L'ORAISON
DOMINICALE
Considérée comme un
résumé du christianisme
ATHANASE COQUERELl'un des Pasteurs
de l'Église réformée de
Paris
1850
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IV
LA VOLONTÉ DE DIEU
Que ta volonté soit faite sur la terre
comme au ciel !
(Saint
Matthieu, VI, 10.)
MES FRÈRES,
En étudiant l'Oraison Dominicale comme un
résumé de la nouvelle alliance et de
la Religion chrétienne, on est naturellement
amené à se demander si la grande
doctrine de l'immortalité y tient assez de
place. Il est très remarquable que la
prière du Seigneur n'y fasse allusion
qu'indirectement, et il est essentiel de rechercher
pourquoi notre divin Maître a pensé
que c'était assez.
On peut être simple philosophe, sans croire
à une vie future ; chez tous les
peuples, on trouve une
philosophie plus ou moins florissante selon
l'esprit du temps, qui consiste à douter
d'un avenir. Les conséquences de cette
triste doctrine ne vont pas, en dernière
analyse, à nier la sagesse de l'homme, mais
à la renfermer entre les mêmes bornes
que son existence, entre deux barrières de
pure matière, entre deux
néants : l'un qui précède
la naissance, l'autre qui suit la mort, et qui
laissent pour témoignage de nullité
un peu de pourriture et des vers qui la
dévorent.
On peut aussi, sans croire à une vie future,
être simple moraliste. Si l'effort de
raisonnement, ou pour mieux dire de sophisme, est
plus pénible, il est facilité par le
point d'honneur d'éviter l'aveu qu'on
professe une doctrine, non seulement
irréligieuse, mais perverse. C'est une
morale, il est vrai, sans garantie, sans sanction,
sans jugement ; une morale de pure convention,
qui ne vient pas du ciel, puisqu'elle n'y retourne
point ; une morale froidement abstraite, qui a
l'amour-propre et l'intérêt pour
bases ; à tout prendre,
néanmoins, c'est une morale, et avec quelle
intrépidité de
confiance en leur
honnêteté on entend certains hommes
prétendre qu'ils n'ont pas besoin
d'être immortels pour vivre en honnêtes
gens !
Bien plus ; on peut être simple
déiste, sans croire à une vie future.
Le Dieu qu'enseigne le déisme est tellement
une abstraction de l'esprit, sans
miséricorde et sans amour, que ses
adorateurs, quand il en a, osent à peine le
nommer : Notre Père ! et ne
sont ni forcés ni enclins à
ajouter : qui es aux deux !
Comme ils l'enseignent plus qu'ils ne le
prient, ses adeptes sont conduits à
s'occuper de son infinité plus que de son
amour, et s'ils acceptent l'idée d'une
création positive, il leur importe peu et il
n'importe pas davantage à leur dieu
indifférent qu'elle ait été
faite pour le temps, pour quelques années,
pour quelques jours, ou pour toute une
immortalité.
Mais il est impossible d'être chrétien
sans se croire immortel. L'immortalité forme
partie intrinsèque et constitutive de
l'Évangile, au point que si vous croyez
à votre propre néant, vous êtes
obligé d'y jeter, pour ainsi dire, votre
Christianisme tout
entier.
Voilà pourquoi l'Évangile ne raisonne
sur l'immortalité de l'âme que pour
dissiper quelques grossiers préjugés
ou juifs ou païens, et la présente
partout comme un point de fait mis au-dessus de
tout doute, comme une évidence dont il y a
parti pris d'être convaincu. C'est là
un premier motif qui explique pourquoi une allusion
à la vie du ciel suffisait dans la
prière du Seigneur. Si vous ne comptez que
sur l'avenir du sépulcre, cette
prière vous est inutile, comme le
Christianisme.
