RAFARAVAVY
MARIE
(1808-1848)
Une
Martyre Malgache sous Ranavalona
1re,
CHAPITRE VIII
Exil
Vers cette époque, M. Johns
débarqua à Tamatave, venant de
Maurice, afin de voir ce qu'il pourrait faire pour
venir en aide aux chrétiens
persécutés. C'était d'ailleurs
la seconde fois qu'il tentait de leur porter
secours.
Il chercha tout d'abord un moyen de
faire connaître à ses amis malgaches
son arrivée. Et voici comment il s'y prit.
Il écrivit des lettres à la Reine,
à Rainiharo, le premier ministre, et
à de nombreux fonctionnaires royaux. Les
aides de camp et les familiers de ces dignitaires
malgaches eurent bientôt fait de raconter un
peu partout cet événement.
Le chef de village qui protégeait
les cinq chrétiens réfugiés au
Vonizongo apprit la chose par un ami. Il en informa
tout aussitôt Rafaravavy et ses compagnons.
En même temps, il prit la précaution
d'envoyer par un homme sûr un message
à M. Johns, l'informant de la situation et
lui demandant de demeurer plusieurs semaines
à Tamatave, pour donner le temps aux
persécutés de se rendre à la
côte.
En effet, aussitôt que ceux-ci
eurent appris la présence de leur
missionnaire à Tamatave, ils
conçurent le projet de tenter de s'y rendre.
Malheureusement, Rafaralahy venait de tomber malade
et ne pouvait songer à entreprendre un aussi
long et aussi périlleux voyage. Il resta
donc avec sa femme.
Mais Andrianilaina, Razafy, son
épouse et Rafaravavy, au contraire, se
disposèrent à profiter de l'occasion
et à en faire bénéficier
quelques amis, si possible.
Nos trois compagnons de route se mirent
en chemin, mais voulurent d'abord passer par
Tananarive. Andrianilaina et sa femme
étaient bien mis, comme d'honnêtes
bourgeois, car personne ne les connaissait en
ville ; au contraire, Rafaravavy
s'était vêtue d'une grossière
étoffe faite en roseau, portait sur sa
tête des paquets, et suivait ses amis, jouant
le rôle de servante.
À leur arrivée dans la
capitale, le petit groupe de chrétiens
consulté décida d'envoyer tout
d'abord Andrianilaina et un autre fidèle
à Tamatave, afin de s'aboucher avec M.
Johns, tandis que Rafaravavy et Razafy se
séparaient : cette dernière
pouvait aller et venir librement, tandis que
Rafaravavy dut se cacher avec le plus grand soin,
enfermée dans une petite
pièce.
Au bout de quinze jours, pourtant, elle
faillit tomber entre les mains des
émissaires royaux. Un beau jour, quinze
à vingt envoyés de la Reine
envahirent la maison où elle se trouvait, la
souveraine ayant manifesté l'intention
d'acheter l'immeuble. Ils parcoururent toutes les
pièces et parvinrent à la fin
à celle où se
cachait Rafaravavy ; ils ouvrirent la
porte : Rafaravavy la referma vivement. Le
propriétaire de l'immeuble devint
blême de terreur. Les envoyés de la
Reine s'en aperçurent et se
murmurèrent l'un à l'autre.
« C'est là sûrement qu'il a
enfermé son idole. » Ils se
retirèrent alors un instant pour permettre
au propriétaire, dirent-ils, de faire sortir
son amulette. Rafaravavy profita de ce court
instant pour enjamber la fenêtre et le mur
d'enceinte de la case. Les visiteurs revinrent
jeter un coup d'oeil dans la pièce qui
renfermait l'idole, mais celle-ci n'y était
plus, elle s'était enfuie.
Rasoamaka, Ratsarahomba et
Andrianomanana étaient toujours dans leurs
bois : ils n'avaient pas tellement à
redouter les espions que la famine. Ils finirent
donc par revenir en ville chercher des vivres.
Là, ils apprirent, eux aussi, la
présence de M. Johns à Tamatave et la
mission confiée à
Andrianilaina : ils ne cherchèrent pas
à repartir vers Ambatomanga, mais
attendirent le résultat des démarches
engagées.
