Ce fut la gloire du protestantisme
français du seizième siècle de
recruter, non seulement des adhérents, mais
des martyrs dans toutes les classes de la
société, depuis son protomartyr,
l'intrépide cardeur de laine Jean Le Clerc,
jusqu'à l'héroïque amiral de
France, Gaspard de Coligny, la plus illustre
victime de la Saint-Barthélemy.
Gentilshommes et artisans, artistes et
lettrés, prêtres et magistrats
montrèrent le même attachement
à leurs nouvelles convictions et la
même constance devant la mort. La prison et
le bûcher réalisaient cette
égalité des hommes qui devait
attendre encore deux siècles avant de
prendre place dans les lois de notre, pays.
C'était comme une déclaration
anticipée des droits de l'homme,
écrite avec le sang de nos martyrs.
Dans cette émulation qui
entraînait des hommes de toutes conditions,
la magistrature elle-même ne resta pas en
arrière. Ses membres se montrèrent
sans doute plus zélés à
dresser des bûchers qu'à y monter eux-mêmes, et la
royauté trouva en eux des exécuteurs
trop complaisants de ses édits cruels. Il y
eut pourtant d'honorables exceptions. Il se trouva
des juges, dont la conscience se refusa à
rendre des services au lieu d'arrêts et qui
osèrent protester contre les iniques
rigueurs des lois. Il y eut même des
magistrats qui, en plein Parlement de Paris,
osèrent conseiller la tolérance au
plus ombrageux des Valois, et défendre les
persécutés devant leur
persécuteur, bien qu'ils sussent qu'ils y
jouaient leur position, et peut-être leur
tête.
Il y en eut un qui, pleinement gagné
à la foi évangélique ne
craignit pas, dans une circonstance
mémorable, de la professer hautement, et
qui, pour être fidèle à sa
conscience, descendit de son siège pour
entrer à la Bastille et sortit de la
Bastille pour monter à l'échafaud. Ce
magistrat, Anne du Bourg, qui préféra
la cage de fer de la Bastille et le bûcher de
la place de Grève, avec la conscience sauve,
à la tranquille possession d'un siège
envié dans la première Cour de
justice du royaume, a jeté plus de vraie
gloire sur la magistrature française du
seizième siècle que ses illustres
collègues, les Seguier, les Harlay, les de
Thou, qui courbèrent la tête devant
l'orage. La cause de la justice a été
mieux servie par sa mort que par leurs
arrêts, s'il est vrai qu'il y a quelque chose
de plus grand que d'administrer la justice, je veux
dire savoir souffrir et mourir pour elle.
Je voudrais essayer de faire connaître
la vie, le procès et la
mort d'Anne du Bourg, en m'aidant de sources peu
connues ou négligées jusqu'ici. Les
registres du Parlement de Paris sont le document
essentiel pour reconstituer les détails et
l'ordre chronologique du procès
(1). Il
existe un
assez grand nombre de récits contemporains
du procès, qui prouvent qu'il eut un immense
retentissement ; l'un d'eux paraît avoir
été publié avant la mort du
martyr (2). Le
plus complet de ces récits parut en 1561,
sous ce titre : La vraye Histoire,
contenant l'inique Jugement et fausse
procédure faite contre le fidèle
serviteur de Dieu, Anne du Bourg
(3).
Une autre
source, très précieuse pour
l'histoire de du Bourg, c'est l'Histoire des
persécutions et martyrs de l'église
de Paris, de La Roche-Chandieu
(4), publiée en 1563, par un
homme qui dut avoir, comme pasteur de l'Eglise
réformée de Paris, des relations
personnelles avec du Bourg. Son récit,
malheureusement assez écourté, est le
plus connu, ayant passé
tout entier dans le Martyrologe de Crespin,
à partir de l'édition de 1570 ;
on le cite habituellement à tort comme
l'oeuvre de Crespin, qui n'a fait que le
transporter dans son recueil, avec tout le volume
qui le renferme.
