LES JUGEMENTS
TÉMÉRAIRES.
Jean le Cointe
Pasteur de l'Église de
Genève et Bibliothécaire.
1815
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Sur ces paroles de
l'Évangile St. Matt. Chap. VII. v.1
Ne jugez point, afin que vous ne
soyez point jugés.
MES Frères ! Les préceptes de
morale nous sont donnés dans
l'Évangile en termes généraux, ont besoin pour être bien compris de
restrictions et d'explications ; Ne jugez
point, dit le Sauveur dans mon texte ;
voudrait-il arrêter le bras de
l'autorité civile levé sur le
coupable, dont le crime a troublé la paix et
le bonheur de la société ? Non
sans doute ! Le Magistrat ne
porte pas l'épée
sans cause, il est le serviteur de Dieu pour rendre
la justice, et exercer le
jugement !
Nous défend-il de juger les principes,
la conduite, les moeurs de ceux avec lesquels nous
sommes appelés à vivre ? Non
sans doute, notre vertu et notre réputation,
dépendent en grande partie de ceux avec
lesquels nous formons des liaisons, et pour les
conserver sans tache, Jésus nous ordonne
de fuir ceux dont la conduite est
déréglée, de n'avoir
aucune communication avec eux, de rechercher
les gens de bien du pays, afin qu'ils
habitent avec nous ?
Ainsi notre Seigneur ne nous défend point de
juger et de condamner ceux, qui sont
déjà jugés et condamnés
par une suite d'oeuvres mauvaises, par des
égarements bien prouvés ; ce
jugement, fondé sur la certitude et
l'évidence des preuves, est juste et
droit.
Que nous défend-il donc dans ce
précepte ?
Ces jugements faits sans
autorité, prononcés
témérairement sur nos
semblables ;
- ces jugements précipités, injustes
et faux, fondés sur des bruits publics, des
apparences, des préventions, ou sur une
action particulière de la vie ;
- ces jugements, défavorables à notre
prochain, que nous communiquons, que nous
répandons sans charité, qui, s'ils
n'attaquent pas directement sa probité, ses
vertus, détruisent souvent, en partie, la
réputation, la considération dont il
jouit ;
- ces jugements, en un mot, enfantés par des
passions vicieuses, des préjugés,
l'orgueil, la malice et l'envie ; tel est le
sens de ce précepte :
Ne jugez point ; recherchons les causes
de ces jugements, et faisons-en sentir l'injustice
et le crime : - Pressons ensuite le motif
particulier de mon texte, ne jugeons point,
afin que nous ne soyons point
jugés.
Dans un sujet si vaste, M. F., qui nous offre une
si grande abondance, une si grande
variété de détails,
nous ne choisirons que quelques traits
particuliers : Heureux si nos
réflexions nous empêchent de
tomber dans le crime des jugements
téméraires, et vous
préservent du malheur d'être
jugés vous-mêmes !
Amen !
CAUSES DES JUGEMENTS
TÉMÉRAIRES.
NOS jugements téméraires
ont trois causes principales :
1.° La précipitation de notre
esprit ;
2.° La malignité de notre
coeur ;
3.° Une action particulière de la
conduite de notre prochain.
Ces trois causes nous font commettre trois
crimes :
1.° Nos jugements précipités,
choquent la vérité.
2.° Nos jugements défavorables,
blessent la charité.
3.° Nos jugements portés d'après
une circonstance particulière, violent les
lois de la justice.
Développons ces trois idées.
I.° Une des causes principales de ces
jugements téméraires qui sont
si communs, c'est que nous n'aimons pas
demeurer en suspens, rester dans
l'incertitude sur le compte de notre prochain.
M. C. F., n'est-il pas arrivé souvent, qu'on
vous ait demandé quelle idée vous
vous formiez d'une personne, que vous avez
rencontrée quelquefois dans la
société, mais avec laquelle vous
n'avez pas eu une liaison assez longue et assez
intime, pour juger sainement de son
caractère ?
