DOROTHÉE
TRUDEL
DEUXIÈME PARTIE
Oeuvre et Méthodes
Quiconque parle habituellement de
Dorothée Trudel associe aussitôt
à ce nom l'idée de la guérison
par la prière. On se souvient d'elle, parce
que, dit-on, elle guérissait. Et ce souvenir
- quoique vague - des guérisons qu'elle
opéra, entoure encore son nom d'une
auréole de reconnaissance et d'amour.
Nous parlerons de cette activité avec
toute la réserve que comporte un sujet aussi
délicat. Nous citerons quelques faits, ceux
qui nous ont frappé le plus, sans les juger,
sans surtout essayer d'en tirer une
démonstration de la réalité
des guérisons par la foi
(1),car
il faudrait pour cela avoir une science et une
compétence que nous n'avons pas, et pouvoir
être certain de l'impartialité des
témoignages rapportés.
Nous insisterons par contre sur les
méthodes que Dorothée Trudel
employait ; car, de ce
côté-là, il est facile d'avoir
des faits certains, des témoignages
probants.
Et, tout naturellement, la vie de
Dorothée Trudel nous apparaîtra
dominée par la foi.
Ce qui sauve une âme, ce ne sont pas
ses oeuvres, c'est sa foi. Ce qui sauve une
âme, ce n'est pas sa guérison
physique, c'est sa foi. La foi, voilà ce qui
importe. Quelques faits, seraient-ils même
précis, probants, admirables, sont à
nos yeux moins utiles que la vision d'une âme
dont la foi remplit toute la vie. Dorothée
Trudel nous donnera cette vision-là.
Et c'est pourquoi nous ne
regrettons nullement de ne
pouvoir prouver la réalité des
guérisons opérées à
Maennedorf. Il est d'ailleurs impossible de prouver
que telle ou telle guérison est le
résultat de la foi et de la prière.
Car ce n'est que par un acte de foi, par
conséquent sans raison contraignante
(2), que nous
pouvons poser une intervention divine. Mais, s'il
est coupable (et nous verrons pourquoi dans la
suite) de ne pas se servir de remèdes, de
médecin, ou même d'abandonner les
prescriptions les plus simples de l'hygiène
parce qu'on a la foi en sa guérison
parfaite, qu'elle soit lente ou
instantanée, il est de même coupable
de nier l'efficacité de la foi et de la
prière sous prétexte que les
remèdes seuls guérissent. Lisez
à ce Sujet cette page de Thraen :
« Les remèdes
guérissent, direz-vous, donc pas n'est
besoin de prier ; et moi je vous
répondrai : votre raisonnement prouve
une petite foi, pour ne pas dire une petite
sagesse. Car dire : les remèdes
guérissent, c'est donner de la
guérison une explication purement
scientifique, purement physique ou
mécanique, c'est déterminer comment
telles circonstances étant données,
telle ou telle action s'est produite. Mais
au-dessus de l'explication physique ou
mécanique, la raison demande une explication
rationnelle proprement dite, une explication qui
ait sa raison d'être en elle-même, qui
réponde à ceci : Pourquoi,
telles circonstances étant données,
tel remède agit-il ? Pourquoi telles
circonstances sont-elles données aujourd'hui
et ne l'étaient-elles pas hier, et ne le
seront-elles pas demain ?
Pourquoi ?... Et là il n'y a qu'une
réponse : Dieu.
« Comment les remèdes
agissent-ils ? Ici c'est la science qui
répond, quand elle peut. - Pourquoi les
remèdes agissent-ils ? Ici il faut dire
Dieu. - Dans quelles circonstances les
remèdes agissent-ils ? Ici c'est la
science qui répond quand elle peut. -
Pourquoi ces circonstances ont-elles
été données ? Ici il faut
dire Dieu. Car au-dessus des remèdes, il y a
la loi, c'est-à-dire Dieu. Car au-dessus des
médecins, il y a le Médecin,
c'est-à-dire Dieu. Oui ! Dieu.
