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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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L'AMI

DE L'ARGENT




SERMON PAR ADOLPHE MONOD


1843


L'AMI DE L'ARGENT
SERMON SUR LUC XII, 15

COMBIEN L'AVARICE EST COMMUNE

(Début)

On se trompe sur l'empire que l'avarice exerce les hommes. Il n'y a peut-être pas de péché plus ignoré de ceux qui s'y livrent que l'avarice.
« Nul ne se confesse du péché d'avarice (1», disait un pieux évêque qui avait une longue habitude du confessionnal. L'ivrogne ou l'adultère ne peut se déguiser ses infractions à la loi de Dieu ; l'orgueilleux même ou le vindicatif peut apercevoir et condamner les passions qui le dominent ; mais l'avare ne se connaît presque jamais. L'objet de ces autres convoitises étant mauvais en soi, on les traite en ennemis déclarés ; il n'en est pas de même pour l'amour de l'argent. L'argent est bon en soi ; l'argent est nécessaire pour vivre ; l'argent est utile même pour faire le bien ; de là que d'excuses toutes prêtes !
Eh bien, nous vous renvoyons à votre conscience, mais à une conscience droite et éclairée. Nous ne voulons que vous présenter quelques questions, sur lesquelles nous vous laissons le soin de vous examiner vous-mêmes devant Dieu. Elles porteront sur trois points :

- les moyens que vous employez pour acquérir de l'argent,
- l'ardeur avec laquelle vous le recherchez
- et l'usage que vous en faites.

Les moyens que vous prenez pour gagner sont-ils toujours purs ?
Ne vous formalisez pas de cette question ; je ne parle pas de ces moyens qui conduisent au bagne ou à la prison ; mais pour être exempts de crime, les vôtres sont-ils tous légitimes devant les hommes, et surtout devant Dieu ?
N'y a-t-il personne parmi vous qui prête de l'argent à un intérêt que la loi du pays défend aussi bien que la charité ?
N'y a-t-il point dans votre commerce de ces secrets qu'on rougirait de voir mis au jour ?
La fraude est-elle absolument ignorée dans vos affaires ? n'y trouve-t-on ni faux poids, ni fausses mesures, ni faux échantillons, ni fausses taxations de frais, ni rien enfin de ce qui est faux ?
Le mensonge est-il banni de vos transactions ? n'avez-vous jamais ni promis ce que vous ne pouviez pas tenir, ni trompé un acheteur sur la qualité de votre marchandise, ou sur sa valeur, ou sur le lieu d'où elle vient ?
Ne demandez-vous jamais de ce que vous vendez un prix excessif et que les chances du commerce ne justifient pas ?
N'abusez-vous jamais de la position ou de l'ignorance de ceux avec qui vous avez à faire, pour leur imposer des conditions onéreuses et que vous n'accepteriez pas vous~mêmes ? L'amour du gain ne vous a-t-il jamais fait retenir quelque office ou accepter quelque commission qui répugnait à votre conscience ?
N'avez-vous jamais exposé le bien d'autrui dans des spéculations aventureuses ?
N'avez-vous jamais recueilli le fruit des injustices commises par d'autres, ou refusé une restitution qu'on avait droit de réclamer de vous sans qu'on eût le pouvoir de vous y contraindre ?

Ce qui vous était dû à vous-même, ne l'avez-vous jamais exigé avec rigueur, avec dureté, oubliant l'esprit de cette touchante recommandation de Dieu dans Moïse : « Si tu prends en gage le vêtement de ton prochain, tu le lui rendras avant que le soleil soit couché ; c'est sa seule couverture, c'est son vêtement pour sa peau ; où coucherait-il ? »
Ne risquez-vous jamais, pour accroître votre fortune ou pour la conserver, des divisions, des querelles de famille, des procès, que vous n'auriez peut-être pas trouvés inévitables si vous vous fussiez rappelé ce qui est écrit : « C'est un défaut que vous ayez des procès entre vous ; que n'endurez-vous plutôt quelque tort ? »
Enfin, si vous êtes entièrement étrangers à toutes ces mauvaises pratiques, n'y en a-t-il aucune à laquelle vous auriez eu recours si vous n'eussiez été retenus par la vengeance des lois ou par le frein de l'opinion ?
Voyez, examinez. Je ne prétends pas vous juger ; je ne veux que vous aider à vous juger vous-mêmes, devant votre conscience et devant Dieu.

Mais j'admets que vos moyens n'aient rien que d'innocent. La probité n'exclut pas l'avarice. Voici un homme qui est devenu riche par la culture de ses champs ; quel revenu plus honnête ? En voici un autre qui veut le devenir en recevant sa part de l'héritage paternel ; quoi de plus légitime encore ? Jésus-Christ ne les en taxe pas moins d'avarice, parce qu'ils recherchent tous deux l'argent avec une ardeur qu'on ne leur voit point pour les choses de Dieu. Ressentez-vous aussi, mon cher auditeur, cette ardeur souveraine pour l'acquisition de l'argent ?
Faire votre fortune si vous êtes pauvre, ou l'accroître si vous êtes riche, est-ce la pensée qui domine votre vie, celle qui peut seule expliquer vos goûts et vos répugnances, ce que vous faites et ce que vous ne faites pas ?
Trouvez-vous du temps pour l'exercice d'une profession lucrative, quand vous n'en trouvez pas pour prier Dieu ou pour lire la Bible ?

Placé dans cette alternative, ou de diminuer votre revenu ou de travailler le Dimanche, quel parti prenez-vous ? et si vous vous décidez pour le service de Dieu, portez-vous jusque dans sa maison « un cœur qui marche après le gain, » et qui dit, comme ces Juifs d'Amos, « quand ce sabbat sera-t-il passé ? »
Si vous aviez à choisir entre deux carrières, l'une brillante mais semée de tentations, l'autre plus sûre pour votre âme mais plus modeste, que feriez-vous ? pensez-y, que feriez-vous ?

