(1). Les supplices n'avaient
pourtant pas
cessé dans Paris, et l'on n'attendit pas
même, pour rallumer les bûchers, que
les ambassadeurs des princes allemands, qui
étaient venus
solliciter la grâce des prisonniers, eussent
quitté la capitale. Un jeune homme,
nommé Geffroy, Guérin, avait
d'abord faibli et renié sa foi pour
échapper à la mort. Mais
bientôt, relevé par la grâce
divine, il écrivit à ses
frères :
« Réjouissez-vous de ce que moi,
pauvre brebis égarée, J'ai
été retrouvé par le bon
pasteur... Je suis et serai à lui pour
jamais, nonobstant ma faute bien lourde... Il n'a
point rejeté ma prière, il a oui mes
pleurs et mon gémissement, comme il a fait
pour son serviteur Pierre. » Le ministre
Macar, qui réussit à
pénétrer dans la prison de
Guérin, déclara, dans une lettre
à Calvin, que, venu pour le confirmer dans
sa foi, il fut lui-même confirmé dans
la sienne par les paroles du jeune athlète
chrétien.
Le jour de son exécution, il
réveilla dès l'aube son compagnon de
cachot, et, le menant auprès du soupirail
par lequel on pouvait voir une étroite bande
du ciel : « Et que
sera-ce, » lui dit-il ;
« quand nous serons élevés
par-dessus toutes ces choses, pour être avec
notre Seigneur et jouir de sa gloire, si nous
demeurons fermes en la confession de sa
vérité ! » On le
conduisit dans la chapelle de la prison, où
on lui lut l'arrêt qui le condamnait à
être brûlé. Il employa le temps
qui lui restait à vivre à chanter des
psaumes. En traversant le préau de la
prison, il exhorta un prisonnier, auquel il avait
appris à lire, à étudier les
saintes Écritures, et il dit aux
autres : « Adieu, mes amis, je m'en
vais à une mort pour avoir la
vie. » Sur le
tombereau, on l'entendit prier :
« Seigneur Dieu, qu'il te plaise de
m'armer de force et de constance, pour
résister au tourment qui m'est
apprêté. Ne me donne point une charge
plus grande que je ne puis porter. Je me suis
toujours attendu à tes promesses et ai
longtemps désiré la mort, qui est
maintenant bien prochaine. Ne me délaisse
donc point, mais fais que je
persévère jusqu'à la fin dans
cette foi, dont je fais ici confession. »
Et il récita le symbole des
apôtres.
Arrivé à la place Maubert, il
dut subir les outrages et les brutalités
d'une populace altérée de son sang et
qui avait elle-même cherché le bois et
dressé le bûcher. On l'arracha aux
mains du bourreau, et il aurait été
mis en pièces par ce peuple fanatisé,
si les soldats n'avaient prêté
main-forte à l'exécuteur. Un greffier
vint encore lui offrir la grâce d'être
étranglé avant d'être
brûlé, s'il voulait se dédire
et crier : Jésus Maria. Mais il
répondit : « J'ai assez
confessé ce que je croyais et
déclaré la religion en laquelle je
voulais vivre et mourir. Passez outre. »
Il fût alors hissé sur le
bûcher, et la flamme enveloppa bientôt
son, corps. « Seigneur Dieu, »
l'entendit-on dire, « ouvre tes cieux
pour recevoir ton serviteur. »
Vers le même temps un autre jeune
chrétien mourait en
prison, victime des privations et peut-être
du poison. Il se nommait Jean Morel, et
avait été gagné à
l'Évangile en voyant mourir Danville et
Rébéziès. Dans une
perquisition qui fut faite chez lui, on
découvrit des livres protestants, qu'il
étudiait avec ardeur. C'en fut assez pour
qu'il fût arrêté. Il eut
à subir de longs interrogatoires, dans
lesquels il fit preuve d'une connaissance
approfondie de la doctrine
évangélique. Son frère essaya
de l'ébranler, en lui conseillant de ne
donner aux juges que des réponses
évasives sur les doctrines
controversées. Il s'engageait, s'il suivait
son conseil, à obtenir sa grâce. Morel
prêta l'oreille à ces avis ; mais
cette défaillance ne dura qu'un moment. Rien
n'est émouvant comme les pages dans
lesquelles ce jeune chrétien raconte les
tourments de sa conscience après qu'il eut
consenti à rétracter ses convictions
évangéliques (3).