La simple attente d'une autre vie n'est pas assez
et ne rend point le Christianisme possible dans
notre âme : il reste à savoir ce
que sera cette immortalité, et sous l'empire
de tous les cultes, l'idée qu'on s'en est
faite a toujours été
proportionnée à la Religion
même ; incomplète et vide
où la Religion n'était qu'un embryon
religieux de ces doctrines primitives qu'on
retrouve partout dans l'esprit des races les moins
avancées ; sombre, dure, sanglante,
où la Religion était empreinte d'un
esprit de barbarie en rapport avec des moeurs
guerrières et
féroces ; amusante,
joyeuse, impure, où la Religion, trop douce,
enseignait le plaisir comme un dogme et n'ordonnait
de rite que des orgies et des fêtes.
Le Christianisme est venu, et il a
déclaré l'impossibilité de
connaître parfaitement le ciel et de se
représenter, du sein de l'existence
actuelle, l'existence meilleure qui nous attend.
Ce que nous serons un jour n'est pas encore
manifesté, dit l'apôtre, et
cependant la prière du Seigneur
élève notre âme au
séjour bienheureux et nous en donne
l'idée la plus conforme à la
sainteté de l'Évangile, à
l'excellence de sa morale, à la grandeur de
notre destinée et à la gloire de
notre création et de notre
rédemption ; le ciel, c'est un
séjour où se fait la volonté
de Dieu.
Mes Frères, n'est-ce pas assez vous en dire,
même dans cette prière ?
Je vais essayer de vous le démontrer, et
j'espère y réussir, sans
m'écarter de l'ordre admirable que suivent
les demandes de l'Oraison Dominicale. Du
règne de la vérité elle passe
au règne de la vertu ; car la
volonté de Dieu, c'est la vertu, la
fidélité,
l'intégrité.
I. Que ta volonté soit faite sur
la terre comme au ciel !... Il y a donc
des habitants dans le ciel ; le ciel n'est pas
un désert ; le ciel n'est pas un monde
inutile et vide, qui ne sert à personne, ou
si vous voulez quitter la langue des images pour
celle des réalités, tous les justes
de tous les siècles, admirés ou
inconnus pendant leur passage ici-bas, tous les
morts qui sont morts au Seigneur, sont
vivants ; seulement leur vie est devenue
l'immortalité ; l'immortalité
est pour eux une existence comme la vie en est
encore une pour nous, et il y a un avenir
après la mort comme nous en connaissons un
après la naissance ; naître est
un début, vivre est un commencement ;
l'idée de commencement entraîne celle
de suite, de prolongement, de continuation ;
cette suite ne peut être qu'une vie qui
succède à une vie ; seulement,
ce prolongement se prolonge à l'infini,
cette continuation est immortelle.
Et n'y a-t-il d'existence et d'immortalité
que l'existence et l'immortalité
humaine ? En d'autres
termes, les hommes sont-ils seuls avec Dieu dans
l'univers ?
Notre globe et notre ciel sont-ils les seuls astres
qui soient une patrie ?
Le firmament n'entend-il résonner d'autres
chants de louanges que des hymnes
humains ?
Et ces mondes répandus avec tant de
profusion dans l'espace, ces mondes que
l'humanité ne peut suffire à peupler,
n'ont-ils d'usage que d'envoyer de temps à
autre quelques scintillements de lumière au
fond de nos yeux ?... Qui le croira ? Qui
peut vouloir diminuer à ce point l'univers,
rétrécir à ce point la
création ?
Non, ces globes lumineux, qui obéissent dans
leur marche aux mêmes lois que le
nôtre, servent de domicile à des
enfants de Dieu, dont les conditions d'existence
nous sont inconnues, c'est-à-dire (si vous
voulez une fois de plus passer des images aux
idées et aux faits) il y a d'autres
intelligences, d'autres saintetés, d'autres
affections, d'autres félicités que
celles de Dieu et de l'humanité, et ces
êtres, supérieurs à nous,
doués de facultés plus
éminentes que les nôtres,
créés pour une existence qu'aucune
mort n'interrompt, ces êtres dont la
Révélation atteste
l'existence et qu'elle nomme les Anges, ces
êtres plus saints et plus purs que nous, nous
attendent et seront nos concitoyens. Nous n'avons
actuellement de relations qu'entre nous ;
à la mort, ou pour mieux dire, à
l'immortalité, non seulement ces relations
reprennent, mais nous en contractons de nouvelles
avec les Anges.
