Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SERMON SUR L'AMOUR DE LA PATRIE

Jaques SAURIN

Pasteur à La Haye

 1762

***********

 

Comment mon visage ne serait-il pas mauvais, puisque la Ville, qui est le lieu des sépulcres de mes pères, demeure défaite ; et que ses portes ont été consumées par feu ? Néhémie II. 3.

C'était une peinture bien vive
de l'endurcissement du peuple d'Israël, mes Frères, que celle que Dieu traçait au Prophète Ézéchiel : Fils de l'homme, tu n'es pas envoyé vers des peuples d'un langage barbare. Si je t'envoyais vers eux, ne t'écouteraient-ils pas ? C'est vers la Maison d'Israël que je t'envoie ; et qui ne voudra point t'écouter, par cette seule raison, qu'elle ne veut point écouter. (Ezéch. III. 4-7)

Ne faisons point un parallèle odieux des Peuples au milieu desquels ce Prophète exerçait son ministère, avec ceux au milieu desquels nous exerçons le nôtre. Mais, la première partie des paroles que Dieu adresse à Ézéchiel, se vérifie aujourd'hui. Nous nous proposons de vous entretenir du zèle pour le bien public, et de l'amour de la Patrie.
Si nous avions prêché cette doctrine à ces peuples, qui étaient
sans Dieu et sans espérance au monde, (Ephés. II. 12) nous aurions pu nous promettre de la prêcher avec succès. Nous y aurions trouvé des Nations entières, parmi lesquelles les enfants étaient élevés à regarder le bien de la Patrie comme le but de tous leurs soins.
Nous y aurions vu des Philosophes qui auraient joint leur voix à la nôtre, et qui vous auraient dit
qu'il faut regarder et chérir comme une mère, une Patrie même ingrate : qu'une portion de nos biens est à nous, et l'autre à notre Patrie : qu'il faut lui rendre, quand elle l'exige, cette vie qu'elle nous a donnée : qu'il y a dans le ciel des places marquées pour ceux qui auront contribué à sa gloire et à son élévation. (1)

Nous y aurions trouvé des Héros, qui ont éternisé leur nom, pour avoir porté cette vertu au degré le plus éminent.
Nous y aurions trouvé un Phocion, qui, en prenant ce poison, (
2) qui lui était présenté par de sanguinaires Concitoyens, exhortait son fils à les chérir, parce qu'on doit encore plus à sa Patrie qu'à son Père.
Nous y aurions trouvé un Aristide qui, en partant pour (
3) l'exil auquel il était si cruellement condamné, levait les yeux vers le ciel, et priait les Dieux, que les Athéniens n'eussent jamais lieu de se souvenir des cruautés qu'ils exerçaient en sa personne.
Nous y aurions trouvé un Codrus (
4), qui ayant su que l'Oracle avait promis la victoire au Peuple, dont le Prince prirait dans la guerre, se dévoua lui-même à la mort.
Nous y aurions trouvé (
5) des Sertorius, des Regulus, des Paulus Aemiluis, des Camilles. Il serait aisé de grossir cette liste.

La première partie des paroles que nous avons citées, se vérifie donc aujourd'hui :
Si je t'envoyais vers des Peuples d'un langage barbare, ne t'écouteraient-ils pas ?

Malheur à nous, M. F., si la seconde se vérifiait aussi ! C'est vers la Maison d'Israël que je t'envoie ; mais elle ne voudra point t'écouter par cette seule raison, qu'elle ne veut point écouter.

Éloignons ce funeste augure. Suivez-nous, M. F., et venez admirer, ou plutôt imiter, un illustre exemple du zèle pour le bien public, et de l'amour pour la Patrie. Néhémie, au milieu d'une Cour superbe et délicieuse, favori d'un grand Roi, Néhémie, comblé de gloire, de richesses et de plaisirs, Néhémie se sent livré à une profonde tristesse. Son visage change, sa santé s'altère : c'est son zèle pour le bien public, c'est son amour pour la Patrie, qui le ronge, et qui le dévore.
Lorsque son Prince lui demande la cause de ses douleurs, il répond :
Comment mon visage ne serait-il pas mauvais, puisque la Ville, qui est le lieu des sépulcres de mes Pères, demeure désolée, et que ses portes ont été consumées par le feu ?

Quand nous faisons des efforts pour vous engager à ne
penser qu'aux choses qui sont en haut (Coloss. III. 1: quand nous rappelions à votre mémoire, que vous êtes les Bourgeois des Cieux (Philip. III. 20) ; et que nous travaillons à vous inspirer des sentiments sortables (qui conviennent à) à des titres si pleins de gloire ; vous nous alléguez vos villes, vos Provinces, vos enfants, vos familles. Hé bien ! c'est pour ces familles, c'est pour ces enfants, c'est pour ces villes, c'est pour ces Provinces, que nous vous parlons aujourd'hui. Puisse le bien public réunir les coeurs de tous ces Auditeurs : puisse retentir pour nous ce cantique d'un Prophète !
O que c'est une chose agréable que les frères s'entretiennent ensemble ! C'est comme cette huile précieuse répandue sur la tête d'Aaron, et qui découle sur le bord de ses vêtements. C'est là que l'Éternel a ordonné la bénédiction et la vie à toujours. (Psaume CXXXIII.)

Néhémie était un Juif, probablement né en Babylone. Si nous en croyons Eusèbe et quelques Critiques, (
6) il était de la Tribu de Juda. Il fut Échanson et Favori d'Artaxerxès Longue-main, Roi de Babylone, qui lui donna le Gouvernement de la Judée. Les bénédictions dont il fut comblé, quoique dans une terre étrangère, furent un des effets de la promesse, par laquelle Dieu s'était engagé de favoriser les Juifs, même dans le temps de leurs plus grandes tribulations. Peut-être doivent-elles être envisagées aussi comme des suites de cet Oracle qui avait promis que le sceptre ne se départirait point de la Tribu de Juda ou le Législateur d'entre ses pieds, jusqu'à ce que le Schilo vînt. (Genèse XLIX. 10)

Jamais Texte ne fut sujet à tant de contestations, non seulement de la part des ennemis, mais de la part des Docteurs même les plus zélés et les plus orthodoxes. Effrayés de ces longues périodes d'humiliation, qu'éprouva la Tribu de Juda, durant les soixante-dix années de la captivité ; effrayés même des misères dans lesquelles elle fut plongée depuis le retour des Juifs à Jérusalem ; ils n'ont pu démêler dans ces tristes périodes l'accomplissement de cet Oracle. Ils ont cru que l'honneur de la Religion les engageait à donner aux paroles de Jacob mourant, un sens plus facile à vérifier, que celui qu'on leur attribue presque unanimement dans nos Églises.
Rien ne serait plus éloigné du but de Discours qu'une discussion sur cette matière : nous avons prouvé ailleurs qu'il n'y a pas eu depuis la mort de Jacob, etc. jusqu'à la venue de notre Schilo, un seul instant, dans lequel la Tribu de Juda n'ait eu, non des Rois
et des Législateurs tout ensemble, mais des Rois, ou des Législateurs, comme l'on peut traduire l'original, ainsi que le reconnaissent tous ceux qui ont les premières teintures de la Langue Sainte. Nous nous contenterons de vous marquer ici quel était l'état de l'Église sous Artaxerxès.

