julien continuait
à brûler les villages et les bourgs
des Hautes-Cévennes où ne se
trouvaient même plus d'habitants. Un autre
officier papiste, encore plus cruel,
écrivait à Chamillart :
« Je fis passer par les verges jusqu'au
sang quatre femmes ou filles qui avaient
été plusieurs fois entendre
prêcher la Blonde, fameuse prophétesse
parmi les rebelles. » Pour lui, ce
n'était pas assez de faire fouetter des
femmes, il les faisait tuer sans jugement. Il
écrivait au ministre de la guerre ;
« Après avoir fait casser la
tête à trois Camisards le matin, je fis le même
soir
tuer cinq femmes ou filles fanatiques ou
prophétesses qui moururent fermes dans leur
religion, sans vouloir entendre les raisons que le
prêtre leur disait. »
Un monstre de cruauté, le capitaine
La Rose, fit fusiller un jour une trentaine de
personnes, sans épargner les femmes et les
enfants. Il incendia ensuite quatre villages,
commettant mille espèces de barbarie et
insultant le sexe faible.
Entre Nîmes et Uzès, une troupe
de scélérats papistes qui avait pris
le nom de Cadets de la Croix-Blanche et
qu'on appelait aussi Camisards blancs, avait
reçu l'ordre de s'emparer des troupeaux et
des biens des protestants et même de les tuer
sans miséricorde.
Ils commettaient les pires atrocités,
massacrant hommes, femmes et même les enfants
au sein de leurs mères. Cavalier les battit
dans une rencontre. Un grand nombre fut tué,
les autres se dispersèrent. Une troupe de
scélérats qui accomplissait les
mêmes exploits du côté de
Saint-Ambroise et de La Salle fut aussi
taillée en pièces par les Camisards.
D'autres brigands se rendaient coupables des
mêmes violences du côté de
Nîmes ; Catinat alla en
débarrasser le pays.
À Gaverness, près d'Aubois,
soixante Cévenols, sans armes, avec des
frondes, comme de nouveaux David, firent pleuvoir
un tel déluge de pierres sur un
détachement de dragons, qu'ils le mirent en
fuite. Ces dragons restaient toujours la terreur
des familles protestantes.
Peut-on se représenter l'affreuse
misère de ces populations huguenotes et de
ces armées camisardes !
« Qui la racontera, cette
guerre ? s'écrie notre grand historien
Michelet. Et le peut-on ? Voilà encore
un côté sombre et désolant de
l'affaire des Cévennes. Non, on ne peut plus
la conter. Elle est presque autant impossible,
enfouie et perdue sous la terre, que celle
même des Albigeois. Les perfides
récits des bourreaux ont menti, obscurci,
tant qu'ils pouvaient. Et les récits
protestants n'éclaircissent pas ; ce
sont ceux des ministres, ennemis des
fanatiques. »
Et Michelet a malheureusement raison.
Antoine Court même ne rend pas justice aux
Camisards et aux
prophètes cévenols. Les pasteurs de
Londres se montrent injustes à leur
égard. À toutes les époques,
le prêtre a été l'ennemi du
prophète, l'homme de la lettre ne comprend
pas l'homme de l'Esprit.
Les Hautes-Cévennes étaient un
désert et pourtant la guerre continuait
malgré les cruautés de plus en plus
affreuses de Montrevel. Il fut assez barbare pour
envoyer la prétendue tête de Jean
Cavalier à son père et à sa
mère, emprisonnés tous deux à
Alais. Bâville annonça qu'il donnerait
mille pistoles à celui qui lui apporterait
la vraie tête du chef camisard.
Impuissant sur le champ de bataille, le
Maréchal essaya de réussir en faisant
mourir de faim les Camisards. Dans ce but, il
ordonna aux habitants de la contrée,
catholiques et protestants, d'apporter leurs
provisions, dans les villes fortifiées.
Blés, seigles, orges, froments et
châtaignes devaient être
apportés. Le fourrage qu'on ne pourrait
enlever devait être brûlé.
Quiconque garderait des provisions chez lui pour
plus de quinze jours serait regardé comme
rebelle.
Dès qu'ils eurent connaissance de ces ordres,
les chefs
cévenols s'emparèrent de tout le
blé et de tout le vin qu'ils purent trouver
chez les fermiers et le tirent transporter dans les
magasins qu'ils avaient dans les cavernes des
montagnes. Grâce à ces provisions, ils
purent vivre une année, tout en subvenant
aux besoins des femmes et des enfants
protestants.
Les catholiques étaient presque aussi
malheureux, au point de vue matériel, que
les protestants. Faute de vivres, Ils durent
bientôt quitter leurs maisons et leurs biens
pour se retirer dans, les villes. Là, les
officiers faisaient la distribution de nourriture
à chaque famille. À son
arrivée dans les Cévennes, le
Maréchal de Villars fut effrayé de la
disette qui régnait ; Il
écrivait en août 1704 à
Chamillart : « Je trouve qu'au lieu
d'affamer les Camisards, plusieurs de nos petites
villes sont réduites à la
dernière extrémité et j'ai une
lettre des habitants de Saint-Etienne, dans les
Cévennes, déclarant qu'ils sont
réduits à manger les
chiens. » Il y eut une telle disette
qu'à Alais on resta six mois avant de
pouvoir se procurer du sel. Le bois et le fourrage
manquaient, les terres demeuraient incultes, les
habitants n'osant pas sortir des villes. Il est
plus facile, de raconter ces détresses que
de les réaliser d'une façon
vivante.
Jamais les protestants n'auraient
supporté tous leurs maux sans les
inspirations et les révélations de
leurs prophètes. Elles étaient leur
lumière, leur joie, leur force, leur
consolation, leur nourriture. Si le repas servi par
un ange au prophète Elie lui donna la force
de marcher quarante jours et quarante nuits
jusqu'à la montagne de Dieu à Horeb,
le repas spirituel que Dieu servait à son
peuple persécuté, par le moyen des
inspirés, le rendait capable de marcher
vaillamment dans le désert de ce monde. On
ne peut comprendre la révolte des
Cévenols, la persévérance de
ces hommes et de ces femmes, cette lutte d'un
peuple faible contre un roi tyran très
puissant, la fidélité des
galériens et des prisonniers, qu'à la
lumière de l'Esprit de
prophétie.