Ces pensées vous sont
familières ; vous aimez à y
revenir ; et qui n'y revient avec
délice ? Il me souvient de vous les
avoir proposées à divers points de
vue ; le plus touchant est celui de l'Oraison
Dominicale. Écartez de votre esprit toute
poésie imprudente, toute spéculation
téméraire, et sans rien laisser
à l'arbitraire des hypothèses,
serrons de près ces pensées pour
mieux saisir les leçons qui en
découlent.
Dans le ciel habitent donc les Anges et les
justes ; les Anges, qui y ont
été toujours, depuis l'époque,
inconnue à notre chronologie mortelle,
où le Créateur les a tirés du
même néant d'où nous sommes
sortis et les a placés en leur rang ;
les justes, qui y sont parvenus à une
immortalité de gloire.
Quel sens donneriez-vous
à cette demande de l'Oraison Dominicale, si
la certitude de l'existence des Anges et de
l'immortalité des justes n'est point
reconnue ?
Ces habitants de la patrie future, ces participants
de l'alliance immortelle, Jésus nous les
donne pour modèles ; Jésus qui
connaît le ciel et que nous pouvons en
croire, Jésus nous déclare que dans
le ciel ils font la volonté de Dieu.
Ils la connaissent donc ! car il faut la
connaître pour la pratiquer.
Ils s'unissent ainsi à Dieu leur
créateur et à Jésus leur
roi ; cette obéissance est un lien.
Ils sont libres ; c'est-à-dire, ils
emploient au gré de leur volonté les
puissantes facultés dont le Créateur
les a revêtus ; une obéissance
morale ne peut être qu'un acte de
liberté.
Ils font la volonté divine sans
mécontentement, sans délai, sans
diminution. Un murmure contre une loi parfaite est
une révolte ; un délai en est
une autre ; on est en état de
rébellion pendant qu'on hésite ou
qu'on diffère ; sans diminution, sans
offrir une demi-obéissance : une loi
parfaite n'a rien de trop, et
retrancher du commandement pour retrancher de
l'obéissance, c'est usurper sur le
législateur et prendre d'autant sa place.
Non, la docilité du ciel est
entière ; la volonté de Dieu,
c'est toute sa volonté ; ce ne serait
point la faire que de la faire en partie.
Et de cette conformité
persévérante de la volonté des
Anges et des Saints avec celle de Dieu même
résulte qu'ils sont heureux ; car il
est contradictoire qu'un être, quel qu'il
soit, puisse se rendre malheureux en faisant la
volonté de Dieu. Il ne peut provenir que du
bien de l'accomplissement d'une volonté
toujours souverainement parfaite, et pour des
êtres consciencieux et saints, dont la
destinée est d'accomplir des commandements
et des lois et de vouloir ce que Dieu veut, le
bonheur est à ce prix.
II. Il m'était indispensable de faire
passer devant votre esprit ces principes et ces
faits, et il m'importe, avant d'aller plus loin, de
vous amener à convenir que je les produis
devant vous sans les défigurer par l'ombre
même d'une exagération.
Toutes ces pensées sont implicitement
renfermées dans cette
demande de la prière du Seigneur, et celle
demande, vous ne pouvez l'amoindrir, en baisser le
niveau, en diminuer le contenu ; vous ne
pouvez, par une lâcheté
d'humilité, désirer moins que votre
Sauveur ne vous ordonne de demander.
Pesez donc attentivement la solennelle grandeur de
ce voeu, et ne craignez point de vous avouer
à vous-mêmes qu'en chaque redite de
l'Oraison Dominicale vous souhaitez (et ce voeu
doit être aussi sincère et libre que
tous les autres), vous souhaitez que la terre
ressemble au ciel, la vie à
l'immortalité ; vous souhaitez que les
progrès de ce côté du tombeau
répondent à ceux du côté
immortel et céleste ; vous souhaitez
que les hommes rivalisent avec les Saints et les
Anges ; vous souhaitez que la
volonté de votre Père se fasse,
réellement et à la lettre, sur
la terre comme au ciel... Il est dit que le
tout de l'homme est de suivre les commandements
de Dieu... Mes Frères, il est admirable que
le tout de l'homme soit aussi celui des
Anges et des Saints.