En présence de cette exclamation du Seigneur, « combien difficilement ceux qui ont des richesses entreront-ils dans le royaume de Dieu ! » avez-vous tremblé de ce que vous êtes riche ou béni Dieu de ce que vous ne l'êtes pas ?
(1) Au moment où je vous parle,

1) Cette question est pour tous, riches ou pauvres. Mais l'endroit de l'Évangile que nous citons ici, Marc X, 23-25, renferme une leçon qui s'adresse plus directement aux riches et qui doit exciter toute leur vigilance. Avoir des richesses, ne perd pas une âme ; ce qui la perd, c'est de se confier aux richesses.
Mais le premier conduit si facilement au second que le Seigneur, qui fait cette importante distinction au v. 26, semble n'y avoir pas songé au v. 23 et l'avoir oubliée au v. 25.
Et ce trait du v. 29: « Il s'en alla tout triste, parce qu'il avait de grands biens. » C'est le Saint-Esprit qui raconte ainsi. Riches, riches, recevez instruction ! dans quelle disposition m'écoutez-vous ? Vous dites-vous, dans le secret de votre cœur, que ce sont là des maximes fort bonnes en chaire, mais impossibles à suivre dans la vie réelle ; que pourvu que vous puissiez faire fortune, vous en courrez volontiers les risques, et que tel qui prêche contre l'amour de l'argent pense vraisemblablement comme vous dans le fond ?

Vos émotions les plus fortes, vos joies les plus vives, vos regrets les plus amers sont-ils pour les faveurs et les revers de la fortune ?
Un petit gain, un léger dommage vous touche-t-il plus que la satisfaction qui suit une bonne œuvre ou que le malheur d'avoir péché ?
Soupirez-vous intérieurement après un héritage ? pensée délicate et qu'on craindrait d'approfondir (2).
En recherchant une femme, vous informez-vous plus scrupuleusement de ce qu'elle a que de ce qu'elle est ?
Enfin, que souhaitez-vous plus ardemment, d'être un chrétien éminent en piété, ou d'être un homme plein de richesses ? et si vous veniez à servir le Seigneur comme vous servez Mammon, et Mammon comme vous servez. le Seigneur, lequel des deux gagnerait au change ? Voyez, examinez.
Je ne prétends pas vous juger ; je ne veux que vous aider à vous juger vous-mêmes.

Cependant, je l'admets encore, on ne remarque pas chez vous cette ardeur extrême pour la poursuite de la fortune ; mais quel usage faites-vous de l'argent ?
Je ne demande pas si vous le dépensez, mais je demande si vous le dépensez utilement, charitablement. Car mon but est de vous faire découvrir, non si vous êtes un entasseur, mais si vous êtes un ami de l'argent ; et vous pourriez être fort ami de l'argent, nous l'avons vu, tout en le prodiguant pour votre avantage personnel. Le mauvais riche, qui laissait mourir de faim à sa porte le pauvre Lazare, « se traitait lui-même splendidement tous les jours » ; et la main de la prodigalité, ouverte pour la vanité ou pour l'égoïsme, est tout aussi fermée que celle de la parcimonie aux appels de la charité.

Donnez-vous ? Le principe de l'Évangile sur l'aumône et les contributions pécuniaires est admirablement expliqué dans une parole de saint Paul, exhortant les chrétiens de Corinthe à secourir ceux de la Judée : « Que votre abondance supplée maintenant à leur indigence, afin que leur abondance supplée aussi à votre indigence, et qu'il y ait de l'égalité, selon qu'il est écrit : Celui qui avait beaucoup n'a rien eu de trop, et celui qui avait peu n'a manqué de rien. » (3)
Il ne s'agit point ici d'une égalité obligatoire et absolue ; les apôtres ne l'ont jamais prêchée ; l'Église même de Jérusalem ne l'a point pratiquée ; et c'est dans des systèmes entièrement étrangers au christianisme qu'il faut aller chercher cette belle chimère, qu'on a faussement attribuée à l'Évangile.
Mais Dieu a fait voir, en distribuant inégalement les avantages de la fortune, qu'il compte sur le superflu des uns pour suppléer à la disette des autres ; et par cette loi d'amour fraternel, il a voulu pourvoir aux besoins de ceux-ci tout en exerçant la charité de ceux-là.

Eh bien ! mon cher auditeur, êtes-vous entré dans l'esprit de cette loi et la mettez-vous en honneur par votre exemple, ou vous croyez-vous permis de la fouler aux pieds comme le mauvais riche ?
Donnez-vous aux pauvres ?
Donnez-vous à vos parents, que le Seigneur vous a si spécialement recommandés en disant : « Si quelqu'un n'a pas soin des siens, il a renié la foi et il est pire qu'un infidèle ? »
Donnez-vous à ces institutions charitables qui se multiplient dans nos églises, et qui procurent à ceux qu'elles assistent le pain qui nourrit l'âme avec celui qui nourrit le corps ?
Donnez-vous à ces associations religieuses qui caractérisent notre siècle, et qui propagent dans le monde la connaissance du Seigneur et de sa Parole ?
Si vous donnez, comment dormez-vous ?
Donnez-vous spontanément et par un besoin de cœur qui vous fait chercher les occasions, ou ne donneriez-vous que gagnés par l'exemple, entraînés par les sollicitations, vaincus par la honte ?
Donnez-vous dans le secret, et goûtez-vous un plaisir particulier à ces bonnes œuvres qui n'ont que Dieu pour témoin ? Il est écrit : « Dieu aime celui qui donne gaîment ; » donnez-vous gaîment ?
La visite du collecteur est-elle bienvenue chez vous ?
Votre maison est-elle de celles où il entre avec plaisir, ou de celles dont il ne peut franchir le seuil sans avoir remporté une victoire sur lui-même ? L'encouragez-vous par votre accueil, ou commencez-vous par lui dire que l'année est mauvaise, vos affaires peu prospères et les demandes bien multipliées ? Le pauvre collecteur !
Sa tâche eût été digne d'envie dans l'église de Jérusalem ; mais cette tâche, telle que vous la lui avez faite, vous en chargeriez-vous à sa place ?

