SERMON SUR
L'AMOUR DE LA PATRIE
Jaques SAURIN
Pasteur à La Haye
1762
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Comment mon visage
ne serait-il pas mauvais, puisque
la Ville, qui est le lieu des sépulcres de
mes pères, demeure défaite ; et
que ses portes ont été
consumées par feu ? Néhémie II.
3.
C'était une peinture bien vive
de l'endurcissement du
peuple d'Israël,
mes Frères, que celle que Dieu
traçait au Prophète
Ézéchiel : Fils de l'homme, tu n'es
pas envoyé vers des peuples d'un langage
barbare. Si je t'envoyais vers eux, ne
t'écouteraient-ils pas ? C'est vers la
Maison d'Israël que je
t'envoie ;
et qui
ne voudra point t'écouter,
par cette seule raison, qu'elle
ne veut point écouter. (Ezéch. III. 4-7)
Ne faisons point un
parallèle odieux des Peuples au milieu
desquels ce Prophète exerçait son
ministère, avec ceux au milieu desquels nous
exerçons le nôtre. Mais, la
première partie des paroles que Dieu adresse
à Ézéchiel, se vérifie
aujourd'hui. Nous nous proposons de vous entretenir
du zèle pour le bien public, et de l'amour
de la Patrie.
Si nous avions prêché cette doctrine
à ces peuples, qui étaient
sans Dieu
et sans espérance au
monde, (Ephés.
II. 12) nous aurions pu nous promettre de la
prêcher avec succès. Nous y aurions
trouvé des Nations entières, parmi
lesquelles les enfants étaient
élevés à regarder le bien de
la Patrie comme le but de tous leurs soins.
Nous y aurions vu des Philosophes qui auraient
joint leur voix à la nôtre, et qui
vous auraient dit qu'il faut regarder et
chérir
comme une mère,
une Patrie même ingrate : qu'une portion
de nos biens est à nous, et l'autre à
notre Patrie : qu'il faut lui
rendre, quand elle l'exige, cette vie qu'elle nous
a donnée : qu'il y a dans le ciel des
places marquées pour ceux qui auront
contribué à sa gloire et à son
élévation. (1)
Nous y aurions
trouvé des Héros, qui ont
éternisé leur nom, pour avoir
porté cette vertu au degré le plus
éminent.
Nous y aurions trouvé un Phocion, qui, en
prenant ce poison, (2)
qui
lui était présenté par de
sanguinaires Concitoyens, exhortait son fils
à les chérir, parce qu'on doit encore
plus à sa Patrie qu'à son
Père.
Nous y aurions trouvé un Aristide qui, en
partant pour (3) l'exil auquel il
était si cruellement condamné, levait
les yeux vers le ciel, et priait les Dieux, que les
Athéniens n'eussent jamais lieu de se
souvenir des cruautés qu'ils
exerçaient en sa personne.
Nous y aurions trouvé un Codrus
(4), qui ayant su que
l'Oracle avait promis la victoire au Peuple, dont
le Prince prirait dans la guerre, se dévoua
lui-même à la mort.
Nous y aurions trouvé (5) des Sertorius, des
Regulus, des Paulus Aemiluis, des Camilles. Il
serait aisé de grossir cette liste.
La première partie des paroles que nous
avons citées, se vérifie donc
aujourd'hui : Si
je t'envoyais
vers des Peuples d'un
langage barbare, ne t'écouteraient-ils
pas ?
Malheur à
nous, M. F., si la seconde se vérifiait
aussi ! C'est
vers la Maison d'Israël que je t'envoie ;
mais elle ne voudra point t'écouter par
cette seule raison,
qu'elle ne veut point
écouter.
Éloignons ce funeste augure. Suivez-nous, M.
F., et venez admirer, ou plutôt imiter, un
illustre exemple du zèle pour le bien
public, et de l'amour pour la Patrie.
Néhémie, au milieu d'une Cour superbe
et délicieuse, favori d'un grand Roi,
Néhémie, comblé de gloire, de
richesses et de plaisirs, Néhémie se
sent livré à une profonde tristesse.
Son visage change, sa santé
s'altère : c'est son zèle pour
le bien public, c'est son amour pour la Patrie, qui
le ronge, et qui le dévore.
Lorsque son Prince lui demande la cause de ses
douleurs, il répond : Comment mon visage ne serait-il pas
mauvais, puisque la Ville, qui est
le lieu des sépulcres de mes Pères,
demeure désolée, et que
ses portes ont été consumées
par le feu ?
Quand nous faisons des efforts pour vous engager
à ne penser
qu'aux choses
qui sont en haut
(Coloss. III. 1) :
quand nous rappelions
à votre mémoire, que vous êtes
les Bourgeois des
Cieux (Philip. III. 20) ; et que nous travaillons
à vous inspirer des sentiments sortables
(qui
conviennent à)
à des titres si pleins de
gloire ;
vous
nous alléguez vos villes,
vos Provinces, vos enfants, vos familles. Hé
bien ! c'est pour ces familles, c'est pour ces
enfants, c'est pour ces villes, c'est pour ces
Provinces, que nous vous parlons aujourd'hui.
Puisse le bien public réunir les coeurs de
tous ces Auditeurs : puisse retentir pour nous
ce cantique d'un Prophète !
O que c'est une chose
agréable que les frères
s'entretiennent ensemble ! C'est comme cette
huile précieuse répandue sur la
tête d'Aaron,
et qui découle
sur le bord de ses vêtements. C'est là
que l'Éternel a ordonné la
bénédiction et la vie
à toujours.
(Psaume CXXXIII.)
Néhémie était un Juif,
probablement né en Babylone. Si nous en
croyons Eusèbe et quelques Critiques,
(6) il était de
la Tribu de Juda. Il fut Échanson et Favori
d'Artaxerxès Longue-main, Roi de Babylone,
qui lui donna le Gouvernement de la Judée.
Les bénédictions dont il fut
comblé, quoique dans une terre
étrangère, furent un des effets de la
promesse, par laquelle Dieu s'était
engagé de favoriser les Juifs, même
dans le temps de leurs plus grandes tribulations.
Peut-être doivent-elles être
envisagées aussi comme des suites de cet
Oracle qui avait promis que le sceptre ne se
départirait point de la Tribu de Juda ou le
Législateur d'entre ses pieds,
jusqu'à ce que le Schilo vînt.
(Genèse XLIX. 10)
Jamais Texte ne fut sujet à tant de
contestations, non seulement de la part des
ennemis, mais de la part des Docteurs même
les plus zélés et les plus
orthodoxes. Effrayés de ces longues
périodes d'humiliation, qu'éprouva la
Tribu de Juda, durant les soixante-dix
années de la captivité ;
effrayés même des misères dans
lesquelles elle fut plongée depuis le retour
des Juifs à Jérusalem ; ils
n'ont pu démêler dans ces tristes
périodes l'accomplissement de cet Oracle.
