L'ORAISON
DOMINICALE
Considérée comme un
résumé du christianisme
ATHANASE COQUEREL
l'un des Pasteurs
de l'Eglise réformée de
Paris
1850
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I I
LA SANCTIFICATION DU NOM DE DIEU
Que ton nom soit sanctifié !
(
Saint Matthieu, VI, 9.)
Mes Frères,
Détruire l'idolâtrie et populariser
l'idée pure de Dieu, au point de rendre
impossible tout retour de l'esprit humain vers le
paganisme ; abolir l'exception religieuse qui
avait constitué le peuple hébreu en
peuple unique de Dieu et faire expirer son
privilège en même temps que son
mandat, c'était, s'il est permis de parler
ainsi, la première affaire du Christianisme,
sa première tâche, sa première
conquête, et comme cette pensée ouvre
le Christianisme, elle ouvre l'Oraison
Dominicale.
Quelle en est la
seconde ?
La notion de Dieu, révélé au
monde comme le Père commun des hommes,
suppose, avons-nous dit, la foi en une Providence
universelle, toujours attentive, toujours
bienveillante. Les dieux indifférents et
oisifs du polythéisme tombaient, comme tous
les autres ; l'Évangile n'admet point
que le Créateur oublie la création.
Mon Père travaille continuellement, a
dit Jésus.
Oui, l'activité infinie est sans
intermittence, infatigable, immense,
éternelle ; le gouvernement du roi de
l'univers n'admet point d'interrègne, et
notre Père céleste travaille
continuellement dans la Providence qui conserve et
dirige tous les mondes ; dans la grâce
qui conduit et seconde tous les
progrès ; dans notre vie, pour qu'elle
atteigne son but ; dans notre mort, dont il
marque l'instant et dont il émousse
l'aiguillon ; dans notre immortalité,
dont il entr'ouvre une à une les profondeurs
et décerne une à une les
récompenses, les félicités,
les gloires.
À moins de tout cela, Dieu serait Dieu
peut-être ; mais il ne serait plus
notre Père, et le premier mot de
l'Oraison Dominicale en serait la première
déception.
Si Dieu s'occupe ainsi de l'humanité, il
faut que l'humanité le lui rende et s'occupe
de lui ; l'humanité, sans
désavouer sa nature, ne peut pas plus
être indifférente à
l'égard de Dieu que Dieu ne peut
l'être envers elle ; tout, entre Dieu et
nous, est réciproque ; un lien,
conforme à sa nature et à la
nôtre, doit exister entre nous et lui ;
ce lien, le second intérêt du
Christianisme naissant, ce lien, sans lequel la
notion pure de Dieu se perdrait de nouveau, ce lien
est exprimé dans la seconde demande de
l'Oraison Dominicale : Que ton nom soit
sanctifié !
Que ton nom soit sanctifié !
L'expression, au premier aspect, est assez hardie
pour inquiéter la foi, pour étonner
l'humilité, et ses analogues, dans le style
des livres divins, ne le sont pas moins.
Le nom de Dieu, c'est Dieu lui-même, comme
votre nom, c'est vous ! car sans vous, vous
retranchés et anéantis, qu'est-ce que
votre nom ? un vain bruit, un son mort, qui ne
dit rien à l'oreille des hommes et sortira
bientôt pour jamais de leur mémoire... Quel est donc le sens positif de ces
termes répandus par toute
l'Écriture, sanctifier, glorifier, magnifier
Dieu ?
S'agirait-il d'ajouter réellement quelque
chose à sa sainteté, à sa
gloire, à sa grandeur ?
La folie d'aucun orgueil ne peut aller
jusque-là et prétendre usurper sur
Jésus qui seul a pu dire : Glorifie
ton Fils, afin que ton Fils te glorifie !
Tous nos plus consciencieux efforts pour
sanctifier ou glorifier Dieu, tous les ravissements
de la ferveur, les transports de la foi, les
merveilles du génie, n'ajoutent rien
à sa gloire ! Elle ne croît ou ne
diminue que relativement à nous ; pour
Dieu, elle est la même toujours ; seul,
il se connaît ; seul, il se juge et
s'approuve ; seul, il sanctionne ses
volontés et ses ouvrages ; il sait
qu'il est parfait, et quand on sort ainsi ces
expressions du vague où trop souvent elles
se perdent, on arrive à cette simple
conclusion : que la sanctification du nom de
Dieu est tout entière dans le lien qui nous
unit à lui, et que plus ce lien devient
conforme à sa nature et à la
nôtre, plus ce lien s'étend et se
ramifie pour ainsi dire à travers
l'humanité, plus ce lien est intime, et
dévoué, et spirituel, plus notre
âme le resserre et le
cultive fidèlement, et plus le nom de Dieu
est glorifié parmi ses enfants de la
terre.