Les affaires des Juifs avaient pris une face toute nouvelle. Mais s'ils
rebâtissaient la Ville, selon l'Oracle de Daniel, (Dan. IX. 25) c'était dans un temps d'angoisse, comme parle le même Prophète. Leurs ennemis, jaloux de leur liberté renaissante, faisaient de nouveaux efforts pour les asservir. Ils faisaient suppléer la fourberie à la force. Ils voulaient les rendre suspects aux Rois de Babylone.
Rarement ferma-t-on l'oreille aux accusations faites contre un Peuple opprimé. Ils représentèrent cette Jérusalem qui allait renaître de ses cendres, comme un refuge de rébellion, et comme une digue, qu'on élevait contre l'autorité des Rois de Babylone.
Les Juifs, moins par prudence que par timidité, cédèrent à ces efforts. Ils succombent sous le poids de l'ouvrage qu'ils avaient entrepris. Quelques-uns d'entr'eux venus en Babylone, peut-être plus pour se dérober aux malheurs de leur Patrie, que pour en solliciter la liberté, se présentèrent à Néhémie : ils lui firent un triste tableau des misères de Jérusalem : ils lui dirent, qu'elle était couverte d'opprobre et d'ignominie ; qu'elle ouvrait de tous côtés le flanc à ceux qui avaient juré sa ruine ; et que les Juifs étaient plus captifs depuis le retour de la captivité, que durant leur captivité même.

À cette funeste narration, Néhémie fond en larmes. Il se transporte du coeur et de la pensée sur les ruines de Jérusalem. Il se sent percé de tous les traits que l'on porte contre ses frères. L'image de cette ville désolée, de ces murs réduits en cendres, le suit partout. Les mouvements de son coeur se gravent, pour ainsi dire, dans ses yeux et sur son visage. Il parait devant son Roi, moins en Favori comblé de grâces, qu'en esclave chargé de chaînes. Il se prévaut de la faveur de ce Prince, il demande et il obtient la liberté d'aller à Jérusalem et de travailler à son rétablissement. Il part : il entreprend : il exécute.

Voilà, M. F., ce que vous devez avoir présent à l'esprit pour pénétrer dans le coeur de notre Héros, et pour y démêler la vertu qui y domine, le zèle pour le bien public, et l'amour de la
Patrie.
En réunissant les diverses circonstances, que nous venons de vous indiquer, en liant les paroles de notre Texte avec celles qui les suivent, et avec celles qui les précédent, nous trouvons dans le zèle de Néhémie pour le bien public, et dans son amour pour la Patrie :

1° Un esprit de dévotion.
2° Un esprit de réformation.
3° Un esprit de mortification.
4° Un esprit de prudence.
5° Un esprit de vigilance.
6° Un esprit de fermeté.
7° Enfin, un esprit de désintéressement.

Sept caractères du véritable zèle pour le bien public, et de l'amour pour la Patrie.

I. Le zèle, dont Néhémie est animé pour le bien public, et son amour pour la Patrie, lui inspire un esprit de dévotion. Arrière d'ici ces mouvements de murmure et de blasphème, auxquels les Grands du monde s'abandonnent, lorsque tout ne se succède pas selon leurs voeux : arrière d'ici ces insolents mortels, qui croient pouvoir suffire au Gouvernement des Corps publics, même sans le secours de Dieu : arrière d'ici ces dévotions simulées dans lesquelles on a plutôt pour but d'amuser les peuples, que d'apaiser le courroux du ciel : arrière d'ici ces solennités auxquelles ceux qui les proclament ne prennent d'autre part, que celle de les proclamer.

La première émotion, dont Néhémie se sent agité à l'ouïe des malheurs de Jérusalem, c'est une émotion de piété : le premier mouvement de ses yeux le tourne du côté du ciel : la première requête qu'il adresse en faveur de cette Ville désolée, c'est à celui qui Esaïe l'a formée,
et qui l'a faîte depuis longtemps, (Esaïe XXII. 11) selon l'expression d'un Prophète : le premier coup qu'il frappe en sa faveur, c'est à la porte du trône des miséricordes divines.

Que fit ce St. Homme lorsqu'il eut ouï le triste récit, dont nous parlions tout à l'heure ? Il pria :
Dès que j'eus entendu ces paroles, dit-il, je m'assis, je fis ma prière devant le Dieu des cieux. Et je dis, je te prie, Éternel, qui es le fort, le grand, le terrible, qui gardes l'alliance et la miséricorde à ceux qui t'aiment : je te prie, que ton oreille soit attentive, pour entendre la prière que ton serviteur te présente jour et nuit, pour les Enfants d'Israël. (Néhémie 1. 4 & c.)

Que fit-il, lorsque Samballat et Tobijah Hammonite insultaient les Juifs ? Il pria : Nous priâmes notre Dieu, dit-il, O mon Dieu écoute, comme nous sommes en mépris. (Néhém. 4.4)
Que fit-il, après avoir convoqué tout le Peuple ? Il pria. Il fit, du moins l'on fit par son ordre, cette belle prière que nous lisons dans le chapitre neuvième de son Livre, (v. 6. & c.) et qui doit servir de modèle à tous ceux qui prient. Il pria sans cesse.
Vous trouvez dans chaque circonstance de sa narration un de ces cris sans voix, ou, comme parlait St. Paul, un de ces
gémissements inénarrables, (Romains 8: 25.) que forme le St. Esprit au dedans d'un coeur qu'il anime : O mon Dieu, souviens-toi de ce que j'ai fait pour ce Peuple. O mon Dieu, souviens-toi de Tobijah et de Samballat. O mon Dieu, souviens-toi de moi en bien. (Néhém. V. 19. VI. 14.)
Je reconnais à cette dévotion, un bon Patriote, un homme qui a un véritable zèle pour le bien public. J'y reconnais un imitateur de ces saints Hommes, qui se sont signalés par cette vertu. Que faisait Abraham pour cette Ville, qui avait servi de refuge à une partie de sa famille ? Il priait : Feras-tu périr même le juste avec le méchant ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville, les feras-tu périr aussi ? Ne pardonneras-tu point à la ville à cause des cinquante justes ? (Genèse XVIII. 23.)