Vous avez refusé faiblement de
répondre à cette question
indiscrète, dictée par une vaine
curiosité ; on vous a pressé, on
désirait votre opinion ; et au lieu de
garder un sage silence, au lieu de demander du
temps, de renvoyer à un examen impartial et
approfondi ; au lieu de vous défier
d'une apparence extérieure presque toujours
trompeuse, vous vous êtes
permis de juger, de décider dès le
premier coup d'oeil ! Vous avez analysé
ses traits, sa démarche, ses regards, le son
de sa voix, ses manières ; vous avez
commencé par l'éloge de ce qui vous a
paru à son avantage, et d'après ces
observations si courtes, si
légères, si superficielles, vous avez
tracé un portrait, ou le hasard a
semé peut-être quelques traits de
ressemblance, mais dont l'ensemble est fort
différent de l'original ; et
voilà votre frère cité,
jugé, condamné !
On vous a dit que vous aviez aperçu quelques
nuances, saisi quelques rayons de la
vérité, et vous vous êtes
persuadés, que vous l'aviez saisie toute
entière ; vous êtes devenus
opiniâtres à combattre ce que l'on
vous contestait, et autant vous aviez montré
d'abord de défiance (méfiance) à parler, autant
vous avez ensuite, avec un ton
décidé, persisté dans
l'opinion énoncée ; des discours
de votre frère, vous avez
tiré des conséquences sur sa
manière de penser. - Il a parlé avec
feu, et sur le champ vous lui avez
prêté des passions ; - il s'est
exprimé avec froideur, et vous avez
appelé cette froideur, fierté,
orgueil ; - il a combattu modestement vos
idées, et parce qu'il n'a pas
été en tout de votre avis, vous
accusez son jugement, et lui refusez la justesse de
l'esprit ; - il vous a parlé avec
loyauté, avec franchise, et vous l'accusez
de dureté, de rudesse.
Cette jeune personne, douée par la nature
d'une figure intéressante, possède
ces grâces extérieures, cet
éclat qui frappe et attire les regards, elle
paraît et on la juge ; on ne
connaît point ses qualités aimables,
et on cherche dans cet extérieur quelque
sujet de critique ; sa parure, quelque modeste
qu'elle soit, est remarquée, on lui
prête des prétentions, un désir
vif de plaire, un amour-propre ridicule, et il ne
faudrait peut-être pour
dissiper ces préventions funestes et
odieuses, qu'étudier son caractère,
digne à tous égards, d'approbation et
d'estime !
N'est-il pas vrai, M. F., que souvent vous avez
jugé avec cette précipitation, que
souvent vous n'avez su résister à ce
plaisir, parce que vous croyiez ainsi montrer toute
la finesse, la sagacité de votre esprit, et
cette connaissance du coeur humain, que vous
prétendez avoir acquise par l'usage du
monde ? M. F., je vous le dis avec le Sauveur, Ne jugez
point, de tels jugements sont contraires
à la vérité !
La vérité exige du temps pour
être connue, elle demande un mûr
examen, on ne parvient à la
découvrir, qu'avec des soins et avec
lenteur. Les apparences trompent, les
préventions égarent, et comme il
s'agit ici d'un objet important, du
caractère de votre prochain, de
l'idée que vous vous en formez, de
celle peut-être que vous en
donnez à ceux avec lesquels il ne soutient
aucune relation, et qui ne pourront point se
désabuser ; comme votre jugement
précipité influera sur leur
manière de voir, s'ils sont appelés
à le connaître ; renfermez dans
votre coeur toutes vos pensées,
suspendez votre décision, ne communiquez
point vos sentiments.
La réputation est la vie morale de votre
frère, c'est par elle qu'il jouit de la
considération et du crédit.