Mais surtout, combien donnez-vous ? Votre libéralité a-t-elle été préparée comme une libéralité ou comme une avarice, pour parler avec saint Paul ? oui, comme une avarice ; le mot employé par saint Paul en cet endroit (2 Cor. IX, 5.) est le même dont le Seigneur s'est servi dans mon texte. Le don est avarice, quand on le réduit autant qu'on le peut honnêtement, et qu'on y fait moins paraître le désir de répandre que celui de retenir.
Donnez-vous de telle sorte que vous puissiez être en exemple, ou vous contentez-vous de donner autant que d'autres qui donnent trop peu ?
Si chacun donnait dans la même proportion que vous, la prospérité des institutions pour lesquelles vous contribuez serait-elle assurée, ou leur existence serait-elle mise en péril ?
Donnez-vous d'après un plan ?
Le règne de Dieu et les intérêts de la charité occupent-ils un chapitre à part dans votre budget, ou n'y consacreriez-vous que ce qui peut vous tomber sous la main, comme vous feriez pour de petites dépenses imprévues ?
Donnez-vous plus, donnez-vous autant à la charité qu'au superflu, et pourriez-vous nourrir le luxe de vos ameublements ou celui de votre table avec les sacrifices que vous présentez à l'Éternel ?
Avez-vous, « pour avoir de quoi donner, » je ne dis pas « travaillé de vos mains » selon l'exhortation de l'Apôtre, mais seulement triomphé de quelque penchant, pris sur quelque goût, renoncé à quelque plaisir ?

Je vous épargne, et ne veux pas pousser mes questions aussi loin que je le pourrais, que je le devrais peut-être. Car enfin que penseriez-vous de moi si j'ajoutais :
Donneriez-vous votre fortune tout entière si Dieu en demandait le sacrifice ? Et pourtant ce sacrifice est demandé au jeune riche de l'Évangile ; et parce qu'il ne peut s'y résoudre, il ne peut être disciple de Jésus-Christ ; et s'il n'est pas entré plus tard dans d'autres pensées, il n'a pu sauver son âme et il est aujourd'hui en enfer avec le mauvais riche.

Jésus-Christ n'impose pas cette obligation à tous, il est vrai, mais la disposition est requise de tous ; et qui ne ferait pas, à la place du jeune riche, ce qu'il n'a pas voulu faire, ne peut être un vrai chrétien. Que dites-vous de tout cela ?
Voyez, examinez. Je ne prétends pas vous juger ; je ne veux que vous aider à vous juger vous-mêmes.

Mais si je ne dois pas juger l'individu, je ne puis fermer les yeux sur l'état de notre société. Je regarde autour de moi ; je considère ce qui se passe, aujourd'hui, dans ce pays, dans cette ville, et je me vois contraint de répondre, oui, à chacun des trois ordres de questions que je viens de vous présenter.

Oui, on emploie souvent, généralement, de mauvais moyens pour s'enrichir. Si je ne tenais à tirer mes preuves de votre expérience personnelle, je nommerais ici l'esclavage ; l'esclavage, cette malédiction des races païennes, cette ignominie des peuples chrétiens ; l'esclavage, qui semble avoir pris à tâche de montrer dans une seule action tout ce que l'amour de l'argent peut enfanter de crimes et de malheurs ; l'esclavage, ce péché national, contre lequel l'opinion publique commence à se soulever de toutes parts, mais que nous pratiquons depuis des siècles, que nous retenons encore malgré de généreux exemples, et qui trouve des défenseurs jusque dans nos assemblées législatives.
Mais nous n'avons pas besoin d'aller chercher au loin des arguments, nous en avons tout près de nous. L'usure, qui ne devrait pas même être nommée parmi des chrétiens, n'est ignorée, ni chez nos pauvres, ni chez nos riches, ni dans nos villes, ni dans nos campagnes ; et ceux qui l'exercent savent assez qu'elle est criminelle, puisqu'ils se gardent bien de laisser subsister des traces écrites de leurs ténébreuses transactions.
Les fraudes, les mensonges, petits ou grands (je ne connais pas cette distinction, ne l'ayant pas apprise de mon maître), les fraudes et les mensonges abondent dans les affaires. C'est à ce point qu'ils ont fini par dégénérer en maxime ; on les avoue, on les justifie, et le commerce a son code de morale à part, qui ne s'accorde guère sur certains articles avec la morale de Jésus-Christ.

Il reste encore sans doute des hommes fidèles qui veulent à tout prix garder leur conscience pure ; mais leur petit nombre, mais les embarras où ils se trouvent jetés, mais la tentation qu'ils éprouvent, ou de se soustraire à une concurrence que leur délicatesse rend inégale, ou de suivre le courant pour les choses qui ne sont pas trop criantes, ne font qu'attester avec plus d'éclat la grandeur du mal. Ils sont faciles à compter aujourd'hui, ces négociants au cœur droit, aux mains nettes, qui obligés par la conscience, alors qu'ils ne le sont pas par la loi, ne veulent songer dans les mauvais jours à relever leur fortune personnelle qu'après avoir réparé les pertes d'autrui ; mais ce qui est moins rare, c'est de hasarder dans des entreprises téméraires une fortune d'emprunt, sauf à déclarer en cas d'accident une fausse faillite, après laquelle on recommence comme avant, à la conscience près.