Andrianilaina put rencontrer M. Johns
et, après avoir tenu conseil, ils
décidèrent de faire remonter à
Tananarive l'autre chrétien descendu avec
Andrianilaina, de façon à faire
descendre ceux qui pourraient venir. Andrianilaina,
pendant ce temps, se réfugia chez un certain
Ramiandrahasina, chrétien natif d'Ilafy, et
l'un des principaux fonctionnaires hova de
Tamatave.
Après l'arrivée à
Tananarive de l'envoyé dont il vient
d'être question, une nuit de la fin de
septembre 1838, un petit groupe
de chrétiens se réunit dans la maison
de l'un d'eux, afin de faire leurs adieux à
ceux qui partaient : Rafaravavy Marie, Sarah
Razafy, femme d'Andrianilaina, David Ratsarahomba,
Siméon Andrianomanana et Joseph
Rasoamaka.
Raminahy, femme de Ratsarahomba,
Razanaka, femme d'Andrianomanana et Rasoa, femme de
Rasoamaka n'eurent pas la force de partir,
n'étant pas encore probablement sur la liste
des proscrits. Pourtant, Raminahy mourut martyr le
9 juillet 1840.
Avant le départ et vers minuit,
Rafaravavy fit les plus grands efforts pour
pénétrer dans la maison où
l'on avait enfermé Andrianantoandro, afin de
lui dire adieu, car ils étaient cousins
germains. Elle parvint à entrer, mais
Andrianantoandro dormait, et elle n'osait pas le
réveiller, de peur d'exciter l'attention des
gardiens. Elle se contenta de lui baiser la main,
puis se sauva. Grand fut le désappointement
du pauvre prisonnier, le lendemain matin, quand il
apprit la visite de sa cousine : il eût
tant désiré contempler son visage.
Ils ne se revirent plus sur la terre. Voici comment
Rafaravavy nota dans son carnet la nouvelle de la
mort de son cousin :
« Londres, 20 Adalo
1839 : Aujourd'hui, j'ai appris le
départ d'Andrianantoandro de Madagascar pour
la vie à venir. »
Les paquets terminés, ils se
mirent tous à genoux et se firent des adieux
mêlés de larmes. Cette
séparation était bien dure pour ceux
qui restaient et bien amère pour ceux qui
partaient. Quitter sa patrie, sa femme,
ses enfants, toute sa
parenté, que c'était cruel !
D'autant plus que c'était une
séparation sans revoir : Basoamaka fut
le seul qui revint en 1861. Comment avoir la force
de dire adieu à une femme bien-aimée,
à de jeunes enfants en pleurs, dans de
pareilles circonstances ? Qu'il dut être
terrible pour Rafaravavy de jeter un dernier regard
sur sa fille, son unique enfant !
Il faisait déjà presque
jour quand ou fut enfin prêt à partir.
Arrivés à Ambohitsiroa, les fugitifs
firent un détour pour passer chez un ami,
Rasoalavavolo, afin de lui demander une lanterne.
Voici quel était l'ordre de leur
marche : en avant, à une certaine
distance, marchait un éclaireur ; un
autre fermait la marche à quelques pas
derrière le dernier du groupe principal. En
cas d'alerte, l'éclaireur de devant devait
crier :
« Dépêchez-vous, vous de
là-bas », et celui de
derrière : « Attendez un
peu ». À l'ouïe de ces
appels, toute la bande devait se jeter dans un
chemin de traverse et se cacher.
Au lever du jour, les fugitifs
étaient à environ seize
kilomètres de la capitale et
hésitèrent un instant à se
cacher pour le reste de la journée. Mais,
ne, trouvant pas de place convenable, ils
poursuivirent leur route.
Quelques kilomètres plus loin,
ils rencontrèrent un homme qui reconnut
Rasoamaka et le regarda avec insistance. Ils
quittèrent alors le sentier
généralement suivi et se
dirigèrent ostensiblement vers le nord, pour
dépister ceux qui auraient eu l'idée
de se mettre à leur poursuite, puis
revinrent par un chemin très
détourné vers la route.
Quand ils avaient à traverser un
village, ils se séparaient et le
franchissaient deux par deux. Ils s'arrangeaient,
d'ailleurs, pour ne se trouver dans les endroits
vraiment habités que la nuit. Ils passaient
alors un par un, en cachant leur lanterne sous leur
lamba et sans faire aucun bruit.
