Sermons et
Méditations
Un Sauveur !
DISCOURS POUR LE JOUR DE NOËL
C'est aujourd'hui, dans la
ville de David, qu'un Sauveur qui est le Christ, le
Seigneur, nous est né.
Luc II, 11.
Un Sauveur nous est, né ! Mes
frères, il n'est pas de nouvelle plus grande
que celle-là ; il n'en est pas non plus
qui soit plus accessible aux intelligences
même les plus bornées. Elle est si
grande, si divine, qu'il a fallu la multitude de
l'armée céleste pour la proclamer
ici-bas ; elle est si simple et si facile
à comprendre que quelques pauvres bergers,
hommes croyant au Dieu d'Israël, sans doute,
mais hommes sans culture d'esprit, sans
instruction, ont été à
même de l'accueillir et de l'annoncer
à leur tour. Aujourd'hui, Dieu met ce
message de son amour sur les lèvres de ses
serviteurs d'ici-bas. Ce sont de pauvres
pécheurs auxquels il permet de redire
à leurs frères qu'un Sauveur nous est
né. Ils annoncent le don de Noël, non
pas sous un rayonnement céleste, mais dans
les temples et les chapelles que la foi
chrétienne a
consacrés au service de l'enfant du ciel
né à Bethléhem.
Qu'importe ! Pourvu que Dieu les assiste de
son Esprit, leur témoignage ne sera pas
vain. Pourvu encore qu'il y ait, dans ceux qui les
écoutent, un coeur simple, leurs paroles
auront leur effet. Le mystère de
piété, Dieu manifesté en
chair, restera caché aux sages et aux
intelligents, mais il sera
révélé aux enfants.
I
Aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur
qui est le Christ, le Seigneur, nous est né.
Les temps sont accomplis ; le Dieu de la
promesse réalise sa parole donnée aux
pères : il se souvient de son
alliance ; il donne le Sauveur attendu.
Un immense soupir a rempli les
siècles écoulés depuis la
chute de l'homme jusqu'à la grande nuit dont
nous célébrons aujourd'hui le
souvenir. Depuis l'heure où le
chérubin, à l'épée
flamboyante, s'est placé à
l'entrée de l'Eden fermé ;
depuis que cette terre, autrefois jardin de
l'Éternel, s'est transformée en un
champ couvert de ronces et d'épines ;
depuis que, dans le coeur de l'homme, la confiance
a fait place à la crainte, et l'amour
à l'envie, à la jalousie et à
la haine ; depuis que la mort, avec ce qui la
prépare et l'accompagne, maladie,
souffrance, séparation et
deuil, - a jeté dans la poussière
l'homme destiné à gouverner le monde
et à y représenter
l'Éternel ; depuis le jour où
tout cela est arrivé, l'humanité n'a
cessé de demander un Sauveur. Les nations
l'ont recherché, chacune à sa
façon, et en tâtonnant dans les
ténèbres. Le peuple élu a
formulé son désir : Quand nous
consoleras-tu ? Oh ! qui donnera à
Sion la délivrance d'Israël ;
oh ! si tu ouvrais les cieux et si tu
descendais ! Mon âme attend le Seigneur
plus que les sentinelles n'attendent le
matin !
À ce cri de l'homme, Dieu a
répondu. Il a promis un Sauveur avant
même que sa pauvre créature eût
bien senti à quel point elle avait besoin
d'un Sauveur. Il a renouvelé sa promesse
sous des formes et par des bouches toujours
nouvelles. Lisez les prophètes. Chacun
à sa manière, ils parlent, au nom de
l'Éternel et sous l'inspiration du
Saint-Esprit, de ce Sauveur promis, et ils
signalent sa nature, son caractère, son
oeuvre et ses grâces excellentes.
Hélas ! malgré tout cela, c'est
l'attente, toujours l'attente ! Les
générations disparaissent ;
d'autres viennent prendre leur place. Attendre,
voilà le sort qui leur est commun à
toutes.