La défiance règne partout; il faut compter sur la mauvaise foi; il faut peser après le vendeur; il faut marchander avec tout le monde, et cette funeste habitude, qui entraîne les plus honnêtes en dépit d'eux-mêmes, donne à elle seule la mesure de la moralité du commerce. Il n'y a pas jusqu'à la salubrité publique qui ne soit menacée, et des substances vénéneuses se glissent dans le pain qui nous nourrit et dans les liqueurs qui nous désaltèrent.
Jaloux de se forcer mutuellement la main, les maîtres et les ouvriers qu'un même travail associe ne semblent s'être rapprochés que pour se nuire. Nous avons vu naguère ceux-ci former d'injustes coalitions pour contraindre les chefs d'atelier à hausser les salaires ; mais nous voyons tous les jours les chefs d'atelier abuser de la nécessité du pauvre pour l'obliger à un travail excessif qui ruine à la fois l'esprit, l'âme et le corps.
Nous voyons de jeunes enfants (ah ! puissent enfin les représentants de la nation, qui nous ont révélé la profondeur de la plaie, y trouver un remède efficace !), nous voyons de jeunes enfants travailler dans nos manufactures depuis six heures du matin jusqu'à dix heures du soir, trouvant à peine du temps pour manger et pour dormir, éloignés des écoles, privés d'instruction religieuse, et livrés par une fatigue abrutissante à des moyens d'excitation plus abrutissants encore. Nous les voyons quelquefois, l'oserons-nous dire ? plus abandonnés que ne le sont les esclaves de nos colonies, par cette simple et affreuse raison qu'on prend plus de soin de ce qu'on achète que de ce qu'on loue.
On nous répond que le fabricant humain est forcé de se conformer en la coutume générale, s'il ne veut fermer ses ateliers. Cela peut être et je ne prétends pas le juger ; mais quelle est donc notre condition, si l'on ne peut absoudre l'individu qu'aux dépens de la société ?
Ah ! qu'il y a peu de fortunes, grandes ou petites, où le péché n'ait mis la main ! et que la manière dont l'argent s'acquiert de coutume justifie bien le triste nom que lui donne le Seigneur, « le Mammon de l'iniquité ! »

Oui, encore, on poursuit la fortune avec une ardeur insatiable. Cette ardeur est de tous les temps, mais elle a de nos jours un caractère propre, la passion de s'enrichir vite. On risquera le tout pour le tout ; on s'exposera plutôt à tomber dans la pauvreté que de ne pas tenter la fortune ; et cette honnête médiocrité que le saint Agur mettait au-dessus de tout le reste dans son humble prière : « O Dieu, ne me donne ni pauvreté ni richesse, mais nourris-moi du pain de mon ordinaire ! » est ce que le siècle semble fuir avec le plus de soin.

Jetez les yeux tout autour de vous ; Tout est avare, tout est altéré de s'enrichir, et de s'enrichir dans un jour. Le commerce est avare : la concurrence est excessive, les établissements rapides, les succès inouïs, les chutes soudaines, les spéculations sans fin ; les hasards, les loteries, les bruits du jour, le jeu sous toutes les formes, telle est la pâture nouvelle de la vieille soif de l'or.

L'industrie est avare : ces inventions admirables qui se succèdent coup sur coup, regardent bien moins au progrès de l'art qu'à l'application lucrative ; inspirées par le gain, elles se hâtent vers le gain ; dans leur marche précipitée, les imprudences sont inévitables et les accidents se multiplient, n'importe, la cupidité pousse ses roues impatientes sur les débris et les morts ; la terre a bientôt bu un peu de sang, et l'argent reste.

L'ambition est avare : cette sollicitation des places qui embarrasse toutes les avenues de l'autorité, en veut moins qu'autrefois à l'honneur et plus à l'argent ; et la vénalité des charges se révèle jusque dans les louables, mais humiliantes précautions qu'on croit devoir prendre partout contre elle.
La lutte des partis est avare : si l'esprit de nivellement chez les uns cache le plus souvent l'envie de se pousser et de s'enrichir, l'esprit d'ordre est-il toujours si pur chez les autres qu'il ne couvre jamais le désir de garder leurs avantages ? et si beaucoup de partisans de l'égalité le sont avant tout de celle des biens, n'y a-t-il point aussi de conservateurs qui le soient avant tout de leur fortune ?

La législation est avare : l'argent y est la maîtresse pierre du coin ; l'argent choisit les arbitres de nos destinées sociales et politiques ; il fait plus, il choisit les administrateurs des églises ; et à voir comment se passent les choses, on croirait que ce sont les riches qui entrent le plus facilement dans le royaume des cieux.

Le mariage est avare : l'union des personnes n'y vient ordinairement qu'en seconde ligne ; ce sont deux fortunes qui se conviennent, qui se convoitent, qui s'attirent, qui s'épousent ; et la plus intime de toutes les associations dégénère en calcul et se traduit en contrat.

La littérature est avare : ce besoin de perfection, ce travail opiniâtre, ces fortes études, ce culte consciencieux du beau, du bon et du vrai, qui caractérisaient jadis nos grands écrivains, ne les cherchez pas chez leurs successeurs ; impatiente de produire et plus impatiente d'acquérir, la littérature du jour dépense ses forces en des œuvres inachevées, défectueuses, bizarres, hélas ! peut-être immorales et impies, mais qui flattent les goûts de la multitude, et qui font couler dans les mains de leurs auteurs les flots d'un or sans gloire.