À ce point de notre méditation,
à ce résultat de
notre raisonnement, je vois de loin éclater
les sourires de l'incrédule et du
mondain ; ils se récrient contre la
grandeur de ces pensées, et nous
déclarent que les promesses
chrétiennes sont des
impossibilités ; ils se
réjouissent que l'Évangile berce le
monde de chimères et que le Christianisme,
semblable à tant de systèmes humains,
ne soit qu'une utopie.
Eh quoi ! nous diront-ils, vous croyez
à la perfection dans le ciel et vous
rêvez, en priant, cette perfection dans le
monde ; vous voulez donc ravir à
l'homme ses passions, pour ne lui laisser que des
vertus, et vous croyez que ce temps
viendra !... "
III. Mes Frères, quelque incertitude
qui plane sur l'avenir de l'humanité,
quelque longue que doive être la lutte du
bien contre le mal, quelque éloignée
que soit la victoire définitive, nous ne
pouvons désirer moins, et rien ici ne
ressemble à ces trompeuses utopies qui
promettent le progrès dans un avenir
donné, ne laissent rien mûrir,
escomptent le temps d'avance et ne savent jamais le
mettre de leur côté.
Quant au droit, ce qui est vrai du ciel, ainsi
que je vous l'ai
démontré, est vrai de la terre. Dieu,
le maître souverain ; Dieu, le
législateur parfait, ne peut exiger, s'il ne
veut se contredire, qu'une parfaite
obéissance ; il se
détrônerait lui-même à
exiger moins ; le législateur
suprême peut-il abdiquer ou se
démentir ?
Prescrire moins aujourd'hui qu'hier serait avouer
qu'hier il prescrivait trop, il donnait trop
à faire, et ce serait ravir toute
sainteté, toute autorité à ses
commandements.
Une loi morale, et surtout une loi divine, est
positive, absolue, immuable, ou perd tout
caractère de loi.
Si donc vous avez, vous les créatures
morales de ce monde, le même maître que
les Saints et les Anges, servez-le comme ils le
servent ; si vous êtes soumis, vous ses
sujets de cette existence, à la même
législation qu'eux, obéissez comme
ils obéissent, et que la volonté
de Dieu soit faite sur la terre comme au
ciel !
IV. Quant au commandement en lui-même,
quel est le caractère de la morale de
l'Évangile ?
Y trouvez-vous des accommodements avec nos passions
mauvaises, des concessions à nos habitudes,
à nos goûts
d'iniquité ?
Jésus transige-t-il avec le
péché ?
Distingue-t-il, comme les lois humaines, entre les
petits et les grands préceptes ?
N'enseigne-t-il pas au contraire que, pour
être fidèle dans les grandes choses,
il faut l'être aussi dans les petites, et
quand il donne en deux lois d'amour le sommaire de
la loi, n'a-t-il pas soin de déclarer que
le second commandement est semblable au
premier ?
Citerez-vous un mot de l'Évangile qui
affaiblisse l'idée sainte du devoir et qui
admette avec cette idée un
compromis ?
Non, vous trouvez dans l'Évangile une morale
descendant, sans rien perdre de sa force et de sa
pureté, aux plus minimes obligations de
cette vie, aux plus intimes émotions de nos
coeurs ; les paroles de nos lèvres, les
regards de nos yeux sont réglés, et
aussi, dominant sur le tout, liant dans un faisceau
de sainteté toutes ces leçons, vous
trouvez, couronnement divin de cette morale toute
divine, l'ordre d'aspirer à être
parfait comme Dieu est parfait, saint comme
il est saint, et miséricordieux comme
il est miséricordieux. Chrétiens
selon l'Évangile, vous ne
demandez donc rien de trop en souhaitant que la
volonté de Dieu soit faite sur la terre
comme au ciel.
V. Quant à l'accomplissement du voeu,
elle a déjà, dans ce monde,
été faite ainsi ; une fois, il
est vrai, une fois seulement ; mais c'est
assez pour prouver qu'elle y est possible, et c'est
de cette preuve que le monde avait besoin.