Ils arrivèrent sans encombre
à la première forêt. Le chemin,
à partir de là, descend avec
rapidité jusqu'à la grande plaine, au
pied de la montagne d'Angavo.
Avant de sortir de cette forêt,
ils attendirent le soir. Mais, alors, la pluie se
mit à tomber avec violence, et la
dernière descente devint dangereuse, le sol
étant extrêmement glissant et le
moindre faux-pas pouvant entraîner une chute
fatale.
Au bout de la descente, ils
aperçurent, à quelque distance, comme
unie lumière tremblotante. Ils
pensèrent que c'était la lanterne
d'un groupe de porteurs employés par le
gouvernement pour transmettre les messages entre
Tananarive et la côte. Ils éteignirent
alors leur propre fanal et se jetèrent un
instant hors de la route, pour laisser passer le
courrier ou ce qu'ils crurent être
tel.
Vers minuit, ils cherchèrent un
endroit abrité sous quelques pierres pour
essayer de prendre un peu de repos. Ils ne purent
dormir, tant à cause de leur
anxiété que du froid et de
l'humidité.
Avant l'aube, ils se levèrent de
nouveau pour reprendre leur marche en avant. Mais,
voyant de nombreuses traces de pas très
rapprochés les uns des
autres, ils s'informèrent
adroitement auprès d'un jeune garçon
rencontré, afin de savoir ce que
c'était. À leur grande terreur, ils
apprirent qu'il s'agissait de toute une troupe de
soldats, deux à trois cents, allant eux
aussi vers la côte, conduits par deux ou
trois aides de camp de Rainiharo.
Assurément, un certain nombre de ces
soldats, et particulièrement leurs chefs, ne
manqueraient pas de reconnaître Rafaravavy ou
quelque autre des fugitifs.
Rester où ils étaient sans
avancer n'était rien moins que sûr,
car ils se feraient remarquer et arrêter.
Essayer de se lancer dans un chemin de traverse
était dangereux, car le sol était
tellement accidenté qu'on risquait de se
perdre ou de tomber dans quelque précipice.
Mieux valait avancer et passer rapidement
près du camp des soldats situé, leur
avait-on dit, à cinq ou six
kilomètres plus loin. On pouvait
espérer que le froid aurait retenu les
soldats sous la tente.
Ils traversèrent donc en premier
lieu le village d'Ambodinangaro, au delà
duquel on leur avait dit que les soldats avaient
établi leur camp. Mais les soldats,
pressés, au contraire, pour une raison
connue a eux seuls, avaient quitté, leur
campement et s'étaient mis rapidement en
marche.
Vers neuf heures du matin, ce
jour-là, les fugitifs voulurent se reposer
quelques instants et s'écartèrent du
sentier. Mais, à ce moment, la servante qui
marchait à l'arrière fit le signal
indiquant un danger possible. Tous se
jetèrent dans les buissons. De fait, une
troupe d'hommes, semblant à la recherche de
quelqu'un, passa peu
après à côté de leur
cachette, heureusement sans les voir.
Ils arrivèrent ainsi jusqu'au
Mangoro, le grand fleuve qui, coulant du nord au
sud, barre la route, il peu près à
mi-chemin, entre Tananarive et la côte Ce
passage du fleuve présentait une très
grosse difficulté. On ne pouvait le franchir
à la nage, à cause des crocodiles.
D'autre part, le passeur avait l'ordre de
s'informer de la qualité des gens qui
demandaient à traverser. Il faisait à
peu près nuit quand ils arrivèrent.
Les servantes se présentèrent d'abord
et dirent qu'elles accompagnaient les soldats qui
venaient de passer et qu'il y avait d'autres gens
derrière qui, eux aussi, avaient affaire aux
soldats. Le passeur, fatigué d'avoir
été pendant une bonne partie du jour
employé au transport de la troupe, cria aux
compagnons des deux servantes de se
dépêcher. Tous les fugitifs
arrivèrent alors et purent juste tenir dans
le canot. On ne leur fit aucune autre question
indiscrète.
Ils profitèrent ensuite de la
nuit pour dépasser les soldats
campés, de nouveau, de l'autre
côté de la rivière.
Malheureusement, ils se perdirent,
errèrent longtemps avant de retrouver le
sentier qui aboutissait à une rivière
très encaissée et profonde. Pour la
traverser, il n'y avait qu'une poutre
étroite, pliant sous le poids. Les femmes
hésitaient à se lancer sur ce morceau
de bois, mais il n'y avait aucun autre moyen de
continuer la route. Aidées des hommes, elles
finirent par franchir ce difficile passage.