Claude Brousson, le célèbre
pasteur du désert, l'homme de foi et de
réveil qui mourut martyr, parle des
prophètes cévenols avec un saint
enthousiasme. Il n'eut pas voulu, dit-il, pour des
millions, être privé du
privilège d'avoir été
témoin de si grandes choses. Il composa un
écrit dans lequel il racontait ce qu'il
avait vu et entendu. Malheureusement, cet
écrit est perdu. Il écrivait à
un ami :
« La Providence divine m'a fait
passer, contre mon intention, dans un pays qui
semblait abandonné ; mais où
j'ai vu, ouï, appris, par un très grand
nombre de témoignages indubitables, de si
grandes merveilles qu'elles feront le sujet de
l'étonnement et l'admiration de toute la
terre, et celui de la consolation et de la
justification de Monsieur Jurieu et de ses
semblables. Il y a des gens qui ont
travaillé à ensevelir les merveilles
de Dieu ; mais Dieu saura bien les faire
connaître. »
Il est de notre devoir, à nous
protestants français, de ne pas laisser dans
l'oubli ces merveilles de Dieu. Recueillons donc
encore les témoignages des hommes qui ont
expérimenté et vu ces faits
surnaturels rapportés dans le
Théâtre sacré des
Cévennes.
Écoutons le témoignage d'Elie
Marion :
« Le premier jour de
l'année 1703, comme nous
étions retirés, la famille et
quelques parents pour passer la journée en
prières et autres exercices de
piété, l'un de mes frères
reçut une inspiration ; et, quelques
moments après, je sentis tout-à-coup
une grande chaleur, qui me saisit le coeur et qui
se répandit par tout le dedans de mon corps.
Je me trouvai un peu oppressé, ce qui me
forçait à faire de grands
soupirs ; je les retenais tant qu'il
m'était possible à cause de la
compagnie. Quelques minutes après, une
puissance à laquelle je ne pus
résister davantage s'empara de moi et me fit
faire de grands cris, entrecoupés par de
grands sanglots, et mes yeux versèrent des
torrents de larmes. - Je fus alors violemment
frappé par une idée affreuse de mes
péchés, qui me parurent noirs et
hideux, et en nombre infini. Je les sentais comme
un fardeau qui m'accablait la tête, et plus
ils s'appesantissaient sur moi, plus mes cris
redoublaient et mes pleurs. Ils me remplirent
l'esprit d'horreur, et dans mon angoisse, je ne
pouvais ni parler, ni prier Dieu. Toutefois, je
ressentais quelque chose de bon et d'heureux, qui
ne permettait pas à ma frayeur de se tourner
en murmure ni en
désespoir. Mon Dieu me frappait et
m'encourageait tout ensemble. Alors, mon
frère retomba dans une seconde extase, et
dit à voix haute que c'étaient mes
péchés qui me faisaient souffrir. Et,
en même temps, il se mit à en faire
une longue énumération et à
les représenter devant toutes les personnes
qui étaient là, comme s'il les avait
vus ou lus dans mon coeur ; je n'aurais pu
faire moi-même un portrait plus juste de mon
propre état.
Dès qu'il eut achevé cet
épouvantable tableau, sans en rien oublier,
et en insistant sur les péchés qui
affligeaient le plus mon esprit, je me trouvai
beaucoup soulagé. Quelque calme étant
ainsi survenu, mon fardeau s'allégea aussi,
et je goûtai avec une grande joie la
liberté qui me fut rendue de pouvoir
élever mon coeur et ma voix vers Dieu. Je
profitai de ce temps heureux et je ne cessai
d'implorer la grâce de mon Père
céleste qui, selon sa clémence
infinie, parla aussi de paix à mon coeur et
essuya les larmes de mes yeux. Je passai doucement
la nuit, niais, à mon réveil, je
tombai dans des agitations semblables à
celles qui, depuis ce temps-là
jusqu'à présent, m'ont toujours saisi dans
l'extase et qui furent
accompagnées de sanglots très
fréquents. Cela m'arriva trois ou quatre
fois par jour, pendant trois semaines ou un mois,
et Dieu me mit au coeur d'employer ce
temps-là en jeûnes et en oraisons.
Plus j'allai en avant, plus ma consolation
s'augmenta, et enfin, loué soit mon Dieu,
j'entrai en possession de ce bienheureux
contentement d'esprit qui est un grand gain. Je me
trouvai tout changé. Les choses, qui
m'avaient été les plus
agréables, avant que mon Créateur
m'eût fait un coeur nouveau, me devinrent
dégoûtantes et même
insupportables. Et enfin ce fut une nouvelle joie
pour mon âme, lorsqu'après ce mois
d'extases muettes, si je puis les appeler ainsi, il
plut à Dieu de délier ma langue et de
mettre sa parole en ma bouche.
Comme son Saint-Esprit avait mû mon
corps, pour le réveiller de sa
léthargie et pour en terrasser l'orgueil, sa
volonté fut aussi d'agiter ma langue et mes
lèvres, et de se servir de ces faibles
organes selon son plaisir. Je n'entreprendrai pas
d'exprimer quelle fut mon admiration et ma joie,
lorsque je sentis et que j'entendis couler de ma
bouche un ruisseau de paroles
saintes, dont mon esprit n'était point
l'auteur, et qui réjouissaient mes oreilles.