Aussi quelqu'un est-il malade parmi vous,
qu'il appelle les pasteurs, les anciens de l'Eglise
et que les anciens prient. Oui, qu'on prie, il y va
de la guérison, car Dieu guérit
(3). »
Voilà le véritable point de
vue, celui qui se garde de toute opinion
extrême : c'est le point de vue de la
foi. Il maintient le miracle parce que le miracle
n'est pour lui que l'emploi
spécial fait par Dieu des lois connues ou
inconnues de la nature. Il maintient les
guérisons par la foi, parce qu'il admet que
Dieu peut, à cause de la foi d'un de ses
enfants, rendre les circonstances favorables
à sa guérison et donner
efficacité à des remèdes,
jusque là inefficaces.
I
Les débuts de l'oeuvre
Nous avions laissé Dorothée Trudel
au moment où s'achevait en elle sa
conversion. C'était vers 1850 et
Dorothée était alors
âgée de trente-sept ans. Elle
s'occupait dans l'atelier de passementerie de son
neveu du bien matériel et spirituel des
ouvriers, comme l'aurait fait une tendre
mère. Sa conversion ne changea en rien ni
ses occupations, ni sa vie extérieure. Elle
continua la même oeuvre avec plus de
désintéressement, plus de
charité, plus de dévouement encore
que par le passé.
Or quelque temps après, quatre
ouvriers de son neveu tombèrent gravement
malades. Le médecin, appelé en toute
hâte, ne put rien dire, ni rien faire. On
désespérait donc de les sauver,
lorsque Dorothée Trudel, qui se rappelait
les prières si merveilleusement
exaucées de sa mère, se sentit
poussée à suivre à leur
égard la ligne tracée par
Saint-Jacques
(Jacques V, 14 et 15.) et à
leur imposer les mains au nom du Seigneur. Ne
connaissant pas d'ancien qualifié à
appeler auprès de ces malades, elle dit
naïvement au Seigneur : « Sois
toi-même l'ancien ! » Elle
pria et obtint la guérison.
Il en fut de même dans un second cas,
et bientôt elle était couramment
appelée auprès des malades du
village, pour leur imposer les mains et prier avec
eux. Il y eut à Maennedorf de nombreuses
guérisons et sa réputation se
répandit de proche en proche.
En 1852, Dorothée vint habiter la
maison de son oncle ; elle continuait à
faire des fleurs pour vivre, mais
elle avait consacré sa vie au
Seigneur ; visitant les malades et les
aliénés dans ses heures de loisir,
elle réunissait aussi les enfants du village
pour leur lire la Bible et prier avec eux.
Son mot d'ordre était :
- Que mon nom, disparu de la scène
du monde,
- Soit un jour répété
par l'écho du saint lieu ;
- Qu'il dorme enseveli dans une nuit
profonde,
- Pourvu qu'il soit inscrit dans le livre
de Dieu. (4)
Une jeune fille de Maennedorf qui était
en service dans un village voisin, y fut atteinte
d'une violente nostalgie. Dorothée, l'ayant
appris, alla la voir, pria beaucoup avec elle et la
guérit. La maîtresse de cette jeune
fille fut la première à engager Mlle
Trudel à prendre des malades chez elle. Elle
répondit qu'elle ne s'y sentait point
appelée. Malgré ce refus, cette dame
lui adressa plusieurs malades,
entre autres la veuve d'un pasteur, mère de
douze enfants, que la mort de son mari avait rendue
folle. Remise de son mal après sept semaines
et rentrée dans sa famille, cette veuve
engagea à son tour Dorothée à
s'établir de manière a recevoir des
malades.
Ce ne fut qu'après avoir
demandé à Dieu de lui montrer sa
volonté et devant les nombreux malades qu'on
lui envoyait de tous côtés, que
Dorothée Trudel se décida à
s'établir et à acheter une
deuxième maison ; sa soeur renonça,
en vue de cet achat, à l'héritage de
son oncle
(5).