On parvint enfin à la
lisière de la grande forêt de l'est.
Là, il fallut songer à de nouvelles
précautions. Il n'y avait, en effet, qu'un
seul sentier étroit, à peine
tracé, permettant de la traverser, et l'on
était sûr de rencontrer tous ceux qui
remontaient de la côte.
Sarah Razafy mit sur elle ses plus beaux
atours, afin de paraître la femme d'un
officier hova allant rejoindre son mari.
Rafaravavy, au contraire, fut habillée comme
une servante, avec un grand chapeau de paille, lui
cachant une partie du visage. Elle portait sur sa
tête quelques paquets.
Un soir, se trouvant dans la
région la plus difficile de la forêt,
et se sentant terriblement fatigués, les
fugitifs s'écartèrent vers un taillis
pour essayer de dormir. À peine
étaient-ils installés que tout un
groupe de soldats portant des torches passa
près d'eux, leur causant de nouvelles
frayeurs.
Le lendemain matin, ils virent venir des
gens qu'ils reconnurent comme des habitants de
maisons voisines de celle de Rafaravavy et qui
devaient avoir aussi rencontré les autres
fugitifs. Ils eurent alors l'idée de se
cacher le visage avec leur vêtement de
dessus. On les crut malades de la petite
vérole et tout le monde s'empressa de les
dépasser en courant sans les
regarder.
Un peu plus loin, il leur arriva un
autre incident. Andrianomanana était par
hasard un peu en avance ; du haut d'un petit
repli de terrain, il vit non loin de lui un groupe
de marchands. Il fit aussitôt signe à
ses compagnons qui se cachèrent.
Lui-même ne put que
s'avancer hardiment. On le
reconnut. La servante qui servait d'avant-garde aux
fugitifs et qui était alors tout près
d'Andrianomanana fit semblant de ne pas le
connaître et se mêla au groupe des
marchands pour savoir ce qu'ils disaient. L'un
d'eux s'écria : « Tiens, mais
c'est Andrianomanana, l'un des chrétiens
placés comme esclaves chez Rainiharo ;
où peut-il donc, aller ? » Un
autre répondit « Il est probable
que son maître l'emploie pour faire du
commerce. »
La servante rejoignit alors les autres
fugitifs, qui attendirent le départ des
marchands, et put ainsi les rassurer.
Pendant une autre partie de la route,
depuis Boforona jusqu'à Andovakinimenarana
(c'est-à-dire pendant environ 3 jours), ils
se sentirent suivis par des gens qui avaient l'air
de les observer, qui s'arrêtaient en
même temps qu'eux et repartaient de
même, parfois les dépassaient, puis
les attendaient.
Au moment d'atteindre le village
d'Ambatoharanana, nos fugitifs voulurent attendre
la tombée de la nuit, afin de traverser la
place sans s'y arrêter et sans y être
aperçus, d'autant plus qu'en cet endroit
habitait un officier qui les connaissait. Mais les
deux hommes en question les rattrapèrent et
leur demandèrent à brûle
pourpoint dans quelle maison ils allaient loger.
Ils répondirent qu'ils ne savaient
pas.
Sans insister, les deux hommes
pénétrèrent dans le village.
À la nuit, Rafaravavy et ses compagnons
entrèrent doucement, prétendant
franchir le village pour continuer leur route. Mais
ils furent presque
immédiatement
arrêtés par une question lancée
à haute voix : « Pourquoi ne
demeurez-vous pas ici, et où voulez-vous
aller dans une pareille obscurité ? N'y
a-t-il pas de maison ici pour vous
recevoir ? »
Force leur fut de s'arrêter pour
ne pas avoir l'air de fuir. On les fit entrer dans
une case toute proche de celle habitée par
l'officier qui avait plusieurs fois
rencontré Rafaravavy chez son maître,
à Tananarive.
Quelques minutes après, les deux
hommes, qui n'avaient cessé de les suivre,
pénétrèrent à leur tour
dans la même case et y
déposèrent des paquets.
Tout cela les confirma dans
l'idée qu'ils étaient
découverts et que les deux hommes
étaient des espions : ils allaient
revenir avec des soldats et ce serait la mort sans
rémission. Il se sentaient tous au bord de
l'abîme sans pouvoir ni avancer ni
reculer.