Que faisait Moïse quand quelque fléau venait fondre sur les Israélites ? Il priait : O Éternel, pourquoi ta colère s'allumerait-elle contre ton peuple que tu as retiré du pays d'Égypte, avec une grande puissance et par main forte ? Pourquoi diraient les Égyptiens, il les a retirés à mauvais dessein, pour les tuer sur les montagnes et pour les consumer de dessus la terre ? Reviens de l'ardeur de ta colère, repens-toi de ce mal que tu veux faire à ton Peuple. (Exode XXXII. 11. & c.)

Que faisaient David, Josias, Daniel, et tant d'autres, dont il serait trop long de produire la liste ? Ils priaient. Un esprit de dévotion : c'est le premier caractère du zèle pour le bien public, et de l'amour pour la Patrie.

II. Le zèle de Néhémie pour le bien public et son amour pour la Patrie, lui inspirèrent un esprit de Réformation. À peine les années de la captivité furent-elles terminées, que les Juifs s'abandonnèrent aux mêmes excès, qui avaient causé leur exil. Si vous en exceptez un seul crime, je veux dire l'idolâtrie, ils se rendirent coupables de tous les autres. On ne peut rien concevoir de plus affreux, que l'état où Néhémie les trouva. Quelque grands que fussent les malheurs de Jérusalem, ses débordements étaient plus grands encore que ses malheurs.

1. Selon le calcul de quelques Savants, Voyez la vingtième année d'Artaxerxès, qui fut celle du premier voyage de ce saint Homme, tombait sur l'année Sabbatique. Une des lois qu'il fallait observer dans cette année-là, comme nous le lisons dans le chap. XV. du Deutéronome, c'était que tout homme relâchât ce qu'il avait prêté à son prochain. Mais, les Juifs du temps de Néhémie, au lieu d'observer cette loi, poursuivaient leurs débiteurs à toute rigueur, et en exigeaient des usures exorbitantes : jusque-là (au point) qu'il y avait des malheureux, qui engageaient leurs champs, leurs vignes, leurs enfants mêmes, pour avoir du froment. Néhémie réforma cet abus. Il exhorta ses Frères à la charité et à la justice : il mit la main dans son sein, en la secouant, il dit, Que Dieu secoue ainsi de ta maison tous ceux qui n'auront pas mis en effet cette parole. (Néhém. V. 13.)

2. Les Juifs en renonçant à l'idolâtrie, s'étaient alliés avec le sang idolâtre : ils avaient pris des femmes Alschdodienes (Asdodiennes) : (au point) que quelques-uns de leurs enfants ignoraient la Langue Hébraïque, et ne parlaient que l'Alschdodiene. (Néhém. XIII. 23.)
Eljaschib
(Éliaschib) le Sacrificateur avait non seulement souffert (accepté) une pareille alliance dans sa famille, (Néhém. XIII. 4.) mais qu'après y avoir admis Tobijah Hammonite, il lui avait donné un appartement dans le Temple même. Néhémie réforma cet abus. Il jeta hors du Temple les meubles de Tobijah. Il châtia quelques-uns des Juifs, et leur fit jurer par le nom de Dieu, qu'ils ne donneraient point leurs filles aux fils des Étrangers.

3. Les Juifs avaient si peu de zèle pour le Culte public, que
les portions des Lévites ne leur avaient point été données ; de sorte que les Lévites et les Chantres qui faisaient le service, s'en étaient enfuis chacun vers le bien qu'il avait aux champs. (Néhém. XIII. 10) Néhémie reforma encore cet abus. Il rassembla tous ces Ministres épars, et il les rétablit dans leurs fonctions.

4. Les Juifs profanaient le jour du Sabbat d'une façon si odieuse, (
Néhém. XIII. 15.) qu'ils battaient leur grain et foulaient au pressoir, et souffraient (acceptaient) que les Tyriens fissent entrer durant cette fête toutes sortes de denrées dans la ville, et qu'ils les vendirent publiquement. Néhémie reforma cet abus. Il censura les principaux de Juda. Il leur représenta, que la violation du Jour du Sabbat avait été une des principales causes des maux qui avaient fondu sur Jérusalem : il les menaça de les poursuivre à toute rigueur s'ils persistaient dans cette profanation : il ordonna qu'on fermât les portes de la ville, et il mit des gardes sur les brèches de ses murailles.

Ainsi Néhémie crut, que ce qu'il pouvait faire de plus avantageux pour sa Patrie, c'était d'en extirper tout ce qui était opposé aux lois Divines. Conduite digne d'un bon Patriote, digne surtout d'un homme qui est appelé au gouvernement d'un État.
Que sert-il d'équiper des Flottes, si elles sont chargées de scélérats, qui vomissent des blasphèmes contre le ciel ? Que sert-il de lever des Armées, si elles déclarent la guerre au Dieu des Armées ?
Que sert-il de faire des lois politiques, si l'on foule aux pieds les lois de la Religion, si les Sabbats sont violés, si les fêtes solennelles sont profanées ?
Que sert-il de faire des Alliances, si l'on n'est
pas réconcilié avec Dieu ?
Que sert-il d'être bon Politique, si l'on est mauvais Chrétien ?

III. Le zèle de Néhémie pour le bien public, et son amour pour la Patrie, lui inspirèrent un esprit de mortification.
Malheur à celui qui peut s'abandonner aux joies, tandis que la liberté publique chancelle, et que l'État est menacé des fléaux du ciel !
Malheur à celui, qui n'est point
malade de la froissure (meurtrissure) de Joseph, (Amos VI. 6.) et qui cherche dans les jeux, dans les spectacles, et dans le tumulte bruyant de la Société, de quoi s'étourdir pour ne pas entendre les cris des premières victimes, que la vengeance Divine s'est immolés !
Malheur à celui qui peut se reconnaître au portrait qu'un Prophète faisait des hommes de son temps !
Le Seigneur, l'Éternel des Armées, nous a appelés ce jour-là aux pleurs et au deuil, à vous arracher les cheveux, à ceindre le sac. Et voici joie et allégresse : on tue des boeufs, on égorge des moutons, on en mange la chair, et on boit du vin : puis on dit, mangeons, buvons, car demain nous mourrons. (Esaïe XXII. 12.)
Malheur à celui qui dit dans le temps que Sion ne cesse de pleurer, que ses larmes sont sur ses joues, que ses Vierges sont toutes dolentes (affligées), que ses chemins mènent deuil, que ses Sacrificateurs sanglotent. (Lament. de Jérém. I. 1. & 4.)