Ils ont cru que l'honneur de la Religion les
engageait à donner aux paroles de Jacob
mourant, un sens plus facile à
vérifier, que celui qu'on leur attribue
presque unanimement dans nos Églises.
Rien ne serait plus éloigné du but de
Discours qu'une discussion sur cette
matière : nous avons prouvé
ailleurs qu'il n'y a pas eu depuis la mort de
Jacob, etc. jusqu'à la venue de notre
Schilo, un seul instant, dans lequel la Tribu de
Juda n'ait eu, non des Rois et des
Législateurs tout ensemble, mais des Rois,
ou des Législateurs, comme l'on
peut traduire l'original, ainsi que le
reconnaissent tous ceux qui ont les
premières teintures de la Langue Sainte.
Nous nous contenterons de vous marquer ici quel
était l'état de l'Église sous
Artaxerxès.
Les affaires des Juifs avaient pris une face toute
nouvelle. Mais s'ils rebâtissaient la Ville,
selon l'Oracle de
Daniel, (Dan. IX. 25) c'était dans un temps d'angoisse,
comme parle le
même Prophète. Leurs ennemis, jaloux
de leur liberté renaissante, faisaient de
nouveaux efforts pour les asservir. Ils faisaient
suppléer la fourberie à la force. Ils
voulaient les rendre suspects aux Rois de
Babylone.
Rarement ferma-t-on l'oreille aux accusations
faites contre un Peuple opprimé. Ils
représentèrent cette Jérusalem
qui allait renaître de ses cendres, comme un
refuge de rébellion, et comme une digue,
qu'on élevait contre l'autorité des
Rois de Babylone.
Les Juifs, moins par prudence que par
timidité, cédèrent à
ces efforts. Ils succombent sous le poids de
l'ouvrage qu'ils avaient entrepris. Quelques-uns
d'entr'eux venus en Babylone,
peut-être plus pour se
dérober aux malheurs de leur Patrie, que
pour en solliciter la liberté, se
présentèrent à
Néhémie : ils lui firent un
triste tableau des misères de
Jérusalem : ils lui dirent, qu'elle
était couverte d'opprobre et
d'ignominie ; qu'elle ouvrait de tous
côtés le flanc à ceux qui
avaient juré sa ruine ; et que les
Juifs étaient plus captifs depuis le retour
de la captivité, que durant leur
captivité même.
À cette funeste narration,
Néhémie fond en larmes. Il se
transporte du coeur et de la pensée sur les
ruines de Jérusalem. Il se sent percé
de tous les traits que l'on porte contre ses
frères. L'image de cette ville
désolée, de ces murs réduits
en cendres, le suit partout. Les mouvements de son
coeur se gravent, pour ainsi dire, dans ses yeux et
sur son visage. Il parait devant son Roi, moins en
Favori comblé de grâces, qu'en esclave
chargé de chaînes. Il se
prévaut de la faveur de ce Prince, il
demande et il obtient la liberté d'aller
à Jérusalem et de travailler à
son rétablissement. Il part : il
entreprend : il exécute.
Voilà, M. F., ce que vous
devez avoir présent
à l'esprit pour pénétrer dans
le coeur de notre Héros, et pour y
démêler la vertu qui y domine, le
zèle pour le bien public, et l'amour de
la Patrie.
En réunissant les diverses circonstances,
que nous venons de vous indiquer, en liant les
paroles de notre Texte avec celles qui les suivent,
et avec celles qui les précédent,
nous trouvons dans le zèle de
Néhémie pour le bien public, et dans
son amour pour la Patrie :
1° Un esprit
de dévotion.
2° Un esprit de réformation.
3° Un esprit de mortification.
4° Un esprit de prudence.
5° Un esprit de vigilance.
6° Un esprit de fermeté.
7° Enfin, un esprit de
désintéressement.
Sept caractères du
véritable zèle pour le bien public,
et de l'amour pour la Patrie.
I. Le zèle, dont
Néhémie est animé pour le bien
public, et son amour pour la Patrie, lui inspire un
esprit de dévotion. Arrière d'ici ces
mouvements de murmure et de blasphème,
auxquels les Grands du monde s'abandonnent, lorsque
tout ne se
succède pas selon leurs voeux :
arrière d'ici ces insolents mortels, qui
croient pouvoir suffire au Gouvernement
des Corps publics, même
sans le secours de Dieu : arrière d'ici
ces dévotions simulées dans
lesquelles on a plutôt pour but d'amuser les
peuples, que d'apaiser le courroux du ciel :
arrière d'ici ces solennités
auxquelles ceux qui les proclament ne prennent
d'autre part, que celle de les proclamer.
La première émotion, dont
Néhémie se sent agité à
l'ouïe des malheurs de Jérusalem, c'est
une émotion de piété : le
premier mouvement de ses yeux le tourne du
côté du ciel : la première
requête qu'il adresse en faveur de cette
Ville désolée, c'est à celui
qui Esaïe l'a formée, et qui l'a faîte depuis
longtemps, (Esaïe XXII. 11)
selon l'expression
d'un Prophète : le premier coup qu'il
frappe en sa faveur, c'est à la porte du
trône des miséricordes
divines.
Que fit ce St. Homme lorsqu'il eut ouï le
triste récit, dont nous parlions tout
à l'heure ? Il pria :
Dès que j'eus
entendu ces paroles,
dit-il, je
m'assis,
je fis ma
prière devant le Dieu des cieux. Et je dis,
je te prie, Éternel, qui es le
fort, le grand, le terrible, qui gardes
l'alliance et la miséricorde à ceux
qui t'aiment : je te prie, que ton oreille
soit attentive, pour entendre la prière que
ton serviteur te
présente jour et nuit, pour les Enfants
d'Israël. (Néhémie 1. 4 &
c.)
Que fit-il, lorsque
Samballat et Tobijah Hammonite insultaient les
Juifs ? Il pria : Nous priâmes
notre Dieu, dit-il, O
mon Dieu écoute, comme nous sommes en
mépris. (Néhém. 4.4)
Que fit-il,
après avoir convoqué tout le
Peuple ? Il pria. Il fit, du moins l'on fit
par son ordre, cette belle prière que nous
lisons dans le chapitre neuvième de son
Livre,
(v. 6. & c.) et qui doit servir de modèle
à tous ceux qui prient. Il pria sans
cesse.
Vous trouvez dans chaque circonstance de sa
narration un de ces cris sans voix, ou, comme
parlait St. Paul, un de ces gémissements
inénarrables, (Romains 8: 25.)
que forme le St.
Esprit au dedans d'un coeur qu'il anime :
O mon Dieu,
souviens-toi de ce que j'ai fait pour ce
Peuple. O mon Dieu, souviens-toi de Tobijah et de
Samballat. O mon Dieu, souviens-toi de moi en bien.
(Néhém. V.