La nuit, toutefois, se passa sans
incident, et, bien avant l'aube, ils
s'étaient remis en route. Ils avaient
dépassé Ranomafana et
s'apprêtaient à prendre un
léger repas, un peu à l'écart
du chemin, quand, de nouveau, se
présentèrent à eux leurs deux
suiveurs : ils leur offrirent, selon l'usage,
de partager leur collation, mais ces deux hommes
refusèrent, ce qui leur parut de plus en
plus un signe de leurs mauvaises intentions. Dans
la même journée, ils virent ces deux
soi-disant espions mettre en travers du chemin une
feuille d'arbre. Était-ce un signal pour des
soldats venant derrière eux ?
Une des deux servantes enleva la
feuille. Ils arrivèrent enfin, le coeur
serré d'appréhension, à
Ambohibohazo, où ils
purent cependant se reposer un peu, le village
étant à peu près
désert, par suite du départ des
hommes appelés pour une corvée
lointaine. Le lendemain, ils cherchèrent
à louer un canot pour descendre la
rivière jusqu'à Andevoranto. Mais on
leur demanda trop cher et ils durent continuer par
terre, en dépit de leur fatigue
grandissante.
Après Andevoranto, ils suivirent
autant que possible le bord de la mer,
malgré la difficulté de marcher dans
le sable. Ils pensaient ainsi rencontrer moins de
monde.
Mais, de nouveau, ils aperçurent
les deux hommes qui n'avaient cessé de leur
causer une grande frayeur.
Ils n'en pouvaient plus, et leur marche
se ralentissait de plus en plus. Les femmes avaient
les pieds en sang et ne se maintenaient que par
l'énergie du désespoir.
Le neuvième jour après
leur départ de la capitale, ils parvinrent
enfin à quelques kilomètres de
Tamatave.
Ils envoyèrent les deux servantes
en avant-garde chez l'ami qui devait aider à
leur embarquement. Elles eurent de la peine
à le trouver et ne revinrent qu'au bout de
vingt-quatre heures, apportant une lettre qui
renfermait toutes les indications
nécessaires pour leur abri durant les
quelques jours d'attente avant l'arrivée du
bateau qui devait les emmener. L'ami leur envoyait
en même temps des provisions, qui furent les
bienvenues, car ils n'avaient absolument plus rien
et commençaient à souffrir
douloureusement de la faim,
n'avant pour ainsi dire rien mangé depuis
trois jours.
Vers le coucher du soleil, ils se
levèrent pour se rendre à l'endroit
de refuge qu'on leur avait indiqué. Arrivant
au bord d'une rivière, ils s'assirent un
instant. Un canot aborda : ils crurent qu'on
venait les aider à traverser, et, dans leur
joie, commencèrent il causer avec le
pagayeur. Celui-ci ne put réprimer son
étonnement et sa suspicion. Rafaravavy eut
la présence d'esprit de partir d'un
éclat de rire un peu forcé, mais qui
donna le change, et d'offrir à l'homme un
peu de manioc, lui disant qu'ils étaient
simplement en une sorte de pique-nique. L'homme
s'éloigna ; heureusement, quelques
minutes après, un autre canot, sur lequel se
trouvait l'une des servantes envoyée aux
nouvelles arriva et put les emmener loin de ce lieu
un peu dangereux pour eux et les conduire enfin en
sûreté.
Leur ami leur annonça qu'on
attendait le bateau qui devait les prendre dans une
dizaine de jours.
Une erreur faite par un domestique de
leur hôte faillit un jour tout perdre. On
l'avait envoyé chercher quelques objets dans
la case où les, fugitifs avaient
trouvé un refuge. Il comprit qu'il fallait
amener ceux-ci avec lui ! Voilà donc
toute la bande en route. Juste avant d'arriver
à la ville, une forte averse les trempa.
Leur ami fut effrayé de les voir et leur
conseilla de retourner, car, dans la ville, ils
seraient vite reconnus et saisis. Pour plus de
sûreté, il les accompagna. Ils furent
arrêtés par la garde. L'ami seul
parla : il avait de
l'influence ; les soldats n'insistèrent
pas. Si la petite bande avait pu passer en allant,
c'était uniquement à cause de la
chute violente de pluie qui avait un instant fait
rentrer les gardes dans leur case.