Que dirai-je encore ? et que serait-ce si nous cherchions la part qu'a l'amour de l'argent dans ces erreurs sans nombre qui ballottent tour à tour les esprits, et dans ces systèmes insensés qui se renversent les uns sur les autres, après s'être soutenus quelques années par l'appel qu'ils font à l'intérêt matériel ? la part qu'il a dans ces crimes qui souillent les pages de toutes nos feuilles publiques, dans les meurtres, dans les empoisonnements, dans les suicides, dans les procès, dans les divorces, dans les haines, dans les vengeances et dans tous ces fruits de péché que nous moissonnons en abondance sur un champ semé d'incrédulité ?

Oui, enfin, on fait un usage avare des biens de la fortune. Non qu'on ne dépense pas, jamais peut-être on n'a dépensé davantage ; mais à part quelques exceptions trop rares, ce qu'on dépense, on le prodigue à l'égoïsme, on ne le sacrifie pas à la charité.
Je n'en veux citer qu'une seule preuve, l'état de nos sociétés de religion et de bienfaisance. Le Seigneur a inspiré de nos jours à ses enfants l'heureuse pensée d'appliquer à la propagation de l'Évangile l'esprit d'association, cette puissance de notre siècle.
Il a suscité des serviteurs fidèles qui ont donné de leur temps, de leurs forces, de leur argent, pour organiser et pour entretenir des institutions vouées au bien des hommes et à la gloire de Dieu.
Quand ils ont pressé les églises d'entrer dans leurs pieux travaux, qu'est-il arrivé ?
Des secours ont été obtenus ; les œuvres du Seigneur n'ont point été arrêtées ; elles ont fait du bien, beaucoup de bien, et nous en bénissons, après Dieu, les auteurs de « ces sacrifices auxquels Dieu prend plaisir. » Mais les contributions sont-elles libérales, sont-elles suffisantes ? donnons-nous, en général, comme nous pourrions, comme nous devrions donner ? en approchons-nous seulement ?
Non, mes frères, non ! Nos sociétés végètent plutôt qu'elles ne vivent. L'une se propose de publier une édition de la Bible pour les vieillards ; mais il faut attendre qu'elle ait recueilli des fonds spéciaux pour cette entreprise (4). L'autre ouvre ses travaux, une année avec un déficit de quinze mille francs, l'année suivante avec un déficit de trente mille.
Une troisième a cinq missionnaires tout prêts pour ces peuplades du sud de l'Afrique qui les demandent à grands cris ; mais il faut pour les faire partir une somme de 25,000 francs, et on la cherche depuis cinq mois dans toute la France sans en avoir pu obtenir plus de la moitié. Pauvres Béchuanas ! nous vous donnerons des missionnaires, mais à condition que vous les payiez. Il faudra que vous donniez, vous la moitié de votre modique revenu, vous la seule chèvre que vous possédiez au monde, vous le fruit de vos économies d'une année entière.
Ah ! puissiez-vous ignorer du moins notre avarice, pour ne pas juger d'après nous de cet Évangile que nous vous prêchons ! Encore une fois, tout est embarrassé, mesquin, mal assuré dans la marche de nos sociétés ; et il en sera ainsi tant que le plan de nos libéralités n'aura pas subi une révision complète, une réforme radicale.

Ce n'est pas l'argent qui manque, mais il prend une fausse direction.
Au lieu de couler à pleins bords dans les canaux de la charité pour arroser le champ du Seigneur, il va s'encaisser dans le gouffre de la parcimonie ou se perdre sur les sables arides de la prodigalité. Je fais la part des besoins, des habitudes, des convenances sociales, des précautions pour l'avenir, de l'établissement d'une famille, de la prudence la plus exigeante ; encore y aurait-il des ressources abondantes pour toutes les bonnes œuvres, pourvu que les uns voulussent retrancher des dépenses de pure fantaisie et qu'ils n'oseraient eux-mêmes défendre sérieusement, et que les autres osassent porter une main hardie sur ce trésor inutile qu'ils accumulent d'année en année. Et que serait-ce donc, ô mon Dieu ! si l'on faisait ce que devraient faire les disciples d'un maître crucifié, si l'on s'imposait de vrais sacrifices, si l'on prenait sur ses aises, sur ses goûts, sur son bien-être, sur ce qu'on appelle son nécessaire et où se trouve encore tant de superflu ?
Que serait-ce si l'on entrait dans l'esprit de cette belle parole de David : « Non, je n'offrirai pas à l'Éternel des sacrifices qui ne me coûtent rien ? »

Mes frères, je ne veux pas, je ne puis pas vous taxer. Mais ce que vous donnez, comparez-le avec ce que donnaient les premiers chrétiens, je ne dis pas à Jérusalem, mais dans les autres églises. « Nous voulons vous faire connaître, écrit saint Paul aux Corinthiens, la grâce que Dieu a faite aux églises de Macédoine (la grâce que Dieu leur a faite ! sentez-vous la force de cette expression ?). C'est qu'au milieu de leur grande épreuve d'affliction, leur joie a été augmentée, et leur profonde pauvreté s'est répandue en richesse par leur prompte libéralité.
Car je suis témoin qu'ils ont donné de leur propre mouvement, selon leur pouvoir et au-delà de leur pouvoir, nous pressant avec de grandes prières de recevoir la grâce et la communication de cette contribution en faveur des saints. »

