ESQUISSE
ÉVANGÉLIQUES
L. BURNIER
1854
*********** N°
1
LE
CHRISTIANISME FACILE.
Commençons par
écouter sur ce sujet les déclarations
de Jésus-Christ et de ses apôtres. Je
les prends comme elles s'offrent à moi dans
la suite des livres du Nouveau Testament, et je les
livre à l'attention de mes lecteurs sans les
accompagner d'aucun commentaire ; car s'il en
est qui aient une certaine obscurité, elle
me paraissent, dans leur ensemble, d'une
clarté parfaite.
Nous avons d'abord le sermon de la Montagne
où nous lisons ces paroles bien
connues :
« Entrez par la porte
étroite ; car elle est large la porte,
et il est spacieux le chemin qui mène
à la perdition, et il y en a beaucoup qui y
entrent ; mais elle est étroite la
porte, et il est resserré le chemin qui
mène à la vie, et il y en a peu qui
le trouvent. »
Puis, quelques lignes plus loin :
« Ce ne sont pas tous ceux qui me
disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront
dans le royaume des cieux, mais celui qui fait la
volonté de mon Père qui est dans les
cieux. Beaucoup de gens me diront en ce
jour-là : Seigneur, n'avons-nous pas
prophétisé par ton nom ? et
n'avons-nous pas chassé des
démons par ton nom ? et n'avons-nous
pas fait par ton nom beaucoup d'actes de
puissance ? Et alors je leur dirai
ouvertement : Je ne vous ai jamais
connus : retirez-vous de moi.... (Matt. VII, 21-23) »
Dans l'Évangile selon saint Luc, au chapitre
IX, verset 23:
« Or il disait à tous : Si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il se
renonce lui-même et qu'il prenne sa croix
chaque jour, et qu'il me suive. »
À quelque temps de là, notre
Seigneur, suivi de grandes foules, se tourna vers
elles et leur dit :
« Si quelqu'un vient à moi, et ne
hait pas son père et sa mère, et sa
femme et ses enfants, et ses frères et ses
soeurs, et jusqu'à sa propre vie, il ne peut
être mon disciple. Et quiconque ne porte pas
sa croix en venant après moi, ne peut
être mon disciple. Car qui est celui d'entre
vous qui, voulant bâtir une tour, ne s'assied
premièrement et ne calcule la
dépense, pour voir s'il a de quoi
l'achever ? De peur qu'après qu'il aura
posé le fondement et qu'il n'aura pu
achever, tous ceux qui le verront ne se mettent
à se moquer de lui, en disant : Cet
homme s'est mis à bâtir et n'a pu
achever. Ou quel est le roi qui, partant pour faire
la guerre à un autre roi, ne s'assied
premièrement et n'examine s'il peut, avec
dix milliers, aller à la rencontre de celui
qui vient contre lui avec vingt milliers ?
Car autrement, pendant que
celui-ci est encore loin, il envoie une ambassade
et demande les conditions de la paix. Ainsi donc,
quiconque d'entre vous ne prend pas congé de
tout ce qu'il a, ne peut être mon disciple.
(Luc XIV, 23-33) »
Dans ce même Évangile enfin, chap.
XVI, verset 16, nous entendons Jésus
s'exprimer en ces termes :
« La loi et les prophètes
jusqu'à Jean ; depuis lors la bonne
nouvelle du royaume de Dieu est annoncée, et
tout homme y entre par violence. »
Après le Maître, les disciples.
Animé de l'Esprit du Seigneur et ayant fait
par lui-même l'expérience de la
vérité, Paul dit à ses
frères de Corinthe :
« Moi donc je cours, mais non comme
à l'aventure ; je frappe du poing, mais
non comme déchirant l'air ; mais je
meurtris mon corps et le réduis en
servitude, de peur qu'après avoir
prêché à d'autres, je ne sois
moi-même réprouvé ;
(1 Cor. IX, 26, 27) ; et à ses frères
de Philippe : « Je ne pense pas
quant à moi avoir saisi le prix ; mais
voici, oubliant les choses qui sont
derrière, et tendant avec effort à
celles qui sont devant, je poursuis vers le but,
pour le prix de l'appel céleste de Dieu dans
le Christ Jésus (Philip. III, 13, 14).
Écoutez enfin ce que proclame un homme qui,
après avoir un moment renié son
Sauveur, apprit de la grâce divine à
le confesser à la fois avec humilité
et persévérance :
« Si c'est avec peine que le
juste est sauvé, celui qui
est impie et pécheur, où
paraîtra-t-il (1 Pierre IV, 18) ? »
En regard de ces déclarations solennelles,
je place maintenant le Christianisme facile que
tant de personnes substituent au vrai
christianisme, et tout premièrement le
christianisme des honnêtes gens qui ne
croient pas en Jésus-Christ...
I
Le christianisme de
ceux qui ne croient pas en
Jésus-Christ !
Voilà vraiment une
étrange rencontre de mots. Autant vaudrait
parler d'oiseaux qui volent sans ailes et de
poumons qui fonctionnent sans air à
respirer.