C'est ainsi que se fonda I'Oeuvre de
Maennedorf. Dorothée Trudel n'avait pas eu
de révélation spéciale
d'En-Haut lui ordonnant de guérir ses
frères. Sa conversion n'avait pas
été en même temps un appel
direct à l'oeuvre pour laquelle elle donna
si joyeusement sa vie. Mais, comme il ne lui
était plus possible de se renfermer en
elle-même, qu'il lui
fallait des âmes à soulager, des
coeurs à transformer, comme, en un mot, sa
vie n'était plus qu'une longue et constante
prière vers son Dieu et son Sauveur, -
après avoir prié pour
elle-même, elle se sentit tout simplement
poussée à prier pour les autres, plus
spécialement pour les malades, pour les
souffrants.
Puis, petit à petit, on l'appela, on
ne put se passer d'elle, on la supplia de
s'installer. Et elle finit par se laisser
fléchir, et par les prières de ceux
dont elle avait été l'un des moyens
de guérison, et par les envois de malades
que sa charité ne pouvait renvoyer à
vide. Ce ne fut pourtant pas sans lutte
intérieure, sans anxiété, ni
sans prières. Mais son immense pitié,
son amour sans bornes l'avaient
guidée ; elle était
entraînée presque malgré elle,
peut-être aussi plus loin qu'elle ne
l'eût voulu, sur un chemin dont elle ne
voyait pas bien l'issue. Qui sait ?
N'était-ce pas là le doigt même
de Dieu !
Toutefois, si les foules sacrèrent
Dorothée Trudel guérisseur par
là prière, elle sut
rester avant tout,
vis-à-vis des individus, un moyen de salut
et de guérison pour les âmes. Jamais
on ne la vit s'inquiéter d'un corps avant
d'avoir adressé quelque appel à
l'âme. Et c'est bien en effet de cette
manière qu'elle sut acquérir
auprès de ses malades, de ses visiteurs et
des gens de son village sa principale influence, en
même temps qu'elle accomplit l'oeuvre la plus
durable de sa vie, celle pour laquelle elle avait
reçu du Seigneur la vocation la plus
certaine et la plus digne d'envie.
Mais, comme toute influence sanctifiante,
sitôt qu'elle se fait sentir, soulève
contre elle des oppositions et des critiques, et,
plus cette influence est sainte, plus aussi elle
est combattue, - à peine, Dorothée
Trudel eut-elle commencé son oeuvre de
bienfaisante humanité, que certains hommes
essayèrent de l'arrêter.
Ce fut en 1856, alors que les deux maisons
regorgeaient de malades et que le Seigneur
opérait avec puissance. Les médecins
qui voyaient leur
clientèle s'en aller vers Dorothée,
portèrent plainte contre elle pour exercice
illégal de la médecine. Il lui fut
enjoint de payer soixante francs d'amende et de
fermer sa maison.
Quoiqu'il lui en coûtât
beaucoup, Dorothée Trudel obéit. Mais
bientôt les deux maisons se remplirent
d'aveugles, de sourds, de paralytiques, pour
lesquels le Seigneur se montra tout-puissant.
L'unique préoccupation de Dorothée
fut de réclamer de leur part un changement
profond du coeur : « Pour moi,
disait-elle, la principale chose et celle dont je
me réjouis le plus, c'est lorsque le
Seigneur vient de transformer un loup en
agneau »
Cependant le gouvernement ne s'opposa
bientôt plus au maintien de l'oeuvre, et le
nombre des malades augmenta tellement qu'il fallut
acheter une nouvelle maison. C'est dans ces trois
maisons que Dorothée Trudel déploya
pendant six ans environ une activité
extraordinairement bénie.