Ah ! mes frères, quand les rôles seront-ils ainsi intervertis parmi nous ?
Quand sera-ce vous qui nous presserez de recevoir, et nous qui aurons à modérer votre zèle ?
Ce que vous donnez, comparez-le avec ce que donnent de nos jours, qui ? les nations les plus riches du globe ? les Anglais ? les Américains ? non, mais des nègres affranchis. Les cinq cent mille nègres de la Jamaïque, des esclaves qui n'ont recouvre leur liberté que d'hier, ont donné récemment dans le courant d'une année pour des œuvres de religion et de bienfaisance (5), de douze cent mille à quinze cent mille francs, somme énorme pour leur pauvreté, somme double, triple, quadruple, quintuple peut-être de ce que donnent dans le même temps et en contributions de même nature tous les protestants de France réunis.
Enfin, ce que vous donnez, comparez-le avec ce que la loi de Moïse obligeait les Juifs de donner pour le culte et pour les pauvres. Le dixième de leurs revenus était pour les lévites, et le quarantième en sus pour les sacrificateurs ; outre cela les Juifs devaient faire l'abandon du produit des arbres fruitiers durant quatre ans, des prémices de toutes les récoltes, de la soixantième partie des moissons, des fruits de la terre durant l'année du jubilé qui revenait tous les sept ans, et des dettes contractées dans l'intervalle d'un jubilé à l'autre. Qu'on ajoute à cela l'impôt personnel d'un demi-sicle, tant de sacrifices, tant d'oblations, tant de voyages à Jérusalem, et l'on trouvera que Dieu avait imposé à son peuple un tribut qui dépassait le tiers de ses revenus (6). Qui oserait nous proposer de tels sacrifices ?

Et pourtant l'amour devrait-il moins faire sous la nouvelle économie que ne faisait la loi sous l'ancienne ? Si Dieu, nous traitant avec la confiance d'un père, s'est contenté de nous dire : « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même, » en nous laissant le soin de faire l'application de cette règle parfaite, irons-nous abuser de cette confiance pour nous dispenser de ce que nous devons et à Dieu et au prochain ?
Nous ne prétendons pas vous taxer, je le répète, quand Dieu ne l'a pas fait ; ce que nous voudrions, ce que Dieu a voulu en établissant un si bel ordre, c'est que la charité vous taxât elle-même, « chacun suivant sa prospérité » (1 Cor. XVI, 2).
Mais cette charité, l'amour de l'argent l'étouffe.
Tel jouit de toutes les douceurs de la vie, qui laisse un parent, un frère, je ne veux pas supposer que ce puisse être jamais un père ou une mère, se débattre contre les privations et les fatigues de la pauvreté.
Tel riche dépense moins dans toute une année pour soutenir des établissements charitables, qu'il ne prodigue pour l'entretien de sa maison dans un seul jour.
Telle femme recherchée dans le monde trouvera à peine cinq ou dix francs pour l'avancement du règne de Dieu, tandis qu'elle en trouvera cinq cents ou mille à jeter en quelques heures dans une soirée de plaisir.
Tel paysan plein de fortune se fera arracher quelques francs pour l'évangélisation du monde ou de la France, et en dépensera quelques mille pour se construire une habitation plus commode et plus élégante.

Oh ! mes amis, souffrez la liberté de mon langage. Je ne fais d'application à personne, et je demande que nul n'en fasse qu'à soi-même. Mais je parle de choses que chacun sait, que chacun voit, et « si je me tais, les pierres crieront. » Quelle avarice dans le monde ! quelle avarice dans l'Église ! quelle avarice dans la ville ! quelle avarice dans la campagne !

Mais je reviens à vous, mon cher auditeur. Il ne s'agit pas de la société ; il s'agit de vous, de vous proprement. Mettez la main sur votre conscience.
Oubliez le pauvre pécheur qui vous parle. Supposez que Jésus-Christ, votre Seigneur et votre Dieu, vînt lui-même à vous, et qu'il vous dît, avec ce regard qui perce le cœur, avec cette onction divine qui l'émeut jusqu'au fond : « Mon ami, » c'est ainsi qu'il aborde l'avare Judas, « mon ami, es-tu de mes amis ou un ami de l'argent ? »
Si vous sentez que la vérité vous condamne, ne repoussez pas la lumière ! n'arrachez pas le trait qui a pénétré dans votre âme ! vous vivez dans le péché, dans un péché qui vous perd ! il en faut sortir, quoi qu'il en coûte, il en faut sortir !
Si le Seigneur dit à tous : « Voyez et gardez-vous de l'avarice, » il vous dit à vous : « Voyez et sauvez-vous de l'avarice ! »
Et comment ?
Je vais vous le dire en finissant. Je le ferai brièvement, le temps nous presse ; aussi bien quelques mots suffiront si vous êtes sincère ; et si vous ne l'êtes pas, tous les développements du monde n'y pourraient rien.

Vous sauver de l'avarice !
Ah ! c'est l'œuvre de Dieu seul. Mais Dieu le peut. Dieu l'a fait pour d'autres. On a vu des amis de l'argent, et des plus endurcis, transformés en des hommes libéraux.
Témoin Zachée, ce péager, cet « homme de mauvaise vie, » enrichi en faisant tort au prochain ; non seulement il change complètement, mais il change en un jour. Prenez-le pour modèle. Zachée fait deux choses.
Premièrement il devient disciple de Jésus-Christ ; secondement il dispose de sa fortune selon Jésus-Christ.
Faites de même ; donnez aujourd'hui au Seigneur et votre cœur et votre main.
C'est par le cœur qu'il faut commencer. L'amour de l'argent est dans le cœur. Que faire pour l'en chasser ?