En partant de ces principes, j'essaierai de vous
montrer que la sanctification du nom de Dieu
consiste dans la connaissance, dans la
fidélité, et dans l'adoration.
I.
Il se présente, avant d'entrer en
matière, une remarque à faire, une
précaution à prendre ; l'Oraison
Dominicale n'a point de transitions entre ses
demandes, ou, pour mieux dire, les transitions sont
mentales et non littérales ; l'esprit
passe d'idée en idée, sans l'aide
d'expressions intermédiaires, et l'ordre des
pensées est du plus vaste et du plus
élevé à ce qui est en
comparaison plus restreint, de la religion en
général à la morale en
particulier, du Ciel au monde, de Dieu à
nous. Il résulte de ces gradations que dans
les premières demandes les dernières
sont implicitement contenues, et que la
première de toutes exprime comme d'avance
celles qui la suivent et qui n'en
sont qu'un développement. Ainsi, la
connaissance de Dieu, nécessaire à la
sanctification du nom de Dieu, c'est la
vérité ou la foi, qui n'est que le
règne de son esprit sur le
nôtre ; ainsi encore, la
fidélité, sans laquelle nul ne
sanctifie Dieu, c'est sa volonté qui
doit être faite sur la terre comme au
ciel.
Je m'efforcerai de vous épargner des
répétitions stériles ; je
réserve à nos méditations
suivantes de vous montrer comment la prière
du Seigneur s'intéresse à l'empire de
la vérité religieuse sur nos
âmes et à l'accomplissement de la
volonté divine en ce monde. Mais je ne puis
me dispenser de comprendre et la connaissance et la
fidélité dans la sanctification du
nom de Dieu ; ce sont deux anneaux
indispensables dans le lien qui nous unit à
lui.
Sanctifier Dieu, c'est avant tout le
connaître. On ne peut sanctifier son nom, si
on l'ignore, et plus on le connaît, plus on
le sanctifie. Quand notre raison se met à la
recherche et plus tard en possession d'une
vérité, elle glorifie Dieu, le Dieu
de vérité. Toute découverte de
l'esprit humain est un triomphe
religieux ; car ces études, ces
explications ont toujours des oeuvres de Dieu pour
objet, et à plus forte raison, quand ces
nouvelles conquêtes de l'intelligence
dévoilent Dieu, est-il juste de les
considérer comme le service de sa gloire.
Aussi l'ordre est donné de croître
en la connaissance de Dieu, et qui osera se
dire qu'il connaît Dieu assez et qu'il n'a
rien de plus à en étudier, rien de
pressant, ou de salutaire, ou d'intéressant
à en savoir encore ?
Ce serait l'offenser que de se réfugier dans
une vague et flottante idée de ses attributs
et de s'y tenir tranquille ; nul ne peut
refuser de regarder dans ces mystères et
s'attribuer le droit et le bénéfice
de l'indifférence, sans en souffrir
tôt ou tard.
Que m'importe ? est, au sujet de Dieu, un mot
qu'on ne prononce jamais avec
sincérité. Dieu nous importe, vu sous
tous les aspects, et qui en néglige un seul,
peut finir par les négliger tous ; qui
intercepte devant ses yeux distraits un des rayons
de celte gloire, court risque de les intercepter
tous ; qui ferme les yeux un moment, peut les
rouvrir au sein de ténèbres qui ne se
dissiperont plus. Je ne viens pas
imprudemment vous demander de substituer ou
même d'ajouter au nom de Père que
l'Évangile vous livre à sanctifier,
ces noms mystérieux et difficiles
d'Être des Êtres, de Cause
Première, d'Être Infini et Absolu
existant par lui-même, l'Éternel
Géomètre, l'Architecte des mondes,
l'Ordonnateur de l'univers qui a lancé les
astres sur la tangente de leurs orbites ;
l'Être qui sait tout, non parce qu'il
prévoit, mais parce qu'il voit.