Rappelez-vous que plus d'une fois vous avez
été dans l'erreur, que plus d'une
fois, cette malheureuse précipitation de
votre esprit, vous a fait prononcer des jugements
faux que vous avez redressés, que vous
êtes revenus de préventions injustes,
conçues à la légère,
que vous avez pris dans la suite une opinion bien
différente de votre première opinion,
que votre expérience vous instruise ! Et voudriez-vous que sur des apparences
aussi frivoles on jugeât
votre caractère ? N'accuseriez-vous pas
de témérité celui qui les
donnerait pour la vérité ? Ne
diriez-vous pas que c'est un travers d'esprit
inconcevable, une méchanceté noire,
d'oser ainsi sonder votre coeur, vos sentiments, de
décider sur une connaissance aussi vague,
aussi superficielle ? Comme vous condamneriez
celui qui vous condamnerait avec cette
précipitation ! Eh bien, cette
témérité qui vous
soulève, qui vous révolte, a
été la vôtre, vous en avez
fourni l'exemple et le modèle ; votre
témérité a blessé
autant votre prochain que la sienne vous blesse.
Ne jugez point !
II.° Une seconde cause de la
témérité de nos jugements,
c'est la malignité de notre coeur. Par
quelle fatalité arrive-t-il, presque
toujours, M. F., que nous sommes disposés
à concevoir de notre prochain une
idée plutôt défavorable
qu'avantageuse ?
C'est que, notre corruption, nous
la cherchons dans nos frères, que nous
espérons l'autoriser, la justifier par leur
exemple, que nous rougissons moins à nos
propres yeux lorsque nous croyons qu'ils nous
ressemblent ! Quelquefois aussi, lors
même que tout se réunit en leur faveur
pour nous convaincre de leur innocence, nous les
jugeons avec une rigueur excessive, une injustice
scandaleuse. La malignité de notre coeur
répand d'affreux nuages sur la conduite la
plus exempte de blâme et de reproche, sur
celle qui devrait être au-dessus du
soupçon. Anne devant le Tabernacle
invoque l'Éternel et lui demande un
fils ; Héli voit le mouvement de
ses lèvres, sans entendre ses paroles, et
malgré la sainteté du lieu,
malgré le caractère auguste dont il
est revêtu, il la juge, et prend l'ardeur de
son zèle pour l'agitation de
l'ivresse !
Combien de fois nous avons jugé notre
frère avec une
égale dureté !
Cette personne est assidue au culte public,
elle s'empresse à rendre à Dieu
de légitimes hommages, son air de
recueillement devrait nous faire juger
favorablement de sa piété, et on se
plaît à douter de la
sincérité de ses sentiments, on la
taxe d'hypocrisie !
Je me défie, dit-on souvent dans le monde ,
de ces gens qui affichent la dévotion, c'est
un voile imposteur dont ils couvrent leurs passions
déréglées, c'est un manteau
dont ils s'enveloppent pour cacher leurs penchants
vicieux ; ils se flattent d'en imposer, mais les
dehors de la piété ne sont pas la
piété même !
Coeurs pervers et corrompus ! rien n'arrête
votre barbarie, vous calomniez la vertu la plus
pure , elle devrait être l'objet de vos
hommages, et vous la faites servir à vos
dérisions , votre souffle impur essaie de la
ternir , de flétrir son éclat, et
Dieu la vengera de vos inculpations cruelles
!
Job a perdu ses enfants, l'ennemi a
enlevé ses troupeaux, il est couché
sur un lit de douleur et de misère, un
ulcère couvre son corps et le ronge ;
ses amis, au lieu de le rassurer par le
souvenir de sa conduite vertueuse et de sa
bienfaisance, suspectent son
intégrité, ils lui disent que des
péchés criants, commis en secret,
l'exposent à l'ardeur de la justice
Divine, ils ajoutent ainsi l'insulte
à l'affliction !
Hélas ! et lorsqu'un sort cruel,
lorsque quelque accident imprévu accable
l'un de nos frères, ne portons-nous pas
quelquefois sur lui un semblable jugement ?
Ne cherchons-nous pas dans le détail de
sa conduite, ne fouillons-nous pas dans son coeur
même, ce sanctuaire dont Dieu s'est
réservé la connaissance, pour y
trouver quelque tache ou quelque désordre
qui serve de base à sa condamnation ?