Les misères de Jérusalem inspirent à Néhémie un esprit de mortification :
Je m'assis dit-il, je pleurai, je menai deuil quelques jours, et je jeûnai, dès que j'eus entendu ces paroles. (Néhém, I. 4. & c.)
Et quand il fut arrivé à Jérusalem, tous les Enfants d'Israël s'assemblèrent en jeûnant, revêtus de sacs et couverts de poudre. (IX. I. & c.)
Du milieu d'un Peuple consterné partirent ces humiliantes confessions : O nôtre Dieu, le fort, le grand, le puissant, le terrible, qui gardes l'alliance et la miséricorde. Certainement, tu es juste dans toutes les choses qui nous sont arrivées : car tu as agi en vérité ; mais nous avons fait méchamment. Ni nos Rois, ni les Principaux d'entre nous, ni nos Sacrificateurs, ni nos Pères, n'ont point été attentifs à tes commandements.

Telle fut la conduite de Néhémie. Tel le fut de tout temps celle des vrais Pénitents.
Josaphat voyant une multitude innombrable de Moabites, et d'Hammonites, qui venaient inonder Jérusalem, publie le Jeûne pour implorer le secours de Dieu.

Esther, résolue de tout sacrifier pour la délivrance de son Peuple, donne cette commission à Mardochée : Va, assemble les Juifs qui sont à Susan (Suse), et jeûnez pour moi, ne mangez, ne buvez, de trois jours, tant la nuit que le jour : et moi, et mes Demoiselles, nous jeûnerons de même. Puis je m'en irai vers le Roi, et s'il faut que je périsse, que je périsse. (Esther IV. 16.)
Daniel, captif en Babylone, tourne sa face vers les masures de Jérusalem et de son Temple, cherchant a faire sa requête avec jeûne, avec le sac et la cendre. (Daniel IX. 3.)

Les Ninivites, aux menaces de Jonas, publient le Jeûne, ils défendent que ni homme, ni bête, ni boeuf, ni brebis, ne goûtent d'aucune chose, qu'ils ne repaissent point, qu'ils ne boivent point d'eau. (Jonas III. 5. & c.)
Joël, à la vue de la famine qui ravage la Judée, veut qu'on sonne du
cornet en Sion qu'on sanctifie le Jeûne, qu'on publie l'Assemblée solennelle, qu'on assemble le Peuple, qu'on sanctifie la Congrégation, qu'on amasse les Anciens, les enfants, et ceux qui sucent la mamelle. Que le nouveau marié sorte de son cabinet, et la nouvelle mariée de sa chambre nuptiale ; que les Sacrificateurs, qui font le service, pleurent entre le porche et l'autel et qu'ils disent : Éternel, pardonne à ton Peuple, et n'expose point ton héritage à opprobre. (Joël II. 15. & c.)

Et Néhémie pleure, il mène deuil pendant quelques jours, il jeune, il convoque tout Israël, pour lui communiquer cet esprit de mortification, dont il était lui-même animé.
O ! que les Souverains témoignent de zèle pour le bien public et d'amour pour la Patrie, lorsqu'ils proclament de pareils Jeûnes ! O ! que l'esprit de mortification est puissant sur les entrailles d'un Dieu miséricordieux, quand il est précédé, suivi, et accompagné de l'esprit de Réformation : quand on ne se contente pas
d'affliger son âme pour un jour, et de courber la tête comme le jonc ; mais, quand on rompt son pain à celui qui a faim ; quand on recueille ceux qui sont errants ; quand on ne se cache point arrière de sa chair ; (Esaïe LVIII. 5. 7.) quand on s'humilie dans le Temple, et qu'on se corrige dans la Société ; quand on verse des larmes au souvenir de ses crimes, et que l'on rompt en même temps avec le crime ; quand on renouvelle son alliance avec Dieu, et qu'on renvoie la femme étrangère !
Mais il me semble que j'entends ici quelqu'un des Sages du Siècle me reprocher, que je fais de mon Héros un homme plus propre pour un Monastère, que pour tenir le Gouvernail d'un État ; et que je lui attribue moins les vertus d'un Héros, que celles d'un Anacorete
(Anachorète = ermite).

Non, M. F., cet esprit de prière, de réformation, de mortification, dont certains hommes, beaucoup plus propres à abîmer un État qu'à le diriger, sont le partage des femmes et des enfants, n'est pas incompatible avec ces qualités éminentes, qui font les Grands Hommes. Mais, quelque idée que nous ayons des vertus religieuses que nous venons de proposer, nous ne les croyons pas des titres suffisants pour mettre au timon de l'État ceux qui les possèdent.
Quand il s'agit d'élire un Chef, nous ne demandons pas qu'on examine seulement, s'il prie avec ferveur, si ses moeurs sont pures et irréprochables, si sa pénitence est vive et profonde.
La crainte de Dieu est bien le chef de la sapience (sagesse) ; (Prov. I. 7.) mais elle n'en compose pas le corps entier. Tout ce que la droiture peut permettre de souplesse d'esprit, de dextérité, de ménagement, de délicatesse, tout cela entre dans le devoir d'un Magistrat pieux. Étude profonde, secret impénétrable, ... choix de circonstances, prudente circonspection, dextérité de négociation, tout cela fait partie des qualités du bon Patriote, lorsqu'il est appelé au Gouvernement de sa Patrie, et que l'intérêt public lui est confié. Et tout cela se vit dans nôtre Héros. Nous avons dit en quatrième lieu, que son zèle pour le bien public lui inspira un esprit de prudence.

IV. Voyez avec quelle prudence il fait se prévaloir de l'ascendant qu'il a sur le coeur d'Artaxerxès et de la Reine, (Néhém. II. 7.) pour en obtenir des Lettres, pour se rendre formidable (redoutable) aux étrangers, et vénérable (respectable) à ses propres Compatriotes.
Voyez avec quelle prudence il voile pendant trois purs entiers le dessein qui l'amène en Judée : il ne sort que pendant la nuit pour faire le tour des murailles de Jérusalem, et pour voir lui-même de ses propres yeux, si on lui a fait des rapports fidèles.
Voyez avec quelle prudence il fait le dénombrement des Juifs, il impose à chacun sa tâche, et donne à chacun une portion de muraille à réparer. (
Néhém. III. 17.)
Voyez avec quelle prudence il fait le département
(partage) des gens qui sont sous ses ordres ; en sorte, qu'une moitié d'entr'eux travaillait et l'autre tenait des javelines, des boucliers, des arcs, et des corselets (cuirasse légère, sans manches).
Voyez avec quelle prudence ceux qui s'employaient à un ouvrage, l'objet de la jalousie des Nations voisines, tenaient d'une main l'équerre, et de l'autre l'épée.

