LA
VIGILANCE.
Jean le Cointe
Pasteur de l'Église de
Genève et Bibliothécaire.
1815
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Sur ces paroles de l'Evang. de
St. Matthieu, Chap. XXIV. v.
42 :
Veillez, puisque vous
ignorez à quelle heure votre Seigneur
doit
venir.
TELLE est, M. F., l'exhortation qu'adressait
à ses disciples le Sauveur du monde, et dont
la faible humanité doit faire usage pour se
soutenir dans la pratique de ses devoirs ;
c'est par des exemples simples populaires, que
Jésus leur montre la nécessité
de la vigilance :
Ce qui arriva, leur dit-il, au temps de
Noé, arrivera aussi à
l'avènement du Fils de l'Homme, car
comme avant le déluge, les hommes mangeaient
et buvaient, se mariaient et mariaient leurs
enfants jusqu'au temps où
Noé entra dans l'arche, et qu'ils ne
pensèrent au déluge que lorsqu'il
survint, et qu'il les fit tous périr, il en
sera de même à l'avènement du
Fils de l'Homme ; alors de deux hommes qui
seront dans un champ, l'un sera pris et
l'autre sera laissé ; de deux femmes
qui moudront à un moulin, l'une sera
prise et l'autre sera laissée ; Veillez
donc puisque vous ignorez à quelle heure,
votre Seigneur doit venir !
Cette exhortation de notre grand Maître nous
explique déjà, ce qu'est le devoir de
la vigilance, et quels sont les motifs qui
nous engagent à le remplir ; suivons le
plan que nous tracent ces paroles,
développons d'abord ce qu'est la vigilance,
pressons ensuite les motifs de notre texte ;
la certitude de la venue du Seigneur ; et
l'incertitude de ce moment.
Accordez-nous, M. F., une attention
religieuse ; et puisse cette méditation
produire en vous des fruits de sagesse et de
sainteté !
Amen !
Qu'est-ce que la vigilance, et quels sont
les devoirs qu'elle renferme ?
Le mot veiller suppose, comme le dit
le Sauveur, dans le verset qui suit mon texte,
suppose quelque défiance, quelque crainte
dans l'âme, quelques ennemis à
combattre, ou à éviter, quelques
précautions à prendre pour
résister à leur force et n'être
pas séduit par leurs artifices.
Si le père de famille était averti
de l'heure à laquelle le voleur doit
venir, il ne laisserait pas percer sa
maison ; Et dans un sens moral, qu'est-ce
que la vigilance ? Elle est moins un
devoir particulier, que le moyen de remplir tous
nos devoirs ; « Elle est cette
attention d'esprit, cette activité du
chrétien, qui lui fait prendre toutes les
précautions, pour se détourner du
mal, et persévérer dans la
piété, dans la
vérité. »
Sa vie sur la terre, est
comparée à une carrière
où il doit fournir ; et la plus
scrupuleuse attention est nécessaire pour
prévenir des chutes, conserver le fruit de
ses efforts précédents, pour
s'avancer avec constance vers le but
proposé, et saisir les prix qui
l'attendent !
Sa course ne doit point se ralentir, parce qu'il
rencontre des obstacles, des ennemis qui veulent le
surprendre. Si la fatigue abat son courage, il
porte ses regards sur la couronne, qui l'attend
après la victoire ; et son ardeur se
soutient, se renouvelle !
Ces idées sont générales,
choisissons quelques-uns des devoirs particuliers
que renferme la vigilance ; entrons
dans quelque détail.
1.° Et d'abord, M. F., la vigilance
chrétienne suppose une connaissance
exacte de ses devoirs ; « J'ai bien
des choses à apprendre ; »
disait le plus grand des anciens philosophes, et ce
langage est chaque jour celui du chrétien
qui désire perfectionner
sa sainteté, ses
vertus ; sans doute.
M. F., il n'est aucun de ceux qui
m'écoutent, qui n'ait été
instruit de la religion et de ses devoirs ;
mais cette étude, faite dans la jeunesse,
n'a-t-elle point été vague et
superficielle, a-t-elle été
continuée, approfondie ? Est-elle assez
solide, pour diriger constamment vos pas dans les
sentiers de la sagesse ?
