DANGERS DE LA
PRÉDILECTION DES PÈRES ET DES"
MÈRES
POUR L'UN DE LEURS ENFANTS.
Jean le Cointe
Pasteur de l'Église de
Genève et Bibliothécaire.
1815
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Sur ces paroles de la
Genèse, Chap. XXV. v.
28.
Isaac aimait Esaü,
mais Rébecca aimait Jacob.
C'est une partie de l'éducation aussi
difficile qu'elle est importante, de tenir entre
tous ses enfants un juste équilibre, de leur
témoigner à tous une égale
tendresse ; cependant, M. F., qu'il est rare
que ce principe si universellement reconnu soit
réduit en
pratique !
Que de parents imitant le mauvais exemple
d'Isaac, de Rébecca et de
Jacob, témoignent hautement quelque
préférence à l'un de leurs
enfants, et qui, par ce caprice d'amour, font le
malheur de toute leur famille ! C'est contre
cette erreur, et du jugement et du coeur, que je
viens m'élever aujourd'hui.
Oui, M. F., cette préférence
marquée, qui outrage la nature, la religion
et Dieu lui-même, est souvent,
1.° Injuste et basse dans son
principe.
2.° Fatale à la paix domestique.
3.° Funeste à l'objet aimé.
4.° Préjudiciable à l'objet
méprisé.
Oh si je pouvais dessiller les yeux des
pères et des mères prévenus
par une aveugle préférence, s'ils
offraient à l'avenir à tous leurs
enfants l'indulgence d'un ami, et une vive
tendresse, combien serait salutaire le fruit de ce
discours ! Ainsi
soit-il !
I. re RÉFLEXION.
Je dis d'abord que cette
préférence marquée, pour un
enfant à l'exclusion des autres, est souvent
injuste et basse dans son principe.
Si la cause de cet amour était juste et
raisonnable ; si les talents, les
qualités de l'esprit et du coeur, un bon
naturel, un caractère doux et honnête,
une obéissance prompte et gaie, une
délicate sensibilité, une application
soutenue à remplir ses devoirs en
étaient la base ; je l'avoue, M. F.,
cet attachement plus vif aurait un prétexte
plausible, il serait légitime, mais il
faudrait ne le point manifester, le cacher avec
soin.
Hélas ! il est rare que cette
préférence soit fondée sur la
vertu des enfants, le coeur dans sa bizarrerie se
détermine par d'autres motifs. Le plus
souvent, elle ne repose que sur des qualités
accidentelles, qui ne devraient
avoir aucune influence ; l'extérieur,
l'apparence, voilà ce qui plaît, ce
qui attire, ce qui fixe les sentiments !
Ici une jeune personne, comme un lys
éclatant qui s'élève au-dessus
des plantes dont elle est environnée, brille
avec plus de splendeur que le reste de sa famille,
et pour elle seule, des parents semblent avoir des
yeux et un coeur.
Là c'est un jeune homme qui emporte toute la
tendresse et les soins de sa famille, et dont tout
le mérite peut-être, consiste à
être seul de son sexe.
Ailleurs, c'est un enfant, qui doué de plus
de tact et de finesse, a découvert le
côté faible de ses parents, et
prend sur eux un ascendant invincible.
Ailleurs, cet enfant est
préféré, ou parce qu'il
a fait éprouver le premier les douceurs de
la paternité, ou parce qu'il est le dernier
rejeton de la famille.
Ailleurs, en vérité, M. F., je n'ose
rapporter ici les raisons par lesquelles on
prétend justifier cette
injuste et scandaleuse partialité, je crains
presque de m'écarter de la gravité
d'un discours chrétien, en
répétant les termes même de
l'écrivain sacré, Isaac
préférait Esaü, dit
Moïse, parce que la venaison (la chasse) était
sa nourriture.
Quel sujet de se glorifier de la tendresse et
de la préférence d'un
père.
Quel mérite à priser que d'être
habile à suivre les bêtes des
forêts, et à les percer au milieu de
leur course rapide ! Un fils peut-il
s'enorgueillir d'un tel sentiment ?
Peut-être pères et mères,
attribuez-vous à la caducité (vieillesse), à un
cerveau qui se dérange, cette incroyable
bizarrerie ; vous vous croyez mieux
fondés, plus raisonnables ; et en le
considérant de plus près, quelle
différence y a-t-il donc entre
vous ?