De tels Magistrats, M. F., méritent tous les voeux, et tous les suffrages. De tels Magistrats sont de riches présents du Ciel. Ce n'est que dans sa colère, qu'il les retire, et qu'il met en leur place des hommes incapables de se gouverner eux-mêmes, bien loin de pouvoir gouverner les autres.
Quand à mon Peuple, disait autrefois Dieu lui-même par la bouche d'un Prophète pour marquer le comble du malheur et de la folie des Juifs, quant à mon Peuple, les femmes dominent sur lui, et les enfants sont ses Gouverneurs. (Esaïe III. 12.) La sagesse fut la première grâce que demanda Salomon, quand il se vit élevé sur le trône, déjà sage de faire une pareille demande, (I Rois III. 9.) la sagesse fut une des vertus, auxquelles il donna les plus grands éloges : Recevez mon instruction, et non pas de l'argent, et la science, plutôt que du fin or d'élite, car la sapience (sagesse) est meilleure que les perles, et tout ce qu'on saurait souhaiter ne la vaut pas. Moi, la Sapience, (Sagesse) je me tiens avec la discrétion, et je trouve la science et la prudence. À moi appartient le conseil, l'adresse, et la force. Par moi règnent les Rois, et les Princes décernent la justice. Bienheureux est l'homme qui m'écoute, ne bougeant de mes portes tous les jours ! 0 Rois, soyez entendu : Juges de la terre, recevez instruction. (Prov. VIII. 10-12. Psaume. IX. 10.)

V. La vigilance est le cinquième trait, dont nous peignons un bon Patriote, sur un Patriote, que Dieu à commis au bonheur et à la sûreté de sa Patrie.
C'est la cinquième vertu de Néhémie.

L'Indolence est une disposition d'esprit, qui rend incapable des Charges éminentes.
Un Empereur doit mourir debout, disait anciennement un homme, dont la vie était un commentaire perpétuel de cette sentence.
Ce mot plein de sens et de vérité est jusqu'à un certain degré pour tous ceux qui sont appelés au Gouvernement. Un Magistrat doit être dans un mouvement perpétuel. Ce qui est exactitude pour un simple particulier devient minutie chez un homme public. Ces petites régularités, cet arrangement superstitieux, ces heures marquées pour son sommeil, pour ses repas, pour ses occupations domestiques, pour ses récréations innocentes, tout cela n'est pas pour un homme qui s'est donné au Public.
L'ordre demande souvent qu'il ne garde aucun ordre dans ce qui ne concerne point le grade auquel il est élevé, et le caractère dont il est revêtu. Il faut qu'il se prête aux besoins de tous, et souvent il faut qu'il soit en garde contre les complots de tous.

Les ambitieux ne cessent de travailler à élever l'édifice de leur orgueil, et à asservir des hommes libres, souvent sous prétexte de la Liberté des Peuples : il faut qu'il mette des digues à cet orgueil.
Les Hypocrites se couvrent du manteau de la Religion
, et du bien public, pour traverser le bien public, et pour ébranler la Religion : il faut qu'il perce cette écorce, et qu'il fasse tomber ce masque.
Les Jurisconsultes frauduleux enveloppent les Lois, au lieu de s'appliquer à les éclaircir : il faut qu'il démêle ces sophismes, qu'il trouve des chemins dans ces labyrinthes trompeurs.
Les Pauvres se réfugient sous l'ombre de sa protection, et réclament son autorité contre l'oppression : il faut qu'il écoute leurs cris, et qu'il recueille leurs larmes.
Les Ennemis prennent le nom d'Alliés, pour s'insinuer avec plus de facilité, et pour porter des coups moins suspects et plus dangereux : il faut qu'il soit attentif à tous ces détours, et qu'il en prévienne le funeste effet.

En un mot, il faut en quelque sorte qu'il fut semblable à ce Dieu, qui
garde Israël, et qui ne sommeille jamais. (Psaume CXXI. 4.)
Comment soutiendra-t-il tant de travaux ; comment se prêtera-t-il à tant de soins ; comment dévorera-t-il tant de difficultés, s'il est plongé dans l'indolence ? Néhémie est infatigable, quand les besoins de Jérusalem le demandent :
Le hâle le consume durant le jour, les frimas durant la nuit, et le sommeil fuit de ses yeux. (Genèse. XXXI. 40) Il va de Babylone en Judée, et de Judée en Babylone : de Suse à Jérusalem, et de Jérusalem à Suse. Il passe les jours et les nuits à cheval : attentif à tout : pourvoyant à tout : occupé également à abattre et à édifier : à repousser les complots des Peuples ennemis : et ce qui n'exigeait, ni moins de vigilance, ni moins de soins, à réprimer les passions de ce Peuple même, au bonheur duquel il se dévoue avec tant de sincérité et avec tant d'ardeur.

VI. La fermeté et le courage sont le sixième caractère du zèle de Néhémie pour le bien public, et de son amour pour la Patrie.
Nous ne parlons pas seulement du courage qui fait le Soldat, ni de cette fermeté qui porte à affronter le péril, à enfoncer un escadron, à escalader une muraille, et qui fait que l'on conserve sa tranquillité, et son sang-froid, au son formidable des instruments belliqueux, à la vue des feux et des flammes, au milieu des monceaux des morts et des mourants.

Néhémie fut ferme et courageux en ce sens. L'Histoire de son Gouvernement est remplie de preuves de son intrépidité et de sa vaillance. Mais le siècle a prévenu, s'il est permis de parler ainsi, la Religion sur cet article.
On regarde avec tant de mépris dans le monde un homme qui ménage son sang, quand le besoin public l'appelle à en être prodigue, qu'il est inutile de presser ce devoir dans nos Chaires, et que nous pouvons nous reposer du soin de cette partie de nôtre Ministère sur nos Soldats et sur nos Capitaines.
Mais, combien de fois les hommes les plus intrépides dans les Armées sont-ils timides et pusillanimes dans la Société civile ?
Combien de fois celui, qui a affronté une mort presque inévitable, craint-il de hasarder son crédit et sa fortune ?
Combien de fois voit-on ramper honteusement celui qui semblait être parvenu au plus haut point d'héroïsme ?

