UN
SIÈCLE DE MISSION A
MADAGASCAR
CHAPITRE IV
EN AVANT
La reine Ranavalona 1re mourut le 16 juillet
1861 et son fils Rakotondradama lui succéda
sous le nom de Radama Il.
Aussitôt qu'on sut, en Angleterre, cet
heureux avènement d'un prince que beaucoup
considéraient comme un chrétien, on,
envoya Ellis afin de reprendre en mains l'oeuvre
interrompue, et qu'on croyait avoir
été à peu près
entièrement anéantie.
Ce fut une joyeuse surprise pour
l'envoyé du Comité de Londres
d'apprendre, dès son arrivée à
Maurice, en décembre 1861, que non seulement
le Christianisme s'était maintenu à
Madagascar au milieu de la fournaise, mais qu'il y
avait fait de nombreux adeptes, et que plusieurs
milliers de fidèles attendaient avec
impatience qu'on vînt les visiter et les
diriger.
Le Brun, ancien élève de la
Maison des Missions de Paris, devenu missionnaire
à Maurice, qui avait suivi avec
intérêt, depuis de longues
années le développement du
Christianisme à Madagascar avait
précédé Ellis à
Tananarive.
Il écrivait en novembre 1861:
« Le nombre des chrétiens
indigènes, loin d'avoir
été exagéré par les
rapports de leurs amis, paraît
dépasser au contraire les évaluations
les plus élevées. - Les captifs pour
la vérité ont tous été
rendus à la liberté, et,
rentrés dans leurs foyers, ils y jouissent,
sous la protection du nouveau gouvernement, de la
liberté religieuse la plus complète.
- Les chrétiens demandent à grands
cris que M. Ellis se rende bientôt à
Tananarive, et, par son entremise, ils supplient la
Société de leur envoyer des
missionnaires, des instituteurs, en même
temps que des Bibles et d'autres livres où
ils puissent acquérir une instruction
religieuse solide et quelques autres connaissances
utiles. - En présentant toutes ces demandes,
ils agissent avec la sanction du nouveau souverain
et en parfaite conformité avec ses
vues. »
Le Rév. Le Brun avait reçu
dans la capitale, l'accueil le plus cordial. Le roi
lui avait fait donner un logement et
préparer une chapelle dans son propre
palais ; il avait, de plus,
célébré le culte dans un autre
local, et l'évangéliste parti avec
lui de Maurice, David Andrianado, avait
lui-même prêché dans une
douzaine d'autres locaux, devant d'immenses
auditoires.
Dès la nouvelle des merveilleux
changements survenus à Madagascar, on envoya
de Maurice aux chrétiens malgaches 480
Nouveaux Testaments, 75 exemplaires du livre de la
Genèse, 1.892 exemplaires des Psaumes, 665
exemplaires de l'évangile de saint Luc et
des Actes réunis, 552 recueils de cantiques,
2.370 exemplaires du Voyage du
chrétien, et environ 4.300 alphabets.
Une lettre d'Ellis, écrite de
Tamatave, sous la date du 24 mai 1862,
annonçait son heureuse arrivée dans
ce port et rendait compte de l'accueil qu'il y
avait reçu. Un officier du palais et un chef
de haut rang, envoyés par le roi,
l'attendaient sur le rivage pour lui souhaiter la
bienvenue, et pour le conduire dans une maison
appartenant au roi, qu'ils avaient ordre de mettre
à sa disposition, mais où il ne put
loger, faute d'arrangements convenables. Il fut, en
échange, hébergé chez le
grand-juge de la ville, et reçut de ce
magistrat, ainsi que du commandant de la place,
l'accueil et les soins les plus
empressés.