Mais je vous prie, si vous n'aimez votre fils que
parce que ses manières dans le monde sont
douces et aisées, parce qu'il se
présente avec grâce, s'exprime avec
goût, avec élégance,
parce qu'après avoir perdu
un temps précieux, pour la culture de
l'esprit et du coeur, un maître habile est
parvenu à faire éclater sa voix en
sons harmonieux, ou à mettre dans ses
mouvements une cadence et une mesure exacte, quelle
est donc, je vous prie, sa
supériorité sur
Esaü ?
Isaac retirait du moins de l'adresse de son
fils une utilité réelle, la
venaison (la
chasse) était une nourriture
qui soutenait sa tremblante vieillesse ;
Mais vous, quel fruit vous revient-il de tous ces
talents inutiles, achetés à si grands
frais ?
Oui, je le dis en gémissant, l'enfant qui
possède ces grâces extérieures,
sera peut-être l'idole, que vous vous plairez
à encenser ; tandis que cet autre
enfant à qui la nature a accordé des
dons plus utiles, ne recevra de vous qu'une faible
approbation ; tandis qu'à vos yeux ses
vertus seront peut-être des défauts,
que vous appellerez sa modestie, sotte
timidité ; sa réserve, manque
d'idées ; le sens
qui règne dans ses discours, une pesanteur,
ou une simplicité qui ont besoin de
support !
Mais les défauts de l'objet
préféré, seront à vos
yeux des vertus, sa pétulance une
agréable vivacité ; son babil ou
ses puérilités, une richesse
d'idées, des traits d'esprit, des
saillies ; son opiniâtreté,
son orgueil, une noble fermeté de
caractère ; vous aurez sur les yeux
deux verres différents, et tous les deux
magiques, l'un qui pare l'objet, l'autre qui
l'enlaidit.
Pères et Mères, examinez-vous
sérieusement, demandez-vous quelle est la
raison, quels sont les motifs de votre
préférence ? S'il n'y en a pas
d'autres que votre amour-propre flatté,
votre vanité satisfaite ; ne donnez
point le nom de tendresse à cet amour, dont
la source est impure, appelez le caprice,
fantaisie ; c'est le seul nom dont il soit
digne, puisque le mérite réel n'en
est pas la base, qu'il est fondé sur un
je ne sais quoi
indéfinissable ; ce qui ne prouve
que trop ce que j'avance, c'est que plus
d'une fois on a vu ce fragile sentiment
s'évanouir, s'anéantir avec la cause
qui l'avait produit, on a vu ces enfants
malheureux dont la beauté était
passée, et la grâce fanée,
devenir, je ne puis le dire sans horreur ! des
objets d'aversion et de haine !
O parents indignes de la bénédiction
que le ciel vous accorde, il aurait dû vous
la refuser ! Que dis-je des parents ?
Ah ! vous n'avez jamais connu les sentiments
qu'inspire ce doux nom, et vous ne le
méritez pas. Quoi ! le cri de la nature
ne retentit pas au fond de votre coeur ! cet
instinct qui parle aux animaux les plus sauvages,
vous n'éprouvez pas sa puissance !
comment est-il possible, que ces innocentes
créatures dont votre Père
Céleste vous a confié le bonheur,
vous les repoussiez de votre sein, vous leur
fermiez vos entrailles ! N'est-ce
pas une injustice à leur
égard, un crime envers l'Être
Suprême, qui veut que tous vos enfants vous
soient également chers ?
II. e RÉFLEXION.
Je le sais, et je l'ai dit, M. F., il est
possible que les qualités, les vertus, le
caractère aimable d'un enfant, nous
inspirent pour lui quelque prédilection,
mais il faut alors en conserver le secret dans son
coeur et le garder inviolablement, parce que le
bonheur domestique, la première des
félicités sur la terre, après
celle d'une conscience paisible, ne peut subsister
sans cette égalité de tendresse, et
que cette préférence peut devenir
entre des époux une source de division
toujours renaissante.
Il est possible, sans doute, que le père et
la mère fassent tomber leur
prédilection sur le même objet, et de
là pour l'un et pour l'autre un
redoublement d'enthousiasme et
d'aveuglement ; ils se plaisent alors à
l'exalter à l'envi, à
renchérir sur les éloges qu'ils lui
prodiguent, ce qui échappe à l'un est
observé par l'autre, recueilli avec
avidité, et le bandeau qui couvre les yeux
s'épaissit davantage ; on cherche, on
épluche toute la conduite des autres
enfants, pour y trouver des motifs
d'éloignement.