La vertu se recueille dans les grands périls. La vue d'un Ennemi, qui parait à découvert, qui ne respire que sang et que carnage, qui vient contre nous la fierté sur le front, la rage dans les yeux, et le blasphème à la bouche, donne quelquefois du courage aux âmes les plus lâches. Mais quand il est question de faire tête à un Concitoyen dangereux : quand il faut réprimer un homme à qui l'on est uni par les liaisons du sang : quand il faut résister à celui qui cherche, non à renverser les Lois, mais seulement à les éluder ; non à vendre la Patrie, mais à ne pas lui procurer tout le bonheur dont elle peut jouir ; non à fausser le serment, mais à tolérer ceux qui le faussent ; non à commettre l'iniquité, mais à supporter ceux qui la commettent : qu'il est difficile qu'on ne plie dans cette occasion, qu'on ne cède au reproche d'être un homme dur et inflexible, et qu'on ne fasse par une molle condescendance, souvent aussi fatale aux États
que la trahison même et la perfidie, ce qu'on aurait détesté, si l'on avait suivi ses propres principes !

Néhémie sut triompher de tout ces obstacles. Il fit tête également à ces deux sortes d'Ennemis. Il ne traita comme bons Patriotes, que ceux qui comme lui n'avaient que le bien de la Patrie en vue. (
Néhém. XIII. 4. & VI. 1 & c.)
Il ne témoigna pas plus d'indulgence pour Eljasib
(Éliaschib) le Sacrificateur, que pour Samballat Horonite. Il n'eut pas plus de ménagement pour Schemahja (Schemaeja) Juif, que pour Gueschem Arabe. Il fit également la guerre à tous ceux qui n'étaient pas dévoués au bien public, soit qu'ils fussent du sang idolâtre, soit qu'ils fussent du sang Israélite.

VII. Mais la vertu qui couronnera toutes celles que nous venons de produire, la vertu sans laquelle toutes les autres sont sans mouvement et sans vie, cette vertu peut-être plus rare encore que la prière, que la mortification, que la réformation, que la prudence, que la vigilance, que le courage même, c'est le désintéressement.
Non seulement Néhémie n'eut pas cette avidité pour les richesses, qui fait que l'on regarde le grade, auquel on est élevé, moins du côté de ses devoirs que du côté de ses avantages ; mais il immola ses avantages à ses devoirs :
- non seulement il ne se prévalut pas de sa dignité pour affermir sa fortune : mais il hasarda sa fortune pour répondre à sa dignité :
- non seulement il ne foula pas les Peuples ; mais il n'en exigea pas même ce qui lui était du pour l'entretien de sa maison (
Néhém. V & c), et il le céda pendant douze années entières :
- non seulement il ne retarda pas les travaux publics par des raisons prises de son intérêt particulier : mais il fournit de quoi les avancer de ses deniers propres.

Quel prétexte l'amour-propre ne lui fournissait-il pas contre ce voyage, que l'amour de la Patrie lui dictait ! Combien de maximes la sagesse humaine ne pouvait-elle pas lui suggérer, pour le retenir auprès de son Prince !
Peut-être, qu'Artaxerxès perdra insensiblement l'habitude de me souhaiter auprès de sa Personne ?
Peut-être qu'un Rival se prévaudra de mon absence ?
Peut-être que ces amis de Cour, qui sont pour l'ordinaire de vrais ennemis, parviendront à faire naître des soupçons contre ma fidélité ?
Peut-être que pour vouloir contribuer au bonheur de mes frères, je les priverai d'un puissant protecteur auprès du Roi ?
Peut-être qu'à mon retour je ne serai plus admis à la source de ces grâces que j'aurai négligées.
L'Amour du bien public et de la Patrie lui inspire un désintéressement qui l'élève au-dessus de tant de considérations plausibles.

Reconnaissons-le, M. F. : comme, lorsqu'on porte l'avarice à un certain point, on est capable de tous les vices ; aussi, lorsqu'on ne porte le désintéressement qu'à un certain degré, on ne saurait être capable des grandes vertus. Un homme qui n'a pas cette grandeur d'âme, cette générosité que je dépeins, ne saurait remplir dignement aucune des relations de la Société. Il ne fait que ramper avec le commun des hommes, dans le languissant exercice des vertus communes. Un homme qui n'a pas cette grandeur d'âme, et cette générosité, ne saurait être bon Père.
Pour être bon Père, il faut être désintéressé, il faut répandre son bien quand il s'agit de l'éducation de sa famille, et laisser à ses enfants le savoir vivre, la lumière, la vertu, et la Religion, plutôt que les plus riches trésors, que les Emplois les plus lucratifs.
Il ne saurait être bon fils.
Pour être bon fils, il faut être désintéressé, il faut pouvoir immoler aux commodités, aux douceurs de la vieillesse d'un bon Père, ses biens, ses dignités, son crédit.

Il ne saurait être bon marchand.
Pour être bon marchand, il faut être désintéressé, ne pas frauder les droits, ne pas déguiser la vérité, ne pas favoriser l'injustice.

Il ne saurait être bon Soldat.
Pour être bon Soldat, il faut être désintéressé, ne point
user de concussion (malversation) ; se contenter de ses gages. (Luc III. 14.)

Il ne saurait être bon Général.
Pour être bon Général, il faut être désintéressé. il faut n'être point ébloui de tous ces chemins de fortune, que l'on voit ouverts devant les yeux, ne pas régler une marche, un conseil de guerre, un siège, et une bataille, sur certaines vues, que plus d'une raison nous empêche d'indiquer ici.

Il ne saurait être bon Pasteur.
Pour être bon Pasteur, il faut être désintéressé, il faut sentir la grandeur de son caractère, il faut dire comme St. Paul : Il
me vaudrait mieux mourir, que si quelqu'un anéantissait ma gloire (1 Cor. IX. 15.), il faut n'avoir aucun égard à l'apparence des personnes : il faut ne connaître personne selon la chair (2 Cor. V. 16: il faut reprendre le vice, fut-il sur des fronts tout couverts d'une gloire mondaine ; il faut n'être pas même tenté de traîner son Ministère à la porte d'un Grand, qui peut contribuer à notre fortune.