Le récit de Pierre de la Place, dans
ses Commentaires de l'estat de la religion et
république, parus en 1565, est aussi
celui d'un contemporain et de plus l'oeuvre d'un
magistrat, bien placé pour connaître
les faits. Louis Régnier de la Planche, dans
son Histoire de l'estat de France sous
François II, parue en 1576,
complète très heureusement ses
devanciers, et c'est son récit qui,
reproduit par Théodore de Bèze, dans l'Histoire ecclésiastique,
a acquis,
par là, une notoriété et une
autorité très grandes. Mais il n'a
lui-même guère fait autre chose que
copier, en l'abrégeant, la notice que
Crespin a publiée dans les Actes des
Martyrs de 1564.
Cette édition du Martyrologe est
devenue presque introuvable, et c'est ce qui
explique l'oubli dans lequel cette narration est
tombée. Les continuateurs de l'oeuvre de
Crespin lui ont substitué, dans les
éditions subséquentes, un
récit plus abrégé
emprunté au livre de La Roche-Chandieu,
mentionné plus haut. Le récit des Actes des Martyrs de 1564 a
l'avantage sur
les autres d'être plus complet et de disposer
les faits dans un ordre qui s'accorde mieux avec
les pièces officielles
insérées dans les registres du
Parlement (5).
La famille d'Anne du Bourg appartenait à
l'ancienne noblesse du Vivarais. Elle tirait son
nom, dit la France protestante, du Bourg,
« village et château du Vivarais,
à mi-chemin entre Viviers et le Bourg
Saint-Andéol. » Plusieurs de ses
membres se vouèrent à la
magistrature, pendant le seizième
siècle ; l'un d'eux, Antoine du Bourg,
s'éleva, en 1535, à la dignité
de chancelier de France. S'il ne fut pas
lui-même sympathique aux nouvelles doctrines
religieuses, qui se répandaient alors dans
toutes les classes de la société, Il
eut, dans sa famille, plusieurs partisans
déclarés de la Réforme. Ses
deux petits-fils, Louis et Charles, prirent part,
dans le camp huguenot, aux guerres de religion.
Louis, baron de Saillans, figura parmi les
principaux chefs huguenots de l'Auvergne et lutta
vaillamment contre les ligueurs. Son frère,
Charles du Bourg, seigneur de Saillans, fut
assiégé, au mois d'octobre 1569, par
Saint-Héran, gouverneur de l'Auvergne. Du
Bourg, qui n'avait dans son château que cinq
ou six hommes de garnison et qui était
« retenu au lit par une maladie, se
rendit sous condition de la vie sauve ; mais,
au mépris de la foi jurée, il fut
saisi et jeté dans un four où son
corps fut consumé
(6) »
Anne du Bourg était l'un des onze
enfants d'Étienne du Bourg, seigneur de
Ceilloux, et frère puîné du
chancelier. Trois de ses enfants au moins
embrassèrent la Réforme. Claude,
sieur de la Guérine, fut trésorier de
France à Lyon et ambassadeur à
Constantinople. Gabriel, conseiller au Parlement de
Toulouse, faillit périr dans les massacres
qui déshonorèrent cette ville en
1562. Anne, leur aîné, conseiller au
Parlement de Paris, fut le premier membre de la
famille du Bourg qui embrassa la foi
évangélique. C'est à sa
courageuse attitude devant le roi de France, c'est
à sa fidélité à
l'Évangile pendant une longue
détention et sur le bûcher, que le nom
de du Bourg doit son illustration.
On ne sait rien de la jeunesse d'Anne du
Bourg. Il naquit vers 1520, à Riom, en
Auvergne, où habitait son père, qui
était seigneur de Ceilloux, localité
des environs de cette ville. Il fit des
études de jurisprudence et fut appelé
à professer cette science à
l'université d'Orléans, vers 1547. Il
y prit son grade de docteur, le 4 mai 1550, et y
fut élu recteur, à trois reprises,
par le suffrage de ses collègues. Sa science
profonde du droit, attestée par le
témoignage de ses contemporains, mais
surtout son caractère, qui unissait la
noblesse à l'amabilité, firent une
profonde impression sur ceux qui
l'approchèrent
(7),
Pendant les
dix années qu'il y passa, il entra en rapport avec
les
réformés, qui étaient nombreux
à Orléans. L'université,
divisée en dix nations, dont la plus fameuse
était la nation allemande, y comptait de
nombreux disciples de Luther, qui obtinrent de
Henri II, en leur qualité
d'étrangers, la liberté religieuse
que le roi refusait à ses propres sujets.