Hélas ! qu'il est à craindre que
cette connaissance de vos devoirs, au milieu du
tumulte du monde, des affaires, des plaisirs, par
défaut de réflexion, ou par votre
indolence ; qu'il est à craindre que
cette connaissance de vos devoirs ne se soit
effacée, ou tout au moins affaiblie, que
vous ne vous soyez formé des illusions sur
le rang, ou l'importance de chacun d'eux !
L'ignorance est donc le premier ennemi que nous
avons à combattre. Dans combien d'erreurs,
(si vous osez être sincères avec
vous-mêmes) cette ignorance ne vous
a-t-elle pas
plongés ? N'a-t-elle pas
été souvent la triste cause de vos
fautes ? Combien de fois vous avez
éprouvé des regrets amers, lorsque
par de nouvelles réflexions, vous avez
soulevé le voile qui vous cachait la
vérité, lors qu'après
un mûr examen, vous avez vu que des
idées fausses ou relâchées sur
vos devoirs, vous ont entraîné dans le
péché ? Que vous vous êtes
ainsi rendus criminels, sans vouloir
l'être ! Que vous êtes devenus
coupables, sans le savoir ! Il fallait,
il est vrai, pratiquer ces choses,
mais sans omettre celles-ci, et vous vous
êtes fait une morale de tempérament ou
de circonstance ; ou bien, à celle de
l'Évangile vous avez substitué celle
du monde ;
Vous savez que l'aumône est un devoir ;
mais n'avez-vous point oublié, que vous
devez réprimer votre orgueil, vos passions,
votre avarice ?
Vous savez, que vous devez rendre à
chacun ce qui lui est dû ; mais
n'avez-vous point oublié,
que la charité n'est point
soupçonneuse, qu'elle ne croit point
le mal avec
légèreté ?
Et dans combien d'égarements, n'avez-vous
pas été entraînés par
l'exemple de la multitude, par vos penchants ;
parce que vous n'étiez pas assez fermes dans
vos principes, parce que vous n'aviez pas
médité sur vos différents
devoirs, et déterminé l'ordre dans
lequel vous deviez les pratiquer !
Voulez-vous suivre le précepte que le
Sauveur vous donne dans mon texte ?
Recherchez l'instruction, gardez-la,
alimentez votre foi et votre piété,
tous vos devoirs sont essentiels ; Veillez
pour n'en omettre aucun, interrogez souvent
votre conscience, sondez les écritures,
prévenez ainsi les chutes et les erreurs
que cause l'ignorance, aussi funeste pour l'esprit
que les ténèbres sont nuisibles dans
une route dangereuse !
2.° Mais est-ce assez de
connaître exactement nos
devoirs ?
Non sans doute ! La vigilance
chrétienne cherche à connaître
les obstacles qui peuvent nous en détourner,
les ennemis que nous avons à combattre pour
leur résister, elle se forme à l'art
de les vaincre ! Qui peut exactement
connaître leur nombre et leur force !
Ils nous enveloppent, nous assaillent par mille
endroits, il faut défendre à la fois
tous les côtés, opposer à tous
leurs efforts de puissantes
barrières ;
Hélas, M, F. ! pour vous faire sentir
la nécessité de la vigilance, et les
dangers auxquels vous êtes exposés,
je n'aurais qu'à vous rappeler quelques
circonstances de votre vie. Vous, vous
désiriez sincèrement vous attacher
à la vertu, mais vous n'avez pas
veillé avec soin sur votre coeur, le monde
trompeur et frivole l'a captivé, ses
honneurs l'ont ébloui, et l'orgueil, qui
marche presque toujours à la suite de
l'ambition satisfaite, s'est emparé de votre
âme ; votre coeur
s'est élevé,
et vous avez presque oublié votre
Dieu ! Vous, séduit par
l'appât des richesses, vous avez donné
tous vos soins à les acquérir, vous
avez cédé au désir d'entasser,
d'accumuler, et peut-être avez-vous
été peu délicat sur les moyens
d'élever l'édifice de votre fortune.