Laissez de si hautes pensées à ces
esprits que Dieu a faits pour elles ;
n'aspirez à rien au-delà de vos
forces ; votre portée de vue est bonne,
parce que Dieu vous l'a mesurée ; vous
n'avez besoin de rien voir au-delà. Que
celui donc qui dans la simplicité de sa foi,
dans la timidité de sa piété,
veut s'arrêter à la seule certitude
que Dieu est notre Père, que
celui-là s'y arrête et s'y
tienne ; il a pleine raison de s'y
arrêter ; il a un droit divin de s'y
tenir ; je le reconnais, mais à une
condition : il faut qu'il ne puisse aller plus
loin ; s'il le peut, il le doit ; car
sanctifier Dieu, c'est le connaître, et le
plus sûr moyen de chérir cette
touchante et admirable
définition du
Créateur se révélant comme
Père, est de la prendre pour point de
départ, de monter au-delà, et d'y
revenir sans cesse avec délices. Croissez
donc dans la connaissance de Dieu ;
contemplez ses perfections ; efforcez-vous
d'en découvrir l'équilibre et
l'éternelle harmonie ; suivez-en la
trace dans les merveilles de la nature et dans
celles de sa parole ; sondez les intentions de
sa Providence, et prêtez l'oreille à
sa voix dans les avertissements de votre
conscience, vous remplirez ainsi le devoir de
sanctifier son nom et de servir sa gloire ;
car vous chercherez ainsi la vérité,
et il est la vérité.
II.
Sanctifier Dieu, c'est être fidèle,
c'est obéir, et la pratique du bien nous
rapproche de lui ainsi que la recherche du vrai.
Quand notre conscience de progrès en
progrès aspire à la perfection, et
voit dans une vertu acquise un échelon pour
s'élever vers celles qui restent à
acquérir, elle sanctifie Dieu, le Dieu de
sainteté.
On peut dire que toute perversité est un
blasphème, non en paroles, mais en actes.
D'où vient que dans la langue de la religion
offense et péché sont
synonymes ? C'est que tout
péché offense Dieu, puisqu'il
consiste en une substitution de notre
volonté mauvaise à sa volonté
toujours excellente ; pécher, c'est
donc outrager sa gloire, déshonorer sa
création, mettre sous ses yeux ce qu'il ne
veut pas voir, et refaire le monde autrement qu'il
ne l'a fait.
L'iniquité, dans sa nature intime, respire
le sacrilège, et moins il y a de vertu parmi
les hommes, moins Dieu apparaît saint. En
vain prétend-on que Dieu est bien au-dessus
de la portée de nos fautes, que rien ne
trouble sa sérénité infinie,
et qu'aucune vapeur de la terre ne peut voiler
l'éclat de sa face ; en vain
prétend-on que la religion reste pure des
excès commis en son nom et des fautes dont
une indulgence qu'on lui impose semble la rendre
complice.
La honte du vicieux retombe sur le culte qu'il
célèbre, sur la foi qu'il professe,
et l'on se sent peu porté à confesser
avec lui un Dieu qu'il outrage et qu'il brave si
tranquillement. Dieu est notre
législateur : une de ses gloires est
l'accomplissement de sa loi. C'est la gloire de
mon Père, a dit Jésus à
ses disciples, que vous portiez beaucoup
de fruits ; faites luire
votre lumière devant les hommes, en sorte
qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils
glorifient votre Père qui est aux Cieux.
Admirable et touchante relation entre sa
majesté et l'intégrité des
justes ; leur gloire remonte à sa
source et s'unit à la sienne ; leurs
progrès sont des garants de sa
perfection ; s'ils sont charitables, c'est
qu'il est amour ; s'ils sont saints, c'est
qu'il est la sainteté même ;
s'ils sont fidèles, c'est qu'il est
parfait.
L'indifférent, l'incrédule, l'impie,
s'étonnent et cherchent ailleurs que dans ce
monde l'origine de vertus si belles ; le
maître se reconnaît aux disciples, et
leur voix ne dit pas en vain : Que ton nom
soit sanctifié !
III.
Il faut cependant à ce service de Dieu
une expression plus directe, plus expansive,
où le sentiment domine, où la ferveur
trouve l'occasion de ses ravissements : cette
expression, c'est le culte, la prière,
l'adoration ; sanctifier le nom de Dieu, c'est
aussi l'adorer.
On est tellement accoutumé, dès
l'enfance, à payer au Seigneur ce tribut, et
si l'indifférence nous a
pris au passage sur les marches du temple et fait
redescendre sur le sol commun du monde, on est
tellement accoutumé à voir la foule
les franchir, que l'adoration est souvent une
simple affaire d'habitude, un spectacle de tous les
jours, et à peine sait-on en quoi elle
consiste ; on y est fait, au point de ne
savoir la définir. Trop souvent aussi la
forme déguise le fond ; les pratiques
du culte dérobent le culte même aux
yeux de l'âme, et comme les anciens Juifs,
nous n'apercevons que le voile du sanctuaire et non
l'arche qu'il recouvre.....