Anne du Bourg fut en excellents termes avec ces
écoliers, et il contribua, en sa
qualité de recteur, à
l'élargissement de l'un d'eux, Conrad
Maïus, incarcéré pour cause
d'hérésie. Les questions religieuses
étaient le sujet de vives
préoccupations et de continuels entretiens
parmi cette jeunesse studieuse, et les livres des
réformateurs étaient avidement lus
dans cette ville où Calvin avait
séjourné et enseigné et
où Théodore de Bèze avait
étudié.
De temps en temps, d'ailleurs, le
récit de la mort triomphante de quelque
martyr venait passionner les esprits. En septembre
1549, du Bourg put rencontrer dans les rues
d'Orléans le cortège qui accompagnait Anne Audebert au bûcher,
et
peut-être se mêla-t-il à la
foule qui la vit mourir « avec un coeur
allègre et une vertu admirable »
sur la place du Martroy
(8).
L'année suivante, ce fut le tour de Claude Thierry, jeune
apprenti apothicaire,
lequel, dit Crespin, « endura la mort au
grand avancement de la gloire du Seigneur et
à l'édification de plusieurs
(9). »
Avec de tels exemples de fidélité
à l'Évangile sur les places publique ;
et avec
les souffles de réforme religieuse qui
circulaient dans son université,
Orléans était bien l'une des villes
de France où pouvait le mieux s'accomplir
dans l'âme du jeune jurisconsulte, le travail
intérieur qui devait le gagner à la
Réforme.
Ce ne fut pourtant pas à
Orléans qu'il fit publiquement acte
d'adhésion à la foi
réformée. C'était
« un homme paisible et peu aheurté
à ses opinions
(10), » d'une conscience
scrupuleuse,
aussi incapable de se laisser aller à un
entraînement irréfléchi que de
reculer devant le devoir une fois qu'il l'aurait
reconnu. Il resta donc extérieurement
catholique jusqu'à son départ
d'Orléans en 1557, et fit encore ses
Pâques cette année-là, selon le
rite romain (11).
Il fit même alors un acte qui semble
d'abord peu conciliable avec l'état de ses
convictions. Désirant obtenir une place de
conseiller au Parlement de Paris, et aucune place
de conseiller laïque n'étant vacante,
il se laissa induire par ses amis à
solliciter une place de conseiller-clerc, qui
l'obligeait à prendre les ordres de diacre
et de sous-diacre. Il expliqua à ses juges,
qui l'interrogèrent sur ce point, qu'il n'y
avait eu là, à ses yeux, qu'une
simple formalité, qu' « il n'avait
jamais eu l'intention d'être
prêtre, » sachant bien que
« Jésus-Christ a été
le dernier sacrificateur, » mais qu'il
avait « appris qu'en la primitive Église, il
y a
eu des ordres de diacres, de sous-diacres, de
lecteurs et autres
(12). »
Ces explications, au moyen desquelles il essayait
de tranquilliser sa conscience, montrent que, s'il
n'avait pas encore rompu officiellement avec le
catholicisme, il était protestant par ses
convictions intimes. Il se reprochait plus tard de
n'avoir pas « employé à
l'étude des Écritures saintes le
temps qu'il avait employé à
étudier au droit civil et aux lettres
humaines
(13). »
Mais il suffit de parcourir ses interrogatoires et
la confession de foi qu'il rédigea en prison
pour se convaincre que les connaissances bibliques
dont ils font preuve étaient le fruit de
longues méditations des livres saints. Il
lisait aussi, comme il le reconnut, devant ses
juges, les écrits « de Calvin et
d'autres, achetés de ces porteurs de livres
qui allaient et venaient par le pays
(14). »
En arrivant à Paris, en novembre
1557, pour y occuper son siège de
conseiller-clerc au Parlement, du Bourg n'avait
plus qu'un pas à faire pour mettre sa
conduite extérieure d'accord avec ses
convictions. C'était l'une des heures les
plus solennelles dans la tragique histoire des
origines du protestantisme français. La
Réforme obtenait des succès
inespérés dans les plus hautes
classes de la société. Le chef de la
maison de Bourbon, Antoine, roi de Navarre, lui apportait
un concours, qui
ne
devait pas être durable, mais qui, pour le
moment, semblait ardent et loyal, et on le vit avec
surprise, entouré de ses gentilshommes, se