II
L'activité de
Mütterli
Dans les trois maisons de Maennedorf, pendant
six ans, l'on n'entendit plus prononcer qu'un seul
nom : Mütterli ! Et ce nom,
donné à Dorothée Trudel par
ceux qui l'approchèrent, dit bien toute la
vénération, toute l'affection, toute
la reconnaissance qu'ils avaient vis-à-vis
de celle qui se dépensait avec tant de
désintéressement pour leur
soulagement et leur bien-être spirituel.
Dorothée Trudel donnait à
chacun un exemple de complète
abnégation et de charité
inépuisable. Toujours vaillante, elle ne se
lassait pas de faire le bien, de donner à
qui une parole d'amour, à qui un sourire, a
qui une exhortation, un encouragement. Jamais on ne
la trouva de mauvaise humeur. Voici au contraire un
exemple de l'originalité aimable et pleine
de franchise avec laquelle elle
accueillait ceux qui venaient à elle
(6) : un soir,
comme elle se tenait sur sa porte, arriva M. X...,
le fils d'un chrétien distingué. Il
était malade depuis longtemps et
profondément triste. Dès qu'elle le
reconnut, elle s'écria :
- Comment ! vous êtes le fils de
M. X..., et vous faites une pareille figure !
Ah ! quand la maladie du péché
sera sortie du coeur, la maladie du corps
cédera aussi bien vite.
Au bout de dix jours, ce jeune homme
repartait après avoir passé par une
profonde conversion et quant au physique, en bonne
voie de guérison.
La réputation de Mütterli
s'étendant toujours plus loin, l'affluence
devint toujours plus considérable, et, comme
sa compassion pour les malheureux ne lui permettait
pas de repousser ceux qui s'adressaient à
elle, elle prit le parti de s'en remettre pour cela
à Dieu, lui demandant
régulièrement de ne lui envoyer que
ceux qui devaient réellement venir et de
fermer la voie à ceux qu'il ne lui destinait
pas lui-même. Forte de cette prière
réitérée tous les jours avec
la même confiance, elle recevait chaque
arrivant, annoncé ou non, et trouvait
toujours moyen de caser ceux que son amour ne
pouvait repousser.
Ses aides étaient souvent
alarmées en voyant les chambres se
transformer en dortoirs ; mais sa foi relevait
leur courage et semblait dissiper des
difficultés en apparence insurmontables. Sa
soeur aînée, qui aidait aux soins du
ménage, et apportait à ce travail un
esprit quelque peu soucieux, soulevait souvent des
objections et des réclamations. Un jour, au
milieu d'une affluence extraordinaire d'arrivants,
Dorothée s'empressa de consulter son Dieu
par le sort. Elle portait avec elle une petite
boîte renfermant environ mille passages
bibliques et dans laquelle elle puisait,
après avoir prié. Ce jour-là,
elle revint rayonnante, montrant à sa soeur
le passage suivant :
« Donnerais-je ceci à cent
hommes ? Mais il lui répondit :
Donne-le à ces gens et qu'ils mangent. Car,
ainsi a dit l'Éternel : On en mangera
et on en aura de reste
(2 Rois IV, 42-44) »
Chose étonnante, dans ces trois
maisons remplies de malades, elle ne
possédait elle-même pas un coin, pas
un lit. La chambre que l'on appelait la
« chambre de Mütterli »,
était une sorte de salle d'attente sans lit,
dans laquelle on introduisait les nouveaux
arrivants et ceux qui voulaient lui parler. C'est
là que le soir, quand tout le monde
était allé se reposer, elle
réunissait ses aides, ses servantes
volontaires et quelques intimes. On causait encore
un moment, on mangeait une pomme ou une
croûte de pain, chacun tirait encore pour soi
un passage de la Bible, puis elle disait :
« Maintenant, enfants, à
genoux », et alors recommençaient
les supplications et
intercessions pour les cas les plus graves, pour
les sujets les plus pressants ; chacun avait
son fardeau à remettre aux soins du
Maître souverain. À la fin,
s'adressant à son aide principale, elle
disait : « Où me faut-il
aller cette nuit ? » Après
une courte consultation, on se décidait pour
la femme la plus souffrante ou la plus
dangereusement atteinte, pour la folle la plus
agitée.
