VOIR JÉSUS
« JÉSUS-CHRIST VOTRE
SAGESSE »
-
Sermon prêché
à l'Oratoire du Louvre
-
le 29 Novembre 1937
-
(pour l'Avent)
-
par le pasteur WILFRED MONOD.
Par la
volonté
de Dieu, vous appartenez à
Jésus-Christ, lequel est devenu notre
Sagesse, je veux dire notre justice et notre
Sanctification et notre
Rédemption.
I Corinthiens 1/30.
MES FRÈRES,
Le calendrier civil commence au 1er
janvier ; l'année chrétienne
part du premier dimanche de l'Avent. Les disciples
du Christ, aujourd'hui, devraient échanger
des voeux des souhaits, des
félicitations ; nous sommes à la
date même où la caravane de l'Eglise,
ici-bas, s'ébranle pour marcher à la
rencontre de l'Étoile ; durant les
semaines qui viennent, les enfants dans le monde
entier s'exerceront par myriades à chanter -
« Noël !
Noël ! »
Choisissons une devise qui
éclaire d'un coup les quatres dimanches de
l'Avent ! Voici le passage illuminateur -
l'apôtre Paul écrivait à des
païens, convertis, anciens adorateurs de
Jupiter et de Junon - « Par la
volonté de Dieu vous appartenez à
Jésus-Christ, lequel est devenu notre
Sagesse, je veux dire notre Justice, notre
Sanctification et notre
Rédemption. »
- Eh quoi ! dira-t-on,
voilà vos quatre jets de
lumière ? Un nuage, un brouillard, une
fumée, une brume. Est-ce que la
mentalité européenne d'aujourd'hui,
même dans les églises, est capable
encore de saisir des notions précises dans
les nébulosités d'un vocabulaire
pieux et vague ?... Premier dimanche ? Le
Christ nous est « Sagesse ».
Deuxième dimanche ? Le Christ nous est
« justice ». Troisième
dimanche ? Le Christ nous est
« Sanctification ».
Quatrième dimanche ? Le Christ nous est
« Rédemption ».
Hélas ! ne comptez pas sur nous pour
mémoriser ce langage
périmé.
- Je réponds :
Détrompez-vous ! Le Saint-Esprit nous
accordera, aujourd'hui, une
révélation précieuse. O
Seigneur ! entends notre prière
intérieure ; écoute au moins
notre attente silencieuse, qui appelle, qui
implore, qui s'apprête à saisir non
seulement un réel bienfait, mais une
bénédiction immortelle.
Le passage que nous méditons termine le
développement où l'apôtre
caractérise l'originalité de
l'Évangile, en le distinguant soit de la
religion païenne, soit de la religion
israélite. « Les Grecs cherchent
la sagesse, les juifs réclament le
miracle ; c'est pourquoi les Grecs s'irritent
devant le fou du Calvaire, et les juifs se
scandalisent devant la victime d'un supplice
réservé aux esclaves, Mais moi je
vous prêche, au contraire, en
Jésus-Christ, le rayonnement surnaturel,
soit d'une « folie de Dieu »
plus sage que la philosophie humaine, soit d'une
« faiblesse de Dieu » plus
forte que la puissance humaine. » Et
l'apôtre s'exalte jusqu'à la
conclusion suivante : la
révélation par excellence, ici-bas,
révélation divine, s'est
incarnée en Jésus-Christ,
manifestation suprême de la Sagesse qui
sauve ; et ce faisceau de lumière est
décomposable en trois rayons diversement
colorés : la Justice, la
Sanctification, la Rédemption, trois
resplendissements de clarté - (la
« Sagesse ») - mais aussi trois
fulgurations d'énergie foudroyante, capable
de bouleverser le genre humain.
Voilà le contenu
général de notre passage. Je vais en
reprendre le détail très simplement,
et d'une manière aussi concrète que
possible.
Jésus notre
« Sagesse » ! Le terme a
une vaste portée. Dans l'Ancien Testament,
au livre des Proverbes, la Sagesse est
exaltée au point d'être
personnifiée, presque à la
manière d'une déesse. Rappelez-vous
aussi, dans le poème de Job,
l'extraordinaire passage où la Sagesse est
identifiée avec le mystère même
de la foi en Dieu : « Où se
trouve la Sagesse ? Où demeure
l'Intelligence ? » Pour les
chrétiens, cet ineffable secret est
concentré dans notre Sauveur ; en lui
nous est offerte une révélation pour
l'esprit ; en lui, aussi, nous est
présentée une direction pour la
conduite ; dans ce dernier domaine, tout
pratique, on pourrait dire que l'Eglise, à
Noël, célèbre la naissance de
« Jésus le Sage ».