mêler à la foule qui se réunit
au Pré-aux-Clercs, pendant quelques
soirées du mois de mai 1558, pour y chanter
les psaumes de Marot. « La Réforme
trouvait, à ce même
moment, » dit Jules Bonnet,
« dans la famille des Châtillon,
des coeurs dévoués, des âmes
intrépides, capables de l'associer aux plus
hautes inspirations du patriotisme et du
génie. Le glorieux vaincu de Saint-Quentin,
Gaspard de Coligny, recevait dans sa prison de
l'Écluse, puis dans celle de Gand, les
premiers germes de la foi dont il devait être
le héros et le martyr. Son frère,
d'Andelot, l'avait depuis longtemps
embrassée, et n'attendait qu'une occasion
favorable pour la propager dans ses vastes
domaines, de Bretagne, tandis que le cardinal de
Châtillon la professait en secret sous la
pourpre et en favorisait les progrès dans
son diocèse de Beauvais, si voisin de la
capitale
(15). »
Du Bourg, rencontra même dans le
Parlement, cette assemblée de tout temps si
conservatrice des vieux usages, des sympathies
nombreuses en faveur des nouvelles doctrines. Il
n'hésita plus à professer sa foi. Aux
fêtes de Pâques 1558, il se rendit
encore à l'Eglise Saint-Merry,
« de peur, » dit-il,
« de scandaliser ses serviteurs qui
étaient infirmes et n'avaient pas connaissance de
la
vérité » il les accompagna,
dit-il, « afin qu'ils fissent entre eux
leurs pâques, mais, quant à lui, il ne
les fit pas, et depuis que Dieu lui a donné
connaissance de ses sacrements, il n'a plus
été à l'église pour
faire ses pâques
(16). »
Ce fut enfin la veille du jour de
Pâques 1559, que du Bourg fut admis à
la sainte Cène dans l'Eglise
réformée de Paris. Ce fut pour lui
une grande joie, et il disait, quelques mois plus
tard, à ses juges, « qu'il ne
voudrait pas avoir longtemps été sans
recevoir ce grand bien de Dieu, qui lui fut
présenté dans ce
sacrement. » Il leur disait aussi avec
quelle simplicité auguste on
célébrait la Cène dans ces
assemblées où se réunissaient
en cachette les protestants de Paris, comment,
« après les prières et
exhortations faites par la Parole de Dieu, le saint
sacrement était administré par le
ministre, à tous ceux qui s'y
présentent non excommuniés, et sous
les deux espèces du pain et du vin, avec
actions de grâces
(17). »
Dans quel lieu se réunissait
l'assemblée, au milieu de laquelle les
réformés de Paris eurent la joie de
voir s'unir à eux un conseiller au
Parlement ? Nous l'ignorons et du Bourg se
refusa toujours à le révéler
à ses juges. Il dit seulement qu'il se
faisait accompagner par un laquais,
« qu'il laissait en un coin de rue avec
sa mule, et qui l'attendait jusqu'à son
retour (18). »
La piété d'Anne du Bourg,
fruit d'une longue préparation
intérieure, s'alimentait et
s'éclairait, non seulement par la
fréquentation du culte public, mais par
l'étude assidue des saintes
Écritures. Ses rapports avec les ministres
de l'Eglise de Paris, François de Morel,
Antoine de La Roche-Chandieu et Nicolas des
Gallars, durent aussi contribuer à affermir
ses convictions évangéliques. Mais
une prédication plus éloquente que la
leur s'élevait des bûchers qui,
à Paris comme en province, ne
chômaient presque jamais de victimes. Au
moment même où du Bourg prenait
possession de son siège, l'Eglise de Paris
était dans le deuil, à la suite de la
surprise de l'assemblée de la rue
Saint-Jacques. Environ cent cinquante de ses
membres avaient été jetés en
prison. « La joie, » dit
Chandieu, « était si grande parmi
les ennemis par tous les quartiers de la ville, que
l'on ne voyait que triomphes de victoire
deçà, delà, comme si, en un
seul jour, la doctrine de l'Évangile
eût été opprimée. Mais,
de l'autre côté, le demeurant de
l'Eglise se trouvait en une merveilleuse
perplexité pour l'emprisonnement et
détention de leurs frères, et il n'y
avait que pleurs et gémissements en leurs
familles
(19). »
Pendant ce temps, les cachots du Châtelet
retentissaient du chant des psaumes, par lequel les
prisonniers s'encourageaient et se
préparaient à la mort.