Alors, s'avançant vers son buffet,
elle en sortait ses vêtements de nuit, et
avec ce paquet sous le bras elle montait dans
quelque mansarde, on traversait la route et allait
se coucher auprès d'une de ses pauvres
malades, la soutenant dans ses bras et lui
prodiguant encore pendant le sommeil des
consolations et des soins. Il lui est arrivé
de passer une nuit entière couchée
entre deux femmes aliénées qu'elle
cherchait à tranquilliser. Le lendemain,
avant sept heures, elle était assise
radieuse, pleine d'entrain et d'affection, au haut
bout de la table du déjeuner, agitant sa
petite sonnette pour obtenir le
silence avant de faire la prière et de
rompre le pain.
Quand il s'agissait d'un homme gravement
atteint, elle passait près de lui des nuits
entières, assise sur un escabeau et lui
imposant les mains. C'était cependant
là une exception.
C'est ainsi qu'elle veilla plusieurs nuits
de suite un pauvre misérable atteint au pied
par la gangrène et dont l'orteil finit par
tomber. Une nuit entre autres, harassée,
exténuée, à moitié
suffoquée par l'odeur fétide
qu'exhalait cette plaie, il lui arriva de se
laisser aller à une plainte et de soupirer
après un peu de repos ; au même
instant elle sentit toute son énergie
s'évanouir et fut sur le point de
défaillir. Mais surmontant cette
défaillance, et, voyant dans sa plainte une
affreuse tentation, elle s'indigna de sa faiblesse
et se dit : « Si je me plains, je
suis perdue ! » Puis regardant
à son Sauveur avec un nouvel élan de
foi, elle reconnut que c'était pour elle un
privilège de pouvoir
souffrir, et que, dans son
infirmité, Dieu voulait accomplir sa force.
Cet acte de foi dissipa soudain toute son angoisse,
même toute sa fatigue, de sorte que,
merveilleusement soutenue pendant le reste de cette
nuit, elle se remit le lendemain au travail aussi
restaurée qu'après une nuit paisible
et le malade fut guéri.
On reconnaît bien dans cette
abnégation, ce dévouement, cette
charité sans bornes, celle qui avait fait
entre les mains de son Dieu l'abandon de sa vie,
parce qu'elle n'avait appris dans sa jeunesse
qu'une chose : avoir confiance en Lui !
On y voit aussi tout entière celle qui
écrivit ces lignes, adressées
à quelques-uns de ses anciens malades :
« Chères âmes, tout ne se
trouve-t-il pas dans un abandon complet à la
volonté de Dieu ? Si vous saviez
quelles bénédictions l'on obtient
dans l'obéissance complète et le
complet renoncement à sa propre
volonté, vous demanderiez tous une
chose : ne plus rien posséder que
Lui ! »
Ne plus rien posséder que Lui !
Renoncer complètement à sa
volonté ! Qui donc, semble avoir parmi
nous aussi bien réalisé ces
exhortations, que celle-là même qui
vient de nous les donner ! Elle
renonçait complètement à
elle-même, pour aimer davantage et
développer encore l'activité qu'elle
avait auprès des âmes. Car,
disait-elle : « Ils sont morts ou
endormis, ceux qui ne sont pas
préoccupés jour et nuit, du fond du
coeur, du salut de quelque âme
d'homme ! »
III
Les deux nouveaux aides de
Mütterli
Mais le nombre des malades allait sans cesse en
augmentant. Ce n'était certes pas le luxe,
ni même le bien-être matériel
qui attiraient à Maennedorf cette foule
qu'on entassait dans des chambres trop petites pour
le nombre de lits qu'elles renfermaient. Dans les
trois maisons tout était propre, mais de
la plus grande simplicité.