19. VI. 14.)
Je reconnais à
cette dévotion, un bon Patriote, un homme
qui a un véritable zèle pour le bien
public. J'y reconnais un imitateur de ces saints
Hommes, qui se sont signalés par cette
vertu. Que faisait Abraham pour cette Ville, qui
avait servi de refuge à une partie de sa
famille ? Il priait :
Feras-tu périr
même le juste avec le méchant ?
Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la
ville, les feras-tu périr aussi ? Ne
pardonneras-tu point à la ville à
cause des cinquante justes ? (Genèse XVIII. 23.)
Que faisait
Moïse quand quelque fléau venait fondre
sur les Israélites ? Il priait :
O Éternel,
pourquoi ta colère s'allumerait-elle contre
ton peuple que tu as retiré du pays
d'Égypte,
avec une grande
puissance et par main forte ? Pourquoi
diraient les Égyptiens, il les a
retirés à mauvais dessein, pour les
tuer sur les montagnes et pour les consumer de
dessus la terre ? Reviens de l'ardeur de ta
colère,
repens-toi de ce mal
que tu veux faire à ton Peuple. (Exode XXXII. 11. &
c.)
Que faisaient David,
Josias, Daniel, et tant d'autres, dont il serait
trop long de produire la liste ? Ils priaient.
Un esprit de dévotion : c'est le
premier caractère du zèle pour le
bien public, et de l'amour pour la Patrie.
II. Le zèle de Néhémie pour le
bien public et son amour pour la Patrie, lui
inspirèrent un esprit de Réformation.
À peine les années de la
captivité furent-elles terminées, que
les Juifs s'abandonnèrent
aux mêmes excès, qui avaient
causé leur exil. Si vous en exceptez un seul
crime, je veux dire l'idolâtrie, ils se
rendirent coupables de tous les autres. On ne peut
rien concevoir de plus affreux, que l'état
où Néhémie les trouva. Quelque
grands que fussent les malheurs de
Jérusalem, ses débordements
étaient plus grands encore que ses
malheurs.
1. Selon le
calcul de quelques Savants, Voyez la
vingtième année d'Artaxerxès,
qui fut celle du premier voyage de ce
saint Homme, tombait sur l'année
Sabbatique. Une des lois qu'il fallait observer
dans cette année-là, comme nous le
lisons dans le chap. XV. du
Deutéronome,
c'était que
tout homme relâchât ce qu'il avait
prêté à son prochain.
Mais, les Juifs du
temps de Néhémie, au lieu d'observer
cette loi, poursuivaient leurs débiteurs
à toute rigueur, et en exigeaient des usures
exorbitantes : jusque-là (au point) qu'il y avait des malheureux, qui
engageaient leurs champs, leurs vignes, leurs
enfants mêmes, pour avoir du froment.
Néhémie réforma cet abus. Il
exhorta ses Frères à la
charité et à la
justice : il mit la main dans son sein, en la
secouant, il dit, Que
Dieu secoue ainsi de ta maison tous ceux qui
n'auront pas mis en effet cette parole.
(Néhém. V.
13.)
2. Les Juifs en renonçant à
l'idolâtrie, s'étaient alliés
avec le sang idolâtre : ils avaient pris
des femmes Alschdodienes (Asdodiennes) : (au point) que quelques-uns de leurs enfants
ignoraient la Langue Hébraïque, et ne
parlaient que l'Alschdodiene. (Néhém. XIII.
23.)
Eljaschib (Éliaschib) le Sacrificateur avait non seulement
souffert (accepté) une pareille alliance dans sa
famille, (Néhém. XIII.
4.) mais
qu'après y avoir admis Tobijah Hammonite, il
lui avait donné un appartement dans le
Temple même. Néhémie
réforma cet abus. Il jeta hors du Temple les
meubles de Tobijah. Il châtia quelques-uns
des Juifs, et leur fit jurer par le nom de Dieu,
qu'ils ne donneraient point leurs filles aux fils
des Étrangers.
3. Les Juifs avaient si peu de zèle pour le
Culte public, que les
portions des Lévites ne leur avaient point
été données ; de sorte
que les Lévites et les
Chantres qui faisaient le service, s'en
étaient
enfuis chacun vers le
bien qu'il avait aux
champs.
(Néhém. XIII.
10) Néhémie reforma encore
cet abus. Il rassembla tous ces
Ministres épars, et il les rétablit
dans leurs fonctions.
4. Les Juifs profanaient le jour du Sabbat d'une
façon si odieuse, (Néhém. XIII.
15.) qu'ils battaient
leur grain et foulaient au pressoir, et souffraient
(acceptaient) que les Tyriens fissent entrer durant
cette fête toutes sortes de denrées
dans la ville, et qu'ils les vendirent
publiquement. Néhémie reforma cet
abus. Il censura les principaux de Juda. Il leur
représenta, que la violation du Jour du
Sabbat avait été une des principales
causes des maux qui avaient fondu sur
Jérusalem : il les menaça de les
poursuivre à toute rigueur s'ils
persistaient dans cette profanation : il
ordonna qu'on fermât les portes de la ville,
et il mit des gardes sur les brèches de ses
murailles.
Ainsi Néhémie
crut, que ce qu'il pouvait faire de plus avantageux
pour sa Patrie, c'était d'en extirper tout
ce qui était opposé aux lois Divines.
Conduite digne d'un bon Patriote, digne surtout
d'un homme qui est appelé au gouvernement
d'un État.
Que sert-il d'équiper des Flottes, si elles
sont chargées de scélérats,
qui vomissent des blasphèmes contre le
ciel ? Que sert-il de lever
des Armées, si elles
déclarent la guerre au Dieu des
Armées ?
Que sert-il de faire des lois politiques, si l'on
foule aux pieds les lois de la Religion, si les
Sabbats sont violés, si les fêtes
solennelles sont profanées ?
Que sert-il de faire des Alliances, si l'on n'est
pas
réconcilié avec Dieu ?
Que sert-il d'être bon Politique, si l'on est
mauvais Chrétien ?
III. Le zèle de
Néhémie pour le bien public, et son
amour pour la Patrie, lui inspirèrent un
esprit de mortification.
Malheur à celui qui peut s'abandonner aux
joies, tandis que la liberté publique
chancelle, et que l'État est menacé
des fléaux du ciel !
Malheur à celui, qui n'est point
malade de la froissure
(meurtrissure) de Joseph, (Amos VI. 6.) et qui
cherche dans les jeux, dans les spectacles, et dans
le tumulte bruyant de la Société, de
quoi s'étourdir pour ne pas entendre les
cris des premières victimes, que la
vengeance Divine s'est immolés !
Malheur à celui qui peut se
reconnaître au portrait qu'un Prophète
faisait des hommes de son temps !
Le Seigneur,
l'Éternel des Armées, nous a
appelés ce jour-là aux pleurs et au
deuil, à vous arracher les
cheveux, à ceindre le sac.