La maison royale ne resta cependant pas sans
emploi. Dès le lendemain, les
chrétiens indigènes de Tamatave s'y
réunirent pour remercier Dieu en commun de
l'arrivée du missionnaire si longtemps
attendu. « L'assemblée, dit Ellis,
était nombreuse. Les prières que
prononcèrent plusieurs des assistants furent
simples, mais ardentes et très bien
appropriées à la circonstance, leurs
chants animés, leurs lectures de la Bible
faites avec sentiment et accompagnées de
réflexions parfaitement justes. Ces
exercices achevés, J'adressai à
l'assemblée quelques mots en malgache. Le
président de la réunion m'invita
ensuite à prier. Je lui dis que je
n'étais pas assez maître de leur
langue pour l'oser, mais il me demanda de le faire
en anglais, en m'assurant que
plusieurs des assistants me comprendraient. Je me
rendis donc, et priai, en intercalant de temps en
temps dans ma prière quelques phrases
malgaches et en terminant par l'oraison dominicale
en cette langue. La plupart de mes auditeurs me
parurent émus, et à la sortie un
nombreux cortège m'accompagna jusque chez
moi. » - « Je ne saurais vous
dire, ajoute le missionnaire, la sensation que
paraît avoir faite mon arrivée, ni
combien je suis satisfait de tout ce que je vois et
de tout ce que j'entends au sujet des
chrétiens de ce pays. »
Le jour de l'arrivée d'Ellis à
Tamatave, il était trop tard pour que les
« amis de la prière »
pussent se réunir ; mais les
premières questions que l'on posa au
missionnaire, à peu près partout, en
privé et en public, furent :
« Avez-vous des Bibles ? - Nous
amenez-vous des pasteurs ? » Et le
lendemain, dans une réunion convoquée
et tenue sans la moindre appréhension,
après la lecture d'un de ces beaux psaumes
qui répondent si bien, en tous lieux, aux
sentiments de l'âme reconnaissante, deux
chrétiens indigènes
exprimèrent successivement, dans de
chaleureuses prières d'action de
grâces, les sentiments qui débordaient
de leur coeur.
Pendant le trajet de Tamatave à la
capitale, plusieurs chrétiens, qui faisaient
partie de l'escorte du missionnaire, se
réunissaient pour célébrer
leur culte en commun, et l'un des
dimanches qu'ils passèrent
en route s'étant trouvé le premier
dimanche du mois, ils se conformèrent
ouvertement à l'un des usages établis
dans l'île par les premiers missionnaires,
celui de prendre ensemble la Cène du
Seigneur. À une journée et demie de
marche de Tananarive, terme du voyage, la route se
trouva tout à coup comme barrée par
un groupe de personnes qui attendaient
évidemment quelque chose. C'était une
grande députation des chrétiens de la
capitale. À l'approche des voyageurs, elle
entonna un cantique ; puis, après un
joyeux échange de salutations, elle se
joignit au cortège pour achever le
trajet.
À Tananarive, les premières
entrevues du missionnaire avec les chrétiens
du lieu furent douces, mais
entremêlées de douloureux souvenirs.
Six des hommes avec lesquels Ellis avait
passé la dernière nuit de son
séjour en 1856, avaient depuis lors souffert
le martyre, sans qu'un seul, au dire unanime des
témoins, eût laissé percer le
moindre indice de faiblesse. Beaucoup d'autres, que
le missionnaire n'avait pas connus, avaient
scellé de la même manière leur
profession de foi chrétienne. Le premier
dimanche après son arrivée, une
grande réunion eut lieu dans un temple dont
l'histoire est comme un résumé de
celle du christianisme dans l'île. Ouvert par
les premiers missionnaires en 1831,
l'édifice avait servi au culte
jusqu'à la grande persécution de
1836 ; mais alors le gouvernement s'en
était emparé, l'avait
transformé en prison, et
peuplé d'abord de voleurs et d'assassins,
puis de chrétiens condamnés à
la mort, et c'est de là que les premiers
martyrs avaient été conduits au
supplice. Plus tard, et peut-être pour rendre
le bâtiment plus méprisable encore, on
en avait fait une étable ; mais,
à la mort de la reine persécutrice,
le nouveau roi l'avait rendu aux chrétiens,
qui s'étaient hâtés de le
réparer et d'en faire de nouveau une maison
de prières. Quand Ellis y entra, à
une heure très matinale, huit cents
personnes au moins l'y attendaient. À son
apparition, toutes se levèrent et
entonnèrent, en choeur, un cantique d'action
de grâces. Un des pasteurs indigènes
lui adressa ensuite quelques mots de bienvenue, et,
lorsqu'il y répondit, des larmes de
reconnaissance et de joie coulèrent de bien
des yeux.
Le même jour, Ellis visita une autre
chapelle, donnée aussi par le gouvernement.