Estimez-vous qu'une pareille commémoration -
dans le chaos politique, moral, social,
international, - soit inopportune ?
Aujourd'hui des millions d'hommes, saisis d'une
mortelle angoisse devant l'avenir, se tournent vers
des chefs qu'ils suivent, serrés coude
à coude, et qu'ils saluent d'acclamations
délirantes ; l'un est nommé, le
« Guide », l'autre est
appelé le « Conducteur »
un troisième sera le
« Chef » ou le
« Surveillant » un
quatrième sera le
« Maître » ou le
« Contrôleur » ; un
cinquième sera le
« Directeur » ou l'
« Inspecteur ».
Et tous ces prétendus
sur-hommes ne sont, et ne peuvent être, que
des aveugles entraînant des aveugles à
l'abîme. Oui ou non, l'humanité ;
a-t-elle besoin d'un sage, d'un berger, d'un
« bon
berger ? »
Le Nouveau Testament nous
légua le nom d'un « Souverain
pasteur » qui cherche la
« centième brebis »
isolée mais qui, en même temps, a
souci des masses ; il pleure sur la foule
égarée, il donne sa vie pour le
troupeau menacé par les loups ;
aujourd'hui encore, présent par son esprit
dans l'Eglise qui le perpétua, il jette une
invitation pathétique à
l'humanité dévoyée :
« Venez à moi ! vous les
travaillés et les chargés, je vous
soulagerai. Celui qui me suit ne marchera pas dans
les ténèbres, mais il aura la
lumière de la vie. »
Jésus le Sage...
« L'enfant était plein de sagesse,
raconte l'évangéliste, et la
grâce de Dieu était sur
lui. » Et encore :
« Jésus croissait en sagesse et en
grâce devant Dieu et devant les
hommes... » Et cette croissance-là
n'est guère sur le point de se terminer.
Plus le désordre et l'anarchie augmentent,
plus les hommes désespérés,
soûlés de discorde et de
dérèglement, finiront par entonner
les choeurs angéliques (avec les myriades
béatifiées dans le ciel de
l'Apocalypse), la vraie cantate de Noël :
« Digne est l'Agneau immolé de
recevoir la puissance, l'honneur, la gloire, la
sagesse ».
Oui, Jésus le Sage, la
« Sagesse » incarnée.
Examinons maintenant les autres titres du Christ
énumérés par l'apôtre
Paul, et qui tournoient dans la nuit comme les feux
d'un phare. Trois éclats déchirent
les ténèbres. Saint Paul
désigne en Jésus le Messie notre
« justice ». Il
célèbre là un don de Dieu. En
effet, telle que nous connaissons la race humaine -
(celle dont notre glace et notre coeur, double
miroir, nous renvoient l'image) - elle est capable
de distinguer entre un vrai Sauveur et un
faux ; elle refusera d'être pipée
indéfiniment par tel soi-disant
Émancipateur, incapable, lui, d'affranchir
l'individu d'un passé infernal. Là,
décidément, est la pierre de touche
pour un Libérateur authentique ; c'est
là que chaque personne, en son isolement, et
pour son propre compte, doit défier le
prétendu rédempteur et mettre le
candidat-sauveteur au pied du mur. « Si
tu es un Sauveur, sauve-moi ! oui, même
un insauvable tel que moi. »
Vous savez de quoi nous sommes
formés ; consciemment ou à notre
insu, nous restons des mécontents ici-bas de
la terrestre aventure ;
dégoûtés, au fond, d'une longue
série de gaspillages, de
désillusions, d'échecs et d'erreurs.
Que murmure ce vieillard, le dos au soleil ?
Il balbutie : « J'ai manqué
ma vie ». Et cette femme qui tricote
fiévreusement, les yeux mi-clos ? Elle
se répète en revoyant sa
destinée : « Trop
tard ! » Et le jeune homme qui
marche à pas lents et rêve ? Il
soupire : « Tant
pis ! »
Osons tout dire : on
n'est pas
seulement malheureux des circonstances, on est
mécontent de soi. On a commis le mal, on a
omis le bien. Le péché n'est pas
seulement quelque chose de perpétré,
mais quelque chose de négligé ;
le Devoir, sous, un tel angle, apparaît
précisément comme ce qui reste
dû ; on doit le
« devoir », comme on doit une
« dette » ; or, on reste
insolvable. On ne peut plus arrêter la
flèche d'une certaine parole ; ni
effacer tel acte indélébile ; ni
boucher telle fissure. Le passé est un
rongeur inassouvi, le remords n'a point de
muselière ; l'irréparable
s'acharne contre la conscience, comme le bec dur et
persévérant d'un oiseau qui frappe
l'écorce d'un tronc d'arbre.