Après cette alerte, ils ne
bougèrent plus de leur cachette.
Quand le navire fut en vue, leur ami,
Ramiandrahasina, les prévint et leur dit de
couper leurs cheveux et de suivre le guide
envoyé jusqu'au port. Ils demeurèrent
d'abord cachés derrière des
buissons : là, on leur apporta des
vêtements de marins qu'ils
revêtirent.
Quelques matelots du bateau
amusèrent les gardes du port tandis que les
fugitifs étaient amenés un par un
à bord. Ce fut une opération
très périlleuse.
Dès le lendemain matin, le bateau
leva l'ancre en route pour Maurice, où il
arriva le dimanche 14 octobre 1838.
Ce départ finit par transpirer.
On eut des soupçons sur le rôle
joué dans l'histoire par Ramiandrahasina,
qui crut plus prudent, un mois après, de se
sauver à son tour à Maurice avec son
neveu.
Pendant quelques semaines, les sept
rescapés de la persécution se
remirent de leurs fatigues et de leurs
émotions. Ils eurent presque tous d'assez
violents accès de fièvre.
Leurs amis européens
songèrent ensuite à les envoyer, si
possible, en Angleterre, afin d'exciter
l'intérêt des chrétiens de ce
pays, et aussi afin de leur procurer le moyen de se
développer
intellectuellement. On
réunit, à cet effet, les sommes
nécessaires parmi quelques hautes
personnalités de Maurice.
Les
exilés de 1838
En fait, ils ne s'embarquèrent pas tous
les sept pour ce long voyage. Andrianilaina crut de
son devoir de demeurer à Maurice avec
Ramiandrahasina, dans l'espoir de pouvoir
être utiles à leurs coreligionnaires
persécutes, et aussi à la petite
Église malgache formée parmi les
milliers d'esclaves et de fugitifs venus de la
grande île et employés, pour la
plupart, dans les plantations de Maurice.
Razafy, femme d'Andrianilaina, consentit
à se séparer de son mari pour
accompagner Rafaravavy qui, sans cela, se serait
trouvée seule de son sexe. Malheureusement,
les deux époux ne furent jamais plus
réunis, car Razafy mourut en Angleterre en
1841.
Le 2 décembre 1838, un bateau
emmena Rafaravavy et sa compagne, ainsi
qu'Andrianomanana, Rasoamaka, Ratsarahomba et
Andrianisa (ce dernier, neveu de Ramiandrahasina).
Ils mouillèrent dans la baie d'Algoa, le 23
du même mois, et demeurèrent quinze
jours à Port-Elisabeth.
Là, ils rencontrèrent des
chrétiens hottentots, qui eurent le plus
grand désir de converser avec eux et de
parler des tribulations par lesquelles ils
étaient passés. Ils essayèrent
d'abord de prendre un interprète et
s'adressèrent à un jeune Malgache qui
vivait depuis quelque temps au sud de l'Afrique et
avait acquis une certaine connaissance du
hollandais. Cela ne réussit que très
insuffisamment. D'abord, la science linguistique de
l'interprète était assez
limitée, et, en second
lieu, comme il ignorait totalement tout ce qui
concernait les sujets religieux, il n'arrivait ni
à saisir les pensées de ceux qui
l'employaient, ni à trouver les mots
correspondants.
Ils imaginèrent alors un tout
autre mode de communication. Ils prirent chacun
leur Bible et, grâce à l'usage
constant qu'ils en avaient fait journellement, ils
purent découvrir dans les pages de ce livre
sacré des passages correspondant assez
exactement à ce qu'ils voulaient exprimer,
et pendant plusieurs jours, soutinrent une
conversation suivie à coups de textes
scripturaires.
Au moment du départ du bateau,
les Hottentots accompagnèrent leurs nouveaux
amis et ne voulurent les quitter qu'à la
dernière minute. Ils leur remirent une somme
assez importante qu'ils avaient recueillie entre
eux, afin de les aider dans leur voyage.
Au Cap, le bateau demeura plus de six
semaines. Rafaravavy et ses compagnons y
rencontrèrent quelques Malgaches
amenés là par les marchands
d'esclaves et essayèrent d'en convertir
quelques-uns.