Vous, vous avez été
enchanté par l'attrait des plaisirs, vous
vous y êtes livré sans mesure, vous
les avez recherché avec ardeur, est-il
étrange qu'ils vous aient
détourné des occupations de la
piété, et de l'amour de vos
devoirs ?
Tantôt votre foi a été
ébranlée par les maximes
relâchées du monde ; tantôt
les mauvais exemples vous ont
entraîné ; le poison de la
prospérité a corrompu votre coeur, en
fournissant aux passions mille facilités
pour se satisfaire ; les coups de
l'adversité qui devaient vous changer, vous
ramener à Dieu, n'ont peut-être
produit que de l'impatience et des murmures, non
des fruits salutaires
d'amendement et de justice !
Celui-ci se laisse égarer par son
amour-propre ; une funeste présomption,
une fatale confiance en ses forces, est devenue
l'écueil de sa vertu ! Cet autre, dont
l'esprit est obscurci par des
préjugés, ne marche qu'avec
incertitude, flotte au gré de ses
passions !
Hélas ! trop souvent notre propre
coeur, d'intelligence avec nos ennemis, ne
résiste que faiblement, et cède
bientôt une victoire facile ! Au milieu
de tant de dangers, auxquels, plus d'une fois
peut-être, vous avez succombé,
pourriez-vous être trop attentifs, trop
circonspects, trop sur vos gardes ?
Vos ennemis sont puissants et pleins de ruses, si
votre vertu sait repousser quelques-uns de leurs
efforts, ne sera-t-elle pas trop faible contre
leurs efforts réunis ?
Les discours des impies, ne peuvent ébranler
votre foi, ne mourra-t-elle point sous les traits
de la plaisanterie ou du ridicule ; ne
sera-t-elle point vaincue par la
fausse honte ; ne cédera-t-elle point
à l'attrait d'un plaisir
séducteur ? Qu'une seule brèche
soit ouverte, votre défaite est
certaine !
Ce que je dis, je. le dis à
tous, veillez !
La vigilance vous fera connaître le
nombre, les forces de vos ennemis, de votre propre
faiblesse, quand ils vous seront bien connus, vous
saurez aussi les moyens de les combattre avec plus
de succès, vous apprendrez à faire
usage de vos armes, et le secret de les
vaincre !
Quelle force vous donnera contre les tentations
cette idée habituellement présente
à votre esprit : « Mon Dieu
me voit, ses regards sont fixés sur ma
conduite ! »
Cette idée habituelle dans l'âme de
Joseph, lui dicta ces paroles : comment
ferais-je un si grand mal, et pécherais-je
contre Dieu !
Ah ! Celui qui se propose
l'Éternel devant soi, qui le voit
à sa droite, ne sera point
ébranlé !
La vigilance, M. F., vous fera
connaître quelle est la
manière différente, de combattre les
tentations différentes, lorsqu'elles
émeuvent les sens, enflamment la
cupidité, qu'elles ébranlent
l'âme par une force impérieuse et
secrète, ce n'est pas le moment de hasarder
un combat, il faut fuir !
Des amis, ou plutôt des ennemis perfides,
essayent par leurs sollicitations
redoublées, de détruire vos
principes, ils cherchent par de dangereux sophismes
à tranquilliser votre conscience, à
calmer les craintes qu'excite chez vous
l'idée de commettre une faute
légère, ils vous pressent, vous
êtes ébranlés, fuyez, fuyez ces
lieux où votre innocence va faire un triste
naufrage, la fuite vous donnera la victoire ;
et s'il y a de la honte, ah ! ce n'est pas
à vous à éprouver ce sentiment
pénible, c'est à ceux qui en voulant
vous corrompre, ont dévoilé leur
corruption !
Mais si la tentation vous attaque dans votre
faiblesse ; si, pour vous détourner
de remplir des devoirs
importants, notre imagination ou notre indolence
nous font craindre des travaux, des
difficultés insurmontables ; si elles
cherchent à nous effrayer par les
sacrifices, auxquels notre vertu sera
exposée, qu'elle devra consommer, alors
armez-vous de courage, alors il faut prendre
sur soi, la fuite serait une lâcheté,
une défaite, vous êtes vaincu, parce
que vous avez cessé de combattre !