Nous voulons croire qu'il est l'artisan de son
malheur, qu'il souffre par sa
faute, que ses
péchés l'ont enveloppé comme
un filet, afin de justifier notre barbarie envers
lui ! Ah ! l'homme que Dieu
éprouve, l'affligé doit
être pour nous un objet sacré, ses
maux doivent nous inspirer le plus vif
intérêt, la plus tendre
compassion ; toujours il est un exemple de
l'instabilité des biens de la vie ;
peut-être un exemple nouveau d'une
piété que Dieu épure ; un
modèle qu'il nous offre de patience, de
résignation, de soumission à sa
volonté sainte !
Eh quoi ! la témérité de
notre jugement étouffera-t-elle chez nous
cette charité qui doit s'empresser
à soulager les maux de notre frère,
arrêtera-t-elle donc sa bénigne
influence et ses salutaires effets ? Vous que
de telles dispositions animent, qui jugez votre
prochain avec tant de
sévérité, osez-vous encore
vous dire Disciples de ce Jésus,
dont le commandement est la
charité ? Un des caractères
de cette charité
n'est-il pas de ne point soupçonner
le mal ? et vous, non seulement vous le
soupçonnez, vous envisagez tout sous une
face défavorable ; vous donnez aux
actions les plus innocentes,
l'interprétation la plus sinistre, mais vous
paraissez avide de la honte d'autrui !
Si du moins ce soupçon n'était qu'une
pensée concentrée en vous-mêmes
un secret inconnu aux autres, et renfermé
dans votre coeur, alors vous ne seriez pas
coupable ; mais c'est un jugement
prononcé, public, porté sans motif,
sans preuves ; quelquefois même, vous
donnez beaucoup à entendre par des
réticences, plus perfides que des
réflexions, et la malignité de ce
jugement, ne le rend-elle pas odieux et
criminel ?
La charité n'approuve le mal ni ne
l'autorise, elle donne un tour favorable à
toutes les actions qui peuvent être
interprétées en bien ; elle a
plus de penchant à excuser, qu à
juger ; elle est lente
à parler, et constante à
espérer, elle loue les qualités,
les vertus, elle couvre les péchés
et ne croie pas aisément le mal,
elle se fait une espèce de conscience,
de scrupule, d'écouter toutes les
idées qui se présentent, de leur
donner du poids et de l'autorité, la
vraisemblance est loin pour elle de la certitude,
elle attend que la vérité soit
pleinement éclaircie !
Ah ! qu'il vaut mieux, M. F.,
être trompé par une trop grande
facilité à bien juger, que de
l'être par une trop grande rigueur à
condamner ! Le premier de ces sentiments est
doux et calme, le second est orageux et
pénible ; Ne jugez point, parce
que vos jugements contraires en premier lieu
à la vérité, blessent en
second lieu la charité.
III.° Une troisième cause de nos
jugements téméraires et faux, c'est
que nous prononçons sur le caractère
de notre prochain, d'après une
action particulière, et
que nous en tirons une conclusion
générale.
Non, M. F. ! Il n'y a point d'homme qui ne
pèche, le plus juste a ses faiblesses et
ses imperfections, le plus juste est celui qui en a
le moins ! Hélas ! Lorsque l'homme
vertueux dément son auguste
caractère, ce n'est point un sentiment de
plaisir ou de joie, que nous devons
éprouver ; un sentiment de tristesse,
de douleur doit pénétrer notre
âme, et produire un retour sur
nous-mêmes !
Ah ! si l'or le plus pur en un plomb vil est
changé ; si l'étoile la plus
brillante a perdu son éclat ; que
deviendra celle dont la splendeur est
inférieure, sa lumière ne sera-t-elle
pas changée en
ténèbres ?
Eh bien le juste s'est rendu coupable, mais sa
faute commise sans dessein, sans intention, sans
volonté, n'a été qu'un court
moment d'oubli, il a résisté avant de
céder, il a combattu avant d'être
entraîné, il est pécheur, mais
il n'est pas corrompu ;
il est coupable, mais il n'est point
dépravé !