La table aussi, quoique frugale, était
toujours abondante et les mets bien
apprêtés.
D'ailleurs cette grande affluence n'a pas
enrichi non plus celle dont l'amour ne savait
repousser personne. Mütterli demandait dix
francs par semaine aux gens riches, et cinq
à ceux qui ne l'étaient pas. Beaucoup
de pauvres étaient reçus pour rien.
On ne faisait rien pour les attirer, mais on les
accueillait avec simplicité.
Pour se tirer d'affaire, il fallait donc
économiser la main-d'oeuvre : aussi
Dorothée employait-elle, comme dans une
famille, les personnes valides, surtout les jeunes,
à toutes sortes de services. L'une lavait la
vaisselle, une autre pliait le linge, etc.... et
elle se faisait tant aimer que travailler pour elle
était un plaisir et un
privilège.
D'autre part, des malades reconnaissants,
et, petit à petit, de nombreux amis de
l'oeuvre aidèrent, par leurs dons
généreux et souvent envoyés au
moment du besoin, à
combler les déficits et
à marcher de l'avant.
Un adversaire même offrit un jour de
prêter de l'argent. Mais ce fut surtout au
moment du fameux procès, dont nous parlerons
dans la suite, que l'Éternel prit soin de
montrer que cette oeuvre était la sienne, en
mettant au coeur de bien des amis restés
inconnus de la soutenir par leurs dons et leurs
prières.
Il arriva une fois de Hollande 3,000 francs
sur lesquels on ne comptait plus. Un autre jour on
allait emprunter, quand arrivèrent 250
francs destinés à payer les frais de
justice.
Et c'est ainsi qu'au jour le jour vivaient
les abrités des trois maisons de
Maennedorf.
Cependant, Mlle Trudel finit par
éprouver - c'était vers la fin de
1860 - un désir toujours plus marqué
de se voir soutenue par des aides capables de lui
succéder et de continuer son oeuvre d'amour
auprès des âmes et des corps.
Elle présenta cette requête
avec foi et constance à son Dieu, et
bientôt une jeune personne
qui s'était convertie quelques années
auparavant à Maennedorf et avait
donné des preuves d'une piété
vivante et de dons réels, se décida,
sur un appel, à se consacrer avec Mlle
Trudel au soin des malades. À son
entrée dans la maison, le passage
tiré, suivant l'habitude, pour marquer cet
événement, fut : « Et
Aaron et Hur soutinrent ses mains, l'un d'un
côté, l'autre de l'autre.
(Exode XVII, 12.) »
- Bon, dit alors Dorothée Trudel,
voilà Hur, nous verrons bientôt quel
Aaron Dieu me destine.
Peu de temps après, M. Samuel Zeller,
qui avait été, guéri et
converti à Dieu quatre ans auparavant
à Maennedorf, et qui partageait en tout
point les vues de Mütterli sur la maladie et
sur l'imposition des mains, répondant
à un appel, se décida, lui aussi,
à consacrer sa vie au service de Dieu, dans
la maison où il avait appris à le
connaître comme son Sauveur et son
Médecin.
À son arrivée, Dorothée
consulta de nouveau ses passages de
l'Écriture et en tira le suivant :
« Ainsi Aaron portera les noms des
enfants d'Israël, au pectoral du jugement, sur
son coeur, quand il entrera dans le lieu saint...
(Exode XXVIII, 29.) » Cette
douce confirmation donnée ainsi par son
Père Céleste aux décisions
qu'on venait de prendre fut pour Mütterli,
pour ses aides et pour toute son heureuse famille,
un puissant encouragement.
M. Samuel Zeller vit encore et continue
à diriger, dans le même esprit que
Dorothée Trudel, les établissements
de Maennedorf.
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