Attendre ! on dirait que le coeur de
l'homme n'est pas fait pour cela et que rien ne lui
est plus difficile. Attendre, c'est bien souvent
souffrir, c'est devoir lutter contre le
découragement, c'est risquer quelquefois de
faire naufrage quant à la foi. Attendre, ce
sera d'autant plus pénible que l'objet
attendu est plus indispensable au
coeur, et que la lacune à remplir est plus
grande. Attendre ! réussirons-nous
à nous dire ce que cela doit avoir
été pour les fidèles
d'autrefois ? Pour pouvoir nous mettre
à leur place, il nous faudrait être
privés, ne fût-ce que pour quelque
temps, de tout ce qui, pour nous, se rattache au
nom béni de Jésus. Effacez, si vous
le pouvez, du livre de vos vies et de vos
expériences spirituelles, le nom de
Jésus ; considérez ce qui vous
reste, lui disparu avec ses consolations, ses
pardons, ses grâces, comme aussi avec ses
instructions et sa puissance ; essayez de vous
dire ce que vous seriez sans lui, sans sa main de
bon Berger, sans son précieux sang
répandu en expiation de nos fautes, sans son
intervention devant le trône de Dieu, sans
son amour nouveau pour vous tous les jours, sans
les rayons d'espérance et de lumière
qu'il verse sur votre route, sans le ciel qu'il
vous promet et vous garantit ; - essayez,
dis-je, de vous représenter ce que serait
votre vie sans lui, et peut-être
comprendrez-vous quelque peu le sort de ces
millions qui ne l'ont pas vu ! Vous saurez, en
même temps, ce qu'ont dû
éprouver les bergers, auxquels l'ange cria
du ciel : Un Sauveur vous est né !
Un Sauveur !
Mais n'était-ce pas l'exaucement
accordé à ceux qui avaient
prié ? n'était-ce pas le salut
descendu sur la terre ? n'était-ce pas
la délivrance et la paix ?
n'était-ce pas le ciel rendu aux
pécheurs, et le Père serrant dans ses
bras son enfant perdu ? Un Sauveur !
Quelle parole, quel bienfait, quel don
céleste ! Un
Sauveur
vous est né, aujourd'hui, à
Bethléem, dans Ici ville de David ! 0
bonheur inespéré et grand entre
tous ! Heureux bergers, je comprends votre
étonnement et votre hâte à
accourir dans la ville de David ; je comprends
qu'il vous ait semblé impossible de taire
les grandes choses que Dieu vous avait
faites !
II
Quant à nous, mes frères, qui
connaissons l'Évangile depuis longtemps
déjà, le don de Noël n'est pour
nous rien de nouveau ; nous ne l'avons pas
attendu ; c'est lui plutôt qui nous
attendait à notre entrée en ce monde.
Mais serait-ce là une raison pour ne pas
redire à notre tour, dans ce jour qui nous
le rappelle si vivement, que nous avons un Sauveur
qui est le Christ, le Seigneur ? Oh ! que
le souvenir de l'événement qui a
jeté les bergers de Bethléhem dans
l'admiration et dans l'étonnement se
réveille avec force dans nos coeurs! Un
jour, Dieu a dit : J'ai encore un Fils
bien-aimé, je le leur enverrai, et la
naissance de Jésus à Bethléhem
nous prouve que Dieu n'a point
épargné son propre Fils, mais qu'il
l'a livré pour nous tous. En remontant le
cours des temps, on arrive à une heure
où la Parole a été faite chair
et où elle est venue habiter parmi nous,
pleine de, grâce et de vérité.
C'est pourquoi nous avons un Sauveur ! Et ce
que Dieu a donné, personne
ni rien ne peut nous le reprendre. Il s'est
trouvé des chrétiens auxquels les
hommes et les événements ont
réussi à tout ravir, tout, sauf le
Sauveur, en qui ils espéraient et qui les
soutenait. Lui leur est resté jusqu'au
milieu de leur complet dépouillement. Et ce
que Dieu leur avait donné en leur donnant
Jésus, a suffi, non moins certainement,
à leurs besoins, souvent si grands. Leur
chemin s'est-il rétréci, les
difficultés se sont-elles accumulées
sur leur route, c'est lui qui s'est tenu à
leur côté comme un guide fidèle
et c'est lui encore qui a roulé la grosse
pierre. Elle a été pour eux, comme
elle a été un jour pour ses premiers
disciples, cette parole à la fois si
humiliante et si belle : Gens de petite foi,
pourquoi avez-vous douté ? Qui donc
aurait pu rassurer leur coeur tremblant, rendre le
courage aux découragés, consoler les
affligés, mieux que lui, si
miséricordieux, si compatissant, lui qui,
dans les jours de sa chair, a passé par
où ils passent, lui qui s'est chargé
de leur douleur et qui a porté leur
langueur !