Dans la première inspiration que Dieu
m'envoya, en déliant ma langue, son
Saint-Esprit me parla en ces propres termes : Je t'assure,
mon enfant, que je t'ai
destiné pour ma gloire, dès le ventre
de ta mère. Heureuses paroles qui seront
gravées dans mon coeur, jusqu'au dernier
soupir de ma vie. Ce même esprit de sagesse
et de grâce, me déclara aussi qu'il
fallait que je prisse les armes, que je me
joignisse à mes frères, qui depuis
environ six mois combattaient vaillamment pour la
cause de Dieu. Je partis donc de la maison de mon
père au commencement du mois de
février, et j'allai au désert
m'enrôler dans une troupe de soldats
chrétiens, que j'ai eu l'honneur de
commander quelque temps après.
« Vers le temps de Pâques
1703, la troupe du frère Castanet se joignit
à celle d'Abraham Mazel. Salomon Couderc
(qui commandait avec Abraham Mazel), l'un de nos
plus excellents prédicateurs, et qui avait
reçu d'autres grands dons, eut ordre, par
inspiration, de purifier ces deux troupes unies,
dont plusieurs s'amusaient
à de certaines manières mondaines, et
dont quelques autres avaient désobéi
à des commandements qui leur avaient
été faits. L'Esprit ordonna au
frère Salomon de faire arranger cette troupe
par lignes (elle était de 4 à 500
hommes) et de mettre à part ceux qui lui
seraient indiqués intérieurement.
Alors Salomon, saisi de l'Esprit, marcha avec des
agitations, les yeux ouverts ; et comme il
envisageait chaque homme, de rang en rang, il
recevait des avertissements secrets qui lui
faisaient connaître ceux qui devaient
être rejetés. Il les tirait du rang,
et ils s'allaient mettre ensemble dans un lieu qui
leur avait été marqué. Les
pauvres gens obéissaient, en fondant en
larmes, et allaient se jeter les genoux en terre,
à l'endroit où on les conduisait. Il
y en eut 60 ou 70 qui furent ainsi rejetés.
Comme j'avais déjà quelque
commandement dans la troupe, je ne fus pas dans
l'obligation de me mettre au rang de ceux qui
devaient être ainsi mis au creuset, et je
m'estimai heureux de pouvoir me garantir de cette
terrible épreuve ; car lorsque Salomon
eut ordre de le faire, j'en fus effrayé et
j'en tremblai tout. Je me tins donc un peu à
l'écart, avec un
bon serviteur de Dieu, que nous appelions le Cadet
Mallié, et quelques autres, et nous nous
mimes là en prières.
Salomon, toujours rempli et mû de
l'Esprit, dit beaucoup de choses touchantes
à ceux dont la bonne conduite avait
été récompensée. Et, un
moment après, suivant un ordre secret qu'il
reçut de l'Esprit, il commanda que ceux qui
avaient été rejetés,
s'approchassent : toute l'assemblée
étonnée fondit en larmes. Il leur
adressa de fortes censures, la grande vertu
continuant d'opérer en lui ; il leur
fit de pressantes exhortations, après quoi
il leur déclara la bonne nouvelle que le
sacrifice de leur coeur froissé avait
été agréable à Dieu, et
qu'ils étaient reçus en grâce.
Chacun se réunit dans son rang en versant
des larmes de joie, et Salomon fit une admirable
prière.
« J'ai dit que j'avais
été extraordinairement ému de
cet acte si terrible et si solennel. Pendant que
tout cela s'était fait, j'avais
été toujours prosterné devant
Dieu, implorant sa miséricorde, afin que je
ne fusse jamais du nombre des malheureux
rejetés. Comme Salomon finissait sa
prière, je fus saisi de
l'Esprit qui me fit prononcer diverses
choses ; et mon âme étant
toujours frappée des mêmes
idées, je répandis des larmes de sang
en abondance. Le sang était vermeil comme
s'il eût sorti de mes veines. Il en coula sur
mon habit et sur mon fusil, et même jusqu'en
terre. Ces pleurs extraordinaires furent
versés dans la détresse de mon
esprit. Cela arriva en présence d'un grand
nombre de personnes, en plein midi, dans un lieu
appelé les Vernèdes.
« Comme j'étais avec
frère La Valette, qui avait de grands dons,
et entre autres, celui de la prédication, il
eut un ordre secret de donner la sainte
Cène. Mais dans les réflexions qu'il
faisait sur un acte si solennel et si auguste, il
était effrayé de son
indignité. Hélas ! mon
Dieu ! disait-il, qui suis-je moi ? Je
n'oserais entreprendre une chose si fort au-dessus
de mon état, j'en suis incapable et indigne.
Comme il était ainsi travaillé de
doutes, l'Esprit me saisit en m'agitant beaucoup et
découvrit ses pensées, me faisant
prononcer d'une voix ferme que la volonté de
Dieu était que son serviteur
exécutât ses ordres et qu'il
consolât son peuple selon le commandement qu'il en
avait
reçu. Après cette seconde
déclaration, nous nous mîmes
promptement en devoir d'obéir. Et comme nous
ne savions pas la manière dont on
célébrait cette sainte
cérémonie, nous consultâmes des
personnes expérimentées. Le
frère La Valette présenta le pain et
le vin au peuple, et moi je mettais la coupe entre
ses mains. Nous eûmes un grand nombre de
communiants.
C'était une chose admirable de voir
tous ces pauvres chrétiens affamés et
altérés de la pâture
céleste, qui venaient à la sainte
table, avec une contenance dévote, le visage
arrosé de larmes de contrition et de joie
tout ensemble. Si on savait chez les
étrangers ! Si ceux qui nous insultent
étaient informés de l'état
naturel des choses ! Mais la volonté du
Seigneur soit faite ! Nous eûmes des
sermons excellents, avant et après la
communion ; car Dieu mettait des choses
admirables sur ce sujet en la bouche de ses
serviteurs. Nous ne perdions pas un seul mot de
tout ce qu'ils prononçaient et je ne doute
pas que Dieu ne disposât le terrain de nos
coeurs en même temps qu'il y semait sa
Parole.