Et voici joie et
allégresse : on tue des
boeufs, on égorge des moutons, on en mange
la chair, et on boit du vin : puis on dit,
mangeons, buvons, car demain nous mourrons.
(Esaïe XXII. 12.)
Malheur à
celui qui dit dans le temps que Sion ne cesse de pleurer, que ses
larmes sont sur ses joues, que ses Vierges sont
toutes dolentes (affligées), que ses chemins mènent deuil,
que ses Sacrificateurs sanglotent. (Lament. de Jérém. I. 1.
& 4.)
Les misères de Jérusalem inspirent
à Néhémie un esprit de
mortification : Je m'assis dit-il, je pleurai, je menai deuil quelques
jours, et je jeûnai, dès que j'eus
entendu ces paroles. (Néhém, I. 4. &
c.)
Et quand il fut
arrivé à Jérusalem, tous les
Enfants d'Israël s'assemblèrent en
jeûnant, revêtus de sacs et couverts de
poudre. (IX. I. & c.)
Du milieu d'un Peuple
consterné partirent ces humiliantes
confessions : O
nôtre Dieu, le fort, le grand, le puissant,
le terrible, qui gardes l'alliance et la
miséricorde. Certainement, tu es juste dans
toutes les choses qui nous sont
arrivées : car tu as agi en
vérité ; mais nous avons fait
méchamment. Ni nos Rois, ni les Principaux
d'entre nous,
ni nos Sacrificateurs,
ni nos Pères, n'ont point été
attentifs à tes
commandements.
Telle fut la conduite de Néhémie. Tel
le fut de tout temps celle des vrais
Pénitents.
Josaphat voyant une multitude innombrable de
Moabites, et d'Hammonites, qui venaient inonder
Jérusalem, publie le Jeûne pour
implorer le secours de Dieu.
Esther, résolue de tout sacrifier pour la
délivrance de son Peuple, donne cette
commission à Mardochée :
Va, assemble les Juifs
qui sont à Susan (Suse), et jeûnez pour moi, ne
mangez,
ne buvez, de trois
jours, tant la nuit que le jour : et moi, et
mes Demoiselles, nous jeûnerons de
même. Puis je m'en irai vers le Roi, et s'il
faut que je périsse, que je
périsse. (Esther IV. 16.)
Daniel, captif en
Babylone, tourne sa
face vers les masures
de Jérusalem
et de son Temple,
cherchant a faire sa
requête avec jeûne, avec le sac et la
cendre. (Daniel IX. 3.)
Les Ninivites, aux menaces de Jonas,
publient le
Jeûne, ils
défendent que
ni homme, ni bête, ni boeuf, ni brebis, ne
goûtent d'aucune chose, qu'ils ne repaissent
point, qu'ils ne boivent point d'eau.
(Jonas III. 5. & c.)
Joël, à la vue de la famine qui ravage
la Judée, veut qu'on sonne du
cornet en Sion qu'on
sanctifie le Jeûne, qu'on publie
l'Assemblée solennelle, qu'on
assemble le Peuple, qu'on sanctifie la
Congrégation,
qu'on amasse
les Anciens, les enfants, et ceux
qui sucent la mamelle. Que le nouveau marié
sorte de son cabinet, et la nouvelle mariée
de sa chambre nuptiale ; que les
Sacrificateurs, qui font le service, pleurent entre
le porche et
l'autel et qu'ils
disent : Éternel, pardonne à ton
Peuple, et n'expose point ton héritage
à opprobre. (Joël II. 15. &
c.)
Et
Néhémie pleure, il mène deuil
pendant quelques jours, il jeune, il convoque tout
Israël, pour lui communiquer cet esprit de
mortification, dont il était lui-même
animé.
O ! que les Souverains témoignent de
zèle pour le bien public et d'amour pour la
Patrie, lorsqu'ils proclament de pareils
Jeûnes ! O ! que l'esprit de
mortification est puissant sur les entrailles d'un
Dieu miséricordieux, quand il est
précédé, suivi, et
accompagné de l'esprit de
Réformation : quand on ne se contente
pas d'affliger
son âme pour un jour,
et de courber la tête
comme le jonc ; mais, quand on rompt son pain à celui qui a
faim ; quand on
recueille ceux qui
sont errants ; quand on
ne se cache point arrière de sa chair ;
(Esaïe LVIII. 5. 7.) quand on s'humilie dans le Temple,
et qu'on se corrige dans la
Société ; quand on
verse des larmes au souvenir
de ses crimes, et que l'on rompt en même
temps avec le crime ; quand on renouvelle son
alliance avec Dieu, et qu'on renvoie la femme
étrangère !
Mais il me semble que j'entends ici quelqu'un des
Sages du Siècle me reprocher, que je fais de
mon Héros un homme plus propre pour un
Monastère, que pour tenir le Gouvernail d'un
État ; et que je lui attribue moins les
vertus d'un Héros, que celles d'un Anacorete
(Anachorète =
ermite).
Non, M. F., cet esprit de prière, de
réformation, de mortification, dont certains
hommes, beaucoup plus propres à abîmer
un État qu'à le diriger, sont le
partage des femmes et des enfants, n'est pas
incompatible avec ces qualités
éminentes, qui font les Grands Hommes. Mais,
quelque idée que nous ayons des vertus
religieuses que nous venons de proposer, nous ne
les croyons pas des titres suffisants pour mettre
au timon de l'État ceux qui les
possèdent.
Quand il s'agit d'élire un Chef, nous ne
demandons pas qu'on examine seulement, s'il prie
avec ferveur, si ses moeurs sont pures et
irréprochables, si sa pénitence est
vive et profonde. La crainte de Dieu
est bien
le chef de la sapience
(sagesse) ; (Prov. I. 7.)
mais elle n'en
compose pas le corps entier. Tout ce que la
droiture peut permettre de souplesse d'esprit, de
dextérité, de ménagement, de
délicatesse, tout cela entre dans le devoir
d'un Magistrat pieux. Étude profonde, secret
impénétrable, ... choix de
circonstances, prudente circonspection,
dextérité de négociation, tout
cela fait partie des qualités du bon
Patriote, lorsqu'il est appelé au
Gouvernement de sa Patrie, et que
l'intérêt public lui est
confié. Et tout cela se vit dans nôtre
Héros. Nous avons dit en quatrième
lieu, que son zèle pour le bien public lui
inspira un esprit de prudence.
IV. Voyez avec quelle prudence il fait se
prévaloir de l'ascendant qu'il a sur le
coeur d'Artaxerxès et de la Reine,
(Néhém. II.
7.) pour en obtenir
des Lettres, pour se rendre formidable (redoutable) aux étrangers, et
vénérable (respectable) à ses propres
Compatriotes.
Voyez avec quelle prudence il voile pendant trois
purs entiers le dessein qui l'amène en
Judée : il ne sort que pendant la nuit
pour faire le tour des murailles de
Jérusalem, et pour voir lui-même de
ses propres yeux, si on lui a
fait des rapports fidèles.