Jésus a accompli sur cette terre la
volonté de Dieu comme elle s'accomplit dans
le ciel ; Jésus a achevé
toute la tâche qui lui a été
donnée à faire, et il l'a
achevée entre une crèche semblable
à votre berceau et une croix de douleur
semblable à votre lit d'angoisse ; il
l'a achevée au milieu de circonstances et de
conditions purement humaines, aussi humaines que
celles qui font votre destinée, marquent
votre place et marqueront votre tombe ; au
milieu de faiblesses comme les vôtres, la
faim, la soif, la fatigue, le sommeil ; au
milieu de difficultés comme les
vôtres, l'injustice, la calomnie,
l'ingratitude, la haine ; au milieu d'une
pauvreté comme la vôtre, car il
n'avait pas de lieu où reposer sa
tête ; au milieu
d'amitiés et d'affections comme les
vôtres, car il avait un ami et il a
béni en mourant sa mère, sa
mère à laquelle il avait
été soumis et c'est ce Jésus
dont il est dit que, semblable à vous en
toutes choses, excepté le
péché, il vous laisse un
exemple, afin que vous suiviez ses traces, de
sorte que celui qui croit en Christ doit vivre
comme le Christ a vécu et se montrer
encore conforme à lui dans sa mort.
Vous le voyez : appelés à la
perfection, Dieu vous a donné un
modèle parfait... O Dieu ! que cet
exemple profite à tes enfants et que ta
volonté soit faite sur la terre comme au
ciel !
VI. Mais notre nature, direz-vous encore,
notre nature faible, perverse, corrompue ;
notre nature dégénérée
par tant de siècles de péchés
accumulés, par tant d'éclatantes
leçons d'iniquité, par cette longue
imitation successive de fautes que
l'Écriture nomme la
postérité du mal, notre nature
peut-elle s'arranger d'une si haute aspiration, et
devant un but si lointain,
désespérant d'y atteindre, les hommes
ne se lasseront-ils pas d'y marcher ?...
Il est vrai ; votre nature est
pécheresse ; aussi le premier
pas vers la perfection est la
délivrance du mal, et j'aurai à
revenir sur ces pensées en étudiant
avec vous la dernière demande de la
prière de Jésus ; j'aurai
à vous montrer comment l'idée que
l'homme est pécheur s'accorde avec celle de
sa perfectibilité. Cependant votre nature
même, malgré sa corruption, offre une
preuve de plus que ce progrès est le seul
à poursuivre dans vos efforts, le seul
à demander dans vos prières.
Votre nature est pécheresse ; elle ne
l'a pas toujours été ;
l'humanité n'a pas commencé par le
mal, mais par le bien ; par la honte, mais par
la gloire ; par l'erreur, mais par la
vérité ; vous n'avez pas
été créés à
l'image du démon, pour vous en aller vers
lui ; vous avez été
créés à l'image de Dieu,
allez donc vers lui, c'est-à-dire vers
la perfection ; sa voix vous y rappelle, parce
sa volonté vous y destinait, parce que sa
création vous en avait revêtus, et
qu'ainsi en vous proposant ce but de
l'accomplissement parfait de la loi, source d'une
parfaite félicité, vous redevenez
simplement ce que vous deviez être.
Dieu vous ramène à votre
origine ; Dieu vous
rend à
vous-mêmes en vous rendant à lui, et
c'est précisément parce que
l'innocence est perdue qu'il faut que la
sanctification soit atteinte...
O Dieu ! que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel ! car la
création et la rédemption toujours se
touchent, se tiennent, se supportent l'une l'autre
et finissent par se confondre en une seule oeuvre
de bonté et d'amour.
Aux premières pages de l'Écriture
sainte, dans les premiers souvenirs de
l'humanité naissante, nous voyons l'homme
formé à la ressemblance de Dieu, se
rapprochant sans cesse de son créateur et
toujours en société, en relation
intime avec lui ; dans les derniers
enseignements de sa parole, dans les leçons
définitives de l'Esprit saint, nous voyons
l'homme aspirant à l'imitation de
Jésus, et renouvelant en lui par cette
imitation la ressemblance de Dieu dont Jésus
est l'image...