Mais, si comme dans mon texte, l'objet de la
prédilection n'est pas le même, si
Isaac préfère Esaü,
tandis que Rébecca chérit
Jacob, que de conséquences funestes
peuvent en résulter !
La froideur entre les époux, chacun prend le
parti de l'objet de son affection, et la tendresse
s'éteint ! Trop souvent,
hélas ! les enfants violent les ordres
qu'on leur donne, désobéissent, ou
manquent à leur devoir. Celui qui est
prévenu d'un amour aveugle pour l'enfant
coupable, voudra, devant lui peut-être,
l'excuser, le justifier, et trouvera trop
amère la punition que l'autre lui infligera.
Devant ce Juge séduit, le plus léger
châtiment sera trouvé trop rigoureux,
il recueillera les larmes de l'enfant, qui se
précipitera dans ses bras amis, pour y
chercher un asile ; les consolations offertes
pour le calmer, l'aigriront contre celui qui l'aura
puni avec justice.
Une Rébecca s'élèvera contre
la rigueur d'Isaac, l'enfant concevra contre lui
une aversion marquée, et la mère qui
flatte ses caprices, aura tous les voeux de son
coeur !
De là l'humeur entre les parents ; des
reproches, tantôt sur leur
sévérité, tantôt sur
leur excessive douceur, tantôt sur leur
aveuglement et leur partialité mutuelle,
reproches qui affaibliront la tendresse conjugale,
et sèmeront la défiance et les
soupçons !
De là les ruses, les intrigues domestiques,
une Rébecca mettra tout en oeuvre pour
accumuler sur Jacob
bénédictions,
honneurs, richesses ; les détours, les
obliquités ne seront que des ruses
innocentes pour parvenir à son but,
peut-être comme dans l'histoire qui suit mon
texte, on prendra le nom de Dieu faussement
pour cacher la supercherie, on abusera de la
faiblesse d'un père, ou l'on profitera de
l'absence d'Esaü qui ne pourra réclamer
ses droits !
De là entre les enfants, les passions les
plus violentes, les attentats les plus inouïs,
jalousie, animosité, haine, désir de
vengeance, projets homicides ! Oh ! qu'il
est affreux de voir désunis par la faute des
parents, pour de petits, pour de vils
intérêts, ceux que l'amitié,
les noeuds du sentiment, auraient dû lier de
leurs puissantes chaînes ! Qu'il est
affreux de les voir quelquefois s'élancer
comme des bêtes féroces, les uns
contre les autres ! Qu'il est affreux que des
parents sèment ainsi la haine, et la
laissent pour héritage à leur
famille, que des frères
soient ennemis !
Que de craintes, que d'angoisses, à cause du
ressentiment d'Esaü, se serait
épargnée Rébecca sur le sort
de Jacob, si elle avait patiemment attendu que la
Providence qui avait présagé sa
grandeur future, eût accompli cette
prédiction, par les voies de sa
sagesse !
O Jacob, tu n'aurais jamais eu à pleurer le
vertueux Joseph, si tu n'avais pas allumé la
jalousie de ses frères, en le distinguant
par ta tendresse, par de futiles ornements,
refusés à tes autres
fils !
Pères et Mères ! ne
frémissez-vous pas à ces exemples des
maux que cause cette aveugle
prédilection ; ce n'est là qu'un
commencement de malheurs, je dis que cette
préférence est funeste à
l'objet aimé ; c'est ma
troisième réflexion.
III. e RÉFLEXION.
Oui, M. F., elle deviendra fatale cette
préférence à l'objet de
votre amour ; dès le
moment qu'il connaîtra le faible de ses
parents, il faudra que tout plie, que tout
cède à sa volonté ; ses
caprices seront des lois ; lui accorder toutes
ses demandes, c'est lui rendre le plus mauvais
service ; que feriez-vous de pis si vous
étiez ses ennemis ?
Ce n'est pas un homme que vous élevez, c'est
un tyran que vous formez, oui un tyran, qui
dans la petite sphère où il
exercera son empire, montrera le germe de
tous les vices, présomption, hauteur,
opiniâtreté, humeur, voilà ce
que votre funeste condescendance lui
prépare !