Voyez avec quelle prudence il fait le
dénombrement des Juifs, il impose à
chacun sa tâche, et donne à chacun une
portion de muraille à réparer.
(Néhém. III.
17.)
Voyez avec quelle prudence il fait le
département (partage)
des gens qui sont sous ses ordres ; en sorte,
qu'une moitié
d'entr'eux travaillait et l'autre tenait des javelines, des boucliers, des
arcs, et des corselets (cuirasse
légère, sans manches).
Voyez avec quelle
prudence ceux qui s'employaient à un
ouvrage, l'objet de la jalousie des Nations
voisines, tenaient d'une main l'équerre, et
de l'autre l'épée.
De tels Magistrats, M. F., méritent tous les
voeux, et tous les suffrages. De tels Magistrats
sont de riches présents du Ciel. Ce n'est
que dans sa colère, qu'il les retire, et
qu'il met en leur place des hommes incapables de se
gouverner eux-mêmes, bien loin de pouvoir
gouverner les autres.
Quand à mon
Peuple, disait
autrefois Dieu lui-même par la bouche
d'un Prophète pour marquer le comble du
malheur et de la folie des Juifs, quant à mon Peuple, les femmes
dominent sur lui, et les enfants sont ses
Gouverneurs. (Esaïe III. 12.)
La sagesse fut la
première grâce que demanda
Salomon, quand il se vit
élevé sur le trône,
déjà sage de faire une pareille
demande, (I Rois III. 9.) la sagesse fut une des
vertus, auxquelles il donna les plus grands
éloges : Recevez mon instruction, et non pas de
l'argent,
et la science,
plutôt que du fin or d'élite, car la
sapience (sagesse) est meilleure que les perles, et tout
ce qu'on saurait souhaiter ne la vaut pas. Moi, la
Sapience, (Sagesse) je me tiens avec la
discrétion, et je trouve la science et la
prudence. À moi appartient le conseil,
l'adresse, et la force. Par moi règnent les
Rois, et les Princes décernent la justice.
Bienheureux est l'homme qui m'écoute, ne
bougeant de mes portes tous les jours ! 0
Rois, soyez entendu : Juges de la terre,
recevez instruction. (Prov. VIII. 10-12. Psaume. IX. 10.) V. La vigilance est le cinquième
trait, dont nous peignons un bon Patriote, sur un
Patriote, que Dieu à commis au bonheur et
à la sûreté de sa Patrie.
C'est la cinquième vertu de
Néhémie.
L'Indolence est une disposition d'esprit, qui rend
incapable des Charges éminentes.
Un Empereur doit
mourir debout, disait
anciennement un homme, dont la vie était un
commentaire perpétuel de cette sentence.
Ce mot plein de sens et de
vérité est jusqu'à un certain
degré pour tous ceux qui sont appelés
au Gouvernement. Un Magistrat doit être dans
un mouvement perpétuel. Ce qui est
exactitude pour un simple particulier devient
minutie chez un homme public. Ces petites
régularités, cet arrangement
superstitieux, ces heures marquées pour son
sommeil, pour ses repas, pour ses occupations
domestiques, pour ses récréations
innocentes, tout cela n'est pas pour un homme qui
s'est donné au Public.
L'ordre demande souvent qu'il ne garde aucun ordre
dans ce qui ne concerne point le grade auquel il
est élevé, et le caractère
dont il est revêtu. Il faut qu'il se
prête aux besoins de tous, et souvent il faut
qu'il soit en garde contre les complots de
tous.
Les ambitieux ne cessent de travailler à
élever l'édifice de leur orgueil, et
à asservir des hommes libres, souvent sous
prétexte de la Liberté des
Peuples : il faut qu'il mette des digues
à cet orgueil.
Les Hypocrites se couvrent du manteau de la
Religion,
et du bien public,
pour traverser le bien public, et pour
ébranler la Religion : il faut qu'il
perce cette écorce, et
qu'il fasse tomber ce masque.
Les Jurisconsultes frauduleux enveloppent les Lois,
au lieu de s'appliquer à les
éclaircir : il faut qu'il
démêle ces sophismes, qu'il trouve des
chemins dans ces labyrinthes trompeurs.
Les Pauvres se réfugient sous l'ombre de sa
protection, et réclament son autorité
contre l'oppression : il faut qu'il
écoute leurs cris, et qu'il recueille leurs
larmes.
Les Ennemis prennent le nom d'Alliés, pour
s'insinuer avec plus de facilité, et pour
porter des coups moins suspects et plus
dangereux : il faut qu'il soit attentif
à tous ces détours, et qu'il en
prévienne le funeste effet.
En un mot, il faut en quelque sorte qu'il fut
semblable à ce Dieu, qui garde Israël, et qui ne sommeille
jamais. (Psaume CXXI. 4.)
Comment soutiendra-t-il tant de travaux ;
comment se prêtera-t-il à tant de
soins ; comment dévorera-t-il tant de
difficultés, s'il est plongé dans
l'indolence ? Néhémie est
infatigable, quand les besoins de Jérusalem
le demandent : Le
hâle le consume durant le jour, les frimas
durant la nuit,
et le sommeil fuit de
ses yeux. (Genèse. XXXI. 40) Il va de Babylone en Judée,
et de Judée en Babylone : de Suse
à Jérusalem, et de
Jérusalem à Suse.
Il passe les jours et les nuits à
cheval : attentif à tout :
pourvoyant à tout : occupé
également à abattre et à
édifier : à repousser les
complots des Peuples ennemis : et ce qui
n'exigeait, ni moins de vigilance, ni moins de
soins, à réprimer les passions de ce
Peuple même, au bonheur duquel il se
dévoue avec tant de sincérité
et avec tant d'ardeur.
VI. La fermeté et le courage sont
le sixième caractère du zèle
de Néhémie pour le bien public, et de
son amour pour la Patrie.
Nous ne parlons pas seulement du courage qui fait
le Soldat, ni de cette fermeté qui porte
à affronter le péril, à
enfoncer un escadron, à escalader une
muraille, et qui fait que l'on conserve sa
tranquillité, et son sang-froid, au son
formidable des instruments belliqueux, à la
vue des feux et des flammes, au milieu des monceaux
des morts et des mourants.
Néhémie fut ferme et courageux en ce
sens. L'Histoire de son Gouvernement est remplie de
preuves de son intrépidité et de sa
vaillance. Mais le siècle a prévenu,
s'il est permis de parler ainsi, la Religion sur
cet article.
On regarde avec tant de
mépris dans le monde un homme qui
ménage son sang, quand le besoin public
l'appelle à en être prodigue, qu'il
est inutile de presser ce devoir dans nos Chaires,
et que nous pouvons nous reposer du soin de cette
partie de nôtre Ministère sur nos
Soldats et sur nos Capitaines.