Et depuis quand une action isolée,
constitue-t-elle l'opinion, que nous devons nous
former de nos semblables ? Admettez ce
principe pour le bien qu'ils opèrent, et
comme vous n'en trouverez aucun qui n'ait fait dans
sa vie un acte de vertu, il n'en est aucun que vous
ne puissiez croire vertueux ! Et d'ailleurs
pour juger de ce seul fait avec justice, avec
équité, il faudrait connaître
et la force de la tentation, et la surprise du
moment, et les regrets qu'il a
éprouvés de sa faute ;
peut-être est-elle effacée par ses
larmes et sa repentance, et pendant que vous
le condamnez sur la terre, il est absous,
justifié dans le ciel ! Mais vous vous
plaisez à soupçonner que cette faute
est un péché d'habitude, qu'ayant
violé ce devoir, il enfreindra cet autre, et
que tous les jours de sa vie ressemblent à
ce jour malheureux !
Voilà donc l'homme de
bien, condamné sans information, sans
être entendu, voilà son
caractère noirci, ses moeurs
décriées, ses vertus effacées
par une tache légère, des
années de courage et de sagesse dont on ne
tient plus aucun compte, à cause d'un moment
d'erreur !
N'est-il pas contraire à la justice de ne
choisir, de ne trier, si je puis le dire, que ce
qui est à sa charge, et d'éloigner,
de rejeter tout ce qui peut l'excuser, le
justifier ?
C'est ainsi que les impies, ne considèrent
dans le roi prophète, qui fut longtemps
l'homme selon le coeur de Dieu, que les
crimes dont il se rendit coupable, ils semblent
ignorer toutes les vertus sublimes qui jusques
alors avaient constamment brillé dans sa
vie, et la sincérité de sa douleur,
la vivacité de sa repentance, qui
effacèrent sa transgression !
D'après ce barbare principe, comment
supporteriez-vous vous-même un si cruel
examen ?
Votre conduite pourrait-elle mériter encore
un regard d'approbation ? Non l'homme le plus
vertueux, le plus sage, le plus attaché
à ses devoirs, cet homme qui est l'objet de
l'amour de son Dieu, que la société
estime et respecte, si vous rassembliez ses fautes
légères, ses péchés
d'inadvertance et de surprise, ses petits travers,
et que vous les présentassiez sous ce jour
défavorable ; cet homme l'objet de
l'amour de son Dieu que la société
estime et respecte, ne serait plus qu'un objet de
mépris, et presque un monstre !
Quelle réputation ne serait pas en lambeaux,
si on se permettait de juger d'une manière
aussi injuste et scandaleuse ?
Quelle vertu ne serait pas consumée,
plutôt qu'épurée, en passant
par ce creuset ! Ne jugez point, car
vos jugements violent toujours quelqu'une des lois
les plus sacrées, les plus essentielles au
bonheur de la société, ils violent
les trois grands principes de
l'Évangile, la vérité, la
charité, la justice ! Je le
répète, Ne jugez point,
afin que vous ne soyez point jugés,
c'est le motif de mon texte, et le second point de
ce discours.
PUNITION DES JUGEMENTS
TÉMÉRAIRES.
Il n'est aucune de nos erreurs, M. F., qui ne
porte avec elle sa punition, et cela est vrai
surtout des jugements
téméraires ; si vous vous les
permettez, vous serez aussi jugés.
1.° Les hommes vous jugeront ;
2.° Dieu vous jugera.
I.° Les hommes vous jugeront :
N'est-ce pas, je vous prie, une maxime
admise dans le monde comme incontestable, que l'on
ne prête aux autres que les sentiments qu'on
a soi-même, qu'on ne les juge guère
que d'après ses propres opinions, ses
idées, ses pensées
secrètes ?