« Après l'exhortation du
soir qui fut faite par le frère Mouline, je
reçus une inspiration dans laquelle l'Esprit
me fit prononcer ces divines paroles, entre
autres : Je te dis, mon enfant, je t'assure
que les anges se sont réjouis au ciel de
votre journée. Aussi fut-ce pour nous une
journée de louange et de joie.
Depuis ce temps-là, nous
continuâmes de distribuer la
Sainte-Cène du Seigneur de trois en trois
mois, dans les assemblées, deux dimanches de
suite. Le frère Abraham y faisait une
fonction extraordinaire. L'Esprit lui avait
ordonné, par une inspiration, de se tenir
debout, proche de la table, le visage tourné
vers l'assemblée, et d'arrêter ceux
qui approcheraient sans s'être suffisamment
préparés (selon qu'il lui serait
donné à connaître), en les
exhortant de s'en aller prier et de revenir
recevoir la consolation qu'ils cherchaient. Comme
ces paroles leur étaient dites en douceur et
charité fraternelle, aussi
étaient-elles reçues en grande
humilité, comme un encouragement et une aide
à la piété de ces braves gens.
Ils se détournaient en pleurant, ils
allaient se prosterner devant Dieu et lui demander
par des soupirs qui ne se
peuvent exprimer des grâces qui leur
étaient accordées. Ils revenaient
consolés et on les recevait.
« Aussitôt que les ennemis
eurent appris que j'avais quitté la maison
de mon père et que je m'étais joint
aux Camisards, comme on les appelait, ils
observèrent de très près
toutes les personnes de la famille, et ce
n'était pas sans quelque raison ; car
effectivement mon père et mon frère
P. étaient fréquemment occupés
à nous apporter des vivres et d'autres
choses. Mais l'Esprit saint qui visitait fort
souvent mes frères, les avertissait de tout
et veillait pour toute la maison. Comme il y avait
garnison dans le bourg, personne n'en pouvait
sortir sans rencontrer quelque sentinelle ou
quelque corps de garde, et ces gens-là
fouillaient presque toujours ceux qui sortaient.
Mais, par une assistance particulière de
Dieu, aucun de ceux de notre famille n'a jamais
été surpris : il n'y allait pas
de moins que de la vie.
« Soit qu'ils eussent dessein de
venir à nous qui étions dans la
troupe, soit qu'ils voulussent aller aux
assemblées, leur méthode constante
était de consulter l'Esprit de Dieu, qui, par sa
miséricorde,
entretenait une si douce communication avec eux,
par les inspirations qu'il accordait à mes
frères, que comme ils n'entreprenaient
jamais rien sans avoir demandé humblement
conseil, aussi obtenaient-ils toujours une
réponse favorable. Allons, mes enfants,
disait mon père, allons, demandons à
Dieu qu'il lui plaise de nous faire connaître
sa volonté. Aussitôt, les jeunes gens
se mettaient en prière, et lui avec
eux ; l'Esprit tombait incontinent sur eux ou
sur l'un d'eux, et les paroles qu'ils
prononçaient étaient des oracles
certains. Dès qu'ils avaient assuré,
dans l'inspiration, qu'il n'y avait rien à
craindre, on ne craignait rien, et on entreprenait
tout. Cela est arrivé cent fois ; mais
j'en rapporterai un exemple mémorable.
« Après que mon
frère Pierre eut aussi pris les armes (ce
qu'il fit par inspiration), mon père devint
plus suspect que jamais aux persécuteurs. Et
même, comme ils avaient de violents
soupçons contre lui, ils résolurent
de le faire mourir sans forme de procès. Le
nommé Campredon, seul
délégué de l'intendant
Bâville, se mit dans l'esprit (ou en fit semblant)
que mon
père avait pris des mesures avec nous, pour
nous livrer la garnison de Barre, notre bourg, qui
était d'environ quatre cents hommes. Il
s'imagina aussi diverses autres choses ; et,
en un mot, il forma la résolution de faire
passer mon père par les armes. Alors, M.
Julien, d'Orange, que nos Camisards surnommaient
l'apostat, monta dans nos Cévennes, avec un
autre homme de sa sorte, nommé Viala,
subdélégué. Ces deux
messieurs, pour dire cela en passant, mirent tout
à feu et à sang dans quarante-cinq
paroisses qui n'étaient habitées que
par des protestants. Alors Campredon communiqua
à Julien le dessein qu'il avait de faire
mourir mon père, en même temps qu'on
ferait une pareille, exécution sur un paysan
qu'ils avaient convaincu d'avoir rendu quelques
services aux Camisards.
« Quelques-uns de nos amis, ayant
appris ce mauvais dessein, coururent en avertir mon
père. « Sauvez-vous, lui
disaient-ils, vous n'avez pas un moment à
perdre, autrement vous êtes perdu
vous-même. » Mais mon
père avait un autre conseiller qu'ils ne
connaissaient pas. Incontinent, sans s'émouvoir
davantage, il
appela mon frère qui avait entendu la triste
nouvelle. Viens, mon enfant, lui dit-il, prions
Dieu ensemble, demandons-lui son secours, et il
nous enseignera ce que nous aurons à faire,
Un moment après, mon frère, saisi par
l'Esprit, tomba en extase et prononça ces
paroles au milieu de ses agitations : Aie
bon courage, mon enfant, je te dis que ton
père n'a rien à craindre, ni personne
de cette maison. Je te dis que j'ai suscité
un de ses propres ennemis qui sollicitera sa
grâce et qui l'obtiendra. Après
cette heureuse réponse, mon père,
ferme comme un rocher, ne s'inquiéta plus de
rien, et demeura chez lui comme à
l'ordinaire. Cependant, le sieur Doise, qui
commandait la garnison, ayant eu quelque bruit du
dessein de Campredon, s'en alla trouver le sieur
Julien et lui représenta que le bourg
était perdu s'il faisait mourir Marion, qui,
d'ailleurs, était un bon homme et qui
était utile à beaucoup de gens. Vous
n'avez qu'à compter, dit-il à M.