Peut-être même trouverez-vous qu'il est
tout aussi difficile de concevoir des
honnêtes gens qui ne croient pas en
Jésus-Christ, comme s'il se pouvait qu'un
coeur honnête et bon ne se sentît pas
attiré par l'Évangile.
Mais je prends ici le mot honnête dans l'acception qu'on lui donne
communément ; et sans examiner si
l'honnêteté morale, en ses
éléments les plus essentiels, se
rencontre au milieu des peuples païens, je
dois convenir qu'elle forme le caractère
assez général des peuples à
qui la Parole de Dieu est parvenue.
Entre eux sans doute, il existe à cet
égard de notables différences,
suivant le plus ou le moins de
pureté dans laquelle cette Parole leur est
enseignée ; mais, sous l'influence de
la Bible, il s'est formé chez les nations
qu'on appelle chrétiennes une connaissance
du bien et du mal, une notion du devoir, une force
de la conscience auxquelles on obéit sans le
vouloir.
De là vient qu'en dehors même du
christianisme vivant, il y a, parmi nous, une
certaine éducation morale d'où l'on
sort homme d'honneur, homme de probité,
homme de toute manière propre à la
vie civile, c'est-à-dire honnête
homme.
Eh bien ! soit, dira-t-on ; mais la
qualité par excellence à laquelle
prétendent les honnêtes gens, et ils
ont raison, c'est la droiture, la loyauté.
Or comment se fait-il qu'un homme d'honneur
s'arroge le nom de chrétien sans qu'il croie
en Jésus-Christ ?
C'est que ce nom a pris une signification qu'il
n'avait pas dans l'origine.
D'abord il n'appartint qu'à ceux qui, au
sein de populations toutes païennes ou juives,
se posaient franchement en disciples de
Jésus-Christ, qui se consacraient au service
de Jésus-Christ, qui souffraient pour le nom
de Jésus-Christ (Act. XI, 26 ; XXVI, 28 ; 1 Pierre IV, 15, 16).
Mais lorsque des peuples entiers renoncèrent
à l'idolâtrie par la
prédication de l'Évangile, on fut
conduit à les appeler chrétiens pour
les distinguer du reste des gentils ; et, de
nos jours, on entend par la
chrétienté, les deux cents millions
d'êtres humains qui ne sont
ni païens, ni juifs, ni
mahométans.
À ce fait inévitable et, sous plus
d'un rapport, assez légitime, sont venues se
joindre des institutions et des moeurs qui, ayant
eu des siècles pour s'établir et
s'enraciner, ont tellement mêlé
l'ordre extérieur et temporel avec l'ordre
intérieur et spirituel, que, sauf en un seul
pays de la chrétienté, pays non moins
chrétien que les autres au fond
malgré tout ce qu'on peut lui reprocher, la
qualité de chrétien est devenue
inséparable de celle de citoyen, et qu'il
suffit d'être honnête homme pour
s'envisager comme bon chrétien.
Aux États-Unis d'Amérique, on voit
des gens en grand nombre qui fréquentent les
assemblées religieuses pour y chercher
l'instruction évangélique, tout en
avouant qu'ils ne sont pas convertis ; dans
notre vieille Europe, à ses propres yeux si
chrétienne, on compte par mille milliers
ceux qui ont ouvertement rompu avec tout culte, qui
à l'occasion ne dissimulent pas leur haine
pour l'Évangile, mais qui se gardent bien de
répudier le nom de chrétiens et
tiennent pour une insulte la prétention que
nous avons de le leur contester.
Et si, dans cette fausse position, l'on a
d'ailleurs les caractères de l'homme de
bien, si l'on jouit de l'estime publique, on en
vient à s'envisager soi-même comme
plus chrétien que les chrétiens.
Vivre pour le Seigneur et en vue de
l'éternité, scruter les motifs
secrets de sa conduite, se proposer
sincèrement la perfection pour terme, lutter
par l'Esprit contre les affections et les
convoitises du vieil homme, c'est ce que ne saurait
faire un non-croyant ; il n'y songe pas
même. Cependant, grâce à la
morale tout humaine qu'il prend pour guide, il n'a
pas de peine à convertir ses défauts
mêmes en vertus et à ne voir chez les
chrétiens que des vices ; il dirait
volontiers comme cet honnête homme qu'un
serviteur de Dieu pressait de se convertir :
« Je fais mieux que de croire à
l'Évangile, je le pratique. »
Or, mes frères, si c'est là du
christianisme, il faut convenir que c'est un
christianisme facile, un christianisme que
Jésus-Christ et ses apôtres n'ont pas
connu.