C'est par une conséquence
de ce principe que l'homme de
bien, sévère pour lui-même, est
indulgent à l'égard des autres ;
parce que son coeur ne se laisse point
prévenir en mal par une démarche dont
il n'aperçoit pas distinctement les motifs
et le but ; parce qu'il ne prête pas,
sans des raisons convaincantes, un mauvais
dessein, une intention vicieuse ; son coeur
pur ne soupçonne pas le mal, il voudrait en
douter encore, lors même qu'il est
avéré ; il sait que de faibles
nuages diminuent la clarté du jour, mais ne
le font point disparaître, que les ombres
passent, que la lumière demeure !
Ainsi l'indulgence à l'égard des
autres est une preuve de la réalité,
de la sincérité des vertus ;
tandis que plus on se montre sévère,
inflexible, plus on engage les autres à
juger mal de nous ! Et cela n'est-il pas
évident ?
D'où vient que vous jugez, que vous
condamnez sur des apparences ? n'est-ce pas
parce que vous avez
éprouvé les petits orages des petites
passions, parce que votre mémoire vous
rappelle une circonstance, une erreur de votre
vie, avec les sentiments qui vous ont alors
animé ; et vous prêtez à
votre frère et vos sentiments et votre
erreur, parce que la circonstance où il se
trouve paraît semblable à celle
où vous vous trouviez
vous-même !
N'est-ce pas parce que vous vous plaisez à
attribuer à votre frère un
égarement réel, et que votre honte
paraît en diminuer à vos yeux ?
Un coeur qui n'est pas pur exhale des vapeurs
infectes et nuisibles, il les répand sur les
actions d'autrui pour les ternir et les
dénaturer !
Oui, en condamnant les jugements
téméraires, en sentant tout leur
crime et toute leur injustice, nous ne pouvons, M.
F., (c'est un sentiment dont nous ne sommes pas les
maîtres, et qui s'élève
involontairement dans notre coeur)
nous ne pouvons que nous
défier de la vertu d'un homme qui, avec une
curiosité barbare, examine la conduite de
son frère, épluche tous les
détails de ses actions, en sonde les motifs,
et qui entasse des subtilités et des
arguments pour prouver que ces motifs sont
criminels, ou du moins peu louables.
Nous ne pouvons que nous défier de la
probité de cet homme qui sans cesse
élève des soupçons sur celle
d'autrui, et qui croit que l'on n'attend que
l'occasion de lui nuire.
Nous ne pouvons que former des jugements
désavantageux contre une femme qui au lieu
de défendre la réputation des
personnes de son sexe, les couvre de blâme,
les déchire, fait ressortir leur
imprudence, ou s'en entretient avec plaisir.
Croyez-vous qu'après avoir si
témérairement jugé et
censuré les autres, vous éviterez
leurs jugements et leurs censures ?
Croyez-vous qu'on vous ménage,
vous qui ne ménagez
personne ? Croyez-vous qu'après avoir
condamné vos frères avec tant de
sévérité, vous ne serez pas
condamné de même ? Que votre
conduite fournisse quelque preuve ou quelque
apparence contre vous, et on se servira de la
même mesure dont vous vous êtes servi,
on dira que vous ne méritez ni
égard ni charité, puisque vous n'avez
accordé ni l'un ni l'autre ; vous serez
jugé d'après vos propres principes,
et votre fausse, votre caustique vertu sera
estimée comme elle doit
l'être !
Voilà les beaux fruits que vous retirerez de
cette subtile pénétration, de cette
connaissance du coeur humain dont vous vous
glorifiez, vous aurez donné la plus mauvaise
opinion de votre caractère et de votre
coeur ; vous aurez levé, sans y penser,
le voile qui couvrait sa honte et ses
faiblesses ; ils retomberont sur vous, pour
vous briser, tous ces jugements
précipités et cruels que vous
avez portés contre votre
prochain ; on vous accusera d'avoir
jugé de ses sentiments par l'abjection des
vôtres, et si l'on ne vous témoigne
pas le mépris que vous inspirez, ce
mépris n'est pas moins réel. Ne
jugez donc point vos frères afin qu'ils ne
vous jugent point !
II.° Mais si vous évitez les
jugements des hommes, vous n'échapperez
point à celui de Dieu ; Dieu vous
jugera.