Mais, combien de fois les hommes les plus
intrépides dans les Armées sont-ils
timides et pusillanimes dans la
Société civile ?
Combien de fois celui, qui a affronté une
mort presque inévitable, craint-il de
hasarder son crédit et sa fortune ?
Combien de fois voit-on ramper honteusement celui
qui semblait être parvenu au plus haut point
d'héroïsme ?
La vertu se recueille dans les grands
périls. La vue d'un Ennemi, qui parait
à découvert, qui ne respire que sang
et que carnage, qui vient contre nous la
fierté sur le front, la rage dans les yeux,
et le blasphème à la bouche, donne
quelquefois du courage aux âmes les plus
lâches. Mais quand il est question de faire
tête à un Concitoyen dangereux :
quand il faut réprimer un homme à qui
l'on est uni par les liaisons du sang : quand
il faut résister à celui qui cherche, non à renverser
les Lois, mais seulement à les
éluder ; non à vendre la Patrie,
mais à ne pas lui procurer tout le bonheur
dont elle peut jouir ; non à fausser le
serment, mais à tolérer ceux qui le
faussent ; non à commettre
l'iniquité, mais à supporter ceux qui
la commettent : qu'il est difficile qu'on ne
plie dans cette occasion, qu'on ne cède au
reproche d'être un homme dur et inflexible,
et qu'on ne fasse par une molle condescendance,
souvent aussi fatale aux États que la trahison même et la
perfidie, ce qu'on aurait détesté, si
l'on avait suivi ses propres principes !
Néhémie sut triompher de tout ces
obstacles. Il fit tête également
à ces deux sortes d'Ennemis. Il ne traita
comme bons Patriotes, que ceux qui comme lui
n'avaient que le bien de la Patrie en vue.
(Néhém. XIII.
4. & VI. 1 & c.)
Il ne témoigna pas plus d'indulgence pour
Eljasib (Éliaschib) le Sacrificateur, que pour Samballat
Horonite. Il n'eut pas plus de ménagement
pour Schemahja (Schemaeja) Juif, que pour Gueschem Arabe. Il fit
également la guerre à tous ceux qui
n'étaient pas dévoués au bien
public, soit qu'ils fussent du sang idolâtre,
soit qu'ils fussent du sang
Israélite.
VII. Mais la vertu qui couronnera toutes
celles que nous venons de produire, la vertu sans
laquelle toutes les autres sont sans mouvement et
sans vie, cette vertu peut-être plus rare
encore que la prière, que la mortification,
que la réformation, que la prudence, que la
vigilance, que le courage même, c'est le
désintéressement.
Non seulement Néhémie n'eut pas cette
avidité pour les richesses, qui fait que
l'on regarde le grade, auquel on est
élevé, moins du côté de
ses devoirs que du côté de ses
avantages ; mais il immola ses avantages
à ses devoirs :
- non seulement il ne se prévalut pas de sa
dignité pour affermir sa fortune : mais
il hasarda sa fortune pour répondre à
sa dignité :
- non seulement il ne foula pas les Peuples ;
mais il n'en exigea pas même ce qui lui
était du pour l'entretien de sa maison
(Néhém. V &
c), et il le
céda pendant douze années
entières :
- non seulement il ne retarda pas les travaux
publics par des raisons prises de son
intérêt particulier : mais il
fournit de quoi les avancer de ses deniers
propres.
Quel prétexte l'amour-propre ne lui
fournissait-il pas contre ce voyage, que l'amour
de la Patrie lui
dictait ! Combien de maximes la sagesse
humaine ne pouvait-elle pas lui suggérer,
pour le retenir auprès de son
Prince !
Peut-être, qu'Artaxerxès perdra
insensiblement l'habitude de me souhaiter
auprès de sa Personne ?
Peut-être qu'un Rival se prévaudra de
mon absence ?
Peut-être que ces amis de Cour, qui sont pour
l'ordinaire de vrais ennemis, parviendront à
faire naître des soupçons contre ma
fidélité ?
Peut-être que pour vouloir contribuer au
bonheur de mes frères, je les priverai d'un
puissant protecteur auprès du Roi ?
Peut-être qu'à mon retour je ne serai
plus admis à la source de ces grâces
que j'aurai négligées.
L'Amour du bien public et de la Patrie lui inspire
un désintéressement qui
l'élève au-dessus de tant de
considérations plausibles.
Reconnaissons-le, M. F. : comme, lorsqu'on
porte l'avarice à un certain point, on est
capable de tous les vices ; aussi, lorsqu'on
ne porte le désintéressement
qu'à un certain degré, on ne saurait
être capable des grandes vertus. Un homme qui
n'a pas cette grandeur d'âme, cette
générosité que je
dépeins, ne saurait
remplir dignement aucune des relations de la
Société. Il ne fait que ramper avec
le commun des hommes, dans le languissant exercice
des vertus communes. Un homme qui n'a pas cette
grandeur d'âme, et cette
générosité, ne saurait
être bon Père.
Pour être bon Père, il faut être
désintéressé, il faut
répandre son bien quand il s'agit de
l'éducation de sa famille, et laisser
à ses enfants le savoir vivre, la
lumière, la vertu, et la Religion,
plutôt que les plus riches trésors,
que les Emplois les plus lucratifs.
Il ne saurait être bon fils.
Pour être bon fils, il faut être
désintéressé, il faut pouvoir
immoler aux commodités, aux douceurs de la
vieillesse d'un bon Père, ses biens, ses
dignités, son crédit.
Il ne saurait être bon marchand.
Pour être bon marchand, il faut être
désintéressé, ne pas frauder
les droits, ne pas déguiser la
vérité, ne pas favoriser
l'injustice.
Il ne saurait être bon Soldat.
Pour être bon Soldat, il faut être
désintéressé, ne point
user de concussion
(malversation) ;
se contenter de ses gages.
(Luc III. 14.)
Il ne saurait
être bon Général.
Pour être bon Général, il faut
être désintéressé.
il faut n'être point
ébloui de tous ces chemins de fortune, que
l'on voit ouverts devant les yeux, ne pas
régler une marche, un conseil de guerre, un
siège, et une bataille, sur certaines vues,
que plus d'une raison nous empêche d'indiquer
ici.
Il ne saurait être bon Pasteur.
Pour être bon Pasteur, il faut être
désintéressé, il faut sentir
la grandeur de son caractère, il faut dire
comme St. Paul : Il me vaudrait mieux mourir, que si
quelqu'un anéantissait ma gloire
(1 Cor. IX. 15.),
il faut n'avoir aucun
égard à l'apparence des
personnes : il faut ne connaître personne selon la
chair (2 Cor. V. 16) :
il faut reprendre le
vice, fut-il sur des fronts tout couverts d'une
gloire mondaine ; il faut n'être pas
même tenté de traîner son
Ministère à la porte d'un Grand, qui
peut contribuer à notre fortune.