Nous avons un Sauveur : innombrables
sont aujourd'hui les bouches qui le
répètent dans des sentiments de
reconnaissance pour des délivrances
accordées, des fardeaux ôtés et
des chemins ouverts devant les pas chancelants de
l'homme ! Et si Jésus est un Sauveur
pour la vie présente, lui, entre les mains
duquel le Père à remis toutes choses,
ne le serait-il pas aussi pour les affaires de
l'âme ? Nous avons un Sauveur, cela est
vrai là surtout où, plus
que partout ailleurs, le
secours
de l'homme est impuissant et vain, je veux dire en
présence du péché. Mes
frères, l'homme dont les yeux se sont
ouverts sur son péché, l'homme
effrayé à la vue de sa souillure,
l'homme qui sait que chaque jour ajoute quelque
nouvelle faute à toutes celles qui
l'accusent et le condamnent déjà,
l'homme qui voudrait pouvoir faire le bien et qui a
compris, avec consternation, que le mal s'attache
à ses pas ; celui qui
s'écrie : Misérable que je suis,
qui me délivrera de ce corps de mort ?
- ce pécheur humilié et
attristé, repentant, comprendra seul dans
toute sa beauté et répétera
avec les accents d'une profonde gratitude, cette
parole de l'Évangile : Nous avons un
Sauveur ! Ce Jésus dont nous
célébrons la naissance, qu'est-il
venu faire ici ? Pourquoi cette étable
où vous le voyez couché, petit
enfant, dans une crèche ? Pourquoi
cette vie de renoncements et de douleur qui a
commencé dans un jour semblable à
celui-ci ? Pourquoi les combats et les luttes
dont elle est pleine ? Pourquoi la croix
où elle finit dans une suprême
douleur ? Pourquoi tout cela ? C'est afin
que les victimes du péché puissent se
dire : Nous avons un Sauveur !
III
C'est ainsi que l'Évangile est là,
aussi grand et aussi complet qu'au premier jour de
Noël. On aura raison
même de dire qu'il rayonne aujourd'hui d'un
éclat plus beau qu'alors. Il a fait ses
preuves dans le monde. Il a guéri, jusqu'aux
bouts de la terre, dans des milliers de coeurs et
dans des milliers de lieux, les
épouvantables ravages du mal. Après
cela, il ne me reste plus à poser, au nom du
Dieu de notre salut, qu'une seule question, la
question personnelle : Mon frère, qui
lis ces lignes, peux-tu dire, toi aussi : J'ai
un Sauveur ?
Je ne demande pas si Jésus veut
être aussi ton Sauveur. Pas de doute à
cet égard : il n'y a pas
d'exclus ; le salut descendu du ciel dans la
personne de Jésus est pour tous : la
grande joie est pour tout le peuple. Mais ce qui
est possible, c'est que l'un ou l'autre d'entre
ceux auxquels Dieu a donné un Sauveur, ne se
soit pas encore approprié par la foi le don
de Dieu, et que Jésus ne soit pas encore
devenu, en toute vérité, celui qui le
sauve ! S'il en était ainsi pour toi,
oh ! laisse-moi te supplier d'écouter
le Saint-Esprit de Dieu qui te dit que Jésus
t'attend avec le salut qu'il apporte. Il fait bon,
il fait beau le connaître, le
posséder, crois-le ! Il fait bon
pouvoir verser dans le coeur de cet invisible Ami
la peine et le chagrin de chaque jour, et savoir
qu'il ne se refusera pas à ceux qui
l'appellent. Il fait bon déposer chaque
jour, entre ses mains et à ses pieds, le
fardeau écrasant du péché et
recevoir de sa bouche cette parole qui
rassure : Mon fils, ma fille, tes
péchés te sont
pardonnés ! Acceptez donc, vous qui ne
l'avez pas encore accepté, le don de
Noël. Permettez au Seigneur
de mettre dans votre coeur et sur vos lèvres
cette parole : J'ai un Sauveur, moi, pauvre
perdu ; un Sauveur qui m'aime, me
délivre, me bénit, me pardonne et
dont la main me tiendra ferme jusqu'à la
fin. Bénie, mille fois bénie serait
la fête de ce jour, si, de la sorte, elle
ajoutait, ne fût-ce qu'un seul
pécheur, au nombre de ceux dont Jésus
est le Sauveur personnel !