Celle-ci avait été autrefois une
sorte d'atelier de menuiserie. Il y trouva une
congrégation d'environ mille personnes, sur
laquelle sa présence, gage de paix et d'une
activité nouvelle, produisit les mêmes
effets que sur la première. Le missionnaire
mentionne, à ce propos, un fait qui prouve
à quel point les chrétiens malgaches
ont pris au sérieux les exercices de la
piété. C'est que, pendant les longues
années de la persécution, ne pouvant
pas, sans s'exposer à une mort certaine, se
réunir pour prier durant
la journée du dimanche, ils le faisaient
dès le samedi au soir et ne se
séparaient que le dimanche vers deux ou
trois heures du matin. Depuis le retour à la
liberté, rien ne les forçait plus
à tant de mystère. Les
assemblées eurent lieu désormais le
jour du repos ; mais, par un reste d'habitude,
les premières se formaient avant le lever du
soleil, ce qui ne les empêchait pas de se
renouveler plusieurs fois durant la
journée.
Le 6 juillet un service de communion fut
organisé dans le palais royal
lui-même.
Sur les rapports encourageants de son
envoyé et de Le Brun, la
Société de Londres hâta
l'arrivée de nouveaux missionnaires. Elle en
envoya huit en une seule fois. Ils parvinrent
à Tananarive le 30 août 1862 et il y
eut de nouveau, pour les accueillir,
d'émouvantes assemblées où
l'on vit un certain nombre de chrétiens que
Radama Il avait délivrés de leurs
chaînes, mais qui se trouvaient encore dans
le dénuement le plus complet.
Les bâtiments dans lesquels se
réunissaient les chrétiens
étaient fort misérables. Aussi un des
premiers soins d'Ellis fut de lancer une grande
collecte en Angleterre pour élever à
Tananarive quatre grandes églises
commémoratives aux endroits où les
chrétiens malgaches avaient scellé
leur foi par le martyre. Cameron l'un des
missionnaires de la première heure, vint
aussitôt du Cap pour aider à leur
construction, en vue de laquelle le Comité
de Londres envoya de son
côté l'architecte Sibree,
demeuré ensuite à Madagascar comme
missionnaire.
Les chrétiens, délivrés
de la persécution, comprirent aussitôt
leur responsabilité vis-à-vis de
leurs compatriotes païens, et se
livrèrent à une
évangélisation intensive qui, dans
certains endroits, trouva un écho
réjouissant, et cela jusqu'au Betsileo,
à 400 kilomètres au sud de
Tananarive.
Une lettre d'Ellis ; du 29 novembre
1862, raconte comment s'ouvrirent les portes de la
vieille ville sainte d'Ambohimanga, où l'on
enterrait les princes d'Imerina, et où,
jusque-là, aucun européen n'avait pu
pénétrer.
« Il y a quelque temps,
écrit-il, je vis arriver chez moi quelques
chrétiens d'Ambohimanga, ville située
à douze ou quatorze milles d'ici et qui a
été longtemps la capitale du royaume.
Ils venaient nous demander de les aider à
introduire l'instruction chrétienne et le
culte du vrai Dieu dans cette importante
cité, qu'on peut considérer comme la
forteresse de l'idolâtrie dans ce pays, car
elle a toujours été au pouvoir des
partisans les plus déterminés du
vieux système qui avait à sa base la
sorcellerie, l'astrologie, le tanguéna ou
tanguin, (poison violent) et tous les autres moyens
d'intimidation sous lesquels l'île
entière à si longtemps gémi.
Plusieurs d'entre eux avaient même
déclaré hautement que jamais ni
l'homme blanc ni son culte ne mettraient le pied
dans Ambohimanga. Malgré ces menaces, les
chrétiens du lieu et leurs
frères les plus influents d'Antananarivo
pensaient que l'Évangile trouverait
là un accès assuré, si l'on.
obtenait du roi le don d'un terrain pour y
bâtir une chapelle et une école, et si
je me rendais moi-même sur les lieux.
Immédiatement après avoir reçu
ces ouvertures, j'allai trouver le roi, qui
m'octroya sur-le-champ l'objet de ma demande, et
approuva mon projet de voyage. Un de ses officiers
reçut, de plus, l'ordre de m'accompagner,
pour signifier aux habitants du lieu que je venais
il comptait sur leur avec sa permission, et qu'il
loyauté pour qu'aucun obstacle ne fût
apporté par eux à la
célébration du culte
chrétien.