Vous devriez l'instruire dès
l'entrée de sa vie, et c'est le temps
que vous choisissez pour le corrompre ;
toujours flatté, toujours encensé, il
aura une haute idée de son
mérite ; ce qui lui sera refusé
excitera ses murmures ; ce qui croisera ses
désirs, sera un sujet de chagrin.
A-t-il des frères ou des soeurs ? tous
seront obligés de céder, il leur
commandera, il les gourmandera
(dominera,
maîtrisera) s'ils ne se prêtent
pas à ses caprices, souvent aussi
injustes que bizarres ; il se jettera en
pleurant dans vos bras, il les accusera ; et
sans information, les innocents seront
peut-être punis, parce que les larmes et les
cris de cet enfant idolâtré, font leur
procès et les condamnent !
Vous-même, comment obtiendrez-vous de cet
enfant, l'exécution de vos ordres ? Il
n'aura point l'habitude d'obéir, et
le charme qui vous aveugle, ne peut être
dissipé, que par quelque occasion
singulière, quelque faute grave, à
laquelle votre étrange prévention ne
saura point trouver d'excuse. Ainsi vous aurez
été les artisans de vos infortunes et
des siennes ; sans doute la bonté, la
complaisance sont les premières vertus que
doivent posséder ceux qui dirigent une
éducation, mais portées
au-delà de leurs justes bornes, elles sont
une faiblesse, et creusent un abîme de
maux, il faut dans
l'éducation réunir à la
bonté, la fermeté ; à la
complaisance, l'art de refuser ;
à l'indulgence, la
sévérité ; si vous ne
connaissez pas cet heureux mélange, ce sage
tempérament de vertus opposées, qui
se balancent les unes par les autres, vous pourrez
l'entendre quelquefois, cet objet de votre
affection, se vanter, et vous blâmer de cet
ascendant qu'il a usurpé sur vous, et vous
rougiriez de honte si vous pouviez savoir ce que
pensent et disent ceux qui l'ont entendu !
Que de contradictions pénibles vous lui
préparez, lorsqu'il paraîtra dans le
monde ! que de mortifications à
souffrir ! Il y portera les mêmes
passions que dans sa famille, et croyez-vous qu'il
y trouve la même prévention ?
Bien loin de là, une prévention
défavorable le précède, on
jugera, on examinera avec
sévérité, chacune de ses
actions et de ses paroles, on se moquera
peut-être de ce que vous
appelez des vertus, ses prétentions seront
des ridicules, sa hauteur excitera l'aversion, son
amour-propre sera humilié, ses
volontés ne seront point
exécutées, il aura mille chagrins,
mille amertumes secrètes à
dévorer ; et s'il se permet des
vivacités, des menaces, on
l'éloignera, parce qu'il se rend
insupportable. Les coeurs sensibles le plaindront,
auront pitié de ses travers ; c'est sur
vous qu'en sera jeté le blâme, sur
vous, Pères et Mères ! qui
auriez pu le rendre l'ornement de la
société, et n'en avez fait que le
rebut et l'ennui ! Le plus infortuné
des enfants, je le répète, est celui
qui n'a point appris à souffrir la
contradiction !
Ne nous dites point que le temps, et la raison
parvenue à sa maturité, pourront le
corriger ; quand cela pourrait être,
pourquoi édifier ce qu'il faudra
détruire ? Pourquoi lui donner de
mauvais principes, de mauvaises
habitudes qu'il faudra
changer ?
Pourquoi faire le mal avec certitude, dans l'espoir
vague d'un bien douteux dans l'avenir ?
Pourquoi attendre que sa raison découvre par
des efforts, ce que vous pouvez lui inculquer
facilement dès l'âge le plus
tendre ?
Pourquoi attendre que la triste expérience
du malheur lui donne des leçons utiles, que
vous pouvez lui donner ?
Est-il bien sûr que ce changement
s'opérera ! Les habitudes de la
jeunesse ne sont-elles pas celles de toute la
vie ? Si on parvient jusques à un
certain point à s'en corriger, le naturel
peut-il être si bien dompté, qu'il ne
reprenne quelquefois son empire ?
Ne nous dites point que vous ne pouvez rien refuser
à ses larmes, que ses cris vous poignardent
le coeur ! Préférez-vous donc la
satisfaction momentanée de votre enfant,
à une satisfaction constante et
durable ?