Et vous, chrétiens, qui dites, dans
des sentiments de reconnaissance et de joie, que
dans la ville de David un Sauveur, qui est le
Christ, le Seigneur nous est né, demandez
à Celui qui a annoncé cette bonne
nouvelle aux bergers de Bethléhem, de
répéter aujourd'hui lui-même,
par son Esprit, dans le coeur et la conscience de
plusieurs, ce message sans égal ; et
que la terre tout entière se
réjouisse du salut qui est en
Jésus-Christ ! Amen,
En
Gethsémané.
Et il disait : Abba, mon
Père, toutes choses te sont possibles
détourne cette coupe de moi ! Toutefois
qu'il en soit non ce que je voudrais, mais ce que
tu veux.
Marc
XIV, 36.
Mes frères,
Il n'y a guère, dans les Saintes
Écritures, de parole qui nous initie mieux
que celle que je viens de vous rappeler aux luttes
qui se sont livrées, pour notre salut, dans
la vie et dans le coeur de Jésus, et nous
révèle au même degré son
amour, sa fidélité et sa soumission
en toutes choses. Désirez-vous savoir quel
est le Sauveur que Dieu nous a suscité, il y
a de longs siècles, et que, journellement,
il nous offre par son St-Esprit, retracez à
votre esprit et à votre âme la
scène inoubliable du jardin des Oliviers.
Demandez au Seigneur que ces détails, que
vous avez lus et relus, et dans lesquels il n'y a
rien que vous ne connaissiez, se présentent
à vous avec une nouvelle fraîcheur, et
que sur vous tombe un de ces rayons d'en haut qui
illuminent ce qui, sans la clarté divine,
resterait toujours caché à l'homme.
Cherchons sa main, les uns et les autres, pour
qu'elle nous introduise dans le sanctuaire de cette
heure où Jésus a
consommé la consécration de son
être à Dieu et où, pour nous
sauver, il a accepté à deux genoux la
mort de la croix, parce que telle était pour
lui la volonté mystérieuse du
Père.
I
Jamais plus qu'à la veille de sa mort,
dans le jardin de Gethsémané,
Jésus n'a été
véritablement homme. Nulle part il n'a
été appelé à sentir
plus cruellement qu'il était sur notre
pauvre terre où la lutte et la douleur ont
élu domicile. Devant ce Sauveur saisi de
tristesse jusqu'à la mort, s'ouvre un
abîme de souffrances morales qu'il avait
ignoré jusqu'au jour où il y fut
précipité et dans lequel,
probablement, les angoisses même du Vendredi
saint ne l'ont pas fait descendre une seconde fois.
- Sa vie, qui ne le saurait ? avait
été pauvre en joies, riche en
tristesses. Sa vie publique, surtout, avait
été remplie de peines
accumulées sur son chemin. Et cependant,
parmi ces jours mauvais qu'avait dû traverser
le Bien-aimé du Père, il ne
s'était pas trouvé d'heure
égale à celle de
Gethsémané. Toutes les douleurs qui
avaient assombri son passé l'attendaient,
une fois de plus, en colonnes serrées, au
delà du Cédron, où il allait
chercher, dans la prière, la force pour
soutenir le dernier combat. C'est ici que la haine
de la vérité et
l'inimitié contre Dieu allaient saisir leur
victime. C'est ici que devait se dresser devant
lui, avec ces détails qui font frissonner la
chair, la croix de Golgotha. C'est ici que Celui en
qui nous avons la vie, devait être aux prises
avec la mort. Vraiment, cette heure était
bien l'heure des ténèbres, l'heure du
suprême débordement.
Jésus l'a profondément senti.