« Partis au point du jour, nous
arrivâmes vers les huit heures au pied de la
montagne de granit sur laquelle cette ville est
bâtie. Des magistrats locaux nous attendaient
à la porte avec une troupe de soldats.
L'officier qui nous accompagnait se hâta de
leur faire connaître les intentions royales.
Ils répondirent en protestant de leur
désir de plaire au roi, et en nous invitant
à entrer dans la ville. Sur leur ordre, les
soldats, qui avaient d'abord paru vouloir nous
barrer le passage, redressèrent leurs armes
et nous fîmes notre entrée, les
magistrats et leurs soldats formant la tête
du cortège, moi venant à leur suite
dans mon palanquin, et les chrétiens qui
m'accompagnaient fermant la marche. Dès que
nous eûmes pénétré dans
la ville, ces derniers entonnèrent un
cantique chrétien, et ce fut au son de cette
sainte musique, unie à
celui des tambours de la troupe armée, que
nous arrivâmes au centre de la cité.
De là, tandis que l'officier royal avait une
nouvelle conférence avec les magistrats, on
nous conduisit vers une maison où les
chrétiens du lieu, au nombre de plus de deux
cents, nous attendaient en chantant aussi des
louanges du Dieu de l'Évangile. La foule des
curieux était telle que nous eûmes de
la peine à pénétrer dans la
maison ; mais, ces difficultés
vaincues, tout alla pour le mieux. L'auditoire
était assis sur des nattes étendues
sur le sol ; on nous fit prendre place sur
quelques chaises devant une table placée
auprès de la fenêtre, Là,
Andriambelo, l'uni des pasteurs indigènes
les plus éloquents de la capitale, prit la
parole, et, s'adressant tout à la fois,
grâce à notre position, aux
chrétiens réunis dans la salle et aux
païens restés dans la rue, il exposa,
d'une manière aussi claire et solide que
sommaire, les doctrines fondamentales de la foi
chrétienne. Nous alliâmes ensuite
prendre un léger repas ; puis, dans une
seconde réunion, je pris la parole, et
choisissant pour mon texte la parabole de l'enfant
prodigue, j'en donnai une explication
appropriée à la circonstance.
« Au sortir de ce second service,
les magistrats nous offrirent en présent des
volailles, du riz, etc ; puis ils nous
accompagnèrent, ainsi que tous les
chrétiens du lieu, jusqu'au pied de cette
colline du haut de laquelle on avait menacé
de nous repousser à coup de
pierres, si nous avions eu
l'audace d'en tenter l'ascension. Mes compagnons de
route chrétiens se sentaient comme
accablés de joie par l'heureux succès
de notre excursion. Ambohimanga ouvert à la
prédication de l'Évangile leur
paraissait une merveilleuse victoire.
« Du reste, de quelque
côté que se portent nos regards, les
préparatifs que le Seigneur semble faire
pour appeler à Lui ce peuple, marchent avec
une rapidité telle que, malgré nos
efforts, il nous est impossible d'avancer du
même pas. »
« Quant au roi, continue le
missionnaire dans une seconde lettre, il se montre
toujours parfaitement sérieux et
sincère dans la liberté qu'il laisse
à ses sujets d'embrasser la foi
chrétienne, ou d'exhorter les autres
à l'embrasser. Le fait suivant en est la
preuve évidente. Il y a quelque temps qu'un
chef, hostile aux progrès du christianisme,
avait osé faire publier sur le marché
d'un, village nommé Itaosy, un
prétendu kabary, ou message royal,
défendant toute réunion de
prière et toute prédication
chrétienne. À l'ouïe de cette
interdiction, les païens
triomphèrent ; mais les
chrétiens, d'abord un peu alarmés,
eurent la bonne idée d'envoyer à
Antananarivo un messager chargé d'une lettre
pour le roi et d'une autre pour nous. L'effet ne
s'en fit pas attendre. Dès le même
jour, le roi fit mander dans la capitale, pour y
être mis en jugement, le chef qui
s'était permis de parler en son nom sans y
avoir été
autorisé, et, le
même jour aussi, le messager de nos
frères d'Itaosy put reprendre le chemin de
son village, avec toute une cargaison de livres
sacrés qu'il prit soin de faire voir dans
tous les villages qu'il eut à
traverser. »
Cependant les païens essayèrent
souvent de reprendre l'offensive.