Sans doute malgré toutes les
précautions de votre vigilance, vous serez
quelquefois surpris par le péché, la
faiblesse humaine ne peut pas tellement asseoir sa
vertu sur le roc, qu'elle ne soit jamais
ébranlée ; mais ces fautes
mêmes vous deviendront utiles ; elles
vous apprendront à éviter, et ces
objets qui vous ont séduit, et ces
compagnies qui ont attaqué vos principes, ou
corrompu vos moeurs ; vous chercherez par le
repentir, à réparer vos
égarements, et la vertu
vous deviendra plus précieuse, quand vous
aurez éprouvé que la paix et le
bonheur s'enfuient avec elle ! alors vous
écarterez toutes ces idées, qui par
leur vivacité, troublent l'imagination,
émeuvent les sens ; tous ces
désirs, qui faibles dans leur naissance, ne
paraissent point dangereux, mais dont la force
s'augmente chaque instant, et qui causent enfin les
orages et les tempêtes.
Ne présumez pas trop de
vous-mêmes, la présomption
prépara la chute de Saint Pierre, et
elle n'est que trop vérifiée par
l'expérience cette maxime, celui qui aime
le danger, périra dans le
danger ; la tentation augmente ses forces,
tandis que les nôtres se consument, elle
gagne, si je peux le dire, le terrain que nous
avons perdu, elle nous presse, nous enveloppe,
et triomphe bientôt de notre faible et
fragile raison !
Hélas, M. F., il n'est que trop vrai, nos
erreurs et nos chutes, nous font
assez sentir l'importance de ce devoir !
3.° La vigilance va plus loin encore,
non seulement elle nous apprend à fuir le
mal ; elle nous apprend à faire le
bien, à donner à nos vertus plus
de force et d'étendue. O vous dont
l'âme est pure et droite, dont le
coeur est honnête et bon, qui
désirez vous perfectionner, qui aspirez
à croître en sagesse devant
Dieu ; savez-vous quel est le moyen
d'accroître votre sainteté, de la
porter au point le plus élevé,
où la faible humanité puisse
parvenir ?
Veillez sur vous-mêmes, interrogez votre
coeur, après la pratique de quelques-uns de
vos devoirs ; réfléchissez sur
la manière dont vous vous en êtes
acquittés ; N'auriez-vous point pu les
remplir avec plus de zèle, plus
d'empressement, plus d'exactitude ?
Cette prière que vous avez adressée
à Dieu, a-t-elle été
précédée de toutes les
dispositions nécessaires, pour
qu'elle soit agréable
à notre Père céleste et utile
à vous-mêmes ? N'auriez-vous
point par le recueillement, pu prévenir des
distractions importunes, répandre votre
âme devant Dieu avec plus de ferveur et de
piété ?
Ce service que vous avez rendu à votre
frère, n'auriez-vous pas pu en augmenter
encore le prix par des manières plus douces,
plus obligeantes, par une plus grande promptitude,
par des égards plus délicats, et
souvent plus précieux que le bienfait
même ?
Et vos vertus, vos vertus ne sont-elles pas encore
mélangées de quelque grossier
alliage ? Ont-elles pour base unique ce
principe pur qui les ennoblit toutes, l'amour de
Dieu ?
Tout ce que vous faites, le faites-vous de
bon coeur, comme pour le Seigneur, et non pour les
hommes ?
Recherchez-vous toutes les occasions d'avancer
dans la carrière de la sainteté et
du salut ? Ah ! c'est ainsi que la
vigilance chrétienne, par de
fréquents, par de
sincères retours sur nous-mêmes, nous
apprend à nous connaître, à
distinguer les vertus réelles des illusions
de l'amour-propre, à rectifier nos
idées et nos sentiments ; c'est ainsi
quelle rend l'homme, de Dieu accompli en toutes
sortes de bonnes oeuvres !