Il ne saurait être bon ami.
Pour être bon ami, il faut être
désintéressé : il faut
n'être pas si occupé de ses biens,
qu'on ne puisse fournir à l'attention et aux
soins que l'amitié demande : il faut
être capable de faire de nobles sacrifices
à son ami : il faut l'aider dans ses
besoins : il faut le secourir dans ses
disgrâces. Mais surtout, un homme qui n'a pas
cette
générosité et cette grandeur
d'âme, dont nous parlons, ne saurait
être bon Patriote, moins encore bon
Gouverneur de sa Patrie.
De quelle grandeur d'âme, de quelle
générosité ne faut-il pas
être animé pour quitter les
rênes du gouvernement dès qu'on a les
mains trop faibles pour les porter ?
De quelle générosité, de
quelle grandeur d'âme ne faut-il pas
être animé pour oublier ses affaires
personnelles, pour suspendre ses plaisirs, lorsque
l'intérêt public le demande ?
De quelle générosité, de
quelle grandeur d'âme ne faut-il pas
être animé pour ménager les
deniers publics, avec plus de soin qu'on ne
ménage les siens propres ?
Quand la vertu, dont je fais l'éloge, ne
serait recommandable que par sa rareté, ne
serait-ce pas assez pour nous la faire
admirer ?
Quand Néhémie ne serait digne de nos
regards, qu'à cause du petit nombre
d'imitateurs qu'il eut dans tous les temps et dans
tous les lieux, cela seul ne suffirait-il pas pour
nous en donner de grandes idées ?
Mes Frères, si un Sermon était un
Traité complet sur le sujet qui en fait la
matière, il faudrait, après vous
avoir montré les divers
effets du zèle pour le bien public, et de
l'amour pour la Patrie, vous parler des fondements
et des grands motifs sur lesquels cette vertu est
appuyée. Nous ne faisons qu'indiquer
quelques-uns de ces motifs.
Un bon Patriote, surtout un homme qui
préside dignement à la conduite de sa
Patrie, entre dans le but que la Divinité
s'est proposé, lorsqu'elle a formé
des créatures intelligentes, capables de
société.
Un bon Patriote, surtout un homme qui
préside dignement à la conduite de sa
Patrie, répond aux engagements dans lesquels
doivent entrer tous les hommes lorsqu'ils habitent
des villes, lorsqu'ils se mettent sous la
protection des États, lorsqu'ils veulent se
prévaloir des avantages qui résultent
de cet assemblage d'hommes qui composent les Corps
publics.
Un bon Patriote, surtout un homme qui
préside dignement à la conduite de sa
Patrie, fuit l'esprit de la Religion, dont les lois
ne supposent pas que nous vivrons dans les
forêts et dans les déserts, loin du
commerce des vivants ; mais que nous
communiquerons avec nos semblables, et qu'il y aura
dans la Société
des maîtres, des serviteurs, des Souverains,
des sujets, et ainsi du reste.
Un bon Patriote, surtout un homme qui
préside dignement à la conduite de sa
Patrie, est l'objet de tous les voeux ; il est
regardé comme un père universel, il
est comblé des bénédictions de
tout son Peuple, et goûte ainsi la
satisfaction la plus pure que puisse avoir une
belle âme : au lieu que celui qui abuse
du pouvoir que sa Patrie lui a confié, est
un objet d'exécration ; il est
envisagé comme un fléau de Dieu,
comme une sangsue publique, qui se nourrit de la
substance des Peuples, et dont chacun demande au
ciel d'être délivré.
Un bon Patriote, surtout un homme qui
préside dignement à la conduite de sa
Patrie, travaille au plus bel ouvrage dont
l'imagination puisse être
frappée : c'est de rendre des Peuples
heureux.
Quelle douceur de vivre sous un gouvernement, dans
lequel le bonheur public est la fin et le but de
chaque particulier, et où le bonheur public
rejaillit sur chaque particulier ! Quelle
douceur de vivre sous un gouvernement, où la
grandeur suprême n'a pour but que
de rendre des Peuples heureux, et
où les Peuples n'ont pour but que de
maintenir la grandeur suprême ! Quelle
douceur de vivre sous un gouvernement, où
les Grands sont affables, où les
impôts sont payés avec exactitude, et
dispensés avec fidélité,
où les Sciences et les beaux Arts sont
favorisés, et où les services
reçoivent leur rétribution et leur
récompense !
Un bon Patriote, surtout un homme qui
préside dignement à la conduite de sa
Patrie, un tel homme, en procurant des biens
temporels à ses Peuples, leur procure des
félicités éternelles. Il y a
souvent une relation intime entre la paix de
l'État, et la paix de l'Église :
et il y a souvent une relation intime entre la paix
dont nous jouissons dans l'Église, et la
destinée que nous aurons dans
l'éternité ; parce que
malaisément trouve-t-on sous un gouvernement
malheureux ce calme, dont on a besoin pour
s'instruire, pour s'étudier, pour s'animer
les uns les autres à la vertu, pour faire
fleurir la Religion et les bonnes moeurs. Mais
comment entreprendre désormais de puiser
dans ces riches
sources ?
Et qui est celui de vos Prédicateurs, qui
peut se promettre d'approfondir une matière
dans les bornes qui lui sont prescrites ?
Finissons.
Sujets nés de cet État, Provinces sur
lesquelles Dieu a continuellement les yeux, que
votre condition est digne d'envie de ce que vous
pouvez exercer dans toute son étendue, la
vertu que nous venons de
dépeindre ?
Vous voyez sous vos yeux un grand nombre
d'Exilés, à qui le ciel en courroux
refuse ce privilège. Une des plus puissantes
consolations de ces troupes fugitives, c'est que
vous ne dédaignez pas de les confondre avec
ceux qui ont eu le bonheur de naître sous
votre gouvernement : c'est que vous n'exigez
pas qu'il y ait deux peuples au milieu de
vous : c'est que vous avez la condescendance
de nous considérer comme si nous vous
devions la naissance, ainsi que quelques-uns de
nous vous doivent leur entretien, et que tous vous
doivent leur repos et leur liberté. À
juger de nous par les tendres sentiments que nous
avons pour vous, vous nous
faites dans cette conduite
autant de Justice que de charité.
Mais le Texte que nous traitons, nous oblige,
malgré nous, à faire aujourd'hui
cette distinction que vos bontés ont abolie.
Nous sommes obligés, malgré nous, en
nous recueillant sur ce que nous venons d'entendre,
de distinguer deux Peuples dans cette
Assemblée. Le Peuple né dans ces
Provinces, et le Peuple que ces Provinces ont
recueilli.
Les paroles de notre Texte conviennent au premier
de ces Peuples dans un sens, et au second dans un
autre sens. Et nous sommes forcés de faire
deux sortes d'Applications : une Application
pour ce Peuple d'Exilés, et une Application
pour celui qui a le bonheur de vivre dans sa
Patrie.