Il est un détail qui le prouve et auquel
nous ne saurions songer sans émotion. C'est
qu'en pénétrant sous les ombrages du
jardin où lui était
préparée une lutte cruelle entre
toutes, il a éprouvé le besoin
d'être entouré de la prière des
siens. Que de fois, en les voyant faiblir,
n'avait-il pas prié pour eux ! J'ai
prié pour toi, afin que ta foi ne
défaille point. - Mais aujourd'hui, c'est
lui qui demande à être soutenu par
eux. Demeurez ici, veillez avec moi ! Il y a
là une révélation qui me
confond et qui me jette, humilié, dans la
poussière. Eh quoi ? ô mon
Sauveur, toi, Fils du Dieu vivant, il s'est
trouvé, dans ta vie, un moment où tu
as dit à quelques hommes pécheurs que
tu avais besoin d'eux ? Toi, par la main
duquel ont été créées
toutes choses, toi, qui avais accompli des miracles
plus grands les uns que les autres, qui avais
guéri les malades, chassé les
démons, ressuscité les morts, toi,
auquel avaient obéi la mer et les vents,
toi, tu as demandé des soutiens
humains ? Maintenant je comprends que comme
les enfants participent à la chair et u
sang, tu y as de même participé.
Dépouillé de la
gloire de Dieu, paru comme
un
simple homme, revêtu d'une forme de
serviteur, semblable à les frères eu
toutes choses : ô mon Sauveur, c'est
ainsi qu'aujourd'hui tu te montres à mes
yeux !
Après cela, ne saurons-nous pas
où aller, où nous réfugier
à l'heure où les
ténèbres nous envahiront, nous aussi,
à l'heure des cruels embarras, des
souffrances multipliées, des angoisses
poignantes ? Voyez, Celui que Dieu nous a
donné pour Sauveur, nous a suivis, que
dis-je ? nous a précédés
dans ces chemins étroits, tortueux, obscurs
que la terre tient en réserve pour l'homme
et dans lesquels, si souvent, elle place l'enfant
de Dieu, le racheté de Christ. Jésus
y est avec nous et Jésus nous comprend. Il
ne s'étonne pas que la chair frissonne et
recule, effrayée, au bord du
précipice ouvert. Il nous permet
d'être faibles, après que, oserai-je
le dire ? - il s'est senti faible
lui-même. Ce qui l'étonnerait, ce
serait de voir ceux que la volonté du
Père appelle à prendre la croix et
à souffrir, faire cela d'un coeur
léger et comme avec joie. On a vu tel
chrétien pousser ses exigences
jusque-là. Tel homme qui prétendait
marcher au premier rang des croyants, a cru devoir
s'écrier : On ne traîne pas sa
croix, on la porte ! 0 erreur ! ô
subtil orgueil ! Le serviteur voudra-t-il
faire plus que soit Maître ? Ne lui
suffira-t-il pas de lui ressembler, de trembler et
de souffrir comme Jésus qui appelle à
son secours des amis auxquels il dira :
Veillez avec moi, j'ai besoin de vous, moi qui
succombe. Un faux
spiritualisme,
une fausse conception de l'Évangile voudrait
supprimer, pour le chrétien, les douleurs et
les luttes de Gethsémané pour le
transporter sur quelque montagne de la
transfiguration. Mais ce n'est pas la gloire qu'il
nous faut pour l'heure présente. Ce ne sont
pas les visions célestes qui nous feraient
mûrir spirituellement. Ce ne sont pas les
ravissements qui nous feraient faire un pas en
avant dans la vie divine. Ce dont nous avons
besoin, l'exemple de Jésus nous le dira.
Qu'il nous instruise à l'égard de la
volonté de Dieu. Qu'il nous apprenne quelles
sont les vertus qui ont de la valeur aux yeux du
Seigneur. Et nous, au lieu de nous
détourner, de chercher je ne sais quel autre
Sauveur, quelle vie différente de la sienne,
approchons-nous du martyr de
Gethsémané. Recueillons les paroles
qui sortent de sa bouche. C'est ici qu'il y a les
leçons de la vie éternelle.