4.° Et chez celui qui pratique ce
devoir, la vigilance produira d'autant plus
certainement ces bons effets, qu'elle lui rappelle
sans cesse le but de sa vocation. Il combat ici-bas
pour obtenir le salut, pour
posséder l'héritage des Saints qui
sont dans la lumière ; le triomphe
est sans doute difficile, mais sa foi lui montre
cette palme immortelle qui sera le prix de ses
victoires ; il la défend contre les
assauts de ses ennemis qui veulent la lui ravir, et
serait-il possible, que soutenu par cette noble
espérance, il se détournât de
sa route, que son courage se ralentît, qu'il
se laissât enlever cette récompense
glorieuse ?
Ah ! si une couronne de laurier
corruptible, si de vains applaudissements,
si les yeux des Juges fixés sur les
athlètes des jeux olympiques, les
enflammaient d'ardeur ; si pour la remporter
cette fragile couronne, ils se soumettaient
à de longs et pénibles sacrifices, de
quel zèle ne brûlera pas celui qui
ambitionne une couronne incorruptible, celui
qui a les intelligences célestes,
son Sauveur pour témoin de ses efforts,
de ses succès, et son Dieu pour
rémunérateur !
Pompeuses misères de la Terre !
brillantes vanités ! sacrifices
auxquels la religion expose, qu'êtes-vous
pour un homme appelé à
conquérir le Ciel, qui doit vivre avec Dieu
pendant l'éternité !
Mais c'est assez vous avoir présenté
les différents devoirs que renferme la
vigilance, il est temps de presser les motifs de
mon texte, la certitude de la venue du Seigneur et
l'incertitude du moment auquel il
paraîtra ; Veillez
puisque vous ignorez à
quelle heure votre Seigneur doit venir.
MOTIFS À LA
VIGILANCE.
1.° Notre Seigneur doit
venir !
Vérité incontestable, M. F.,
l'homme n'a pas été jeté au
hasard sur cette Terre, pour vivre au gré de
ses désirs, de ses penchants, de ses
passions !
Les excellentes facultés dont il est
doué lui sont données pour un certain
but ; la raison est une lumière qui lui
fait discerner le bien du mal, la vertu du
vice ; sa conscience par ses terreurs ou ses
jouissances lui annonce que le Maître qui l'a
placé ici-bas lui demandera compte des
talents qui lui ont été
confiés ; et l'Évangile qui
lui manifeste tous ses devoirs, met dans la plus
grande évidence cette rétribution
future, que les remords ou la paix de son âme
lui font entrevoir.
Elle est impossible ici-bas cette
rétribution, la nature
des biens terrestres, la fragilité, la
vanité de tous les avantages du
monde, la brièveté de la vie ne
permettent pas qu'elle s'exécute ;
c'est donc au-delà du temps qu'elle
s'accomplira ; la mort qui termine l'oeuvre de
l'homme est le moment de la venue du
Seigneur ; alors son compte se dresse, le
livre s'ouvre ; son Seigneur qui fut
Législateur se montre Juge, et lui
fait entendre cette voix « Rends
compte de ton administration ! »
La mort, non ! elle n'est point
l'anéantissement de notre être, pour
celui qui a supporté les combats et les
veilles, elle est un sommeil doux et
tranquille ; alors il se repose de ses
travaux, ses oeuvres le suivent ;
il attend le réveil de la gloire et de
l'immortalité !
La mort, elle est certaine pour chacun de nous,
nous n'avons reçu la vie que sous la
condition de la perdre, chaque heure, chaque
instant en abrège la durée, nous
approche du tombeau !
Nous serons tous la proie du sépulcre, la
scène de cet Univers sera fermée
à nos yeux, le soleil s'éteindra,
la lune perdra sa clarté, et la balance
impartiale du Seigneur pèsera nos
oeuvres !
Au sortir de la vie se prononce le jugement de
Dieu, jugement qui sera solennellement
confirmé dans ce jour auguste, où
les morts sortiront de leurs
sépulcres, où les nations, les
hommes de tous les temps comparaîtront devant
le Trône souverain !