Condamner ainsi vos frères, c'est usurper
son autorité, seul il est notre
Créateur, notre Maître, notre
Législateur ; seul il doit être
notre Juge ; seul il a le droit de nous
demander compte de nos actions, de nos
pensées les plus secrètes ; seul
il connaît nos coeurs et a le droit de les
sonder.
En jugeant vos frères, vous essayez de lui
ravir son autorité, vous vous asseyez sur
son trône, et croyez-vous qu'il laisse cette
usurpation, cet outrage impuni ? Vous vous
rendez coupables de
désobéissance ; y a-t-il un
précepte de sa loi plus clair, plus positif
que celui qui vous interdit ces jugements
téméraires ?
Y a-t-il un précepte sur lequel on puisse
involontairement se faire moins
d'illusions ?
J. Christ ne cesse de répéter :
Ne jugez point afin que vous ne soyez point
jugés, car selon que vous jugerez on vous
jugera. Ne jugez point selon les apparences,
mais jugez d'un droit jugement.
Les Apôtres après lui donnent la
même leçon, et comme les Corinthiens
avaient péché à cet
égard, St. Paul leur dit avec
énergie : Qui es tu, toi qui juges
ton frère, et pourquoi le
condamnes-tu ?
Je vous le demande aussi,
Chrétiens ! Qui êtes-vous,
vous qui jugez vos frères ? En
avez-vous le droit ? Cela ne vous est-il pas
défendu ? Dieu vous a-t-il
révélé le secret des
coeurs ? Ou plutôt ne vous rendez-vous
pas ainsi coupables à ses yeux ?
Oui, coupables de
désobéissance, de
précipitation, de manque
de charité, d'injustice ?
Lorsque vous paraîtrez devant son Tribunal,
que l'intérieur de votre âme sera
dévoilé, comment pourrez-vous
subsister en jugement ?
Dans ce moment où vous êtes plus
particulièrement sous ses yeux,
rappelez-vous, si vous le pouvez, combien vos
jugements téméraires ont
été multipliés, avec quelle
malignité la plupart ont été
faits, et voyez à ce seul égard
combien vous êtes coupables !
Combien de fois vous avez violé les
premières lois du christianisme ;
manqué à la vérité,
à la charité, à la
justice !
Combien vous avez fait éprouver de
sentiments douloureux et pénibles à
ceux dont vous avez terni la
réputation !
À cette idée, à ce souvenir,
l'effroi doit s'emparer de votre coeur, le
nombre de vos péchés surpasse celui
des cheveux de votre tête. Comme
vous devez redouter ce jugement dans lequel le Juge
suprême se servira de la même mesure
dont vous avez usé envers
les autres, et où un jugement sans
miséricorde sera exercé contre ceux
qui n'auront point usé de
miséricorde !
Grand Dieu ! Qui pourra subsister
devant toi ! Quel est l'homme qui puisse
espérer d'être justifié devant
ta face !
Ah Seigneur ! inspire-nous cette
charité, ce support, cette indulgence, qui
nous sont si nécessaires pour devenir les
objets de ta clémence et de ton amour !
Cette charité qui est patiente,
pleine de douceur et. de modération,
qui produit les fruits heureux de la concorde et
de la paix, qui changera notre
société sur la terre en un paradis
anticipé !
Et vous, M. F., prévenez ce
jugement de Dieu en vous jugeant
vous-mêmes ; votre coeur, je ne
saurais trop le répéter, votre coeur,
voilà l'étude à laquelle vous
devez donner tous vos soins, voilà la
connaissance la plus importante, la plus
essentielle ; - en le purifiant, vous tarirez
une des sources les plus fécondes de
vos jugements
téméraires ; - en le formant
à la vertu, à la charité, vous
étoufferez cette malignité qui
répand ses tristes nuages sur la conduite de
vos frères, et aimés de vos
semblables, aimés de votre Dieu, vous
goûterez sa paix, et si votre coeur ne vous
condamne point, vous pourrez paraître avec
assurance devant sa face.
Amen !
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