II
Qui ne connaîtrait cette parole dans
laquelle un homme de Dieu a fait allusion à
la lutte de Jésus dans le jardin de
Gethsémané : Quoiqu'il fût
Fils, il a appris l'obéissance par les
choses qu'il a souffertes. Apprendre
l'obéissance, voilà la volonté
de Dieu pour Jésus. Tout ce qui rappelle les
combats du Maître dans
l'existence de ses rachetés vise au
même but.
C'est en Gethsémané, en effet,
c'est dans ces moments d'inexprimable angoisse, que
mon Sauveur m'a montré ce qu'il faut faire
pour plaire à Dieu. Abba, mon Père,
toutes choses te sont possibles, détourne
cette coupe de moi : c'est la crainte, c'est
la détresse, c'est la prière de la
foi. Toutefois, qu'il en soit non ce que je
voudrais, mais ce que tu veux : c'est
l'obéissance, c'est la soumission simple,
enfantine, aveugle. Dans n'importe quel jour et
quelle circonstance de sa vie, sa nourriture avait
été de faire la volonté du
Père. Mais ici où l'épreuve
était arrivée à son comble
où les exigences de Dieu avaient
revêtu les proportions les plus grandes et
les plus cruelles, l'obéissance, la
soumission, disent, en Jésus, leur dernier
mot. Le Fils ne refusera rien de ce que le
Père demandera de lui. Il souffrira, il se
laissera crucifier, il mourra parce que le
Père le veut ainsi. Il boira, sans la
repousser, cette coupe qui s'approche de ses
lèvres tremblantes. Ce Jésus que,
tout à l'heure, nous avons vu s'associer en
plein à notre pauvre humanité,
s'élève ainsi au-dessus d'elle,
au-dessus de notre péché, de nos
désobéissances et de nos
révoltes. C'est ainsi qu'il s'acquiert le
droit d'être notre grand souverain
sacrificateur et d'offrir à Dieu, lui, le
Juste, le sacrifice pour les injustes. C'est en
Gethsémané qu'il s'est
définitivement sacrifié pour nous,
afin de pouvoir mourir, quelques heures plus tard,
sur la croix, victime
d'agréable odeur, en expiation de nos
fautes.
Mes frères ! Ce qui s'est
passé dans l'âme, le coeur de
Jésus, pendant qu'il jetait ce cri trois
fois répété : Que ta
volonté soit faite et non la mienne !
qui le dira ? Les déchirements au
travers desquels ce mot s'est frayé la
route, qui les analysera ? Qui expliquera le
secret de ces moments dont naquit, inondée
de larmes, la grande parole de soumission de notre
céleste Frère et Sauveur ?
Mais s'il y a ici des mystères, si
l'homme qui réfléchit se trouve
réduit à avouer qu'il y a eu sous les
oliviers de Gethsémané des choses que
la raison ne sondera jamais, - ne comprendra-t-il
pas d'autant mieux ce que lui disent, à lui,
l'exemple et la parole de Jésus ? -
Obéir, nous soumettre, apprendre à
nous écrier : Ce sera non comme je le
voudrais, mais comme tu le veux ! renoncer
à vouloir prescrire à Dieu ce qu'il
doit faire ou laisser, renoncer à nous
croire quelque chose et à suivre
secrètement ou ouvertement le chemin de
notre sagesse : voilà la route qu'en
Gethsémané Jésus a
tracée devant nous ; voilà le
sentier étroit que ses larmes et ses
angoisses ont ouvert devant ceux qui confessent lui
appartenir. Voilà ce qu'il faut savoir et
faire pour être propre pour le royaume de
Dieu.
L'homme, de tout temps, a trouvé
à redire à ce décret divin. Il
s'est flatté, dans sa folie, de pouvoir
plaire à Dieu en lui offrant n'importe quel
sacrifice ; il n'a pas
pris
garde à ce mot du prophète :
l'obéissance vaut mieux que le sacrifice. Il
a pensé pouvoir substituer je ne sais quelle
oeuvre de son choix et quelles créations de
son imagination au seul sacrifice qui soit
agréable au Seigneur :
l'obéissance et la soumission. Il a
oublié que le chrétien le plus
parfait aux yeux de Dieu, ce sera non pas celui qui
aura accompli les plus grandes choses selon le
monde ou selon l'Eglise, mais celui-là
plutôt qui, même dans de toutes petites
choses aura le mieux obéi à Dieu et
laissé la plus grande place à
Jésus-Christ. La faiblesse morale de la
génération chrétienne actuelle
ne se montre-t-elle pas surtout dans ce fait
qu'elle ne sait pas obéir ?