Il ne saurait être bon ami.
Pour être bon ami, il faut être désintéressé : il faut n'être pas si occupé de ses biens, qu'on ne puisse fournir à l'attention et aux soins que l'amitié demande : il faut être capable de faire de nobles sacrifices à son ami : il faut l'aider dans ses besoins : il faut le secourir dans ses disgrâces. Mais surtout, un homme qui n'a pas cette générosité et cette grandeur d'âme, dont nous parlons, ne saurait être bon Patriote, moins encore bon Gouverneur de sa Patrie.
De quelle grandeur d'âme, de quelle générosité ne faut-il pas être animé pour quitter les rênes du gouvernement dès qu'on a les mains trop faibles pour les porter ?
De quelle générosité, de quelle grandeur d'âme ne faut-il pas être animé pour oublier ses affaires personnelles, pour suspendre ses plaisirs, lorsque l'intérêt public le demande ?
De quelle générosité, de quelle grandeur d'âme ne faut-il pas être animé pour ménager les deniers publics, avec plus de soin qu'on ne ménage les siens propres ?

Quand la vertu, dont je fais l'éloge, ne serait recommandable que par sa rareté, ne serait-ce pas assez pour nous la faire admirer ?
Quand Néhémie ne serait digne de nos regards, qu'à cause du petit nombre d'imitateurs qu'il eut dans tous les temps et dans tous les lieux, cela seul ne suffirait-il pas pour nous en donner de grandes idées ?

Mes Frères, si un Sermon était un Traité complet sur le sujet qui en fait la matière, il faudrait, après vous avoir montré les divers effets du zèle pour le bien public, et de l'amour pour la Patrie, vous parler des fondements et des grands motifs sur lesquels cette vertu est appuyée. Nous ne faisons qu'indiquer quelques-uns de ces motifs.

Un bon Patriote, surtout un homme qui préside dignement à la conduite de sa Patrie, entre dans le but que la Divinité s'est proposé, lorsqu'elle a formé des créatures intelligentes, capables de société.
Un bon Patriote, surtout un homme qui préside dignement à la conduite de sa Patrie, répond aux engagements dans lesquels doivent entrer tous les hommes lorsqu'ils habitent des villes, lorsqu'ils se mettent sous la protection des États, lorsqu'ils veulent se prévaloir des avantages qui résultent de cet assemblage d'hommes qui composent les Corps publics.
Un bon Patriote, surtout un homme qui préside dignement à la conduite de sa Patrie, fuit l'esprit de la Religion, dont les lois ne supposent pas que nous vivrons dans les forêts et dans les déserts, loin du commerce des vivants ; mais que nous communiquerons avec nos semblables, et qu'il y aura dans la Société des maîtres, des serviteurs, des Souverains, des sujets, et ainsi du reste.

Un bon Patriote, surtout un homme qui préside dignement à la conduite de sa Patrie, est l'objet de tous les voeux ; il est regardé comme un père universel, il est comblé des bénédictions de tout son Peuple, et goûte ainsi la satisfaction la plus pure que puisse avoir une belle âme : au lieu que celui qui abuse du pouvoir que sa Patrie lui a confié, est un objet d'exécration ; il est envisagé comme un fléau de Dieu, comme une sangsue publique, qui se nourrit de la substance des Peuples, et dont chacun demande au ciel d'être délivré.

Un bon Patriote, surtout un homme qui préside dignement à la conduite de sa Patrie, travaille au plus bel ouvrage dont l'imagination puisse être frappée : c'est de rendre des Peuples heureux.
Quelle douceur de vivre sous un gouvernement, dans lequel le bonheur public est la fin et le but de chaque particulier, et où le bonheur public rejaillit sur chaque particulier ! Quelle douceur de vivre sous un gouvernement, où la grandeur suprême n'a pour but que de rendre des Peuples heureux, et où les Peuples n'ont pour but que de maintenir la grandeur suprême ! Quelle douceur de vivre sous un gouvernement, où les Grands sont affables, où les impôts sont payés avec exactitude, et dispensés avec fidélité, où les Sciences et les beaux Arts sont favorisés, et où les services reçoivent leur rétribution et leur récompense !

Un bon Patriote, surtout un homme qui préside dignement à la conduite de sa Patrie, un tel homme, en procurant des biens temporels à ses Peuples, leur procure des félicités éternelles. Il y a souvent une relation intime entre la paix de l'État, et la paix de l'Église : et il y a souvent une relation intime entre la paix dont nous jouissons dans l'Église, et la destinée que nous aurons dans l'éternité ; parce que malaisément trouve-t-on sous un gouvernement malheureux ce calme, dont on a besoin pour s'instruire, pour s'étudier, pour s'animer les uns les autres à la vertu, pour faire fleurir la Religion et les bonnes moeurs. Mais comment entreprendre désormais de puiser dans ces riches sources ?

Et qui est celui de vos Prédicateurs, qui peut se promettre d'approfondir une matière dans les bornes qui lui sont prescrites ?

Finissons.
Sujets nés de cet État, Provinces sur lesquelles Dieu a continuellement les yeux, que votre condition est digne d'envie de ce que vous pouvez exercer dans toute son étendue, la vertu que nous venons de dépeindre ?
Vous voyez sous vos yeux un grand nombre d'Exilés, à qui le ciel en courroux refuse ce privilège. Une des plus puissantes consolations de ces troupes fugitives, c'est que vous ne dédaignez pas de les confondre avec ceux qui ont eu le bonheur de naître sous votre gouvernement : c'est que vous n'exigez pas qu'il y ait deux peuples au milieu de vous : c'est que vous avez la condescendance de nous considérer comme si nous vous devions la naissance, ainsi que quelques-uns de nous vous doivent leur entretien, et que tous vous doivent leur repos et leur liberté. À juger de nous par les tendres sentiments que nous avons pour vous, vous nous faites dans cette conduite autant de Justice que de charité.
Mais le Texte que nous traitons, nous oblige, malgré nous, à faire aujourd'hui cette distinction que vos bontés ont abolie. Nous sommes obligés, malgré nous, en nous recueillant sur ce que nous venons d'entendre, de distinguer deux Peuples dans cette Assemblée. Le Peuple né dans ces Provinces, et le Peuple que ces Provinces ont recueilli.
Les paroles de notre Texte conviennent au premier de ces Peuples dans un sens, et au second dans un autre sens. Et nous sommes forcés de faire deux sortes d'Applications : une Application pour ce Peuple d'Exilés, et une Application pour celui qui a le bonheur de vivre dans sa Patrie.