Les sorciers et les gardiens d'idoles
continuèrent à répandre des
bruits de toutes sortes contre les
chrétiens. Une chute de grêle, une
inondation, une maladie étaient
aussitôt exploitées contre eux :
on les rapportait à la colère des
dieux nationaux.
C'est sous la même influence
qu'éclata à cette époque une
nouvelle épidémie de cette folie
dansante qui vient périodiquement agiter
certaines régions de l'île. Les gens
atteints de cette manie se prétendent
contraints à se trémousser par les
esprits des ancêtres.
Le docteur Davidson a essayé de noter
les symptômes de cette sorte de maladie.
« Les malades se plaignaient
ordinairement d'un poids et d'une douleur dans le
péricarde, d'un malaise
général, d'une raideur à la
nuque.
« ... Puis ils manifestaient une
agitation nerveuse ; alors, si la moindre
excitation agissait sur eux, notamment s'ils
entendaient un chant, ils devenaient incapables de
se maîtriser, s'échappaient, couraient
à l'endroit ou la musique se faisait
entendre, et se mettaient à danser parfois
pendant plusieurs heures consécutives, avec
une rapidité vertigineuse. Ils
balançaient la tête
d'un côté à l'autre, d'un
mouvement monotone, et agitaient les mains de haut
en bas. Les yeux étaient hagards, toute la
physionomie avait une expression
indéfinissable d'absence...
« Leur rendez-vous
préféré était la pierre
sacrée d'Imahamasina, sur laquelle les
souverains d'Imérina étaient
couronnés. Beaucoup d'entre eux
prétendaient être en relation avec les
morts, notamment avec la feue reine Ranavalona. En
décrivant plus tard leurs sensations, ils
disaient avoir éprouvé comme celle
d'un cadavre attaché à leur personne,
et dont tous leurs efforts ne parvenaient pas
à les débarrasser. »
En mai 1863, toute une troupe de ces
maniaques, excités par les gardiens d'idoles
royales, pénétrèrent dans le
palais, un jour qu'Ellis s'y trouvait avec Radama
II, et forcèrent la porte des appartements
du prince, comme pour protester contre la
présence du missionnaire chez le roi.
Le gardien de l'idole Ramahavaly tua sa
propre fille qui avait osé se
déclarer chrétienne. Toutefois,
Radama le fit mettre aux fers, et cela effraya un
instant les partisans des anciennes coutumes.
Malgré cet acte d'énergie, le
roi avait été plus ému qu'il
ne voulait le paraître de la recrudescence du
paganisme. Son caractère se modifia. Il
avait d'ailleurs toujours été
très influençable et impressionnable.
Il commença à se
montrer beaucoup plus circonspect dans son attitude
avec les chrétiens. Le Dr Davidson raconte
même qu'il défendit à sa
seconde femme, qui s'était convertie et
avait pris le nom de Marie, de fréquenter
les chrétiens. Et comme celle-ci lui
répondait qu'ancienne esclave, elle
préférerait le redevenir et
même mourir plutôt que cesser de prier,
il l'aurait frappée.
Surtout il se livrait de plus en plus
à l'influence de toute une troupe de jeunes
nobles à moeurs dissolues qui faisaient
peser sur le peuple un joug intolérable. Le
nombre des mécontents alla rapidement
croissant. Partisans du paganisme, victimes des
favoris royaux, ambitieux, prêts à
profiter de tout, tous finirent par se liguer
contre le prince et ses misérables
courtisans. Les événements se
précipitèrent. Sur l'injonction du
premier ministre, Rainivoninahitriniony, le roi dut
livrer ses favoris qui furent impitoyablement
massacrés. Le lendemain, les conjurés
envahirent la chambre du roi qui fut
étranglé à son tour.
Ellis fut très ému de cette
catastrophe. Il s'était bien rendu compte
des défauts et des torts du prince. Mais
c'était pour lui comme un ami personnel, et
il avait toujours caressé l'espoir de
l'amener à une conversion
sérieuse.