II
Les incrédules
immoraux ont aussi leur christianisme à
eux
Les incrédules
immoraux ont aussi leur christianisme à eux,
et souvent un christianisme plus semblable au vrai
que celui des incrédules honnêtes
gens. Tandis que ceux-ci fissent par se donner une
paix orgueilleuse que les chrétiens ne leur
envient pas, mais qui ne laisse pas d'être
aussi douce qu'elle est funeste, les autres,
aiguillonnés par leur conscience, ont des
gémissements, des détresses, des
remords qui valent mieux que la dureté du
coeur. Ils ne vont pas tête levée
à la rencontre du dernier jugement, et le
compte qu'ils auront à rendre se
présente quelquefois à leur esprit
épouvanté ; au lieu que les
précédents, se faisant honneur
d'être sans dette à l'égard de
Dieu comme à l'égard du prochain, se
disent prêts à
comparaître dès la première
sommation. C'est pourquoi, chargés de leurs
péchés, les incrédules
immoraux parleront de la miséricorde divine
plus volontiers que les autres. Voilà ce
qu'ils prennent à l'Évangile, mais
ils n'en continuent pas moins leur vie
immorale.
Ils la continuent parce que c'est une vie de
dissipation, de plaisirs, de jouissances parfois
très vives, et que leur grande maxime est
que l'homme n'a rien de mieux à faire dans
ce monde qu'à s'amuser le plus possible.
Tant s'en faut, néanmoins, qu'ils se sentent
heureux. Aussi ne les voit-on pas, dans leurs
mauvais jours, repousser les paroles de
l'Évangile, aussi absolument que le font, la
plupart du temps, les honnêtes mondains.
Malades, ils ne craignent pas qu'on prie pour eux
et avec eux ; dans le deuil, on les voit
avides des consolations chrétiennes, et
quand ils entendent quelque prédication
puissante par le Saint-Esprit, ils sortent de
là tout sérieux. Ce sont des Agrippas
qui disent : « Tu me persuades
presque d'être
chrétien ; » mais ils n'en
continuent pas moins leur vie immorale.
Il arrive même aux pécheurs de ce
caractère de déployer en certaines
circonstances un zèle que ne connaissent
guère les incrédules honnêtes
gens. Par exemple, ils ne pensent pas que le salut
de leurs enfants soit, dans tous les cas, chose
certaine. Ils savent trop par leur
expérience qu'on peut avoir reçu le
baptême et l'instruction religieuse de
rigueur qui en est la suite, et vivre esclave de
ses passions. Dans cette
conviction sans doute ils ne donneront pas à
leurs enfants ce qu'ils ne possèdent pas
eux-mêmes ; je ne dis pas non plus
qu'ils prieront pour eux, car ils ne savent pas
prier ; mais ils sont heureux de leur sentir
une mère pieuse ; s'ils peuvent choisir
le catéchiste de leur famille, ils ne
prendront pas le plus relâché, et ils
iront pleurer à l'église le jour
où leur fils sera solennellement admis
à la Cène, jour qui réveille
en eux tant de souvenirs.
Moyennant ces émotions passagères, de
crainte, d'espérance, de sérieux, ils
se croient chrétiens : christianisme
facile assurément, mais est-ce le vrai
christianisme ?
III
Le christianisme des
oeuvres
Un troisième
christianisme non moins facile et non moins
éloigné du vrai, c'est le
christianisme des oeuvres.
Il faut se sauver ; c'est chose entendue, et
sur ce point on est d'accord avec la Bible. Cela
signifie que nul n'a la vie éternelle de
plein droit, mais qu'il y a quelque chose a faire
pour l'obtenir. Ce quelque chose, c'est de se bien
conduire, de remplir ses devoirs, de se rendre
digne du ciel, d'y mériter une place, de se
concilier sinon la justice de Dieu, du moins sa
miséricorde, par une vie convenablement
ordonnée et utilement
remplie.
Quelques-uns de mes lecteurs s'étonneront,
j'espère, que je puisse appeler cela un
christianisme facile. Gagner la vie
éternelle par ses oeuvres ! Mais il
faudrait n'avoir jamais péché ou ne
plus pécher désormais. Et encore,
pour effacer les péchés commis, il
faudrait faire à l'avenir plus de bien qu'on
ne doit : car on n'acquitte pas ses dettes en
payant désormais, au fur et à mesure,
tout ce qu'on dépense !
Gagner la vie éternelle par ses
oeuvres ! Mais il faudrait aimer Dieu de tout
son coeur, de toute son âme, de toutes sa
pensée et de toute sa force, et son prochain
comme soi-même ; il faudrait avoir
triomphé de toutes ses passions,
dompté tous ses mauvais désirs,
réformé toutes ses habitudes.....
Ce n'est pas ainsi que l'entendent ceux qui ont la
prétention de se sauver par leurs oeuvres.
Ils ne portent pas leurs vues si haut et il leur
suffit de se sentir de bonnes intentions. Ils
voudraient faire le bien, je leur rends ce
témoignage ; ils ne demanderaient pas
mieux que d'être sans défauts ;
ils espèrent de jour en jour quelque
amélioration dans leur vie, et ils ne
s'opposent pas à ce qu'on leur parle morale
et religion ; toujours est-il que leur
sainteté ne dépasse pas le simple
désir : elle n'a rien de réel,
rien d'effectif.