Eh ! laissez-le une fois verser des larmes, et
pousser des cris sans lui
accorder sa demande, et quand il verra que vous
avez supporté sans céder, toutes ses
sollicitations importunes, il sera plus avare de
ses cris et de ses pleurs ; peut-être
essaiera-t-il encore de remuer votre
sensibilité par les mêmes moyens, mais
l'inutilité de ses gémissements le
corrigera, le rendra plus docile ;
ainsi vous arracherez de sa route bien des
épines déchirantes, car cette
tendresse aveugle pour un enfant est souvent fatale
à l'objet de votre préférence,
c'était ma troisième
réflexion.
IV. e RÉFLEXION.
Enfin cette préférence est le plus
souvent préjudiciable à l'objet de
votre indifférence et de vos
mépris ; je dis le plus souvent, car il
arrive quelquefois, que ceux que l'on a injustement
écartés de son affection,
élevés durement et à
l'école de l'adversité, sont plus
propres à vaincre les
obstacles, à réussir soit
auprès des autres, soit dans le monde ;
que dans cet abandon où on les a
laissés, ils ont acquis une certaine
sagacité, une expérience salutaire
à se créer des ressources, à
se faire des amis, et l'on a vu plus d'un exemple
de ces enfants qui s'étant
élevés eux-mêmes, sont devenus
utiles à leurs pères et mères,
et ont été bien plus respectueux que
ceux qui toujours prévenus, ne
préviennent jamais ; mais malgré
ces exemples en petit nombre, ne peut-on pas dire
que vous faites tout ce qui dépend de vous
pour placer et développer dans le coeur de
cet enfant rebuté le germe de tous les
vices ?
Les enfants sont plus fins, plus observateurs qu'on
ne l'imagine, ils découvriront bientôt
votre prédilection pour l'un d'eux, votre
indifférence pour l'autre. En dépit
de vous-mêmes, se manifesteront les
sentiments de votre coeur, tout les trahira !
L'un ne trouvera point chez vous,
cette tendresse de regard, cette expression de
sentiment qui suit partout l'objet de votre
partialité ; vos ordres n'auront point
ce ton doux, insinuant, honnête, avec
lequel vous commandez, ou plutôt, vous
priez l'autre de les exécuter.
Ont-ils eu tous les deux le malheur de vous
désobéir ? La
sévérité du châtiment
tombera sur lui, et son frère sera
pardonné, ou légèrement
puni.
Peut-être le verra-t-il décoré
d'une robe bigarrée, et s'entendra-t-il
répéter qu'on fait pour lui plus
qu'il ne mérite !
Sont-ils attaqués par la maladie ? Vous
prodiguerez à l'un vos soins, vos
attentions, vos secours ; vos craintes sur son
sort vous arracheront des larmes, et l'autre vous
verra froid à son égard, n'aura que
les soins d'une froide pitié, en un mot, la
différence dans le degré d'affection,
en produira une frappante dans votre conduite
envers lui, vous révolterez tous ceux qui en
seront les témoins.
Et quels seront les sentiments de cet enfant
méprisé ? Il ne paraîtra
devant vous qu'avec timidité, avec
réserve ; sur son visage se peindront
l'embarras et les craintes de son coeur. Veut-il
demander une grâce ? la parole expire
sur ses lèvres, il sait d'avance qu'elle lui
sera refusée, il s'y attend du moins !
rarement honoré d'un sourire d'approbation,
lors même qu'il a déployé toute
son application et son zèle, le
découragement peut subjuguer son coeur,
arrêter ses progrès, car le
désir de la louange, est le mobile de tous
les hommes, surtout des enfants. Si vous
étouffez chez eux ce sentiment naturel, qui
est souvent la source des vertus les plus
éclatantes, quel ressort lui
substituerez-vous ?
La crainte, dites-vous, la crainte ! Qu'elle
soit le mobile des esclaves, non le partage d'un
enfant ! l'amour doit être l'aiguillon
qui l'anime au travail, l'émulation, les
éloges doivent le porter
à faire le bien avec activité, avec
plaisir.