« Tout un monde d'heureux et
brillants espoirs, écrivit-il, se trouvait
brusquement anéanti par cette simple
phrase : « Radama est
mort. » Comme toute chose prenait pour
moi un aspect différent de
celui qui m'était apparu à mon
arrivée, moins d'un an auparavant ! Je
ne pouvais pas m'empêcher de
considérer l'avenir avec la plus grande
anxiété. »
(1)
On appréhenda, en effet, au lendemain
de la mort de Radama, une réaction
païenne. Toutefois, le premier ministre qui
régna en fait au nom de la nouvelle reine,
Rasoherina, femme de Radama II, rassura les
chrétiens en interdisant une procession
solennelle des fétiches projetée par
les gardiens d'idoles.
Un article du Journal des Missions, de
décembre 1863, décrit ainsi la marche
en avant des jeunes églises malgaches :
« Une lettre des missionnaires, en date
du 14 août, annonce que la
bénédiction du Seigneur repose, d'une
manière de plus en plus évidente, sur
tout ce qui a pour objet la promulgation de
l'Évangile. Les auditoires, un peu
diminués à l'époque de la
révolution, sont aujourd'hui plus
considérables que jamais. On les voit,
à chaque service, s'accroître de
quelques nouvelles personnes, recrutées,
souvent, parmi les classes les plus influentes de
la population. Les chapelles sont constamment
encombrées, au point que souvent le nombre
des auditeurs, restés dehors devant les
portes et les fenêtres, est aussi
considérable que celui des
privilégiés qui ont pu
pénétrer à l'intérieur.
La construction de plusieurs des temples
projetés est en bonne voie
et l'on espère pouvoir
inaugurer bientôt celui d'Ampamarinana, qui
contiendra au moins 1.400 auditeurs. Des
écoles sont annexées à tous
les lieux de culte déjà existants, et
prospèrent. Une école normale
centrale, destinée à former des
agents indigènes, est sur le point de
s'ouvrir dans la capitale. Enfin, les livres
chrétiens, qu'on a envoyés
d'Angleterre, ou qu'a déjà pu
produire la presse de la mission, sont
recherchés et achetés avec une ardeur
qui montre en quelle estime on les tient.
« Parmi les nombreuses conversions
qui ont eu lieu récemment, il en est une
surtout qui a produit une profonde impression.
C'est celle d'un officier, qui, durant les
dernières persécutions, avait
poursuivi, découvert et livré l'un
des prédicateurs les plus influents de la
capitale. En s'acquittant de cette cruelle mission,
l'officier avait plongé son
épée à travers une cloison en
roseaux et blessé le martyr, qui fut conduit
de là en prison et mourut ensuite
lapidé en confessant jusqu'à la fin,
comme Étienne, sa foi au Sauveur qu'il avait
chargé d'annoncer. Des cinq personnes qui
avaient pris part à cette oeuvre de sang,
deux étaient mortes peu de temps
après, et deux autres étaient
déjà devenues
chrétiennes ; et maintenant cet
officier vient de passer aussi à la foi,
avec toute sa famille.
« Le premier lundi du mois
d'août dernier, à eu lieu, à
Antananarivo, la première réunion
mensuelle en faveur de l'oeuvre des missions.
Cette assemblée, tenue dans la plus
vaste chapelle de la ville, avait attire un tel
concours que plus de 1.500 personnes durent rester
dehors, s'asseoir sur l'herbe, et, pour qu'elles ne
fussent pas privées de la part
d'édification qu'elles étaient venues
chercher, il fallut transporter la chaire en dehors
de la porte du temple, et parler de manière
à être, aussi bien que possible,
entendu des deux côtés. Ainsi, 3.000
personnes s'unirent, en ce moment, pour s' occuper
des missions évangéliques et implorer
sur elles la bénédiction du Seigneur.
Des réunions du même genre, quoique
nécessairement moins nombreuses, ont eu et
auront régulièrement lieu dans
plusieurs villages situés au nord de la
capitale. »
La Reine, quoique restant attachée
aux « anciennes coutumes »,
c'est-à-dire au culte des idoles,
témoignait aux missionnaires une
réelle bienveillance. Le jour de Noël,
sept ou huit mille chrétiens, formant une
longue procession, furent admis à
défiler devant elle en chantant des
cantiques. Le mois suivant, le Premier ministre
posa lui-même, en présence d'une foule
immense, la première pierre de
l'hôpital du Dr Davidson, de la
Société des Missions de Londres. Un,
peu plus tard, il présida également
à la pose de la première pierre du
temple d'Ambatonakanga, un des cinq grands temples
construits à Tananarive en souvenir des
martyrs. Ce temple fut inauguré le 24
janvier 1866.