Telle est la situation humaine,
assez banale (mais assez poignante) à
laquelle se prête admirablement le titre
décerné au Christ :
« Notre Justice ».
Pourquoi ? De même qu'il existe une
adaptation entre la serrure et la clé, il
existe une harmonie préétablie entre
l'expérience du désespoir, du
péché, du néant, et l'attribut
merveilleux dont Jésus apparaît
couronné comme d'un diadème : il
est notre justice, notre justificateur ;
l'auteur sacré le nomme notre
« avocat », notre
« intercesseur ». D'une
manière ou de l'autre, et quelles que soient
les formules employées pour exprimer cette
grâce ineffable, Jésus est là
précisément pour cela ; il l'a
prouvé dans l'Évangile, et dans
l'Eglise, et dans l'Histoire : il plaide sans
parole en notre faveur, par le seul fait qu'il
existe.
Cette expérience inouïe,
surnaturelle, a été
réalisée des millions et des millions
de fois : le coupable avance vers le tribunal,
tenant l'acte d'accusation qui va le condamner...
Soudain, on lui arrache le document fatal, on le
déchire en menus morceaux.
Depuis deux mille années,
dans l'Eglise, le soleil n'a jamais terminé
sa course quotidienne, sans que des âmes
aient chanté un hosanna ! du soir et un
alléluia ! devant le Christ notre
« justice » ; or, ces
mêmes âmes, à l'aube du
même jour, se croyaient
réprouvées !
Quelqu'un objectera
« je
ne puis accepter les antiques et mystiques formules
de la tradition chrétienne sur le sang
expiatoire... je n'ose même pas
répéter que le Crucifié a
voulu mourir pour moi. »
... Cher isolé, cher
sincère, disons simplement que Jésus
a vécu pour toi et moi, en vivant pour
l'humanité : il est donc né pour
nous, puisque sa naissance reste inséparable
de sa vie ; et sa mort, elle non plus, ne peut
en. être distinguée ; elle fut la
suprême expression, ou la souveraine
révélation de sa vie, elle fut
l'incarnation finale de son esprit ; c'est
tout l'ensemble de l'Évangile qui sauve. Le
Crucifié n'était pas autre que le
Glorifié. De même que sa
présence au Calvaire était
indiscernable de l'existence, ici-bas, de la
« Parole faite chair », de
même la présence du Christ à
Golgotha s'identifiait avec l'existence
perpétuée du Ressuscité dans
l'Eglise, où il préside la Table
sainte : « Quand deux ou trois sont
réunis en mon nom, Je suis
là. »
La croix fut l'étincelle
révélatrice d'une
réalité ineffable, concrète,
éternelle : le Crucifié mourut
pour chacun d'entre nous, dans la mesure même
où il s'immola volontairement par amour, par
fidélité à ses amis, à
ses ennemis, à son Évangile, à
son Dieu. Et voici le message tout spirituel,
essentiellement spirituel, qui rayonnait à
travers la croix matérielle (comme la
clarté intensifiée par une lentille
grossissante) : Dieu pardonne au
pécheur qui se reprend, qui se repent (nous
l'affirmons dans notre liturgie, chaque
dimanche !) ; le salut est saisi par
l'élan d'une confiance pauvre et nue :
« Ne crains point ; crois
seulement ; ta foi t'a sauvé ; va
en paix. » Voilà l'Évangile
de Noël.
Ai-je raison de m'exprimer ainsi ? Est-il
vrai que toute la Bonne Nouvelle doive se
résumer dans le credo poignant : le
Crucifié a vécu pour les
pécheurs jusqu'à mourir pour
eux ? Non, ce message ne concentre pas,
à lui seul, tout l'Évangile de
Noël. Pour qu'il soit complet,
parachevé, il y faut ajouter une autre
parole extraordinaire de l'apôtre :
« J'ai été crucifié
avec Christ ; ce n'est plus moi qui vis, c'est
Christ qui vit en moi ». Cela signifie
que l'affirmation du pardon pour le passé
doit s'épanouir dans l'appel à la
sainteté pour le présent.
Voilà le sens de l'expression
énigmatique :
« Jésus-Christ est notre
sanctification ».