Julien, que si vous faites mourir cet homme, ses
deux fils qui sont sous les armes, et dont l'un est
chef, n'auront ni repos ni patience qu'ils se soient
vengés ;
ils
assembleront les troupes de Roland et des autres
qui rôdent ici autour, et ils mettront le
bourg au pillage. Pour moi, ajouta M. Doise, je
vous déclare que je quitterai le lieu et la
garnison. Cela frappa Julien et le fit changer de
dessein, de sorte qu'il se contenta de faire
seulement peur à mon père. Quand on
vint le prendre dans sa maison et qu'il traversa le
bourg, tous ses amis pleuraient en lui disant le
dernier adieu. Mais lui, plein de confiance, avait
une contenance assurée et
n'appréhendait rien. M. Julien se contenta
de le réprimander à sa mode, et il
lui dit qu'il devait la vie à M. Doise. Il
ne le renvoya qu'après l'avoir contraint
à être présent au martyre du
pauvre paysan, qui souffrit la mort avec patience
et courage. Je n'ai pas vu ces choses-là,
mais je les donne comme extraites des
mémoires de mon père, qui est
présentement à Lausanne, et que je
mets ici au nombre des témoins
occulaires. »
Donnons encore la parole à Jean
Cavalier, de Sauve. Il va nous raconter un fait qui
eut de nombreux témoins. Tous furent remplis d'un
salutaire
effroi.
La vertu d'en haut, dit-il, n'y fut pas moins
manifestée que lorsqu'il plut à Dieu
de garantir son serviteur Clary au milieu des
flammes dont il éteignit la force.
« Compan est un jeune homme
modeste, honnête, plein de zèle pour
Dieu, et qui en avait aussi reçu de grands
dons. Il était un des plus
considérés de notre troupe. Nous nous
trouvâmes tous ensemble dans une grande
assemblée que M. Cavalier avait
convoquée un jour de dimanche pour donner la
communion. (C'était dans le bois de
Rocaillette, près de Pierredon.)
Après les divers exercices du matin, le
frère Compan fut saisi de l'Esprit, et au
milieu des agitations, il dit quelque chose
d'équivalent à ceci : Mon
enfant, je veux que tu fasses connaître
à mon peuple combien terribles sont les
flammes de ma fureur contre ceux qui m'irritent, et
que tu lui donnes aussi des signes de ma
clémence pour ceux qui se repentent et qui
me révèrent. Après cela,
il se fit faire place, au milieu de
l'assemblée, qui forma un grand cercle
autour de lui. Il lui fut dit qu'il
s'approchât de l'abîme d'où sortait le feu
dévorant
et qu'il y présentât la main. Il
s'approcha d'un certain endroit à sa gauche
et avança la main ; mais il la retira
en faisant des cris effroyables. Il reçut le
même ordre deux ou trois fois, et toujours il
se recula avec frayeur et précipitation, en
faisant aussi des cris qui faisaient peur.
« Ensuite, il fit connaître
qu'il s'approchait de la porte du ciel, qui
était à droite : il frappa, et
une voix terrible (qui sortait de sa propre bouche)
demanda ce qu'il voulait. Il répondit qu'il
demandait la grâce d'entrer ; et
à l'instant, la voix l'ayant menacé,
son corps se mit comme en un peloton, après
des agitations étranges ; et cette
masse fut soulevée de terre et jetée
quinze ou vingt pas en arrière. Il se
relevait, sans avoir été
blessé ; il revenait frapper à
la porte et demandait grâce et
miséricorde ; mais il était
rejeté encore, avec de grands reproches et
de nouvelles menaces ; et cela fut
réitéré plusieurs fois. Mais
il ne se rebuta point, et enfin, quelle joie !
la porte du ciel lui fut ouverte. Il
témoigna qu'il voyait les armées
d'anges qui assistaient devant le trône de Dieu,
et les
milliers de bienheureux, revêtus de robes
blanches, qui chantaient des cantiques de louange
et de bénédiction. Il chanta
mélodieusement comme étant avec eux,
et nous fûmes témoins de toutes ces
merveilles, étonnés et ravis
nous-mêmes, comme on peut le
penser. »
Elie Marion raconte qu'un M. S., du
voisinage de Florac, lui a dit avoir vu dans un
coin d'étable, une petite fille de 7
à 8 ans, qui priait Dieu en pleurant. Il lui
demanda ce qu'elle avait : elle
répondit qu'elle ne savait où aller,
parce que son père la battait quand elle
avait des inspirations, mais qu'elle voulait
pourtant toujours prier Dieu. M. S., fort
ému de cela, dit à la petite fille
qu'elle n'avait qu'à venir dans sa maison
quand elle sentirait les premières
émotions. Elle le fit, et M. S. fut
tellement touché des inspirations qu'elle
reçut chez lui, et en général
de l'état de cette petite fille, qu'il fut
entièrement convaincu, lui et toute sa
famille.
Voici une déposition de Sara Dalgone,
de Vallon, près d'Uzès, faite
à Londres le 23 novembre 1706 :
« J'ai souvent assisté
à des assemblées que nos pauvres
protestants persécutés faisaient dans
des lieux écartés pour prier Dieu
ensemble, selon l'ancienne manière de nos
Églises de France. On s'assembla ainsi
pendant plusieurs années dans notre province
avant qu'il y eût personne qui se dit
être immédiatement inspiré de
Dieu. Mais, dès le commencement de
l'année 1701, et plus tôt même,
nous vîmes paraître dans nos
Cévennes diverses personnes des deux sexes
et de tout âge (particulièrement des
enfants et des jeunes gens) qui tombèrent
dans de certains accès, comme de convulsions
extraordinaires, qui n'altéraient pourtant
pas leur santé, non plus que leur esprit.
Durant ces accès, ces personnes-là
disaient mille belles choses pour porter ceux qui
les écoutaient à la vraie et solide
piété, à une sérieuse
réformation de moeurs, à l'horreur
pour l'idolâtrie papiste et pour toutes
sortes de superstitions. Ils prophétisaient
aussi beaucoup de choses ; ils
menaçaient terriblement les pécheurs
endurcis, et ils promettaient des
bénédictions infinies à ceux
qui abandonneraient leur mauvais train pour vivre
selon Dieu.