Homme vertueux ! qui veilles sans cesse
sur ton coeur, en observes tous les mouvements,
réprimes ses désirs
déréglés, qui offres à
Dieu mille sacrifices invisibles, pour conserver
ton intégrité et obtenir son
approbation ; homme vertueux ! qui fais
de tes devoirs tes plaisirs, qui résistes
aux tentations avec courage, avec constance, et
repousses les séductions du monde, c'est
là que ta vigilante vertu recevra la
récompense qui lui est due !
Ne crains point, la
gratuité de ton
Maître se déploiera sur toi ! ton
exemple confondra le serviteur infidèle,
fera rougir le serviteur indolent, ton exemple
détruira les calomnies qu'ils osaient
élever contre la Loi de ton Dieu, et si l'on
chercha sur la Terre à ridiculiser ta vertu,
brillante alors du plus vif éclat, on sera
forcé de l'admirer dans le Ciel, de lui
rendre hommage !
2.° Votre Maître
viendra ! vous ignorez l'heure à
laquelle il doit venir ; le jour du Seigneur
vous surprendra comme un larron dans la nuit.
Cette incertitude qui doit exciter chez vous
une terreur salutaire, par quelle fatalité
devient-elle la cause de votre indolence et d'une
sécurité funeste ?
Quoi ! les cordages de la mort sont
constamment tendus autour de vous, et vous
ne vous occupez point de l'état de votre
coeur, et vous vivez comme s'il y avait un
intervalle immense entre le moment présent
et votre heure dernière ! Qu'y a-t-il
de plus fragile que votre
existence, votre santé, votre vie ?
Elle est une ombre qui passe, une vapeur oui se
dissipe, un fleuve oui précipite ses
eaux !
La mort ne nous saisit-elle pas à tout
âge ? À tout âge ne
devient-on pas sa victime ? La santé la
plus affermie, le tempérament le plus
robuste ne succombent-ils pas bientôt sous
ses traits ?
Allez sur les tombeaux de ceux qu'elle a
immolés, levez cette terre qui les couvre,
percez ce cercueil qui les enveloppe. Ah ! si
cette cendre pouvait se ranimer, si ces ossements
épars pouvaient se rejoindre, si cette
bouche condamnée à un éternel
silence pouvait le rompre, de toutes parts
vous entendriez cette voix :
« Pense à ta fin, sois
vigilant ! »
La mort a saisi l'un, tandis qu'il était
plongé dans le sommeil ou le
relâchement. L'autre, pendant que son coeur
était en proie à la haine,
à la colère, à la
vengeance, à toutes ces passions funestes
qui font la guerre à
l'âme. Celui-ci, elle l'a immolé
pendant qu'il était en possession d'un
interdit, fruit de son injustice et de son
excessive cupidité ! Celui-là,
au milieu de ses honteux plaisirs ; tous ont
été retranchés, pendant qu'ils
vivaient.
M. F., comme vous vivez aujourd'hui,
c'est-à-dire, négligeant de
s'instruire de leurs devoirs, de fuir ou de
combattre les ennemis intérieurs et
extérieurs qui cherchaient à les
séduire, à envelopper leur vertu,
négligeant de perfectionner leur
sainteté, de tendre vers la perfection, de
s'occuper de cette fin dernière, terrible ou
sublime, pour laquelle Dieu nous
forma ! Ils vivaient, comme vous vivez
aujourd'hui, M. F., sans penser à mettre
ordre aux affaires de leur conscience, se
contentant de jeter sur leur conduite un
coup-d'oeil vague et superficiel, plaçant
les devoirs de la piété après
ceux de la société, de convention de
bienséance, après de vaines
occupations et de plus vains
plaisirs !
Hélas ! ils ont été
emportés ces hommes comme par une ravine
d'eau au milieu de leurs projets de conversion, de
leurs résolutions inefficaces !
Et vos projets, M.F., vos projets aussi
légers que les leurs, ne seront pas
couronnés d'un plus heureux
succès ! Si dans ce moment les Cieux
s'ouvraient, si perçant les voûtes de
ce Temple le Fils de l'homme s'offrait à vos
regards, si porté sur la nuée qui
sera son Trône, il vous demandait compte de
votre administration, quelle terreur vous causerait
cette surprise !