Oh ! béni soit
l'Évangile authentique, intégral, qui
nous accule à la sainteté,
c'est-à-dire à la
consécration, qui nous condamne à
rompre avec le péché.
L'apôtre ose déclarer
à ses convertis :
« Considérez-vous comme
étant morts au
péché » - (telle est son
expression, d'un réalisme pathétique)
- morts au péché donc, et
« vivants pour Dieu ». Il
ajoute même - « Le
péché n'aura plus de pouvoir sur
vous ». jamais encore, ici-bas, aucun
écrivain d'aucune époque n'avait
exprimé pareille sentence,
étrangère à la
littérature universelle ; et quand ces
paroles furent tracées pour la
première fois sur un vulgaire papyrus, un
des contemporains de l'apôtre, son
voisin-même à Rome, s'appelait
César-Néron.
Quel contraste entre ces deux
hommes, et quel avertissement pour nous ! Donc
jamais nous n'avons le droit d'alléguer le
malheur des temps, la corruption des moeurs,
l'indulgence de l'opinion, pour trahir notre
idéal moral et renier nos convictions
religieuses. Vous savez qu'en divers pays, depuis
quelques années, un groupe de
chrétiens laïques propage, sans phrases
et sans peur, un programme de conduite
inspiré par la nostalgie de l'Absolu sur le
terrain concret de la pratique. Les propagateurs de
cette règle élémentaire et
sublime formulent quatre principes
fondamentaux : D'abord, soyez sobres ;
soyez purs ; maintenez en vous la
hiérarchie des grandeurs. Ne laissez pas les
instincts vous envahir, comme le gui parasitaire
étouffe le chêne ; que les sens
gardent l'activité naturelle qui leur
appartient dans le cadre corporel mais qu'ils ne
s'exaspèrent pas jusqu'à la
sensualité : gardons la
tempérance, l'équilibre, la
modération, l'harmonie en nous de toutes les
énergies (physiques et morales), diverses
mais orientées, variées mais
convergentes, maintenues sur des plans
superposés, dociles, disciplinées,
transfigurées.
Le deuxième principe
fondamental est celui-ci maintenons
intégralement un idéal
d'honnêteté... sans tache, de scrupule
et de véracité... sans exception, de
loyauté... sans compromission aucune dans le
détail, en appliquant cette règle...
sans restriction au domaine des affaires (quelle
magnifique témérité !) ou
même à celui de la conversation
courante (quelle naïveté
splendide !)
Puis vient le troisième
principe : soumission réfléchie,
minutieuse, persévérante à la
Règle d'or, celle de la bonté, de la
charité, de l'oubli des offenses, de la
bienveillance intelligente pour les faibles et les
petits sans négliger nos frères
inférieurs dans le domaine animal.
Tu aimeras ! c'est le
résumé de l'Ancien Testament,
d'après le décalogue de
Moïse ; Tu aimeras ! c'est le
résumé du Nouveau Testament,
d'après l'hymne à la charité
de saint Paul. Impossible d'y échapper. Si
Dieu est amour, le vrai
« sans-dieu » est le
sans-amour, celui qui médit de l'absent on
se moque du présent, celui qui refuse de
tendre la main pour pardonner ou d'étendre
la main pour bénir.
Enfin le quatrième principe
fondamental est celui de l'humilité
transparente, radieuse, et qui veut s'ignorer, et
qui peut s'effacer, et qui refuse d'être
susceptible, et de cultiver un faux point
d'honneur, et d'étaler un ridicule sentiment
de sa propre importance, et de chérir un moi
minuscule qui se hérisse (au nom de sa
propre dignité) contre un manque
d'égards involontaire ou une
prétendue négligence. O mes
frères, mes frères, foin de tout ce
foin-là ! jetez : cette pauvre
paille, cette litière
défraîchie, dans le brasier de la
Confession des péchés. Un
pécheur ne peut plus se pavaner, se
rengorger, se donner des airs.
Béni soit le héros de
Noël, notre Sauveur ! Par lui, nous
sommes justifiés pour le passé. En
lui, nous sommes sanctifiés pour le
présent.
Pour terminer, fixons nos yeux sur le point
culminant du paysage. L'apôtre
déclare :
« Jésus-Christ, en notre faveur,
est devenu rédemption ».
Voilà un mot qui nous oriente
éperdument vers l'avenir.
Car il faut bien comprendre le
terme
de rédemption ; plus que tout autre, il
mérite qu'on l'interprète avec soin.