Premièrement, les paroles de notre Texte nous conviennent à nous dans un sens qui ne saurait vous être appliqué : puissent-elles dans ce sens ne jamais vous convenir !
Nous sommes dans les circonstances de Néhémie.
La Ville, qui est le lieu du sépulcre de nos Pères, demeure encore désolée. Ses portes sont encore en feu. Nos frères gémissent encore sous le bâton de l'exacteur. Que dis-je ? Hélas ! Plut à Dieu fussions-nous dans les mêmes circonstances que Néhémie ! Mais ce n'est là que le commencement de notre douleur. Ces Juifs, dont les malheurs coûtaient tant de larmes à ce saint Homme, jouissent du moins de la liberté spirituelle. Pendant que les murailles de leurs villes étaient ruinées, celles de leurs Temples étaient affermies, et ils pouvaient puiser dans le sein de Dieu de quoi adoucir leurs amertumes.

Si nos frères avaient les mêmes privilèges, nous participerions à leurs consolations, en participant à leurs malheurs. Nous adoucirions la pensée de leurs maux, par celle des fruits qu'ils en pourraient tirer. Et nous dirions de leur affliction, qu'elle ne fait
que passer, et qu'elle va produire un poids d'une gloire excellemment excellente. (2 Cor. IV. 17.) Mais les malheurs que nous déplorons, enveloppent le corps et l'âme : ils embrassent dans leur affreuse enceinte le présent et l'avenir, le temps et l'éternité ; et au lieu de dire, cette légère affliction qui ne fait que passer, produit un poids d'une gloire excellemment excellente, nous avons trop sujet de dire au contraire, cette accablante affliction, qui ne fait que commencer, menace d'un poids éternel de misère, dont la seule idée épouvante, et dont la probabilité fait horreur.

Et cependant, malheureux comme les anciens Juifs, beaucoup plus malheureux encore, il n'y a pour nous aucune espérance de retour.
Point de
Consolateur qui fasse, revenir le coeur. (Lament. I. 16.)
Point de voix qui crie dans le désert, préparez les chemins du Seigneur, et dressez ses sentiers. Toutes les vallées seront comblées, tous les coteaux seront abaissés, tous les lieux tortus seront aplanis. (Esaïe. XL. 3.)
Point de Cyrus duquel Dieu prenne la main droite, afin de terrasser les Nations par son bras, afin que devant lui les portes ne soient point fermées. (Esaïe. XLV. 1.)
Point d'Artaxerxès qui prête son autorité. Et ce qu'il y a de plus déplorable, point de Néhémie qui puisse la demander avec succès.

Quand nous serions les Patriotes les plus zélés et les plus fidèles, quand nous aurions pour notre Patrie tout l'amour que Néhémie eut pour la tienne, nous ne pourrions le produire au dehors comme lui. En vain aurions-nous cet esprit de réformation, cet esprit de prudence, cet esprit de vigilance, de courage, de désintéressement. Et parmi toutes les dispositions dont nous avons fait l'énumération, nous n'avons la liberté d'exercer que notre mortification et nos prières.
Ah ! Souffrez que pouvant si peu pour les villes où sont
les sépulcres de nos Pères, nous fassions ce qui est en notre pouvoir.
Souffrez que de tristes objets fassent quelque diversion à la part que nous prenons à votre prospérité.
Souffrez que notre visage pâlisse, pendant que
la Ville qui est le lieu des sépulcres de nos Pères demeure désolée, et que ses portes sont en feu.
Souffrez que nous vous conjurions de prier pour la paix de Jérusalem.
Souffrez qu'au milieu d'un Peuple comblé des faveurs du ciel, et d'un Peuple que nous aimons comme nous-mêmes, nous fassions éclater ce cri, interprète de nos douleurs :
Jérusalem, si je t'oublie, que ma dextre s'oublie elle-même ; que ma langue s'attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, et si je ne te mets pour le premier chef de ma réjouissance ! (Psaume CXXXVII. 5.)

Je reviens à vous, Sujets de cet État, et je le répète encore, Peuple favorisé du ciel, Provinces sur lesquelles
Dieu a continuellement les yeux. Que votre condition est digne d'envie, de ce que vous pouvez exercer dans toute son étendue, la vertu que nous avons caractérisée !
Portez-la jusqu'au degré le plus éminent où elle soit jamais parvenue. Surpassez en zèle pour la Patrie les Codrus, les Phocions, et les Aristides. Soyez plus ardents pour le bien public, que les Sertorius, que les Aemilius, et que les Camilles. Montrez-vous dignes enfants de ces Pères, qui ont fait de leurs têtes le fondement de cet État, et qui l'ont cimenté de leur sang.
Réunifiez toute votre prospérité pour perfectionner votre prospérité, et pour écarter à jamais ce qui l'altère et qui la traverse.
Vous avez encore des brèches à réparer, vous avez encore des murs à relever, vous avez encore des portes à rebâtir, et des flammes à éteindre. Que tout cède au bonheur public : et
que Dieu secoue de sa maison tous ceux qui ne mettent point en effet cette Parole.

Ce n'est point à nous à entrer dans tous les détails, dont ce sujet serait susceptible. Moins encore est-ce à nous à désigner celui qui est réellement zélé pour le bien public, et celui qui ne l'est qu'en apparence. Nous ne touchons qu'à l'article le plus aimable de ce sujet, et le plus conforme à notre inclination. Nous n'osons que former des voeux pour ces florissantes villes que vous habitez.

Allez de prospérité en prospérité. Transmettez à vos enfants, et aux enfants de vos enfants, cette félicité publique, et cette douce liberté que Dieu vous a confiées. Soyez jusqu'à la fin des Siècles, le centre des faveurs Divines, l'asile des opprimés, les colonnes de la vérité, les remparts de la Réformation.

Parvenez par le rare chemin des félicités temporelles aux félicités de l'éternité, et ne changez cette gloire terrestre, dont vous brillez aux yeux de tout l'Univers, que pour cette gloire céleste que Dieu vous a préparée avant la fondation du monde, que le Rédempteur de l'Église vous a acquise par son sang, et que je vous souhaite, avec ces mouvements, qui, sont au-dessus de l'expression, et qui se renferment dans le coeur, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
À cette Sainte et adorable Trinité, l'objet de nos adorations et de nos hommages, soit honneur et gloire, force, empire, et magnificence, dès maintenant et à jamais.
Amen.


Table des matières


(1) Stob. Serm. 37: Plato in Critone ; Paul. Emil. lib. 4. ; Cicer. Somn. Scipion.

(2) Aeliam. Hist. Var. lib. II

(3) Plut. in Arist.

(4) Justin Lib. II

(5) Voyez Plutar. in Camill & Erasm. Apophteg. Lib. V.

(6) Voyez Joseph Scaliger, in Euseb. Chron. Animadv. p 107.

 

- haut de page -