Quelle conscience ne redouterait l'arrêt
qu'il aurait à prononcer !
Ah ! que vous voudriez avoir du temps pour
réparer vos erreurs, régler vos
voies, vous préparer à bien mourir
pour saisir la couronne des justes !
Ce n'est qu'une supposition, je le sais, mais un
jour elle sera une terrible réalité,
et si ce n'est pas aujourd'hui le jour de la venue
du Seigneur, votre surprise
quand il viendra sera la même que s'il
paraissait aujourd'hui !
Et vous ne mettriez pas la main à l'oeuvre,
et vous ne reviendriez pas à Dieu de tout
votre coeur, et vous ne veilleriez pas, vous ne
travailleriez pas avec zèle dans ce temps
qui vous est encore donné, à assurer
vos plus grands intérêts, votre salut,
et vous ne chercheriez pas à mériter
cet éloge, Heureux le serviteur que le
Maître à son arrivée trouvera
faisant son devoir !
Malheur, malheur à vous, si vous vous
bercez de la trompeuse espérance de
prévoir le moment de la venue du
Seigneur ! Il l'a confondue cette illusion
fatale. Vous aussi, tenez-vous
prêts, s'écrie-t-il, car le
Fils de l'homme viendra à l'heure que vous
n'y penserez pas !
Osez après cela languir dans vos vices,
persévérer dans vos
égarements, votre indolence, votre
tiédeur, votre
infidélité !
Que dis-je ? infortunés ! vous ne
vous nourrissez que de perfides
chimères, le jugement s'approche, votre
Maître viendra, vous ne savez à
quelle heure !
Ah ! si vous êtes jaloux de votre
bonheur, si votre propre
félicité vous touche, si les
délices de l'immortalité ont encore
du prix à vos yeux, veillez, puisque vous
ignorez à quelle heure votre Seigneur doit
venir !
Ah ! n'abusez pas des trésors de
sa patience, de sa longue tolérance. Vous
entendez sa voix, prenez garde que votre coeur ne
s'endurcisse ; n'oubliez jamais, que
s'il est un temps où le Seigneur se
trouve, il en est un auquel on ne le trouve
plus ; sa miséricorde
épuisée fait place à sa
justice, et tremblez à l'ouïe de
ces paroles de notre adorable Maître :
Vous me chercherez, vous ne me trouverez
plus, et vous mourrez dans votre
péché !
De si puissantes considérations
n'auraient-elles pas pénétré
vos âmes d'une frayeur salutaire ? Que
je voudrais que la crainte de cette mort dans le
péché, vous
engageât à briser toutes les
chaînes qui vous lient au monde ;
à triompher de vos passions, de vos
habitudes criminelles, et vous animât d'une
noble ardeur, d'un invincible courage pour
repousser tout ce qui peut vous détourner de
la vertu, et pour vous attacher fermement au
bien !
Car en doutez-vous, M. F., pour plusieurs d'entre
nous, le jour du Seigneur est proche,
dès cet instant, disposons-nous à
le recevoir, dès cet instant ; qui
attend le lendemain pour commencer la
réforme de ses moeurs, attend le
lendemain, au jour suivant ; et dans celui-ci,
renvoie encore à un autre, et le jour du
Seigneur le saisit, avant que celui de la
conversion ait paru !
Aujourd'hui donc, aujourd'hui réformons nos
moeurs, veillons sur nous-mêmes, nous avons
une âme immortelle à sauver,
éloignons d'elle l'ignorance et
l'erreur, purifions-la de ses souillures,
empressons-nous à l'orner de
toutes les vertus ;
revenons à notre Dieu, écoutons sa
voix qui nous crie : Qu'on fasse la paix
avec moi ! Celui qui aura été
fidèle dans les petites choses, je
lui en confierai de plus grandes !
Venez, dira-t-il au serviteur
vigilant, venez vous placer sur mon
trône, et prendre part à ma
gloire ; c'est ce que je vous souhaite,
Amen !
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