« Un de mes voisins avait une
petite fille de huit à neuf ans, qu'il avait
plu à Dieu de mettre dans cet état,
et je l'ai vue plusieurs fois pendant qu'elle
avait ses inspirations, car on parlait
communément ainsi. Une fois, comme je la
vis chancelante, je la mis sur mes genoux et tout
son accès y passa. Elle ne respirait que par
soupirs, sa poitrine était agitée et
tout son corps était tremblotant.
Quelques minutes après qu'elle eut
été saisie de cette manière,
elle parla comme cela lui arrivait d'ordinaire. Je
me souviens qu'elle dit, entre autres choses, que
nous ne devions pas être surpris si Dieu nous
affligeait et s'il exposait notre pays à
tant de persécutions différentes de
la part des hommes : que c'étaient nos
péchés qui nous avaient attiré
tous ces châtiments, et que nous en avions
mérité de beaucoup plus grands ;
mais que si nous amendions notre vie, Dieu nous
délivrerait et nous bénirait.
J'étais bien touché de ce que disait
cet enfant. Elle parla toujours bon français
autant que j'en puis juger. Mais, quoi qu'il en
soit, je suis très assuré, qu'il lui
aurait été impossible de parler à l'ordinaire
comme elle parlait dans l'inspiration, et il est
même très constant qu'elle ne se
serait jamais avisée de s'exprimer autrement
que dans le patois du pays ; car on ne parlait
pas plus français dans notre petit bourg que
si nous n'eussions pas été partie du
royaume de France.
« Il y avait autour de nous
quelques papistes méchants et dangereux, de
qui ceux qui avaient des inspirations se cachaient.
Mais il y en avait d'autres qui étaient de
fort bonnes gens, et qui admiraient les merveilles
que Dieu faisait dans tous ses enfants ; ils
en étaient édifiés comme
nous. »
Écoutons le témoignage de
Jacques Bresson, de Brignan, entre Nîmes et
Alais :
« J'ai vu dans les Cévennes
un grand nombre de personnes de l'un et de l'autre
sexe qui recevaient des inspirations. Je suis
persuadé que j'en ai vu autour de quatre
à cinq cents, soit dans les diverses
assemblées où je me suis
trouvé, soit ailleurs. Quand ils
étaient saisis de l'Esprit, ils avaient tous
des agitations, les uns d'une manière, les
autres d'une autre, plus ou moins ; mais les mouvements
de la tête, de
la poitrine et de l'estomac étaient les plus
ordinaires. Quand ils commençaient à
parler, l'Esprit qui les animait leur faisait
presque toujours prononcer ces paroles : Je te
dis, mon enfant, etc., et ils parlaient toujours en
français dans le temps de l'extase.
- « Comme il y avait
quantité de ces inspirés dans mon
voisinage, et de ma connaissance
particulière, j'ai eu souvent l'occasion de
me rencontrer avec eux quand ils tombaient dans
leurs extases. Il y avait beaucoup d'enfants de
sept à huit ans. Mais je ferai une mention
particulière d'un enfant de trois ans, que
j'ai vu quatre ou cinq fois dans les agitations,
pendant l'inspiration. Il parlait distinctement,
assez haut, en bon français, et faisait des
exhortations fort touchantes.
- « Quand je demandais aux
personnes plus avancées en âge, s'ils
se souvenaient assez bien de ce que leur bouche
avait prononcé pour le
répéter, ou pour en faire entendre
toute la substance, ils me répondaient
qu'ils ne s'en souvenaient pas assez pour cela.
- « J'ai été
plusieurs fois témoin que ceux qui avaient
reçu les grâces s'occupaient beaucoup,
entre autres bonnes choses, à faire
réconcilier ceux qui vivaient mal
ensemble : c'était un de leurs premiers
soins. Et tout le monde voyait que ce qu'ils
faisaient et disaient tendait toujours au bien et
en produisait.
- « Ma Soeur reçut le don
à l'âge de quinze ans. Quelquefois
l'Esprit la saisissait et la faisait parler deux
fois en un jour, et quelquefois cela ne lui
arrivait qu'une fois en deux ou trois jours.
J'étais jeune et volontaire, et elle me
faisait des remontrances, en ajoutant que mes
fautes et toutes mes irrégularités la
faisaient souffrir.
- « Pendant que j'étais
dans la troupe, j'ai vu bien des fois M. Cavalier,
notre chef, dans les agitations et dans
l'inspiration. »
Recueillons encore le témoignage de
Mathieu Boissier :
« Peu après la paix de
Ryswick (1697), je vins passer quelque temps
à Loriol, lieu de ma naissance, en
Dauphiné. Quelques amis me convièrent
à me trouver dans une assemblée qui devait se
faire proche
de
là, le dimanche matin suivant. Quand
j'entrai dans l'assemblée, il y avait une
jeune fille qui parlait en prédicateur, avec
une liberté et une éloquence qui me
partirent admirables. Cette jeune fille ne savait
un peu lire que depuis qu'elle avait
été honorée des inspirations
de l'Esprit divin. Après qu'elle eut
achevé de parler, arrivèrent diverses
personnes qui avaient eu un grand désir de
l'entendre. Il y a de l'apparence qu'elle en jugea
ainsi, car elle dit qu'elle n'était pas
capable de parler d'elle-même. Mais à
l'instant, elle se jeta à genoux, et pria
Dieu ardemment que si c'était son bon
plaisir, il déliât sa langue, afin
qu'elle pût encore annoncer sa Parole et
consoler son peuple. Presque aussitôt elle
fut exaucée ; l'Esprit la saisit et
elle fit une grande prière. Je croyais
entendre parler quelque ange, tant étaient
belles les paroles qui sortaient de sa bouche.
Après la prière, elle fit chanter un
psaume, et elle l'entonna mélodieusement.