Mes frères, adorer pour la foi
éclairée et attentive qui comprend ce
qu'elle fait et qui sait se recueillir et y penser,
adorer, c'est prendre le nom du Père dans
son sens sublime, infini, absolu ; c'est
donner à Dieu une qualité et en
revêtir soi-même une autre ; c'est
reconnaître Dieu comme Créateur et se
reconnaître comme créature.
Toute adoration réelle aboutit là, et
se résout en ces deux pensées qui se
tiennent, en ces deux expressions dont l'une dit
assez de Dieu et dont l'autre dit tout de
nous.
Vous ne trouverez pas un enseignement de la
Parole, depuis le commandement de
Moïse : Tu adoreras l'Éternel
ton Dieu et tu le serviras lui seul, jusqu'au
précepte de Jésus : Dieu est
esprit, et il faut que ceux qui l'adorent,
l'adorent en esprit et en
vérité ; vous ne trouverez
pas un élan de ferveur exaltant les
perfections ou comptant les oeuvres
divines ;
vous ne trouverez pas une expression de
dépendance, depuis la reconnaissance du
psalmiste : Que rendrai-je à
l'Éternel ? tous ses bienfaits sont sur
moi ! jusqu'à la résignation
du patriarche : L'Éternel l'a
donné, l'Éternel l'a
ôté, que le nom de l'Éternel
soit béni !
Vous ne trouverez pas un acte de culte, depuis
l'assemblée solennelle d'Israël au
désert, sous la conduite de Moïse, au
lendemain de la sortie des fers de
l'Égypte ou la dédicace du
temple par les mille holocaustes de Salomon,
jusqu'à ces oraisons sans témoins que
le Christ recommande à ses fidèles
d'adresser dans le silence de la
retraite ; vous ne trouverez rien dans l'adoration la plus
expansive ou la plus intime, qui ne revienne
à cette double effusion de l'âme
transportée ou attendrie : O Dieu, tu
es le Créateur, et ta création est
à toi, et ta
création est ton empire, et moi, que tu as
formé à ton image, que tu as
couronné de gloire et d'honneur, moi
que tu as fait un peu moindre que les anges,
je viens prosterner cette couronne devant celui
qui me l'a donnée et me reconnaître ta
créature, ta créature qui ne suis
rien par moi-même, et qui par toi, sous ta
conduite, avec ton secours, puis parvenir à
accomplir et ma destinée de vie et ma
destinée d'immortalité, et à
sanctifier ton nom dans ma part de ta
création, à ma place sur la terre,
à ma sortie du monde lors du trépas,
et en mon rang dans les cieux !
En cette simple et féconde définition
de l'adoration, on voit se rapprocher et s'unir (je
ne dis pas se confondre et s'égaler entre
elles) toutes les nuances, toutes les formes
d'adoration, la plus pure et celles où se
rencontre l'alliage de la superstition, la plus
sublime et celles dont l'humilité semble
trop naïve, si ce n'est pour Dieu, du moins
pour nous. L'homme adore selon qu'il lui a
été donné, selon son
degré de connaissance et de lumière,
le nom du Seigneur ; mais l'idée de la
création est-elle à
la base de ses prières,
c'est assez de sa part et il le sanctifie.
Aussi, ces pensées sont si justes que vous
pouvez les transporter en dehors du
Christianisme : elles ne perdent rien de leur
vérité. Dieu est connu où
Christ ne l'est pas encore ; il l'est moins,
il l'est mal ; et nous, Chrétiens, nous
savons que le Fils, qui était au sein du
Père, est celui qui nous l'a
révélé.
Néanmoins, c'est un point de fait que,
hors des limites du règne de
l'Évangile, l'idée de l'unité
d'un Dieu créateur s'est fait jour et s'est
emparée des esprits de populations immenses
avec une force irrésistible. Sans nous faire
la moindre illusion sur l'insuffisance de leurs
croyances et l'imperfection de leur culte, nous
nous réjouissons de voir ces races,
longtemps bien plus éloignées de
Dieu, s'être mises en chemin vers la
vérité ; nous les attendons au
rendez-vous commun, le bercail du bon Pasteur, le
temple du Dieu révélé ;
et nous espérons leur arrivée avec
plus ou moins de confiance, selon que, dans leurs
adorations, se dévoile, avec plus ou moins
de pureté, la notion d'un
Créateur.