Il signifie simplement rachat ; un esclave
racheté à son maître est
libéré. Quand on parle d'une
rédemption de l'humanité, on parle de
sa délivrance. Il est vrai qu'on enveloppe
alors cette réalité magnifique dans
une image impossible à serrer de
près ; car si le rédempteur
avait réellement payé une
rançon pour la libération du genre
humain, à quel maître aurait-il
acquitté la somme due ?
Pendant de longs siècles, et
très logiquement, les théologiens
enseignèrent que Jésus avait
désintéressé le tyran des
hommes : « Satan ».
Aujourd'hui, les catéchismes enseignent
plutôt que la dette fût payée
à « Dieu »
lui-même. Puisque l'Eglise hésite, ne
pressons pas une comparaison qui mènerait au
scandale ou au blasphème.
Restons-en avec allégresse
à la suprême et miséricordieuse
notion de délivrance, d'évasion, de
salut ; mais, j'y insiste, en regardant vers
l'avenir. Si nous demeurions tournés vers le
passé, en parlant ici de rédemption,
alors l'apôtre aurait, contre son habitude,
répété deux fois la même
idée en déclarant : le Christ
est « notre justice », le
Christ est « notre
rédemption ». Or l'apôtre
n'était pas de ceux qui piétinent en
rond. Dans notre splendide passage, il nous
mène d'un point à un autre :
Jésus est notre
« justificateur », pour
hier ; Jésus est notre
« sanctificateur », pour
aujourd'hui ; Jésus est notre
« libérateur », pour
demain.
La rédemption, dans le
langage du Nouveau Testament, vise d'ordinaire
l'avenir ; elle embrasse d'immenses
possibilités, futures, promises, un monde
céleste, l'univers des
réalités éternelles. Chacun de
nous peut constater que le terme de
rédemption n'existe que dans les
épîtres, une dizaine de fois ; et
dans ces rares passages on trouve deux expressions
bien caractéristiques ; Paul
écrit aux Romains « Nous attendons
la rédemption de notre corps » et
aux Éphésiens il
déclare : « Vous avez
reçu le sceau de l'Esprit saint, en vue du
jour de la
rédemption ».
Dès lors tout
s'éclaire et s'engrène dans notre
texte majestueux : on découvre ses
mouvantes articulations : la Foi, l'Amour,
l'Espérance ; le pardon pour le
passé (la Foi) - la communion avec le
Sauveur dans le présent (l'Amour) - la vie
éternelle devant nous (l'Espérance),
dans une lumière inaccessible où se
fixe inébranlablement l'ultime anneau d'une
chaîne de diamant.
Chacune de ces grâces vraiment
surnaturelles complète la
précédente ou prépare celle
qui suivra. Le pardon lui-même, offert sur la
Croix par les bras étendus, ne serait qu'une
indulgence malsaine et stérile, s'il
n'aboutissait pas, coûte que coûte,
à une exigence absolue de
sainteté ; mais cette exigence à
son tour, dans quelle contradiction quotidienne et
déchirante nous mène-t-elle
inexorablement ! La conduite pure et
fraternelle, ici-bas, est-elle autre chose qu'une
gageure angoissante ? Elle ressemble à
une tremblante bestiole menacée par des
chasseurs, encerclée de chiens à la
gueule fumante...
Vive Dieu c'est notre sort, et
notre
paradoxe, et notre gloire on a les pieds dans la
nuit, et les yeux dans la lumière ; on
a des mains frémissantes et un coeur
assuré ; on se traîne ici-bas
pécheur et mortel, mais déjà
l'on possède en l'âme le goût de
la victoire et la saveur de
l'immortalité ; on clame comme le
psalmiste : « Avec mon Dieu je
franchis une muraille ! » et
encore : « je m'écrie
Loué soit l'Éternel ! et je suis
délivré ». La voilà
bien la délivrance, la rédemption.
Mais le psalmiste lui-même n'en était
qu'à l'A.B.C. de l'épopée du
salut total, éternel. Et voilà
pourquoi, bien aimés frères, nous
célébrons aujourd'hui l'Avent, saisis
d'une jubilation sacrée ; voilà
pourquoi, dans la communion de la
chrétienté universelle, nous allons
répéter de dimanche en dimanche
jusqu'à Noël :
« Par la volonté de
Dieu nous appartenons à Jésus-Christ,
lequel est devenu notre Sagesse - oui, notre
Justice, notre Sanctification et notre
Rédemption ».
Ainsi soit-il. Amen.
|