Prendre une résolution « énergique de le combattre et de l'étouffer ? C'est là le conseil des moralistes de ce siècle ; c'est pour cela qu'ils n'ont jamais guéri personne, et qu'un Sénèque donnait l'exemple de l'avarice tout en la foudroyant dans ses pages éloquentes.
L'Évangile s'y prend tout autrement ; il ouvre notre cœur à un autre amour, à l'amour du Seigneur. Il y a dans le cœur de l'homme une soif que l'amour de l'argent trompera toujours, tant que l'amour de Jésus-Christ ne l'étanchera pas.
Donnez votre cœur à Jésus-Christ ; cela n'est pas si difficile ; il ne faut pour l'aimer que le contempler.
Vous avez lu l'Évangile, mais vous n'y avez pas fait attention ; revenez-y, en demandant à deux genoux l'Esprit du Seigneur pour comprendre et pour sentir sa parole. Voyez-le, « ce saint et ce juste, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, élevé au-dessus des cieux, » voyez-le descendant en terre, pour « chercher et sauver ce qui était perdu, » pour vous chercher et vous sauver vous-même.
Voyez-le, « de riche qu'il était, » et de quelle richesse ! « se faire pauvre pour vous, » et de quelle pauvreté !
Voyez-le, vivant sur la terre, lui votre Seigneur et votre Dieu, comme vous n'y voudriez pas vivre vous-mêmes nourri par la charité ; n'ayant ni un didrachme à payer pour le péage, ni un lieu où reposer sa tête.
Voyez-le, vendu pour ce misérable argent que vous préférez à tout, livré aux mains des méchants, condamné comme un criminel, insulté, couronné d'épines, crucifié entre deux malfaiteurs, pour qui ? pour vous, oui, pour vous, qui jusqu'à ce jour avez aimé les trente pièces de Juda plus que le sang de votre Sauveur, mais que voulez aimer désormais le sang de votre Sauveur plus que les trente pièces de Juda.
Voyez et croyez, et tombez à ses pieds en lui disant avec saint Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Alors, n'en doutez point, les liens honteux dont Mammon vous tient enchaîné tomberont d'eux-mêmes.

Comment appelleriez-vous encore la fortune le souverain bien et la pauvreté insupportable ? votre Sauveur s'est fait pauvre pour vous mériter des richesses éternelles. Comment seriez-vous encore en souci pour votre vie ou pour votre famille ?

Le Seigneur vous a dit : « Je ne te laisserai point, non, je ne t'abandonnerai point. » Comment ne pas « souffrir avec joie l'enlèvement de vos biens ? vous avez dans le ciel des biens meilleurs et permanents ? »
Comment refuser le sacrifice de votre fortune au Seigneur ? c'est un dépôt qui lui appartient et qu'il vous a confié, lui qui s'est donné pour vous le premier, et qui est à lui seul votre richesse, « votre or et l'argent de vos forces. »

Ah ! il ne faut qu'être chrétien conséquent pour être le plus désintéressé des hommes ; et s'il y en a si peu qui ne soient pas dominés par la convoitise de l'argent, c'est parce qu'il y a si peu de vrais chrétiens, même parmi les vrais chrétiens !

Voilà le premier pas, la foi du cœur ; voici le second, la libéralité des mains, qui naît de cette foi et qui la nourrit à son tour. Zachée n'a pas plutôt connu le Seigneur qu'il se présente devant lui et dit : « Seigneur, je donne la moitié de mes biens aux pauvres ; et si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui en rends quatre fois autant. » Imitez-le. Comme lui, donnez avec méthode ; comme lui aussi faites-vous une règle large et généreuse.
Ce que chacun doit donner, ou comment il doit le donner, c'est à lui de s'en entendre avec le Seigneur ; l'Évangile n'a rien prescrit là-dessus, il s'en est remis à votre charité. Justifiez cette confiance.
Élevez-vous au-dessus de la froide coutume, et faites votre compte, non avec les hommes mais avec Jésus-Christ. Ne soyez pas satisfait que vous ne l'entendiez vous dire : « Cela va bien. »
Pénétrez-vous de cette pensée, que votre fortune est à lui plus qu'à vous, et que vous en êtes l'économe pour l'administrer en son nom. Souvenez-vous de cette parole du Seigneur Jésus, « il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir, » et donnez en homme qui sent que cela même est une grâce que Dieu lui fait.
Félicitez-vous de vivre dans un temps où les occasions de bien donner vont croissant. Béni soit qui saura répondre à la fois à l'appel du siècle, à l'appel des hommes, à l'appel du Seigneur, à l'appel de son propre cœur, mais d'un cœur que la charité anime !

Riches, ce bonheur est avant tout pour vous. Apprenez enfin à jouir de votre fortune. Comprenez pourquoi Dieu vous l'a donnée. Dispensez-la pour sa gloire, tandis que vous vivez ; et n'oubliez pas dans vos dispositions dernières celui à qui vous devez et l'héritage de la terre et celui du ciel.
À quoi vous serviront vos richesses, si vous ne faites du bien, si vous n'êtes pas riches en bonnes œuvres, prompts à donner, libéraux » ?
Alors seulement vous serez heureux d'être riches, et le monde sera heureux de ce que vous l'êtes. Alors cette prospérité qui en a perdu tant d'autres, sera pour vous un moyen de plus « d'affermir votre vocation et votre élection. »
Alors, en vous séparant de votre trésor terrestre, vous vous souviendrez avec joie de ce que vous aurez semé dans le champ du Seigneur, où vous l'allez moissonner avec usure ; et vous pourrez, comme cet homme charitable, faire inscrire ces mots sur votre tombe : « Ce que j 'ai gardé ; je l'ai perdu ; ce que j'ai donné me demeure. »

Et vous, à qui le Seigneur a fait le partage que lui demandait le sage Agur, ne vous plaignez point de ce que vous ne pouvez donner ce que vous voudriez, mais donnez ce que vous pouvez. « Pourvu qu'on donne de bon cœur, on est agréable selon ce qu'on a, et non selon ce qu'on n'a pas. » Au reste, cherchez bien, et vous trouverez que vous pouvez faire plus, beaucoup plus que vous ne pensez. Une charité ingénieuse vous enrichira pour le Seigneur ; tel sacrifice impraticable vous deviendra facile, telle dépense nécessaire vous paraîtra superflue ; et si le riche a sur vous l'avantage d'offrir des dons plus abondants, vous aurez celui de porter plus de renoncement dans les vôtres