Le voyage se poursuivit ensuite sans
incident mémorable. Ils
débarquèrent en Angleterre dans les
derniers jours de mai 1839. Leur arrivée
excita un grand intérêt. Il y eut des
foules pour écouter le récit de leurs
souffrances et de leur fuite. Rafaravavy et Razafy
demeurèrent une grande partie du temps chez
le missionnaire Johns, dans la petite ville de
Walthamstow. Ils se mirent tous à
l'étude de l'anglais et parvinrent assez
bien à se faire comprendre.
Ils eurent quelques nouvelles de leurs
amis de Madagascar. La persécution
continuait plus violente. Bien souvent, ils
apprenaient la mort violente d'un de leurs anciens
compagnons.
Peu de temps après leur
arrivée en Angleterre, ils surent que la
femme de l'un d'eux, Ratsarahomba, avait
été arrêtée, puis
s'était sauvée, mais devait vivre
misérablement dans des endroits
déserts.
La Reine avait ordonné de mettre
à mort les fugitifs aussitôt
découverts ; on devait leur faire
creuser leur fosse, les y précipiter, leur
verser de l'eau bouillante sur le corps, et combler
ensuite la fosse suivant la méthode
employée par certains sorciers.
On avait fait boire le poison ordalique
à six cents personnes
soupçonnées d'avoir accepté
les nouvelles doctrines, et plus de cinq cents en
étaient mortes.
Rafaravavy et ses compagnons leur
envoyèrent des messages de
consolation ; entre autres, une fort longue
lettre imprimée sous forme d'une petite
brochure qu'on parvint avec de très grandes
difficultés à répandre parmi
les persécutés.
En 1842, ils revinrent à Maurice,
sauf Razafy, morte un an auparavant. Pendant six
ans, Rafaravavy, espérant toujours pouvoir
revenir dans son pays, ne cessa de se
dépenser pour le bien de ses
compatriotes.
Mais soudain, elle s'affaiblit. On la
soigna pendant un certain temps. Mais la maladie
prit bientôt un caractère alarmant et
l'on sentit que c'était la fin.
« Depuis quelque temps,
rapporte le missionnaire J. Le Brun, elle
paraissait s'affaiblir graduellement. Elle pensait
pourtant demeurer encore quelque temps sur la
terre, quand soit Maître vint soudain la
chercher. Depuis qu'elle nous a quittés,
nous en sommes tout
attristés.
« Le samedi, ma femme
vint encore lui rendre visite et lui parla de sa
mort prochaine. Rafaravavy lui répondit
qu'elle voyait venir son départ d'ici-bas
avec calme et sans aucune
appréhension.
« Pendant la nuit qui
suivit, Rafaravavy ne dormit point, elle passa tout
soit temps en prière. C'était
d'ailleurs un peu son habitude, et à ceux
qui affectueusement lui en faisaient reproche, elle
répondait qu'elle dormait bien assez, et
qu'on pouvait bien lui permettre de prier le reste
du temps.
« Le dimanche matin,
elle se mit à tousser avec violence et
cracha du sang. Elle en fut tout émue et
vint nous trouver, nos deux maisons étant
fort proches l'une de l'autre. Nous fûmes un
peu effrayés de la voir, d'autant plus que
le sang continuait à couler de sa bouche.
L'effort l'avait fatiguée et elle serait
tombée sans le secours que lui prêta
ma femme. « Ne craignez rien, Marie, lui
dit cette dernière, nous allons prier
ensemble. » Elle consentit et appuya sa
tête sur la poitrine de ma femme. Mais voici
tout ce qu'elle put dire : « ô
Madame » et elle rendit
l'âme. »
C'était un certain 23 avril, probablement
celui de l'année 1849, d'autres disent 1848.
Ainsi se termina, dans l'île
Maurice, à l'âge de quarante ans,
l'existence singulièrement agitée et
dramatique de cette femme malgache, qui
mérite d'occuper une place éminente
dans la longue série des témoins dont
parle l'épître aux
Hébreux : « Étrangers
et voyageurs sur la terre..., morts dans la foi
sans avoir obtenu ce qui leur avait
été promis..., cherchant une
patrie..., non celle d'où ils étaient
sortis, mais une meilleure, la céleste.
C'est pourquoi Dieu n'a pas honte d'être
appelé leur Dieu, car il leur a
préparé une cité. »
(Hébr. XI, 13-16).
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