Ensuite, elle fit un discours si excellent, si
pathétique et si bien suivi, avec une
hardiesse si sainte et un si grand zèle,
qu'on était bien forcé de croire
qu'il y avait quelque chose en
elle qui n'était pas humain. Une pauvre
jeune fille de cette sorte n'était
assurément capable en aucune manière
de parler ainsi.
« Je m'en retournai
pénétré jusqu'à
l'âme, et rempli des idées de toutes
les choses merveilleuses que cette fidèle
servante du Seigneur avait prononcées, et
j'en écrivis une grande partie, du mieux
qu'il me fut possible. Elle citait les passages de
l'Ancien et du Nouveau Testament comme si elle
avait su toute la Bible par coeur, et elle en
faisait des applications si justes et si heureuses
qu'on en était ravi. Elle fit de grandes
complaintes sur l'état lamentable des
églises de France, qui étaient ou
dans les cachots, ou sur les galères, ou
dans les couvents, ou dans l'exil, ajoutant avec
véhémence qu'il ne s'en fallait
prendre qu'à nos péchés. Mais
elle ajouta aussi les plus grandes et les plus
douces consolations qui puissent être
désirées. Elle promit grâce,
paix, bénédiction, bonheur et joie
éternelle de la part du Dieu tout-puissant
et riche en miséricorde, à ceux qui
ne rejetteraient pas opiniâtrement les
sollicitations paternelles de sa bonté. Et
elle promit aussi de la
même part, d'une manière forte et
précise, avec instance, que la religion
serait rétablie dans le royaume.
« Je me souviens qu'elle censura
avec une belle hardiesse un certain petit livre de
M. Merlat, ministre français,
réfugié à Lausanne, qui a eu
le malheur d'écrire contre les grâces
qu'il a plu à Dieu de répandre sur
une partie de ses serviteurs dans le
Dauphiné et dans le Vivarais, comme si
c'était ou des illusions ou des
opérations de l'esprit d'erreur. Elle
détruisit puissamment cette diabolique
idée, et il n'y avait qu'à
l'entendre, pour voir triompher la
vérité même contre cette
accusation atroce du Père du mensonge.
- « J'ai vu plusieurs fois
à Genève une fille du Languedoc qui
avait des inspirations. Elle dit, dans ses extases,
diverses choses qui me concernaient, et dont il
était absolument impossible qu'elle
pût être informée naturellement.
Elle avait une communication admirable avec
l'Esprit divin. J'ai été
témoin en diverses occasions, que quand elle
demandait à Dieu, par une ardente
prière, qu'il lui plût de lui
manifester sa volonté (si toutefois il le jugeait
à propos
pour sa gloire), presque aussitôt l'Ange
céleste, agitait ses organes et lui faisait
prononcer ce qui était ordonné de la
part de l'Esprit. Les voyants étaient ainsi
consultés, et eux, ils consultaient ainsi
Dieu.
« Un jour, cette fille dit
beaucoup de choses terribles contre ces moqueurs
prétendus beaux-esprits, mais
réellement insensés et
dénués d'intelligence, qui se rient
des secrètes merveilles de
l'incompréhensible, seulement parce qu'ils
ne les sauraient comprendre. Et plût à
Dieu que tous les orgueilleux vers de terre qui
tiennent ce misérable langage, eussent
été témoins de la
véhémence et de la merveilleuse
puissance de cette censure divine, je suis
sûr qu'ils en auraient tremblé.
- « Lorsque j'étais,
l'année passée, à Amersfort,
j'eus l'occasion de converser avec un brave
garçon des Cévennes, nommé
Compan ; il est présentement en
Espagne, dans le régiment de M. Cavalier. Il
avait reçu de grands dons, et aussi
était-il pénétré de
reconnaissance pour toutes les grâces que
Dieu lui avait faites. Mais le souvenir lui en
était doux et amer tout ensemble ; car il
était grandement
affligé de ce que Dieu ne se communiquait
plus tant à lui depuis qu'il était
sorti des Cévennes ; et il disait que
c'était ses péchés qui
l'avaient rendu indigne des fréquentes
visites du Saint-Esprit. Je lui dis tout ce que je
pus pour le consoler ; et, entre autres
choses, je lui représentai que Dieu agissait
selon les temps et les occasions, ou pour mieux
dire, selon sa sagesse, laquelle nous devions
toujours adorer, lors même qu'elle nous
était le plus incompréhensible. Comme
nous parlions ainsi, la bonté paternelle de
Dieu lui fut soudainement manifestée par un
saisissement de l'Esprit, qui lui donna de
secrètes consolations. M. Cavalier, avec qui
j'étais venu de Lausanne, était
présent lorsque tout ce que je viens de dire
arriva.
« Compan me raconta beaucoup de
choses prodigieuses qui avaient été
publiquement exposées aux yeux de tout le
monde dans les Cévennes, et que je crois
pouvoir et devoir appeler des miracles. Au reste,
chacun doit savoir que toutes ces merveilles qu'il
a plu à Dieu de faire éclater, depuis
le commencement du siècle, sur le
théâtre sacré des
Cévennes et sur les frontières du
pays de Rouergue, sont de la même nature,
dans toutes les circonstances, que celles qui ont
fait tant de bruit depuis l'année 1688, dans
le Dauphiné et le Vivarais. Dieu
opère présentement encore ces
mêmes merveilles dans ces provinces,
malgré Satan et ses
suppôts. »
Dieu révélait
fréquemment aux inspirés
l'avenir ; il leur faisait connaître des
choses qui se passaient loin d'eux comme nous
l'avons vu plusieurs fois
précédemment et comme le montre
encore le fait suivant raconté par Elie
Marion :
« Quelques jours après mon
arrivée de Genève, je me rencontrai
proche de Saint-Jean-de-Gardonenque avec plusieurs
de nos frères dont l'un, nommé
Daniel, me raconta au long comment ils avaient su
par une inspiration qu'ils avaient eue, les
circonstances des projets sur lesquels je
m'étais entretenu à Nyon, dans le
pays de Vaud, avec M. Flotard, touchant les secours
que l'on avait proposé de leur envoyer.