Saint et sublime enchaînement de notre
origine qui est le bien, de notre retour qui est un
salut, et de notre destinée qui est le bien
suprême, le bien près de Dieu et de
Christ, le bien dans une existence de perfection et
d'immortalité.
Entre deux, entre le péché qui nous
arrête et le bien qui nous invite, entre le
monde et le ciel, entre la vie présente et
la vie immortelle, pour moyen de ce retour à
Dieu, s'offre sans cesse comme un soutien et un
appel, comme une espérance et une
perspective, le voeu de la prière
sainte : Que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel !
Tout n'est pas dit pour faire ressortir la
grandeur de ce souhait de l'oraison du
Seigneur ; il a une extension qui reste
à vous signaler, dût votre
piété s'inquiéter encore et
craindre timidement de trop demander. Que ta
volonté, est-il dit, soit faite sur
la terre comme au ciel !
Sur la terre !... Le mot emporte avec lui
l'idée de l'universalité. Où
voulez-vous, en priant ainsi, que la volonté
de Dieu se fasse ? Partout. Et, comme
l'adoration, comme la vérité, il faut
que la vertu devienne universelle. Le monde tout
entier est compris dans votre désir ;
il y aurait impiété comme foi et
aussi comme charité
à excepter un point du sol commun que le
pied humain foule aujourd'hui. Vous ne pouvez dire
à Dieu, le Père de tous :
Seigneur, que ta volonté se fasse par toute
la terre, excepté où demeurent ces
races que je méprise, ces peuples que je
hais, ces Églises qui ne sont point mon
Église, ces familles de mes constants
ennemis, de mes constants rivaux !... Vous ne
pouvez parler ainsi ; car alors, à
l'instant même où vous demanderiez que
les lois de Dieu s'accomplissent, vous en violeriez
d'une façon abominable la plus sainte de
toutes, celle de la charité. .. En priant
ainsi, vous priez pour tous, ou vous ne priez pas
pour vous-même.
Oui, pour tous ! Le progrès peut
être et doit être universel ; il
n'y a pas, pour l'humanité, de vertus
impossibles, ou ce ne sont point des vertus ;
il n'y a pas de lois impraticables, ou ce ne sont
point des lois.
Sur le chemin qui mène au ciel, qui
mène à Dieu, tout homme peut marcher,
et il y marchera d'autant mieux s'il brise, en
passant, de sa main libre et tranquille, toutes ces
barrières prétendues saintes, que le
fanatisme et le mensonge y ont
dressées autrefois. Notre père qui
est aux Cieux ne déshérite aucun
de ses enfants. Le Créateur n'a voué
personne au péché, à la
perdition, à la mort; ce ne sont là
que d'impuissantes erreurs, aujourd'hui
condamnées, indignes de notre conscience et
de notre raison, et où l'orgueil sectaire ne
trouve plus à s'abriter.
Dieu dit à tous les Caïn, avant que la
haine ait enfanté le crime : Si tu
fais le bien, ne sera-t-il pas
approuvé ? et à tous les
Paul, tourmentés comme d'une
écharde en leur chair. Dieu dit :
Ma grâce te suffit ! Nul n'est
tenté au-dessus de ses forces.
Notre responsabilité suppose notre
puissance. La sanction de la loi accomplie, c'est
la récompense ; la sanction de la loi
transgressée, c'est la punition. Mais avant
la récompense, avant la punition, la
sanction de la loi pour le législateur
lui-même et pour tous ceux qui ont à
la suivre est double : c'est sa promulgation
et sa possibilité, et vous embrassez donc
l'humanité entière dans ce
voeu : Ta volonté soit faite sur la
terre comme au ciel.
Comme théorie, me direz-vous encore, tous
ces principes sont incontestables ; mais que
gagnons-nous à
l'évidence de la théorie, quand
l'application réelle en semble
impossible ? Qui peut s'attendre à ce
que tous les hommes s'astreignent aux lois de Dieu,
et vivent et meurent fidèles au
devoir ?
