LA VIE
ÉTERNELLE OPPOSÉE À LA
BRIÈVETÉ DE CETTE VIE.
Jean le Cointe
Pasteur de l'Église de
Genève et Bibliothécaire.
1815
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Sur ces paroles de
l'Épître aux Hébreux,
Chap. XIII. v. 14 :
Nous n'avons point ici-bas de cité
permanente ; mais nous cherchons celle qui est
à venir.
Ces paroles, M. F., sont une description
courte, mais frappante de la vie humaine ;
elles nous montrent que l'Être Suprême
ne nous a pas placés dans ce monde, comme
dans une demeure permanente, pour y fixer
notre séjour ; que nous ne sommes que
des voyageurs, qui marchent vers
l'éternité ; que le temps nous
entraîne avec lui sur ses ailes
rapides ; et que nous serons
bientôt parvenus au terme de notre
course !
Tel est le sort de la Nature humaine, sort
inévitable ; cette vérité
si claire, si universellement reconnue, n'a pas
besoin, ce semble, de nous être
répétée, la plus
légère réflexion suffit pour
la faire naître en nous ; mais
hélas ! quoique bien convaincus de
cette vérité, nous négligeons
de nous en occuper, nous la repoussons, parce
qu'elle écrase notre faiblesse et nous
prouve notre néant ! Nous vivons dans
une sécurité trompeuse, comme si la
mort qui promène sa faux invisible sur tout
ce qui nous environne, devait nous respecter et ne
nous plonger jamais dans son
ténébreux empire !
Nous commençons aujourd'hui, M.F., une
nouvelle année, sanctifions-en les
prémices, en fixant nos méditations
sur la brièveté de notre vie, et en
développant les conséquences morales
qui découlent de cette
vérité ! O Dieu !
enseigne-nous à
tellement compter nos jours, que nous en ayons un
coeur de sagesse ; Amen.
BRIÈVETÉ DE LA VIE.
Dès que nous sommes capables de porter un
coup d'oeil de réflexion sur ce qui nous environne, dès que nous
considérons notre nature, notre état
sur la terre, nous voyons que sortis de la
poudre, nous nous hâtons d'y
rentrer ; nul ne peut être exempt de
cette loi ; elle nous assujettit tous,
semblable à l'herbe des champs,
l'homme s'élève et périt,
et s'il n'est pas retranché par un coup
violent qui le frappe, il tombe et se
détruit de lui-même ;
étrangers et voyageurs comme ceux qui
nous ont précédés, nous
paraissons, pour
disparaître !
Et n'est-ce pas là, M. F., ce que nous
rappellent sans cesse le spectacle, les
scènes variées de la nature ? La
nuit succède au jour, les saisons se
renouvellent, et leur succession nous
avertit de la rapidité avec
laquelle s'enfuit le temps, et s'envole notre
vie ! Le jour baisse, diminue, s'éteint
dans les ténèbres, ainsi l'homme
naît, s'élève et meurt !
Les saisons diverses semblent précipiter
leur cours, pour accomplir leurs périodes.
L'existence de l'homme n'a-t-elle pas aussi ses
saisons, dont le cours est promptement
terminé ? Qu'elles s'échappent
rapidement ces années du printemps de la
vie ! Hélas ! la fleur de la
jeunesse passe bientôt et
s'évanouit ! Bientôt
disparaissent la force et la vigueur de l'âge
mûr ! et si notre existence se prolonge
encore jusques à la vieillesse, qui est
l'hiver de la vie, nos infirmités nous
plongent dans le sépulcre ; ainsi nos
jours et nos années sont emportées
comme par un tourbillon, ou par une ravine
d'eau ; nous sommes entraînés
dans cet océan immense et sans fond,
d'où personne n'est jamais
ressorti !
L'Écriture Sainte nous présente sous
divers emblèmes la fragilité et la
brièveté de la vie ; elle la
compare à un vent léger qui souffle
et ne revient plus, à une parole qui
s'échappe et s'oublie, à une vapeur
qui s'élève et
s'évanouit ; elle nous dit que nos
jours disparaissent comme la trace d'un vaisseau
sur les ondes, que la mort fond sur nous avec la
rapidité de l'aigle qui se lance sur sa
proie et la saisit, que l'homme est comme
l'herbe qui fleurit le matin et se fane,
on la coupe et elle est
séchée !