Pour être juste aussi, je dois convenir
qu'ils l'ont certains efforts vers le but ;
mais c'est là tout leur christianisme. Or,
s'efforcer de se repentir, ce n'est pas se
repentir ; s'efforcer de croire, ce n'est
pas croire ; s'efforcer
d'aimer, ce n'est pas aimer ; et celui qui
prend l'effort pour l'oeuvre est semblable à
un petit enfant qui, s'appuyant de tout son pouvoir
contre un grand bloc de marbre, s'imagine que le
marbre recule parce que le pied lui manque à
lui-même. Vos efforts, ô mes chers
lecteurs, sont ceux de l'incapacité. Mieux
vaut sans doute s'efforcer à faire le bien,
que de se laisser entraîner par le mal ;
mais il est tout à la fois absurde et fort
commode de se persuader qu'on vit dans les bonnes
oeuvres parce qu'on s'épuise en efforts
improductifs.
Et encore, de quel côté dirigent-ils
leurs forces ceux qui appartiennent à ce
christianisme des oeuvres ? Ou bien c'est du
côté des grands devoirs à
l'exclusion des petits, ou du côté des
petits devoirs à l'exclusion des grands. Ce
qui revient à dire que, se sentant
réellement incapables d'accomplir la loi de
Dieu, ils se font, chacun selon leurs convenances,
une classification tout à fait arbitraire de
leurs obligations morales.
Pour l'un, les devoirs de la famille iront avant
tout ; pour l'autre, ceux de son commerce ou
de son industrie. Là, ce seront les
pratiques de la dévotion ; ici, les
bienséances de la politesse. Vous en verrez
dont toute la morale est dans la probité en
affaires ou dans l'opiniâtreté d'un
travail incessant....
Quoi qu'il en soit, mes frères, et
renonçant à épuiser ce sujet,
le christianisme des oeuvres est le christianisme
de l'orgueil : car, sous une forme
ou sous une autre, c'est toujours
vouloir être l'auteur de son propre salut. Ce
christianisme aussi, malgré les apparences,
n'est rien moins qu'une école de
sainteté ; voilà pourquoi j'ai
pu l'appeler facile, quoiqu'au fond il soit
impossible.
Flattant la passion primordiale de nos coeurs
naturels, il est attrayant autant
qu'illusoire ; mais ce n'est certainement pas
le vrai christianisme, car avec lui comme avec les
précédents on se passe
entièrement de Jésus-Christ.
IV
Le christianisme de
ceux qui invoquent le nom de Christ, mais dont le
coeur est partagé entre Jésus et le
monde.
Par une transition moins
brusque qu'elle ne le paraît à
première vue, j'arrive au christianisme de
ceux qui invoquent le nom de Christ, mais dont le
coeur est partagé entre Jésus et le
monde.
Ici, j'ai affaire avec des personnes qui
n'hésitent pas à reconnaître
qu'elles ont commis des péchés et
peut-être beaucoup de péchés.
Elles admettent la vérité de la
Parole de Dieu et ne sauraient la lire ou
l'entendre exposer sans se sentir émues dans
la meilleure partie de leur être. Elles sont
convaincues du prix de leur âme, et ce n'est
pas en vain que cette parole du Seigneur est
parvenue à leurs oreilles :
« Que servira-t-il à un homme de
gagner le monde entier s'il se détruit ou se
perd lui-même (Luc IX, 25) ? »
Ces personnes enfin ne contestent
nullement la nécessité de la foi pour
être sauvé.
Il y a donc en elles une certaine foi et certains
besoins religieux. Elles en cherchent la
satisfaction, non dans leurs oeuvres proprement
dites, dont elles n'ont pas une assez haute
opinion, mais dans la prière faite avec
quelque fréquence et avec quelque
ferveur ; dans la société des
fidèles, recherchée plutôt
qu'évitée ; dans la lecture
assez régulière de la Bible, des
journaux religieux et d'autres bons livres, si
d'ailleurs ils sont intéressants ;
puis, ce qui va sans dire, c'est que ces personnes
fréquentent assidûment le culte
chrétien, et que plus il est édifiant
plus elles l'aiment ; quant à la
Cène du Seigneur en particulier, elles ne
sauraient s'en passer aux époques
accoutumées.
Mais avec tout cela ce sont des coeurs que le monde
remplit. Extérieurement et pour les grandes
choses, on a rompu avec lui.
On prend en pitié les vaines joies par
lesquelles il s'amuse, ou plutôt s'abuse, se
dissipe et se perd ; ce qui n'empêche
pas qu'à l'occasion l'on ne se plaise
à voir du moins comment il se divertit.
On déplore la futilité et
l'immoralité des livres dont tant de gens
font leur pâture ; ce qui
n'empêche pas que, sans vocation aucune, on
ne se tienne au courant de la littérature du
jour, qu'on n'en fasse le sujet de ses entretiens
les moins futiles et qu'on ne vive ainsi tout
entier dans le monde.
On accorde qu'il n'y a rien de plus dangereux que
de vouloir régler sa vie sur les opinions si
mobiles et sur les maximes si
fausses de la multitude ; néanmoins, au
lieu de chercher essentiellement l'approbation de
Dieu, l'on brigue quelquefois au prix de son devoir
l'estime et les suffrages des hommes.
On reconnaît en théorie
« qu'une seule chose est
nécessaire, (Luc X, 42) » et, non content de
porter aux affaires du présent siècle
l'attention légitime qui leur est due, on se
préoccupe avec passion des
intérêts matériels et
politiques où s'absorbent,
hélas ! tant de gens. Ajouterai-je un
dernier trait ?