Premièrement, les paroles de notre Texte
nous conviennent à nous dans un sens qui ne
saurait vous être appliqué :
puissent-elles dans ce sens ne jamais vous
convenir !
Nous sommes dans les circonstances de
Néhémie. La Ville, qui est le lieu du
sépulcre de nos Pères,
demeure encore
désolée.
Ses portes sont encore en
feu. Nos
frères gémissent
encore sous le bâton de
l'exacteur. Que dis-je ? Hélas !
Plut à Dieu fussions-nous dans les
mêmes circonstances que
Néhémie ! Mais ce n'est
là que le commencement de notre douleur. Ces
Juifs, dont les malheurs coûtaient tant de
larmes à ce saint Homme, jouissent du moins
de la liberté spirituelle. Pendant que les
murailles de leurs villes étaient
ruinées, celles de leurs Temples
étaient affermies, et ils pouvaient puiser
dans le sein de Dieu de quoi adoucir leurs
amertumes.
Si nos frères avaient les mêmes
privilèges, nous participerions à
leurs consolations, en participant à leurs
malheurs. Nous adoucirions la pensée de
leurs maux, par celle des fruits qu'ils en
pourraient tirer. Et nous dirions de leur
affliction, qu'elle ne fait que passer, et qu'elle
va produire un poids d'une gloire excellemment
excellente.
(2 Cor. IV. 17.)
Mais les malheurs que
nous déplorons, enveloppent le corps et
l'âme : ils embrassent dans leur
affreuse enceinte le présent et l'avenir, le
temps et l'éternité ; et au lieu
de dire, cette
légère affliction qui ne fait que
passer, produit un poids d'une gloire excellemment
excellente, nous
avons trop sujet de dire au
contraire, cette
accablante affliction, qui ne fait que commencer,
menace d'un poids éternel de misère,
dont la seule idée épouvante, et dont
la probabilité fait horreur.
Et cependant,
malheureux comme les anciens Juifs, beaucoup plus
malheureux encore, il n'y a pour nous aucune
espérance de retour.
Point de Consolateur qui
fasse, revenir le coeur. (Lament. I. 16.)
Point de voix qui
crie dans le
désert, préparez les chemins du
Seigneur, et dressez ses sentiers. Toutes les
vallées seront comblées, tous les
coteaux seront abaissés, tous les lieux
tortus seront aplanis. (Esaïe. XL. 3.)
Point de Cyrus duquel
Dieu prenne la main
droite, afin de
terrasser les Nations
par son bras,
afin que devant lui
les portes ne soient point fermées.
(Esaïe. XLV. 1.)
Point
d'Artaxerxès qui prête son
autorité. Et ce qu'il y a de plus
déplorable, point de Néhémie
qui puisse la demander avec succès.
Quand nous serions les Patriotes les plus
zélés et les plus fidèles,
quand nous aurions pour notre Patrie tout l'amour
que Néhémie eut pour la tienne, nous
ne pourrions le produire au dehors comme lui. En
vain aurions-nous cet esprit de réformation,
cet esprit de prudence, cet esprit
de vigilance, de courage, de
désintéressement. Et parmi toutes les
dispositions dont nous avons fait
l'énumération, nous n'avons la
liberté d'exercer que notre mortification et
nos prières.
Ah ! Souffrez que pouvant si peu pour les
villes où sont les sépulcres de nos
Pères, nous
fassions ce qui est en notre pouvoir.
Souffrez que de tristes objets fassent quelque
diversion à la part que nous prenons
à votre prospérité.
Souffrez que notre visage pâlisse, pendant
que la Ville qui est
le lieu des sépulcres de nos Pères
demeure désolée, et que
ses portes sont en feu.
Souffrez que nous
vous conjurions de prier pour la paix de
Jérusalem.
Souffrez qu'au milieu d'un Peuple comblé des
faveurs du ciel, et d'un Peuple que nous aimons
comme nous-mêmes, nous fassions
éclater ce cri, interprète de nos
douleurs : Jérusalem, si je
t'oublie, que ma dextre s'oublie
elle-même ; que ma langue s'attache
à mon palais, si je ne me souviens de toi,
et si je ne te mets pour le premier chef de ma
réjouissance ! (Psaume CXXXVII. 5.)
Je reviens à vous, Sujets de cet
État, et je le répète encore,
Peuple favorisé du ciel,
Provinces sur lesquelles Dieu a continuellement les yeux.
Que votre condition
est digne d'envie, de ce que vous pouvez exercer
dans toute son étendue, la vertu que nous
avons caractérisée !
Portez-la jusqu'au degré le plus
éminent où elle soit jamais parvenue.
Surpassez en zèle pour la Patrie les Codrus,
les Phocions, et les Aristides. Soyez plus ardents
pour le bien public, que les Sertorius, que les
Aemilius, et que les Camilles. Montrez-vous dignes
enfants de ces Pères, qui ont fait de leurs
têtes le fondement de cet État, et qui
l'ont cimenté de leur sang.
Réunifiez toute votre
prospérité pour perfectionner votre
prospérité, et pour écarter
à jamais ce qui l'altère et qui la
traverse.
Vous avez encore des brèches à
réparer, vous avez encore des murs à
relever, vous avez encore des portes à
rebâtir, et des flammes à
éteindre. Que tout cède au bonheur
public : et que
Dieu secoue de sa maison tous ceux qui ne
mettent point en effet cette Parole.
Ce n'est point
à nous à entrer dans tous les
détails, dont ce sujet serait susceptible.
Moins encore est-ce à nous
à désigner celui qui est
réellement zélé pour le bien
public, et celui qui ne l'est qu'en apparence. Nous
ne touchons qu'à l'article le plus aimable
de ce sujet, et le plus conforme à notre
inclination. Nous n'osons que former des voeux pour
ces florissantes villes que vous habitez.
Allez de prospérité en
prospérité. Transmettez à vos
enfants, et aux enfants de vos enfants, cette
félicité publique, et cette douce
liberté que Dieu vous a confiées.
Soyez jusqu'à la fin des Siècles, le
centre des faveurs Divines, l'asile des
opprimés, les colonnes de la
vérité, les remparts de la
Réformation.
Parvenez par le rare chemin des
félicités temporelles aux
félicités de
l'éternité, et ne changez cette
gloire terrestre, dont vous brillez aux yeux de
tout l'Univers, que pour cette gloire
céleste que Dieu vous a
préparée avant la fondation du monde,
que le Rédempteur de l'Église vous a
acquise par son sang, et que je vous souhaite, avec
ces mouvements, qui, sont au-dessus de
l'expression, et qui se renferment dans le coeur,
au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit.
À cette Sainte et adorable
Trinité, l'objet de nos
adorations et de nos hommages, soit honneur et
gloire, force, empire, et magnificence, dès
maintenant et à jamais. Amen.
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