Et quel feu de jalousie, de haine peut-être
vous allumez dans son coeur contre ses
frères ! La jalousie est la passion de
l'enfance, plus que les autres passions ; la
plus légère inégalité
dans les bienfaits excite des murmures, et s'il n'y
a aucun motif dans cette inégalité,
vous serez vous-même taxé
d'injustice ! Dans un caractère
violent, emporté, et après des
preuves multipliées d'indifférence,
il s'élèvera contre vous dans son
coeur des sentiments que l'horreur m'empêche
d'exprimer ; pour se soustraire à ce
qu'il appellera tyrannie, il fuira la maison
paternelle, cherchera loin de vous les douceurs que
vous lui refusez, vous reconnaîtrez vos
injustices. Hélas ! sera-t-il temps
encore de les réparer ? Si son
caractère est doux, honnête,
prévenant, sensible ; si votre
prévention contre lui n'est qu'un
caprice ; quels sentiments de tristesse et
d'amertume le dévoreront
en secret ! Quelles peines en effet plus
cruelles, plus déchirantes peut
éprouver le coeur d'un enfant, s'il voit que
son obéissance, son amour, ses soins, tout
ce qu'il fait et peut faire pour ses parents, n'est
compté pour rien, qu'il cherche en vain
à leur plaire, qu'il ne peut y
réussir, que rien ne peut surmonter leur
froideur, et le dégoût qu'il leur
inspire !
Non ! Je ne suis plus étonné que
la mélancolie, quelquefois le
désespoir aient pénétré
leurs âmes, que le combat violent qu'ils
soutenaient intérieurement, que le
chagrin qui les rongeait, aient été
la cause de maladies terribles, qui, plus d'une
fois les ont précipités dans la
tombe.
Je ne suis point étonné que plus
d'une fois de tels infortunés aient
répété, que le jour qui les
délivrerait de la vie, ils le
bénissaient d'avance, et désiraient
le voir bientôt arriver,
Tels sont, Pères et Mères, les
malheurs affreux dont votre
partialité peut être la cause.
Quel repos, quel bonheur pourriez-vous
goûter, quels reproches ne vous feriez-vous
pas pendant le reste de votre vie ? Votre
conscience vous laisserait-elle un moment de
tranquillité ? L'image effrayante de
cet enfant devenu votre victime, victime innocente,
ne serait-elle pas un poison lent, un vautour cruel
acharné sur votre coeur ?
Vous seul ignorerez peut-être qu'il
périt par vos coups, car son respect,
son amour commanderont le silence, il voudra
vous éviter ces tourments ; mais une
fois en vous rappelant les circonstances diverses
de votre conduite envers lui, après la perte
peut-être de votre enfant chéri, vous
vous ferez des reproches sanglants et superflus,
vous aurez creusé la tombe de l'un par un
excès de tendresse, celle de l'autre par un
excès de dureté !
Ou si la mort n'a point mis un
terme à ses chagrins, s'il
vit sans moeurs, sans principes, sans honneur, si
la négligence de son éducation lui a
ouvert la voie spacieuse du désordre, qu'il
scandalise par ses excès sa patrie et
déshonore sa famille, ah ! ses fautes
seront les vôtres, elles vous seront
imputées, et au jugement des hommes et au
jugement de Dieu.
Oui, la plus cruelle des douleurs pour un
père, c'est d'être condamné
à pleurer sur la vie de son enfant, qu'il a
rendue par sa négligence malheureuse et
criminelle !
Ah ! s'ils osaient, Pères et
Mères ! ces infortunés objets de
votre indifférence, vous faire entendre le
cri de leur coeur ; s'ils osaient, ils
vous diraient avec angoisse, avec un profond
saisissement !
« O vous de qui je tiens la vie, à
qui le Ciel a remis le soin de ma
félicité, vous de qui j'avais droit
d'attendre des sentiments d'indulgence et
d'amour, par quelle fatalité suis-je
l'objet de votre
indifférence, de vos mépris ?
Quel est donc à vos yeux mon crime ?
Vous aimer, vous chérir, ah je cède
à ce doux sentiment ; obtenir de vous
un tendre retour, voilà mon ambition,
et malheureux que je suis, tout est
inutile !
Ah ! la Nature dans votre coeur ne
parle-t-elle pas comme dans le mien ? Ne
fait-elle pas sentir à un père pour
son enfant ce qu'elle lui fait éprouver pour
son père ?
Hélas ! si vos entrailles me sont
fermées, où trouverai-je de
l'attachement, de l'amour ? Je suis donc un
être isolé, qui ne tient à rien
sur la terre, le rebut de la Nature !
Oui ! rendez-moi votre tendresse, ou reprenez
vos funestes dons, arrachez-moi cette vie, elle est
un fardeau qui m'accable ?
délivrez-vous de moi, délivrez-moi de
moi-même !
Mais non ! il est facile à un
père d'aimer son enfant, ah ! vous
céderez à mes instances, ma
voix touchera,
pénétrera votre coeur, et dans le
mien navré de votre indifférence, un
sourire, une marque d'affection ramènera le
bonheur et la joie ».