On admet que « le monde est plongé
dans le mal (1 Jean V, 19) », on a, ou plutôt
on croit avoir le mal en horreur (Ps. XXXVI, 5) ; et parmi les pensées
et les conversations pour lesquelles on
éprouve un attrait d'autant plus vif qu'il
est secret, sont bien souvent en première
ligne celles qui roulent sur les scandales de la
société.
Tout cela, j'y insiste, s'allie chez un grand
nombre de soi-disant chrétiens avec des
convictions et des habitudes religieuses, et tout
cela constitue le
christianisme mondain : christianisme difficile, en ce sens
qu'il n'est pas aisé d'associer deux
services aussi contraires que le service de Dieu et
celui de Mammon, mais christianisme attrayant et
facile, en ce qu'il satisfait à la fois la
conscience et la concupiscence.
La conscience a sa part dans l'aveu que vous faites
de vos péchés, dans l'assentiment que
vous donnez à l'Évangile de la
grâce de Dieu, dans les
pratiques de dévotion que vous
cultivez ; et la concupiscence, savoir
« la convoitise des jeux, la convoitise
de la chair et l'orgueil de la vie (1 Jean II, 16), » reçoit aussi la
sienne dans l'affection que vous conservez pour ce
monde et ses attraits.
Mais ce christianisme est si loin du vrai
christianisme, qu'il est plutôt une insulte
à Jésus-Christ, car c'est vouloir que
Jésus-Christ s'asseye sur un même
trône avec Satan.
Ce christianisme mondain, à ne l'envisager
que sous le côté religieux, repose,
semble-t-il, sur une très grande foi. C'est
ce qu'on voit particulièrement dans
l'église romaine.
Là, il est de principe que l'eau du
baptême régénère,
- et on le croit ; que celui qui communie,
même indignement, mange et boit le corps
réel et le sang de Jésus-Christ,
- et on le croit ; qu'après
s'être confessé au prêtre et
avoir obtenu de lui l'absolution, l'on est
réellement pardonné devant Dieu,
- et on le croit ; que si l'on reçoit
sur un lit de mort l'extrême-onction, l'on
est réconcilié avec l'Église
et avec Dieu, lors même que,
déjà privé de ses
facultés mentales, on n'a pu y
consentir ; et ceux qui entourent le mourant
croient cela dévotement.
On croit donc, dans l'église
romaine, que « le
sacrement agit par sa vertu propre, et qu'il est un
gage de salut conféré par
l'attouchement d'objets sensibles, avec des
formules consacrées. »
J'emprunte ces paroles à un catholique
même, et je dis que voilà une
très grande foi ; mais cette foi aux
objets sensibles, que ce soient l'eau du
baptême et les éléments de la
Cène, ou des images, de saintes
médailles et des crucifix, c'est ce qu'on
appelle de la superstition, et il est bien plus
facile d'être superstitieux que croyant.
De telles erreurs, grâce à Dieu, ne
sauraient plus nous séduire ; du moins,
il ne le semble pas ; mais pourquoi y a-t-il
foule, quatre fois l'année, en des temples
protestants si souvent presque vides, et pourquoi
ne peuvent-ils contenir tous ceux qui s'y portent
un certain dimanche surtout ?
Ah ! c'est qu'il y a quatre communions et un
jour de jeûne.
Pourquoi, ces jours-là, plus de
gravité dans le maintien, plus d'efforts
pour tourner son âme vers Dieu, et quelque
suspension de ses habitudes mondaines ?
Parce que ce sont des jours qu'on estime
particulièrement solennels, et qu'à
les solenniser de la sorte on pense avoir fait acte
de vrai chrétien, acte effaçant les
péchés antérieurs, bien qu'on
ne le dise pas, et servant de brevet pour en
commettre de nouveaux, bien qu'on n'ose pas se
l'avouer en ces termes.
Pourquoi tant de gens se scandalisent-ils à
la pensée qu'on puisse se réunir pour
le culte dans une maison particulière et y
prendre la Cène du Seigneur sous
la présidence d'un
ministre sans costume ou sous celle d'un
laïque ?
Pourquoi ce scandale est-il plus vivement senti par
les hommes qu'on appelle religieux que par des
incrédules déclarés ?
N'est-ce pas parce qu'ils attachent une vertu
particulière, une vertu sanctifiante, une
vertu d'édification et de salut aux murs
d'un temple consacré, à la voix d'un
homme consacré, aux habits consacrés
par l'usage et aux formules d'une liturgie
également consacrée ?
Je pourrais multiplier les pourquoi, mais on me
répondrait que de telles superstitions
s'effacent de jour en jour, et l'on opposerait
à ces protestants, plus papistes qu'ils ne
le croient, les protestants vraiment
évangéliques, ou autrement les
protestants d'élite.