IV.
Ici se découvre, vous le voyez, le lien
qui unit le Christianisme à l'idée
native de Dieu ; ici se présente
l'explication de cette gloire de notre foi, que
l'Évangile seul apprend à sanctifier
le nom de Dieu autant qu'il peut l'être en un
monde tel que le nôtre, en une existence qui
aboutit à une tombe, par un genre humain
devenu ce que nous sommes, et en une
immortalité qui commence par un
jugement.
Mes Frères, la rédemption est une
seconde création...
Sanctifier, c'est adorer ; adorer, c'est
donner à Dieu le titre de Créateur et
prendre devant lui le nom de créature...
Qui êtes-vous, pour oser le porter ?
Qu'avez-vous fait de votre création ?
Êtes-vous tels que Dieu voulait que vous
fussiez, et votre création, pure, glorieuse,
sainte, qu'est-elle devenue par votre faute ?
L'avez-vous conservée, ou détruite,
appauvrie, souillée par le
péché, empoisonnée par le
mensonge ?
Ah ! créé pour l'esprit, l'homme
a vécu pour la matière ;
créé pour la vérité, il
en a détourné sa raison ;
créé pour la vertu, il l'a
chassée de son âme ;
créé pour Dieu, il n'a pas
vécu pour lui ; il s'est profané
lui-même ; sa
création est une accusation contre lui, et
quand il lève vers son front sa main
orgueilleuse ou tremblante pour y toucher sa
couronne, sa main retombe sur lui en condamnation,
car elle n'a rien trouvé...
Mais la rédemption est une seconde
création ; Jésus vous offre le
moyen de redevenir vraiment créatures de
Dieu, les enfants de son amour, les
héritiers de son alliance, adoptés de
nouveau et rétablis dans la maison
paternelle, non comme mercenaires, mais comme
fils.
Admirable et touchant accord de l'Évangile
avec la nature de Dieu et avec notre nature !
Toute adoration non chrétienne reste donc
incomplète ; la barrière du
péché l'arrête au
passage ; l'adoration chrétienne seule
ne trouve aucun obstacle entre elle et Dieu ;
l'adoration chrétienne seule suppose une
intimité parfaite et sans cesse croissante
entre le Créateur et la
créature ; Jésus nous a
réconciliés avec Dieu ; notre
existence sert donc véritablement à
la gloire divine, et c'est le triomphe du Sauveur
du monde que personne au monde n'ait le droit de
dire à Dieu au même titre que ses
rachetés : Que ton nom soit
sanctifié !
Connaître, obéir, adorer,
voilà, mes Frères, la
véritable et la seule sanctification du nom
de Dieu.
Il me reste deux pensées à vous
offrir, hélas ! bien différentes
l'une de l'autre... Pourquoi faut-il que de ces
magnificences de la foi, je doive faire descendre
votre esprit aux plus mesquines indignités
de ce monde ?
Ah ! c'est que les petites irréligions
conduisent aux grandes impiétés,
comme un fétu dans notre oeil peut nous
cacher toute la lumière du soleil.
Les Hébreux connaissaient le vrai Dieu sous
le nom révélé par Moïse,
sous le nom de Jéhova, l'Éternel,
celui qui est, et à ce nom ils attachaient
une sainteté si extraordinaire qu'ils en
étaient venus à ne plus
l'écrire, à ne plus le
proférer, à le cacher comme au fond
de la nuée sainte, à l'ensevelir dans
un silence mystérieux, comme un secret du
ciel que la terre n'était pas digne
d'entendre.
Les païens, au contraire, variaient à
plaisir les noms propres de leur Olympe, les
combinaient de mille façons, ou
poétiques ou
dérisoires, les
environnaient des épithètes les plus
ingénieuses, et en semaient tous leurs
discours, sérieux ou légers...
Nous, mes Frères, nous n'avons pas voulu de
la superstition juive, de ce respect
exagéré pour le bruit de quelques
syllabes, de cette contemplation muette des formes
de quelques lettres, et nous avons eu raison. Mais
nous avons préféré la
liberté païenne, et l'usage a
prévalu de jeter à tout propos le nom
de Dieu dans les entretiens, de l'employer comme
une interjection de la langue, d'en faire un cri de
surprise, et même de dépit et de
colère ; quelquefois d'en orner la
verve d'un proverbe ou d'un adage ;
quelquefois de l'accoler à des jeux d'esprit
qui semblent des hardiesses et qui ne sont que des
profanations ; en un mot, l'usage a fait du
nom de Dieu et du nom de Christ deux locutions
familières...