Pères et Mères, si ce langage de
douleur, si ces cris de l'angoisse vous trouvent
inflexibles, c'est à tes foudres, ô
mon Dieu ! à éclairer leur
aveuglement, à fondre leur
dureté !
Vous, enfants malheureux, objets de
l'indifférence ou du mépris, recevez
quelques avis, quelques consolations ; sans
doute vous êtes dignes de tout
l'intérêt des âmes
sensibles ; que votre conduite soit prudente
et réfléchie ; ne vous laissez
point abattre par les terreurs d'une imagination
rembrunie, ou les alarmes d'un coeur froissé
et brisé ; que l'espérance,
toujours vivante dans votre coeur, ranime son
courage ; tôt ou tard, en votre faveur,
la nature parlera ; il ne peut être sans
remède, cet éblouissement qui vous
cache aux yeux de vos
parents ; pour le dissiper, forcez-les par vos
vertus à rougir de leurs torts à
votre égard, à vous rendre leur
estime ; qu'une obéissance,
accompagnée de manières douces,
aisées, flatteuses, que des
prévenances délicates et soutenues
prouvent que vous possédez le coeur d'un
enfant sage et soumis, que votre douceur,
votre modestie, votre application, vos
succès, l'estime de vos amis et de vos
maîtres, l'éloge
répété de votre
caractère, forment une espèce de cri
général et unanime qui attaque leur
indifférence, et triomphe de leur
froideur ; que toutes les attentions, les
égards d'un amour tendre et sincère,
soient les leviers puissants, par lesquels vous
ébranliez leur amour et leur
tendresse ; par votre constance, vous
saisirez la victoire ! Ah ! si tous vos
efforts étaient mutilés, vous auriez
cette idée consolante d'avoir rempli vos
devoirs, et de mériter les
bénédictions célestes !
Oui ! vous avez dans les
cieux un père, devant qui il n'y a
point d'acception de personnes, celui qui le
craint et qui s'attache à la justice lui est
agréable, vos efforts par lui sont
comptés, il voit vos sentiments,
récompensera vos vertus, la couronne est
déjà
préparée !
Et vous jeunes gens, en faveur desquels
l'amour paternel parle avec force, avec
partialité, n'abusez jamais de ce penchant,
au préjudice de ceux que la tendresse, comme
la naissance, devait rendre vos
égaux. Quelle belle occasion vous est
offerte de peindre la bonté de votre coeur,
la noblesse de votre caractère ! faites
rejaillir sur ceux que la nature vous a unis par
les liens les plus intimes, les effets,
l'excédant de cet amour qui vous est
accordé, et qui leur était
dû ; élevez et faites briller aux
yeux de vos parents, et à leur plus grand
avantage, les qualités de vos malheureux
frères ; excusez leurs fautes,
adoucissez par des complaisances
la rigueur de leur sort, que vos discours, que vos
actions annoncent la bonté, la
fraternité, non la hauteur ou le
caprice ; que cette sorte
d'élévation dont vous jouissez, soit
à vos yeux un titre, un moyen, un motif, de
dispenser des bienfaits, de déployer de
nouvelles vertus !
Ils vous pardonneront alors cette
supériorité, vous gagnerez leurs
coeurs, ils seront enchaînés par la
reconnaissance, vous posséderez en eux des
amis vrais et sincères, non des envieux et
des jaloux ; si par une de ces inconstances du
coeur humain, dont la société nous
offre des exemples, vous perdiez cette
préférence, et qu'elle leur fût
accordée ; modestes comme vous, dans
cet avantage d'un moment, ou d'un caprice, votre
famille sera le lieu de la paix, de la
cordialité, du bonheur ; les
témoins de votre union, diront avec
attendrissement ; voyez comme ils
s'aiment ! Oh !
qu'il est doux, qu'il est
agréable de voir ainsi des frères
s'entretenir dans l'union et dans la paix !
Quelle félicité peut-on comparer
à celle-là ! l'amour diminue
leurs peines, augmente leurs plaisirs, ils sont
heureux les uns par les autres !
Aimez-vous réciproquement, et
après cette vie d'un jour, passée
dans le bonheur ; vous en saisirez une
nouvelle dans le ciel, où vous
posséderez une félicité sans
nuage et sans fin ! Amen ! Amen !
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