Demandez-lui des efforts, des travaux, des
renoncements, elle les fournira largement, aussi
longtemps qu'elle y retrouvera la satisfaction d'un
désir, d'un choix du coeur. Mais ce qui lui
semble difficile, c'est d'offrir à Dieu et
pour le service de Dieu sa propre volonté
avec ce que cette volonté avait
combiné et trouvé bon. C'est
là cependant la leçon qu'avant de
mourir, à l'heure la plus difficile de sa
vie, le Sauveur a donnée à ses
rachetés. Ayant compris mieux que nous ce
que Dieu demande, il offre ce que nous avons
refusé, il obéit, il se soumet.
Comment nous pardonner de ne pas y avoir
pensé plus souvent et plus
consciencieusement ? Comment excuser nos
coeurs, émus de compassion à la vue
du martyr divin, mais négligeant
d'écouter ce que devait leur apprendre, pour
leur salut, cette scène de douleur ?
Jésus aurait pu se passer de nos
pieuses émotions, mais ce qu'il aurait voulu
trouver en nous, c'est une obéissance
semblable à la sienne, c'est le désir
de connaître et de faire la volonté de
Dieu, là même où cela ne
rapporte rien si ce n'est la souffrance.
Hélas ! au lieu de nous
conformer au modèle qu'il nous a
laissé, nous avons été
ingénieux à éluder ses ordres,
habiles à concilier notre volonté
avec la sienne, ce qui revient à dire que
c'est la nôtre qui a passé en premier
lieu ; habiles, jusqu'à convaincre nos
coeurs que, tout en vivant nous pourrions servir
Dieu et vivre pour Christ. En face du sacrifice
d'obéissance si grand, si absolu du Fils de
Dieu, ayons honte de notre conduite, avouons nos
torts. Jetons-nous à ses pieds, dans le
jardin, contemplons cette lutte si terrible, que la
Bible appelle une agonie, et demandons, le front
courbé, s'il y a pardon pour de si grands
pécheurs ?
IlI
Il est dans la scène sur laquelle se sont
arrêtés nos regards, un détail
émouvant entre tous. Le combat se
prolongeant, Jésus priait plus instamment
avec de grands cris et avec larmes, quand jaillit
de son front une sueur comme des grumeaux de sang
qui tomba goutte à goutte sur la terre de
Gethsémané.
Par là, l'homme obéissant
jusqu'à la mort, le Juste consacré
pour être l'auteur de notre salut, offrit
à Dieu, pour la première fois, du
sang en expiation de la désobéissance
des injustes. Son obéissance à elle
seule, après nous avoir prêché
notre devoir et montré notre
péché, aurait achevé de nous
condamner. Mais arrosée de son sang, elle
nous parle de pardon et de grâce. C'est ainsi
qu'à l'heure même où, avec
frayeur, nous apprenons ce que nous aurions
dû être, et ce que nous n'avons pas
été, se présente aux yeux de
notre foi ce sang qui lave et qui justifie le
pécheur. Dès ce moment, il continue
à couler, à de courts intervalles,
durant les quelques heures de vie qui restent
à Jésus. Ce sang rougit, pendant la
flagellation, les dalles du prétoire de
Pilate ; il rougit, jaillissant sous les
épines, la tête de l'Homme de
douleur ; il rougit le bois de la croix et la
lance du soldat. Et maintenant encore, à
cette heure où Dieu nous a parlé de
l'obéissance du Sauveur et de notre
désobéissance à nous,
maintenant encore le sang de l'éternelle
alliance, versé un jour pour nous tous,
parle pour nous dans les cieux. Pécheurs,
qui voulez être sauvés, frères
et soeurs désobéissants comme moi,
couvrons-nous de ce sang divin dont il nous est dit
qu'il purifie de tout péché. Il n'y
a, dans le monde entier, rien d'autre qui nous
fasse subsister devant Dieu. Seul. le sang de
l'Agneau sans défaut et sans tache nous fait
trouver grâce à jamais. Amen.
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