Eh ! bien, chez eux encore se retrouve, mais
sous un autre aspect, le christianisme facile dont
je parle. Pour eux, tous les dimanches sont de
saints jours. En conséquence, ils les
consacrent tous au culte du Seigneur dans le repos
des occupations terrestres ; mais n'est-il pas
vrai qu'ils entendent bien souvent la chose comme
si c'était le dimanche qui sanctifie
l'âme et non pas l'âme qui sanctifie le
dimanche ?
Pour eux, la Parole de Dieu et la
Sainte-Cène, dans une chambre ou dans une
chapelle, quelque habit que porte le
prédicateur et quelle que soit la main qui
leur rompe le pain, n'en demeurent pas moins la
Parole de Dieu et la Cène du Seigneur. Mais
n'est-il pas vrai qu'ils s'envisagent souvent comme
des chrétiens d'élite par cela seul
qu'ils fréquentent ces
réunions particulières, à
leurs yeux l'infaillible chemin du ciel ?
Bien plus, ces protestants d'élite,
n'importe l'église à laquelle ils se
rattachent, que font-ils, par exemple, de la
prière d'intercession ?
« Priez pour moi, » disent-ils
à leurs frères ou à leur
pasteur ; « priez pour moi, car j'en
ai grand besoin ! » et ils emportent
tout joyeux la bonne réponse qu'on leur a
faite ; puis, les voilà qui, se
confiant aux prières d'autrui,
négligent eux-mêmes de prier.
Que font-ils du culte domestique ?
Une fois par jour au moins, assemblés avec
leur famille, ils ouvrent la Bible, en lisent un
chapitre, qu'ils font suivre d'une prière ou
d'un chant de cantique. Chose excellente
assurément ; mais c'est là tout
leur culte pour toute la journée :
point de prières secrètes et du coeur
dans son cabinet, point d'élévation
de l'âme à Dieu ; un train de vie
semblable à celui du monde honnête,
avec cette différence qu'on s'est
abrité sous le culte domestique contre
l'oeil de la conscience. « La plaie de nos
églises, » disait un pasteur
fidèle de l'église d'Écosse,
il peut y avoir vingt ans, alors que ce pays
renaissait à la vie religieuse,
« la plaie de nos églises, c'est
le culte domestique.
Pas une maison où l'on ne prie en
famille ; mais c'est là tout notre
christianisme, et comment dire à des gens
qui lisent la Bible chaque jour, qu'ils ne sont ni
plus ni moins que des morts ? »
La Bible, la lecture de ce saint livre, faite
même en particulier, n'est-elle pas pour
plusieurs protestants
d'élite une espèce de talisman qui
rappelle les amulettes et les médailles, et
les croix d'or ou d'argent qu'on porte ailleurs sur
sa personne en guise de christianisme ?
Dans l'effroi que cause un orage, on prend sa Bible
et on la lit comme pour éloigner le
danger ; on la tient sur sa table ou
peut-être sous son chevet pour être
gardé et béni par elle, et je
m'étonne que personne encore n'ait
demandé qu'on plaçât une Bible
dans son cercueil, superstition protestante qui ne
serait que le couronnement de toutes les
autres !
Il y a donc chez les protestants aussi, même
chez les protestants évangéliques, un
christianisme formaliste, un christianisme superstitieux et en
quelque sorte magique, un christianisme de
l'opus
opératum, comme disent les théologiens,
un christianisme où les choses religieuses
sont supposées agir par leur vertu propre,
et conférer les grâces du salut par le
fait seul qu'on se met avec elles en communication
matérielle.
Christianisme facile, qui est une nouvelle insulte
à Jésus-Christ, car c'est dire qu'on
peut être chrétien sans penser
à lui proprement, sans se nourrir de son
Esprit, sans vivre de sa vie ; c'est vouloir
se sauver par des oeuvres qui sont les plus
excellentes de toutes quand elles sont faites
spirituellement, mais qui sont de toutes les plus
funestes quand on s'en tient à leur
côté
matériel.
VI
Le christianisme ultra-spiritualiste.
Voici enfin un christianisme
qui semble tout l'opposé du
précédent, et qui l'est en effet dans
son point de départ : c'est le
christianisme ultra-spiritualiste.
Il est des chrétiens, de vrais
chrétiens au fond, qui, mettant l'Esprit
dans une absolue indépendance des formes,
même de celles que le Seigneur a
instituées, vont jusqu'à
prétendre que toute forme nuit à
l'action de l'Esprit.
Pour eux, le ministère, les sacrements, la
Parole écrite sont de simples formes. Tandis
que, par spiritualisme, les uns refusent de
reconnaître l'autorité pastorale des
docteurs les mieux qualifiés et que
d'autres, mais non pas au milieu de nous, tiennent
de plus le baptême et la sainte Cène
pour abolis, il existe une école de plus en
plus nombreuse, aux yeux de qui la Parole de Dieu
n'est qu'une lettre morte, bien inférieure
à l'Esprit qui l'explique
intérieurement, la développe,
l'étend, la complète, la rectifie
dans la conscience de chaque fidèle.