Et une expérience journalière, ne
nous prouve-t-elle pas qu'il n'y a point
d'exagération dans tous ces
emblèmes ; la mort par ses surprises
semble se jouer de nous ; elle nous frappe,
nous immole, ses coups sont toujours prompts et
imprévus ! Les flots de la race humaine
comme ceux de la mer, se pressent, se poussent et
disparaissent pour faire place à d'autres
d'une aussi courte
durée !
Déduisons les conséquences qui
résultent de cette
vérité : nous n'avons point
ici-bas de cité permanente, mais nous
attendons celle qui est à venir.
CONSÉQUENCES.
1.° Qu'elles seraient sombres et
mélancoliques ces réflexions sur la
brièveté de la vie, si l'homme une
fois couché dans la tombe, ne devait plus
renaître ! Mais la
brièveté même de cette vie nous
donne lieu d'espérer et de croire, que nous
vivrons au-delà du tombeau ! En effet,
M. F., pourrions-nous penser que l'homme n'aurait
pas été destiné par son
Créateur, à parvenir à cette
perfection de sagesse, de vertu, de
félicité, dont sa nature est
susceptible ? Pourrions-nous penser,
qu'après avoir fait les premiers pas, et
quelques faibles progrès dans la
carrière des connaissances, nous devons nous
arrêter, sans aller plus loin ? ou
qu'après avoir commencé à
orner notre âme par
la sagesse, à l'ennoblir par
la vertu, lorsque nous sommes plus dignes de vivre,
nous périssons sans retour ?
Quoi ! nous aurions été
placés un instant sur le
théâtre sublime de la nature, pour y
jouer un rôle si court ; et de quelque
manière que nous l'aurions rempli, soit en
nous attachant à la vertu, soit en nous
livrant au vice, la toile se baisserait et ne se
lèverait plus ! Serait-ce le but pour
lequel Dieu nous a appelé du néant
à l'être ? Serait-ce là
toute notre destinée ? Ah ! nous
ressemblons donc à ces animaux, à ces
insectes, que le soleil du matin voit
éclore, et qui terminent avec lui leur
carrière ; comme eux nous nous
tourmentons pour néant, dans le jour si
court de la vie ! Non ce n'est point
là notre destination ; toutes les
créatures inférieures à
l'homme, parviennent ici-bas au plus haut
degré de perfection qu'admettent leurs
facultés ; elles reçoivent
ici-bas leur plein et entier
accroissement, et leur vie
fut-elle encore prolongée, elles
persévéreraient toujours dans le
même état. Oh ! que la nature de
l'homme est différente ! formée
pour croître sans cesse en sagesse,
pour faire des progrès continuels vers
la perfection, notre âme ne peut y parvenir,
et gémit sur les obstacles qui
l'arrêtent ; l'homme le plus sage, le
plus vertueux, reste toujours à une distance
immense, de cette sagesse et de cette vertu,
à laquelle il aspire ; son entendement,
son esprit demeure toujours ici-bas dans une sorte
d'enfance, si l'on compare ce qu'il acquiert,
à ce qu'il veut acquérir ;
il ne voit que confusément, et au travers
d'un verre obscur. L'auteur de notre
être, dont la sagesse ne fait rien en vain,
nous aurait-il donné des facultés si
étendues, si vastes, pour un temps si
limité, pour un but si frivole ?
Ah ! nous sommes bien plutôt
assurés, que cette sagesse qui brille avec
tant d'éclat dans toutes ses
oeuvres, ne se manifestera pas moins envers
l'homme ; envers l'homme, la plus excellente,
la plus noble de ses créatures, puisqu'il
l'a formé à son image, et dont
l'existence est une énigme, si elle se
termine ici-bas ! Oui ta sagesse, ô mon
Dieu ! me prouve, que quand je meurs, je ne
cesse pas d'exister ; que la mort ne fait que
me placer dans un autre état ; que
cette vie n'est qu'une préparation pour une
autre vie ; que je ne reçois sur la
terre, que le commencement de mon existence,
pour être ensuite transporté dans
un séjour plus heureux ; dans un
séjour de perfection, de connaissances, que
mon coeur m'annonce, et que mon âme cherche
avec transport ! .. Nous n'avons point
ici-bas de cité permanente, mais nous
cherchons celle qui est à venir.
2.° Elle détruirait en second
lieu cette considération de la
fragilité et de la brièveté de
la vie, tout attachement trop vif
pour les biens terrestres et
périssables ! Ce monde n'est pas notre
demeure, nous ne sommes ici-bas que des
étrangers, des voyageurs, nous
n'avons point de cité permanente !
Un voyageur oublie-t-il sa patrie, se
laisse-t-il séduire par les plaisirs et les
agréments des lieux qu'il parcourt, et dans
lesquels il ne doit séjourner que peu de
temps !