Mes Frères, sous ces chênes de
Mamré, voyez vivre cet homme nommé
Abraham, dont le livre de vérité vous
dit qu'il marcha avec Dieu et qu'il fut
l'ami de Dieu.
Sous ces tentes des déserts d'Arabie, voyez
vivre cet homme nommé Moïse dont il est
dit qu'il n'eut qu'un mouvement de doute en sa vie
et qu'il mourut sur le sein de Dieu.
Plus tard, voyez vivre ce saint Jean, l'ami de
Christ ; ce saint Jacques auquel
l'Église naissante avait donné le
surnom de Juste. À peine aurait-on trop
demandé pour eux, en priant à leur
intention dans ces termes : Que ta
volonté soit faite sur la terre comme au
ciel ! N'oser leur appliquer, pour ainsi
dire, celle prière, serait faire injure
à leur gloire.
Cet Abraham et ce Moïse, un saint Jean, un
saint Jacques, n'étaient que des hommes
comme nous tous, soumis à la même loi,
secourus par la même grâce. Autour
d'eux, il nous sera facile de placer
en idée une famille
docile à leur ascendant, fidèle
à leur exemple, émule de leur
intégrité, et ici encore vous direz
avec confiance : Que ta volonté soit
faite sur la terre comme au ciel.
Ces familles, si vous les réunissez, forment
une tribu. Ne pouvez-vous vous représenter
une tribu sainte aussi bien qu'une sainte
famille ?
Dans ce cercle plus étendu, les mêmes
vertus cessent-elles d'être
praticables ?
Non, sans doute, et si la voix du patriarche dit
avec confiance, pour moi et ma maison, nous
servirons l'Éternel, cette voix peut
être entendue et entraîner tous les
coeurs après elle... et vous, avec confiance
encore, vous direz : Que ta volonté
soit faite sur la terre comme au ciel !
Chrétiens, que vos esprits se laissent
entraîner à cette facile progression
et s'épargnent les inutiles lenteurs de ma
voix. Avancez, avancez plus rapidement où
ces premières pensées
précipitent votre attention... Ce qui sera
vrai d'une tribu le sera d'une cité ;
ce qui sera vrai d'une cité le sera d'une
nation ; puis d'une race ; puis d'une
chrétienté ;
puis de l'humanité entière... En un
mot, ce qui est vrai d'un homme
l'est de tous, et sans vous préoccuper des
distances incommensurables de l'avenir, vous
rappelant que Dieu a le temps d'amener tous les
progrès, ne vous lassez point de dire :
Que ta volonté soit faite sur la terre
comme au ciel !
Qu'ai-je essayé cependant, et de quel vain
détour ai-je fait usage pour vous faire
avouer comme par surprise que cette demande de la
prière du Seigneur n'est point une vaine
exagération ? Comme les messagers
d'Achab cherchant pendant la sécheresse un
peu d'herbe verdoyante, j'ai suivi tous les filets
d'eau, au lieu de m'en aller au domicile des
prophètes...
Mes frères, il s'agit de faire un ciel de la
terre, et votre esprit recule devant les
difficultés de l'oeuvre, et vous demandez si
elle est possible.
Pour sortir de ce doute, commencez par
vous-même ; commencez par votre famille,
votre maison, votre Église ;
efforcez-vous de faire de votre intérieur un
ciel terrestre, un ciel anticipé, en
attendant le véritable ; essayez, et je
vous donne d'avance vos essais pour réponse
et pour preuve. Quand on étudie à
fond l'Évangile, On y découvre
celle grande
vérité, que l'enfer, le seul enfer
réel, est dans le coeur des
méchants ; en conséquence, le
ciel est dans le coeur des bons. Mettez donc le
ciel dans votre coeur, et délivrés de
toute triste défiance, ce sera
désormais avec des ravissements de joie,
avec la plus douce effusion de charité que
vous redirez : O Dieu, que ta
volonté soit faite sur la terre comme au
ciel.
Vous le redirez ainsi jusqu'au jour de la
délivrance, où vous n'aurez plus
à former le souhait pour vous-même,
parce que celui qui est mort est affranchi du
péché.
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