Il en est encore qui, fort à l'inverse, mais
toujours par spiritualisme, estiment qu'on peut,
sans danger pour son âme, se plier à
toutes les formes. Reconnaître
l'autorité religieuse du Pape ou des
gouvernements civils, aller à la messe ou
suivre un culte liturgique sans vie, entendre
chaque dimanche une prédication rationaliste
ou ne jamais entendre de
prédications : qu'est-ce que cela fait,
pourvu que le coeur soit avec Dieu ? tout
n'est-il pas pur pour ceux qui sont purs ?
Je vais plus loin, et je dis avec une douleur
croissante que, parmi ces spirituels, on en voit
qui estiment qu'on peut se livrer au monde et au
péché sans souiller son âme,
qui osent même prétendre qu'on doit
savoir, pour la gloire de Dieu, faire violence
à ses goûts de retraite et de
sainteté, en sorte qu'ils parviennent
à vivre mondainement et à commettre
des fautes graves, en toute tranquillité de
conscience.
C'est parmi les chrétiens spirituels que
vous trouvez des personnes qui prient pour la
conversion des âmes, mais qui ne prononcent
jamais devant qui que ce soit une parole de
conversion, heureux encore s'ils n'envisagent pas
comme une infirmité de la foi ce qu'on fait
pour le salut du monde.
C'est encore parmi eux que vous rencontrez des
hommes pieux qui ne sanctifient pas le dimanche,
par la raison, disent-ils, que tous les jours sont
saints ; et d'autres qui voient dans la Bible
un livre dont la moindre partie seulement est
destinée aux enfants de Dieu de la nouvelle
alliance.
Pour plusieurs, ce christianisme si subtil et si
varié, repose sur des principes que je ne
veux pas discuter, mais simplement exposer. Ils
pensent que Jésus-Christ « nous
ayant purifiés de tout péché
par son sang (1 Jean I, 9) » nous
n'avons plus besoin de nous purifier
nous-mêmes en retournant chaque jour, pleins
de notre misère, nous laver et nous plonger
dans la grâce du Seigneur ;
- que, devenus les temples du Saint-Esprit et
conduits par sa lumière (1 Cor VI, 19 ; Rom. VIII, 14), les fidèles n'ont pas
à chercher d'autres conseils, d'autres
directions, d'autres lois que l'impulsion
secrète de cet Esprit ; impulsion
irrésistible autant qu'infaillible,
impulsion telle que tout ce qu'ils disent, font et
pensent, leur vient d'en Haut ;
- que, gardé par la puissance de Dieu, par
la foi, gardé en son coeur et en ses
pensées dans le Christ Jésus
(1 Pierre I, 5 ; Philip. IV, 7), l'élu du Seigneur
insulterait la puissance comme à la
fidélité de l'Éternel, s'il
éprouvait jamais la moindre sollicitude sur
son âme ;
- enfin, que régénérés,
par là ne péchant plus et ne pouvant
plus pécher (1 Jean V, 18 ; III, 9),
nous n'avons désormais rien à
craindre de nos inclinations naturelles, car nous
pouvons dire, quand nous faisons le mal, que ce
n'est pas nous qui le faisons (Rom. VII, 20).
Tous ces principes, on le voit, se fondent sur
quelque passage de la Sainte Écriture, et
c'est ce qui leur ouvre l'entrée de coeurs
néanmoins chrétiens. Je devrais les
réfuter, en expliquant les
déclarations d'où on les
déduit par d'autres déclarations non
moins catégoriques et tirées des
mêmes portions de la Parole de Dieu. Je
devrais dire avec St. Jean :
« Quiconque a cette espérance en Lui se
purifie,
comme lui est
pur ; »
- et encore : « Celui qui a
été engendré de Dieu se
garde lui-même
et le Méchant
ne le touche point, »
- et « si nous disons que nous n'avons point de péché,
nous nous égarons nous-mêmes et la
vérité n'est point en nous
(1 Jean III, 3 ;
V, 18 ; I, 8, 10.). »
Je devrais recueillir dans les épîtres
de Paul, qu'on n'accusera pas d'avoir manqué
de spiritualisme ni d'avoir méconnu la
grâce de Dieu, ce nombre si
considérable de passages où il
exhorte les fidèles à
l'activité personnelle, au travail de leur
sanctification et à la lutte contre les
tendances mauvaises du vieil homme, tendances par
lesquelles nous sommes accessibles aux passions qui
règnent dans le monde.
Mais encore une fois, je ne veux pas discuter. Je
me borne au tableau que je viens de faire, non pas
de la généralité des
chrétiens, tant s'en faut, encore moins du
vrai spiritualisme, et, m'adressant à la
conscience de tous et au bon sens le plus vulgaire,
je demande si ce christianisme peut être le
vrai christianisme ?
Grâce à Dieu, ceux qui le professent
ne le mettent pas universellement en pratique,
parce qu'il y a eu chez eux antérieurement
une conversion réelle et que l'erreur
réside dans leur entendement plus que dans
leur coeur ; mais il n'est pas douteux que cet
ultra-spiritualisme, mélange de
mysticité et d'antinomianisme, ne soit
encore plus que les deux
précédents une
insulte à Jésus-Christ, dont il fait
en définitive un ministre du
péché (Gal. II, 17). Après avoir
été chrétien à la
manière des incrédules honnêtes
gens, ou des incrédules immoraux ou des
pharisiens à propre justice, si l'on ne
cherche pas expressément, comme
quelques-uns, à concilier le service de Dieu
avec celui du monde, ou, comme d'autres, à
se sauver par des formes de dévotion, l'on
revient au point de départ par un
détour qui n'est ni trop long, ni trop
difficile.