Ainsi, M. F., quelque grands que puissent
être les avantages, quelque vifs que puissent
être les plaisirs que nous trouvons sur le
chemin qui nous conduit à
l'Éternité, nous ne devons point
permettre qu'ils nous éloignent du but
sublime où nous devons tendre ; ils ne
doivent faire sur nous d'autre impression que celle
que produit sur un homme fait la vue des jouets de
son enfance !
Comment en effet, M. C. F., la considération
de notre courte durée ne
détruirait-elle pas dans votre coeur
la séduction des objets
sensibles, quand vous considérerez avec
quelle rapidité votre vie se
précipite vers le tombeau ? Combien ses
plaisirs, ses avantages, ses jouissances,
tout ce que le monde appelle bonheur,
combien tous ces objets perdront dans votre
esprit de leur valeur imaginaire, combien ils
baisseront dans votre estime ! Ne serait-ce
pas une folie de vous attacher à ces objets,
dont un jour, aujourd'hui peut-être, vous
serez obligés de vous séparer pour
jamais ! Pourquoi vous fatiguer, vous agiter,
dans la recherche toujours pénible et
toujours incertaine de ces avantages, qui vous
échappent souvent au moment même
où vous venez de les acquérir !
Pourquoi cette insatiable cupidité qui
ajoute encore à vos domaines, qui
réunit maisons à maisons, qui entasse
sans cesse et sans cesse accumule, comme si votre
existence ici-bas était immortelle ?
Ah ! vous oubliez ce
grand principe, ce principe que
tout vous rappelle, vous n'avez point ici-bas de
cité permanente, vous n'avez rien
apporté dans ce monde, vous ne sauriez en
rien emporter ! Et vos biens à qui
seront-ils ?
Sans doute c'est l'oubli de la mort qui vous fait
employer votre vie, tous vos moments
à la poursuite des biens terrestres !
Ah ! si dans le silence de la réflexion
vous vous disiez quelquefois à
vous-mêmes : Hélas !
Vanité des vanités, tout est
vanité, je me promène parmi ce qui
n'a que l'apparence, après des
années de peines et de travaux, je
n'ai qu'un instant pour la jouissance, et chaque
jour est un pas que je fais vers
l'éternité, où les richesses
ne me suivront point, où elles me seront
inutiles, à moins que je ne les aie fait
servir sur la terre à des oeuvres de
charité et de bénéficence
(bienveillance) !
Oui, homme ambitieux, toi qui es
dévoré de la soif des honneurs, qui
ne soupires qu'après un
poste élevé, après cette vaine
fumée que l'on appelle dignité,
grandeur ; homme ambitieux, descends dans la
demeure souterraine de la mort, va
réfléchir sur les tombeaux, vas-y
méditer sur le but que tu te proposes, vois
ces ossements épars, cette poussière
insensible, et que leur langage muet t'instruise,
bientôt tu augmenteras le nombre de ces
victimes de la mortalité, bientôt tu
paieras ce tribut à la nature ; la
même terre te couvrira, et le tombeau gardera
sa proie ! Homme voluptueux, tu te livres avec
ardeur aux plaisirs, tu les recherches, tu
les poursuis, bientôt tes yeux fermés
à la lumière ne verront plus la douce
clarté du jour, et que te restera-t-il de
tout ce que tu auras fait ?
Ah ! si nous pensions, M. F., à
l'incertitude de notre vie, à la promptitude
avec laquelle la mort peut nous saisir, nous ne
mettrions pas un si haut prix aux
richesses, aux plaisirs, aux honneurs ; ces
réflexions produiraient en nous une sorte
d'indifférence pour eux, nous nous en
séparerions sans angoisse, sans
amertume, lorsque le moment serait venu de leur
dire un éternel adieu, et nous ferions
servir le temps qui nous est accordé
à atteindre le grand but pour lequel le
Créateur nous a donné la vie,
à nous procurer les biens
éternels ! Oui ! si les promesses
sublimes de la religion, si cette
félicité qu'elle nous annonce et nous
assure, était le grand objet de nos
méditations, nous n'estimerions les biens
d'ici-bas qu'autant qu'ils nous serviraient
à saisir ceux de cette cité qui
est permanente ; nous ne permettrions plus
à nos âmes de s'attacher comme nos
corps à la poudre ; nos affections, nos
désirs s'élèveraient au-dessus
de tous les objets, qu'emporte avec elle la
révolution des années, et qui
sont soumis à l'empire de
la destruction ; nos affections, nos
désirs s'élanceraient d'avance, comme
nos âmes s'élanceront après la
mort, de la terre vers le Ciel, et du temps vers
l'Éternité !