Daniel avait reçu cet avertissement de
l'Esprit en présence de plusieurs personnes,
et dans le même temps que nos affaires
étaient sur le tapis. Si de pareils
événements m'avaient
été nouveaux, j'aurais dû
être bien surpris d'entendre raconter le
détail des particularités de cette
entreprise, et principalement de certaines choses
qui avaient été très
secrètes entre M. Flotard et
moi. »
Durand Fage parle d'une petite fille de onze
ans qu'il connut à Saint-Laurent-d'Aigouze.
Elle était l'enfant d'un nommé Dumas,
de Monoblet ; elle avait été
mise en prison par son propre père à
cause de ses inspirations.
S'étant échappée, elle
était venue se réfugiée
à Saint-Laurent-d'Aigouze, où on la
cachait de famille en famille, et où tous la
chérissaient. Elle ne savait pas lire, elle
était timide quand elle n'était pas
inspirée. « Je fus surpris et
touché, dit-il, de la manière douce
et hardie avec laquelle elle se mit tout d'un coup
à dire, d'une voix douce et assez
haute : Abattez-vous, peuple de Dieu,
prosternez-vous humblement devant Lui, et que notre
aide soit au nom du Seigneur !
Elle fit une assez longue prière et
une exhortation qui dura environ trois quarts
d'heure, parlant bon français. Je suis bien
certain que cette fille n'était pas capable,
par elle-même, ni de parler comme elle parla,
ni de prononcer les choses admirables qu'elle
prononça. Ceux d'entre nous qui avaient le
don proprement dit d'exhortation, n'avaient la
parole entrecoupée de sanglots, comme les
autres, que dans le commencement de leurs
discours ; après cela, c'était
une facilité de parler si grande, qu'on
voyait aisément que leur bouche
n'était autre chose que l'organe d'une
puissance supérieure.
« Après divers exercices de
piété qui se tirent dans cette
assemblée, la jeune fille de onze ans tomba
une seconde fois en extase. J'étais sorti,
mais des gens qui la connaissaient et me
connaissaient aussi, m'assurèrent le
lendemain qu'elle avait dit de moi, en me
désignant assez clairement, que je recevrais
un don de Dieu, si je continuais à
fréquenter les saintes assemblées.
Cela m'émut, car, d'un côté,
j'aurais accepté un don de Dieu avec
joie ; mais j'avais oui parler si
différemment de ces gens inspirés,
que je ne savais qu'en croire : cela me
faisait peur. Cependant, j'avais été
réjoui par la prière toute divine et
par l'exhortation de la petite servante du
Seigneur. Que
le nom
de Dieu soit béni, répondis-je
à ceux qui me rapportèrent ce qu'elle
avait dit : que sa sainte volonté soit
faite. J'avais 21 ans. Je m'en retournai alors
à Aubuys, chez mon père, où
j'eus le malheur de porter les armes, dans la
milice, contre les Camisards (1).
« Au commencement de
février, j'eus l'occasion d'aller au
Grand-Garlargues, et une jeune fille de 23 ans,
Marguerite Bolle, ma parente, étant
tombée en extase dans la maison où
j'étais, dit entre autres choses, en ma
présence, que l'épée que je
portais servirait à détruire les
ennemis de la vérité.
« On souhaita que je fisse quelque
lecture de piété
après-midi ; et comme je
prononçais ces paroles : Augmente-nous
la foi, je sentis tout d'un coup un fardeau sur ma
poitrine, qui m'arrêta pour un moment la
respiration. En même temps, des ruisseaux de
larmes coulèrent de mes yeux, et il me fut
impossible de parler davantage. On ne s'en
étonna pas, car on jugea bien ce que
c'était. Je demeurai pendant une heure et
demie dans cet état, et
la jeune fille, ayant reçu une nouvelle
inspiration, dit que je pleurais pour mes
péchés, ce qui était
vrai.
« Sur les six heures du soir,
comme j'étais dans une autre maison, je fus
soudainement saisi d'un frissonnement. En
même temps, ma langue et mes lèvres
furent subitement forcées de prononcer avec
véhémence des paroles que je fus tout
étonné d'entendre, n'ayant
pensé à rien et ne m'étant pas
proposé de parler. Les choses que je dis
furent principalement des exhortations à la
repentance, et cela dura trois ou quatre minutes.
Je tombai incontinent après dans une
espèce d'évanouissement ; mais
cela se passa aussitôt et fut suivi d'un
nouveau frissonnement, qui ne fit que passer ;
après quoi je me trouvai parfaitement libre
et dans l'état ordinaire. Mais pendant les
jours qui suivirent, j'eus de fréquents
soupirs et des tressaillements que je ne pouvais ni
prévenir, ni empêcher. Mon esprit
s'élevait perpétuellement à
Dieu. Les divertissements ordinaires de ma jeunesse
me parurent non seulement méprisables, mais
ils me devinrent insupportables. L'idée de
mes péchés occupait incessamment mon esprit, et
c'est ce qui me causait tant de sanglots et de
tressaillements. De sorte que ma bouche
prononçait incessamment :
Grâce ! Grâce !
Miséricorde ! Mon coeur consentait avec
un grand zèle, quand la parole était
prononcée.
« Cependant j'étais soutenu
par une bonne espérance et par une joie
mêlée avec ma bonne tristesse. Et je
reçus, trois semaines après, dans une
seconde inspiration, des consolations infiniment
douces, qui donnèrent à mon esprit
une tranquillité et un contentement secret
qui, jusque-là, m'avaient été
inconnus. Quand mon père et ma mère
apprirent que Dieu avait daigné me visiter
de ses grâces, ils en eurent une grande joie
et tous leurs amis les en vinrent féliciter.
Depuis ce temps-là, j'ai toujours
été et je suis encore dans le
même état. »
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