Sous cette apparence de christianisme
quintessencié, l'on continue à faire
sa volonté propre, et, dans la vie
ordinaire, on marche d'une façon toute
semblable à celle des honnêtes gens du
monde, jusqu'à ce que d'énormes
péchés, fruits d'une coupable
présomption et de l'abus qu'on faisait des
doctrines de la grâce (2 Pierre III, 16), viennent comme effacer la
différence même qu'on avait mise entre
soi et les incrédules les plus
dégradés.
Le christianisme ultra-spiritualiste n'aurait pas
les tendances immorales dont on ne saurait le
disculper, que nous devrions nous en défier
par la seule raison qu'il est
décidément trop facile.
Se croire sauvé, n'est pas en fait plus
difficile que de se persuader qu'on n'a pas besoin
de l'être ;
- se croire infailliblement conduit par le
Saint-Esprit, n'est pas plus difficile que de
s'estimer infailliblement conduit par sa
conscience ;
- se reposer sur la connaissance qu'on a de la
doctrine du salut, n'est pas plus difficile que de
se confier en ses lumières naturelles.
Au fond, rien n'est changé, sinon
l'adoption, toujours facile, de principes
évangéliques dénaturés
parce qu'ils sont incomplets, et l'affiliation
à quelque société religieuse
avec laquelle on sympathise d'autant plus
volontiers que ses institutions et ses formules
dogmatiques nourrissent les illusions dont on se
repaît.
Ah ! certainement, le christianisme, le vrai
christianisme, ou, pour me servir enfin d'une
expression bien préférable, la foi en
Jésus-Christ, la foi vivante et l'union
qu'elle établit entre notre âme et
lui, seule voie possible de salut, est une voie
à tout prendre facile.
Là, nous trouvons, pour nos
péchés, une expiation tellement
parfaite, que nous n'avons rien, absolument rien a
y ajouter ;
- là, nous entrons en possession de la
plénitude de la grâce de Dieu, par
laquelle se commence et s'achève toute
l'oeuvre de notre rédemption, la
sainteté comme le pardon, et la gloire
céleste comme la sainteté ;
- là, nous nous chargeons, il est vrai, d'un
fardeau et d'un joug, mais c'est un fardeau
léger et un joug aisé (Matt. XI, 29, 30) ;
- là est un chemin étroit, mais uni
et plein de charmes, quand on le compare à
la route large du mondain ;
- là, pour tout dire, est une fin paisible,
car aucun de ceux qui vécurent en
Jésus-Christ ne s'en repentit à son
lit de mort.
Et pourtant, si vous relisez les
déclarations de Jésus-Christ et de
ses apôtres que j'ai inscrites en tête
de cette méditation, vous conclurez avec moi
qu'il est difficile de devenir chrétien, et
peut-être encore plus de vivre en
chrétien.
Le croyez-vous, vous qui lisez ces lignes ?
L'avez-vous éprouvé ?
Si j'adressais ces questions à ceux que les
difficultés de la foi ont rebutés, je
sais bien ce qu'ils me répondraient ;
mais c'est à vous, à vous qui pensez
appartenir à Jésus-Christ, que je les
adresse.
En croyant qu'il est difficile de devenir et encore
plus de demeurer chrétien, vous ne faites
que rendre hommage à la vérité
des Écritures, si expresses sur ce
point ; mais en cela même vous me donnez
l'espérance que vous êtes
passés de la mort à la vie, et cette
espérance sera plus vive et plus solide
encore, si vous me dites que vous avez fait, que
vous faites tous les jours par vous-mêmes,
l'épreuve de ces difficultés.
Je ne nie pas qu'il n'y ait des âmes
privilégiées, qui, converties sans
grandes secousses, marchent tranquillement et d'un
pas égal dans la voie du salut ; mais
c'est l'exception, et j'en reviens toujours
à ceci : « Le juste est
sauvé difficilement (1 Pierre IV, 18). »
La vie présente n'est pas pour nous le temps
du repos et du triomphe, mais, par la grâce
de Dieu, celui du travail et de la lutte, d'un
travail opiniâtre en vue de la perfection, et
d'une lutte à mort contre le
péché.
Tout christianisme qui ne se propose pour but
prochain que l'apaisement de la
conscience et non la sanctification de la vie
entière, est un christianisme facile, mais
ce n'est pas le vrai christianisme. -
« Ce qui est dans la bonne
terre, » a dit notre Sauveur,
« ce sont ceux qui, d'un coeur
honnête et bon, ayant entendu la parole, la
retiennent, et portent du fruit avec
persévérance (Luc
VIII, 15) ; » et ailleurs il est
écrit :
SOYEZ SAINTS PARCE
QUE JE SUIS SAINT
(Lévit. XI, 44, cité 1 Pierre I, 16).
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