Vous devriez rougir, vous les disciples de la pure
foi spirituelle, vous qui adorez vraiment en
esprit, de prononcer ces noms sacrés en
dehors de vos adorations. Enseignez-vous les uns
aux autres à donner un meilleur exemple, et
pour vous y déterminer, je
n'ajoute qu'un mot :
Représentez-vous ce que serait le monde, ce
que serait la chrétienté, si le
respect habituel du nom de Dieu y régnait au
point que le ciel, attentif à tous les
bruits de la terre, n'y entendit jamais prendre en
vain le nom de Dieu... N'en doutez pas : la
foi de tous, la fidélité de tous,
l'adoration de tous en deviendraient
meilleures.
De tous, vous ai-je dit ?...
Je touche ainsi à la dernière
pensée que je vous ai promise, et que nous
retrouverons souvent dans le cours de cette
étude. De qui parlez-vous en disant à
Dieu : Que ton nom soit sanctifié,
et quelle est l'étendue de cette
prière ?
Vous ne voulez pas que cette sanctification ait
lieu seulement par intervalle, à
époques fixes, aux jours mis à part,
donnant prétexte d'oublier Dieu le reste du
temps, et seulement les jours de culte, de
fête, de communion ; vous ne voulez pas
que cette sanctification ait lieu pendant les jours
de la jeunesse comme moyen d'éducation, ou
de la vieillesse comme ressource pour se
désennuyer de vieillir et se rassurer de
mourir ; vous ne voulez pas que cette
sanctification ait lieu seulement
lors des épreuves et des
deuils, parce que Dieu après tout console
mieux que les hommes et que sur les bords de tombes
chéries on s'aigrit moins, si l'on pense
à Dieu, et l'on pense moins à la
mort...
Que le nom de Dieu soit sanctifié toujours,
car le temps et l'éternité sont
à lui...
Et vous ne désirez pas que cette
sanctification soit réservée à
des lieux privilégiés, pour le
sanctuaire de vos dévotions domestiques.
pour le temple de votre culte fraternel ; Dieu
n'habite point dans des tabernacles bâtis
de main d'homme ; le ciel est son trône,
et la terre est le marchepied de ses pieds...
Que le nom de Dieu soit sanctifié
partout !...
Encore moins songerez-vous à laisser ce soin
aux savants et aux sages, aux esprits
d'élite, aux hommes de génie ;
qui a de la science, qui a du génie devant
Dieu ? Il a confondu la sagesse des sages
et anéanti l'intelligence des
intelligents.
Le philosophe dit : je sais que je ne sais
rien ; le fidèle dit : il n'y a
qu'un seul sage, et c'est Dieu.
De la bouche des petits enfants le Seigneur
peut faire éclater ses louanges, et puisque
l'Évangile aura encore une conquête
à faire tant qu'une race,
une famille, un seul homme ne
sera pas chrétien, puisque le courant de
l'Évangile doit continuer de
s'étendre et de monter jusqu'à ce que
ses eaux salutaires aient couvert le monde comme
celles de la mer couvrent leur fond... que ton
nom soit sanctifié par tous les humains,
et que dans les conseils irrésistibles de ta
sagesse, de ta puissance et de ta bonté, tu
daignes, ô Dieu de tous les hommes,
hâter l'époque promise qui aura le
monde pour temple, l'humanité pour
assemblée, la croix pour unique symbole, la
cène pour unique consécration,
l'Évangile pour livre de prières, et
les coeurs de tous tes enfants pour sacrifice
vivant et saint !...
Eh bien ! s'il n'y a jamais trop de voix
s'unissant dans ce concert filial et universel
à la gloire du Père, si chaque enfant
de Dieu doit y prononcer sa louange, que votre
voix, applaudie ou inconnue, écoutée
des hommes ou seulement de Dieu, prenne part
à cette adoration comme votre coeur à
cette espérance ; ce Christianisme qui
doit remplir le monde et se perpétuer
d'âge en âge, faites, en attendant,
qu'il remplisse votre
conscience ; faites qu'il
s'étende d'année en année
à travers toute votre vie, et vous
reconnaîtrez au calme de vos jours, y compris
le dernier, que contribuer à la
sanctification du nom de Dieu, c'est sanctifier
votre âme pour les progrès terrestres
et pour les progrès éternels !
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