3.° Cette brièveté de
notre vie est un motif à la patience dans
nos afflictions diverses. Puisque nous ne sommes
ici-bas qu'étrangers et voyageurs,
nous devons nous attendre à des privations,
à des malheurs ordinaires dans un voyage.
Mais lorsque nous nous trouvons dans ces
fâcheuses circonstances, n'est-il pas doux de
penser que notre pèlerinage est de courte
durée ; que les obstacles que nous
rencontrons, que les peines que nous sommes
appelés à supporter, quelque
rigoureuse que soit la saison, quelque terribles
que soient les orages qui grondent sur notre
tête ; que ces peines, dis-je, seront
bientôt évanouies ; et
qu'au-delà de la vallée
ténébreuse du tombeau,
nous arriverons dans une
région où règne un calme
parfait, une constante
sérénité ; où les
maux ne se feront plus sentir ; où les
tempêtes ne s'élèveront
plus ; où les orages ne gronderont
jamais ! Comment succomberions-nous à
l'affliction puisque nous en voyons le terme,
puisque nous pouvons dans l'angoisse même de
la douleur, porter nos regards sur ces demeures
de paix où toutes nos larmes seront
essuyées, où nous saisirons un
bonheur parfait et durable !
Ah ! si nous étions nés, M. F.,
pour ne mourir jamais ! si nous étions
condamnés à vivre toujours dans ce
monde, bon Dieu ! quel poids serait
ajouté à nos misères, elles
seraient sans remède et sans fin ! mais
heureusement la vie doit finir, et nos
misères avec elle ; les souffrances
du temps présent produiront pour nous le
poids d'une gloire infiniment excellente, le
Ciel est notre patrie, cette vie un passage
à une meilleure,
tous nos maux seront oubliés, auront
disparu ! Et qu'importe après tout,
qu'importe, si le bonheur ne nous accompagne
pas dans le temps, nous devons en jouir
pendant l'éternité !
4°. Enfin, M. F., si le temps de
notre séjour dans ce monde est de courte
durée, en comparaison de celui du monde
à venir, que notre attention se fixe
habituellement sur cette vie heureuse qui
bientôt commencera, pour ne finir jamais !
Si nous n'avons point ici-bas de cité
permanente, cherchons celle qui est à
venir, rappelons-nous que nous ne sommes ici
que pour un moment, que nous ne sommes point
citoyens de la Terre ! qu'au-delà du
tombeau nous trouverons une seconde demeure ;
qu'au-delà du tombeau est un pays de repos
et de bonheur, que chaque année qui finit sa
révolution, chaque instant qui
s'écoule, nous nous en approchons de plus
près.
Dans ce jour, M.F., (cette réflexion est
bien naturelle) dans ce jour se termine une
année de votre vie, c'est donc une
année de moins que vous avez à vivre,
vous êtes d'un pas plus près de la
mort et de l'éternité !
Avec quelle vigilance, quelle circonspection vous
devez employer le temps qui vous reste
encore ! Ah ! que cette réflexion
si commune, mais importante et toujours
éloignée de vos esprits, s'y grave en
traits ineffaçables !
Oui, M. F., c'est le seul voeu que dans cette
solennité formera pour vous mon coeur :
Je dis à l'Être Suprême dans
l'abondance de mes sentiments ; Dieu tout
bon, Père tendre des hommes !
Que ce jour soit pour chacun de nous le
commencement d'une obéissance sincère
à tes volontés, d'une soumission
parfaite à tes lois ! Accorde-nous
cette sagesse qui vient d'en haut, qui est
douce, paisible, et pleine de bons
fruits, et qu'au
renouvellement de chaque
année, si ta bonté veut encore les
multiplier, notre conscience nous rende ce
témoignage, que nous avons fait des
progrès dans la sainteté, que nous
nous sommes avancés vers la perfection,
à mesure que nous avançons vers le
terme de notre course ! Et lorsque la
décadence de notre nature nous avertira de
notre fin prochaine, lorsque le voile de la mort
couvrira nos paupières défaillantes,
puisse une voix intérieure
répéter à chacun de
nous : Cela va bien, bon et fidèle
serviteur, tu as combattu le bon combat, tu
as gardé la foi, le Seigneur
vient, il va paraître, et te
transporter dans ces demeures célestes et
permanentes, dans cette cité du Dieu vivant,
où tous les prix de la vertu
t'attendent ! Amen !
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