Relevé de sa défaillance
momentanée, Jean Morel fut dès lors
inébranlable dans la confession de sa foi.
Ses interrogatoires, dans lesquels il ferma la
bouche à plusieurs docteurs papistes, eurent
un grand retentissement et dénotent une
connaissance approfondie de l'Écriture et
une admirable énergie morale.
« Plus il approchait de sa
fin, » dit Chandieu, qui avait
été son maître,
« plus on voyait à l'oeil l'Esprit de Dieu
s'augmenter en lui. » Il mourut à
la Conciergerie, « non sans
soupçon de poison. » Son corps fut
exhumé, à la requête du
procureur général, et porté
dans un tombereau au parvis Notre-Dame, où
il fut brûlé le 27 février
1558.
Dans sa prison, Jean Morel ramena à la
foi et à la fidélité un
maçon normand, Jean Barbeville, qui,
après avoir professé la foi
évangélique, l'avait reniée.
Il fut merveilleusement changé, grâce
à l'exemple et aux prières de ce
saint jeune homme, et dès lors il n'eut
qu'un désir, celui de glorifier Dieu par sa
mort. En qualité de relaps, il ne pouvait
échapper au bûcher.
Il tint tête à ses juges
ecclésiastiques avec une vigueur et une
verdeur de propos remarquables. L'un d'eux lui
ayant dit qu'il n'était qu'une
« pauvre bête » et ne
devait pas se mêler d'interpréter les
Écritures, Barbeville répondit :
« Bien ! prenez le cas que je ne
suis qu'une bête et un âne, mais
n'avez-vous jamais lu que Dieu ouvrit la bouche de
l'ânesse du prophète Balaam pour la
faire parler contre lui, pour autant que, la
chargeant de coups, il voulait prophétiser
mensonge contre les enfants de Dieu ? Si Dieu
a ouvert la bouche d'une bête, êtes-vous ébahi
maintenant s'il ouvre la mienne pour me faire
parler contre les faussetés et mensonges que
vous semez entre le peuple de
Dieu ? »
L'inquisiteur, Bénédicti,
l'ayant déclaré
hérétique, il fut envoyé
devant la Grand'Chambre du Parlement de Paris, qui
le condamna au feu. « On n'eût su
voir, » dit Chandieu, « homme
moins étonné de la mort qu'il
était, et le zèle de Dieu
s'accroissait en lui à vue d'oeil, tellement
qu'il n'avait la bouche fermée. Ou il
instruisait ceux qu'il rencontrait, ou étant
seul, il ne cessait de chanter psaumes, en se
réjouissant. » Revenu
lui-même au bon Berger, il lui amena une
pauvre brebis perdue, un misérable voleur,
qui apprit de lui le secret de mourir en paix.
Il fut conduit bâillonné sur la
place de Grève. On devait l'étrangler
avant de le brûler, « mais la
fureur du peuple ne voulut souffrir que la peine
fut ainsi modérée. Et de peur qu'on
n'aperçût sa constance en son visage,
on dressa des fagots contre lui jusques au-dessus
de sa tête. Mais la corde qui tenait ses
mains serrées s'étant rompue, il
commença à dresser ses mains jointes
au ciel, ce qui étonna toute la troupe de
ces bourreaux. Ainsi doucement, et sans grands
signes de douleur, combien que la cruauté
fût extrême, il rendit son âme
à Dieu. »
Ce fut en mars 1559 que fut
exécuté Barbeville. Quelques jours
après lui, un vigneron , Pierre Chepet (5),
était brûlé
à la place Maubert, avec des raffinements
odieux de cruauté. Ces deux
exécutions étaient l'oeuvre de la
Grand'Chambre du Parlement, composée des
membres les plus fanatiques de ce corps. L'autre
Chambre, qui comptait une majorité d'hommes
plus modérés, penchait vers la
tolérance et s'était bornée
à bannir du royaume quatre luthériens
traduits devant elle. Cette indulgence irrita les
conseillers du roi et amena la fameuse Mercuriale
du 10 juin, bientôt suivie du procès
d'Anne du Bourg. Henri II, qui le fit
arrêter, mourut d'ailleurs avant lui.
Mais ces événements
méritent une étude plus
détaillée, que nous allons leur
consacrer.
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