« Le grand jour venu, dit le
missionnaire Cousins, les portes du temple ne
devaient s'ouvrir qu'à huit heures mais,
dès cinq heures, les gens
commencèrent à arriver. Longtemps
avant le moment fixé, l'immense cour qui
entoure l'édifice était comble, et,
un quart d'heure après l'ouverture des
portes, 1.600 personnes au moins remplissaient
l'enceinte destinée au public, tandis que
des centaines d'autres attendaient en dehors que
leur tour d'entrée vînt pour le
service de l'après-midi. D'après tout
ce que j'ai vu, J'évalue de 3 à 4.000
le nombre des chrétiens accourus pour
assister à la cérémonie.
J'ajoute que beaucoup de chrétiens de la
ville s'étaient généreusement
abstenus de se présenter, dans le
désir de laisser plus de place à
leurs frères venus des districts Plus
éloignés. « Un jour,
avaient-ils dit, nous entrerons, tandis que nos
amis des Églises éloignées ne
le pourront pas. » Parmi ces derniers qui
étaient très nombreux quelques-uns
avaient franchi d'énormes distances pour
participer à l'édification de la
journée.
« À neuf heures,
arrivèrent les délégués
de la reine, précédés d'une
troupe de musiciens à instruments de cuivre.
Rasoherina avait, par une délicate
attention, choisi pour la représenter des
officiers chrétiens, et les musiciens
eux-mêmes appartenaient à notre
foi.
« À peine la
congrégation eut-elle été
congédiée, que le flot d'auditeurs
qui, faute de place, était resté dans
la cour, envahit le local en vue
du second service, de sorte qu'il fut à
moitié plein avant que nous l'eussions
quitté nous-mêmes. Il s'agissait
cependant d'attendre au moins trois grandes
heures. »
Le Dr Davidson donne de son
côté un pittoresque tableau d'un
dimanche à Madagascar à cette
époque :
« Le dimanche, dit-il, le
marché dit d'Andohalo, qui se trouve en face
de ma demeure, est presque désert. Le grand
nombre d'officiers ou d'employés civils, et
même d'esclaves, qui fréquentent les
assemblées du culte chrétien
arrête le mouvement des affaires et force
ainsi beaucoup de gens, peut-être contre leur
gré, à s'abstenir ce jour-là
de leurs occupations ordinaires. Les marchands
païens n'apportent pas leurs marchandises au
marché parce qu'ils savent que les
chrétiens n'achètent rien le
dimanche, et les acheteurs païens
préfèrent renvoyer leurs emplettes au
lundi parce que, les marchands chrétiens
étant là, ils auront plus de choix
et, par l'effet de la concurrence, payeront moins
cher que le dimanche. Par ces raisons, le nombre
des vendeurs tend à diminuer
rapidement ; dimanche dernier j'ai
remarqué, pour la première fois,
qu'il n'y en avait pas un seul dans la portion du
marché destiné à la vente des
étoffes. C'est un progrès
véritable dans les moeurs, aussi bien au
point de vue physique qu'au point de vue
moral. »
Et il ajoute :
« Les réunions de culte
sont de plus en plus
nombreuses ; les
écoles regorgent d'élèves et,
à chaque instant, des
délégués viennent, souvent
d'assez loin, demander aux missionnaires de la
capitale d'aller visiter certaines provinces ou d'y
envoyer des prédicateurs. »
Les grandes églises de la capitale se
montrèrent soucieuses de répandre
l'Évangile au loin. Celle d'Amparibé
s'occupa du Vonizongo qui avait fourni plusieurs
martyrs. Celle d'Ambatonakanga envoya une de ses
fidèles, Razafy, chez les Sakalava qu'elle
connaissait, étant née
elle-même parmi eux. L'église
d'Andohalo fit une tentative plus durable autour du
lac Alaotra, chez les Antsihanaka.