Anne du Bourg, qui ne siégeait pas
à la Cour du Châtelet, n'eut pas
à juger le procès des victimes du
guet-apens de la rue Saint-Jacques. Sa conscience
ne lui eût certainement pas permis
d'appliquer les lois cruelles de Henri II à
des innocents dont il partageait la foi. Mais il
dut suivre avec un douloureux intérêt
ces procès où le fanatisme se
décorait du nom de justice, et où les
formes mêmes de la justice étaient
odieusement foulées aux pieds. Il dut
surtout se sentir confirmé dans sa foi en
voyant des hommes, des femmes, des enfants,
« qui, au milieu des flammes, invoquaient
le nom de Jésus-Christ. »
Si de telles morts n'excitaient ni
pitié ni remords au sein des basses couches
du peuple de Paris, non plus que chez ceux qui lui
inspiraient le fanatisme qu'ils exploitaient
ensuite, les âmes vraiment nobles souffraient
de la vue de ces spectacles hideux. On voudrait
espérer que ce fut la pression de l'opinion
de ces esprits éclairés, tout autant
que les vives réclamations des princes
allemands, dont Henri Il recherchait l'alliance,
qui amena un adoucissement momentané dans le
sort des réformés et
l'élargissement du plus grand nombre des
prisonniers. Malheureusement, la
brièveté de cette accalmie ne permet
pas de s'arrêter à cette
supposition.
Ce qui est certain, c'est qu'au moment
où Anne du Bourg entrait au Parlement, cette
assemblée penchait vers une politique de
tolérance à l'égard des
protestants. Elle ne pouvait pas fermer les yeux
sur les progrès rapides
que faisaient les nouvelles doctrines dans toutes
les classes de la société, et des
adhésions comme celles du roi de Navarre et
des neveux du connétable de Montmorency ne
permettaient plus de considérer les
réformés comme d'obscurs sectaires
que l'on réduirait aisément par les
rigueurs.
Il était impossible que des hommes
comme Pierre Séguier, du Harlay, Christophe
de Thou, si peu enclins qu'ils fussent aux
nouveautés religieuses, ne comprissent pas
que le temps était venu de tolérer ce
qu'on ne pouvait empêcher ; beaucoup de
leurs collègues, soit pour des raisons
politiques comme eux, soit par attachement au
protestantisme, comme Anne du Bourg, partageaient
leur répugnance à appliquer les lois
draconiennes qui frappaient de mort les
hérétiques. Et ces lois de sang, le
roi, conseillé par le cardinal de Lorraine,
demandait au Parlement de les aggraver encore, en
enregistrant la bulle pontificale qui
établissait l'inquisition en France. Le
Parlement résista pendant près d'une
année ; mais Henri. Il vint en personne
demande l'enregistrement, et il fallut
céder.
La Grand'Chambre, où dominait le
vieil esprit persécuteur, envoya au
bûcher Jean Barbeville, un simple
ouvrier maçon, qui avait été
déclaré hérétique par
les juges ecclésiastiques. Mais les choses
se passèrent autrement à la chambre
de La Tournelle. Elle avait pour président
Pierre Séguier, qui avait été
l'organe du Parlement dans ses remontrances au roi
relativement
à l'établissement de l'inquisition.
Cette Chambre, ayant à se prononcer sur
l'appel de quatre réformés, les
renvoya la vie sauve, à la condition de
sortir du royaume dans la quinzaine. La
Grand'Chambre riposta, peu après, en
envoyant Pierre Chevet à la mort.
Étrange situation que celle qui
résultait de ces arrêts
contradictoires, et qui dépeint bien
l'état de lutte violente qui existait dans
les âmes, entre les doctrines du passé
et les aspirations encore confuses vers un avenir
de tolérance, sinon de liberté !
Ces tiraillements dans le premier corps judiciaire
de l'État étaient le symptôme
d'une grande crise nationale. Le Parlement
était divisé, parce que la nation
l'était.
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