Il n'est pas jusqu'à Fort-Dauphin,
dans l'extrême sud de l'île, qui ne
vît arriver ces messagers de la Bonne
Nouvelle, sous la forme de soldats hova
chrétiens.
D'autres sociétés de Missions
protestantes vinrent bientôt prendre leur
part de travail. Une des premières à
envoyer des représentants à
Madagascar, fut la société anglicane
dénommée « Church
Missionary Society » (1865), qui
céda bientôt la place à l'autre
mission anglicane, à tendances plus
ritualistes, la « Society for the
Propagation of the Gospel ».
De son côté Ellis, revenu en
Angleterre, chercha de nouveaux concours et poussa
les Quahers à envoyer des
missionnaires.
En Norvège le Comité de
Stavanger avait été ému par
les récits des souffrances chrétiens
malgaches durant la persécution, et, en
1865, l'évêque
Schreuder partit de Natal pour une enquête
à Maurice auprès de M. Le Brun. Il
envoya, dès le début de
l'année suivante, deux jeunes missionnaires,
MM. Engh et Nilsen, qui fondèrent la station
de Betafo, dans l'Ankaratra, à cinq jours de
marche, au sud de Tananarive. Ce fut l'origine de
l'oeuvre des Missions luthériennes, qui
s'étendit peu à peu à tout le
Betsiléo.
Non seulement, grâce aux efforts
réunis des représentants de toutes
ces Sociétés, l'oeuvre progressait
rapidement en étendue, mais une
véritable et profonde action
intérieure s'exerçait.
Un événement de politique
extérieure vint dissiper les
dernières appréhensions que la
position officielle du paganisme avait
continué à entretenir dans l'esprit
de plusieurs. Vers la fin de 1866 le gouvernement
anglais parvint à faire signer à la
reine Rasoherina un pacte réglant les
relations diplomatiques entre le gouvernement de Sa
Majesté Britannique et celui de
Madagascar.
Entre autres choses il y était
stipulé ce qui suit :
« Les sujets britanniques jouiront
à Madagascar d'une entière et pleine
liberté de commerce. Il leur sera permis
d'exercer librement et d'enseigner la religion
chrétienne... En témoignage de son
amitié pour S. M. Britannique, la reine de
Madagascar promet d'accorder une entière
liberté à tous ses sujets malgaches
pour a voir embrassé ou
professé la religion
chrétienne ; mais, si quelqu'un de ses
sujets professant le christianisme est
déclaré coupable de quelque crime, il
faudra que la loi du pays ait son
cours. »
En faits de mesures propres à
garantir les droits de l'homme et à
prévenir des abus trop souvent impunis dans
les pays païens, le traité n'est pas
moins explicite.
« La reine de Madagascar, y est-il
dit, s'engage à supprimer le jugement par
l'épreuve du poison. Elle promet d'user de
tout son pouvoir pour empêcher la traite des
esclaves, et interdire à ses sujets d'y
participer. Nul individu, venant de par-delà
les mers, ne sera débarqué,
acheté ou vendu comme esclave dans aucune
partie de Madagascar. Les croiseurs anglais auront
le droit de visiter, même dans les eaux de
Madagascar, les vaisseaux malgaches ou arabes
soupçonnés de faire la traite des
esclaves. Si une guerre vient à
éclater entre la Grande-Bretagne et
Madagascar, les prisonniers seront gardés
pour être échangés, et non pour
être en aucune façon faits esclaves ou
mis à mort. Le traité oblige la reine
de Madagascar à user de tous les moyens en
son pouvoir pour abolir la piraterie.
La conclusion de ce traité et sa
publication dans l'île étaient
d'autant plus désirées que, depuis
quelque temps, les dispositions de la reine et de
quelques-uns de ses ministres inspiraient des
craintes à beaucoup de Malgaches.
On les disait très hostiles aux
progrès du christianisme et un missionnaire
avouait que, dans son opinion, ces craintes
n'étaient pas dénuées de tout
fondement. Les termes du traité
rassurèrent les timides. D'ailleurs, la
situation prospère des Églises
était une autre garantie de liberté.
Il aurait été désormais
difficile de persécuter une Église
qui, dans la capitale seule, comptait de quatre
à cinq mille communiants et au culte de
laquelle assistaient régulièrement
les fils de plusieurs des plus grands dignitaires
du pays.
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