Mais vous enfin, que le Seigneur a placés dans la condition où il a vécu lui-même sur la terre, la libéralité chrétienne vous serait-elle interdite ?
Non, mes chers frères, non. Prenez exemple sur la pauvre veuve. Vous n'avez rien à donner ? Elle n'avait pas plus que vous, mais l'esprit de sacrifice lui a fait découvrir dans sa profonde pauvreté une offrande qui a excité l'admiration du Seigneur. Mais ce que vous pourriez donner serait trop peu pour porter du fruit ?
Écoutez.
Les deux pites de la veuve ont-elles été perdues ? N'ont-elles pas porté plus de fruit, oui, à la lettre, plus de fruit que les riches offrandes qui tombèrent avec elles dans le tronc du temple ?
Ces deux pites se sont multipliées, d'âge en âge, par la foi qui les offrit et par la bénédiction du Seigneur qui les accepta, et qui voulut que sa Parole en perpétuât le souvenir.
Ces deux pites ont provoqué, de siècle en siècle, les sacrifices d'une multitude de chrétiens pauvres, qui n'auraient jamais su qu'ils avaient quelque chose à donner s'ils ne l'eussent appris de la pauvre veuve, et qui, faisant nombre, donnent beaucoup plus que les riches, on l'a souvent calculé.
Ces deux pites ont attiré déjà dans le trésor de l'Église des sommes immenses ; leur œuvre n'est point terminée, elles continueront d'agir « dans tous les endroits du monde où cet Évangile sera prêché ; » et si vous vous décidez aujourd'hui à imiter la charité de la veuve, cela même sera un nouveau fruit de son humble offrande.
Pourquoi n'en serait-il pas de même de la vôtre ?
Soyez fidèle seulement, et attendez-vous à celui qui multiplie l'huile de la veuve de Sarepta et la pite de la veuve de Jérusalem !

Seigneur Jésus, tu es venu aujourd'hui à nous en nous disant : « Voyez, et gardez-vous de l'amour de l'argent ! » Et nous, nous venons à toi en te disant : Sauve-nous de l'amour de l'argent ! Arrache, étouffe ce serpent qui nous tient enlacés ! La foi du cœur, la main libérale, tout vient de toi !
Donne-nous l'une et l'autre, afin que lavés dans ton sang et baptisés de ton Esprit, nous puissions consacrer désormais à ton service tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes ! Heureux de t'offrir mille fortunes et mille vies si nous les possédions ! et ne regrettant encore alors que de n'avoir rien de plus à t'offrir, en retour de ce don ineffable qui fait notre joie et notre richesse éternelle !

FIN

Table des matières


1) Saint François de Sales

2) Elle a inspiré à Labruyère cette affreuse réflexion : « Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d'héritiers. »

3) Ex. XVI, 18. Il s'agit de la récolte de la manne.

4) Ce discours a été prononcé en 1841

5) Nous ne parlons ici que de ces sacrifices qui se calculent ; il y en a bien d'autres, pour eux comme pour nous, qui ne sauraient entrer dans aucun calcul d'homme, n'étant connus que de Dieu seul.

6) Ce calcul est tiré du beau sermon de Saurin sur l'aumône. On conçoit qu'il ne faut chercher ici qu'une estimation approximative. Nous ne devons pas oublier d'ailleurs que la condition des Juifs n'était pas la même que la nôtre, surtout avant qu'ils eussent des rois. Ce nouvel ordre de choses changea tout (1 Sam. VIII, 11-18). Mais jusque-là ce peuple avait eu une forme toute spéciale de gouvernement, qu'on pourrait appeler « une théocratie républicaine », et ou la direction principale des affaires était entre les mains des sacrificateurs.
Les contributions supputées par Saurin pouvaient être un impôt civil autant que religieux, et dans cette hypothèse elles répondraient. non à nos seules contributions volontaires en faveur de la religion et de la bienfaisance, mais à ces contributions réunies à celles auxquelles nous sommes obligés envers l'État. Quoi qu'il en soit, le calcul de Saurin demeure pour le fond ; peut-être la proportion à laquelle il s'arrête devrait être diminuée, mais le résultat aurait encore de quoi nous étonner et nous confondre. D'ailleurs, indépendamment de ces contributions régulières, les Juifs ont donné dans certaines circonstances spéciales avec une libéralité sans exemple parmi nous.
Si l'on devait s'en rapporter aux calculs de plusieurs commentateurs, David aurait donné pour la construction du temple, dans une seule occasion et sans parler de ses sacrifices précédents pour le même objet, une valeur équivalente à quatre cent cinquante millions de notre monnaie ; et les chefs des tribus, sept cent cinquante millions.
On a peine à croire à l'exactitude de ces chiffres, et nous ne pouvons nous empêcher d'en douter nous-mêmes ; mais d'après l'évaluation la plus modérée, la somme serait encore énorme, et les sentiments qu'éprouva David au sujet du cette collecte le font assez connaître.

Citons une portion de ce beau récit, 1 Chron. XXIX, 9-18 :
« Et le peuple offrait avec joie, volontairement ; car ils offraient de tout leur cœur leurs offrandes volontaires à l'Éternel, et David en eut une fort grande joie. Puis David bénit l'Éternel en la présence de toute l'assemblée et dit : O Éternel, Dieu d’Israël, notre père, tu es béni de tout temps et à toujours ! O Éternel, c'est à toi qu'appartiennent la magnificence, la puissance, la gloire, l'éternité et la majesté ; car tout ce qui est aux cieux et en la terre est à toi, ô Éternel, le royaume est à toi et tu es le prince de toutes choses.
Les richesses et les honneurs viennent de toi, et tu as la domination sur toutes choses ; la force et la puissance sont en ta main, et il est aussi en ta main d'agrandir et de fortifier toutes choses.
Maintenant donc, O notre Dieu, nous te célébrons et nous louons ton nom glorieux. Mais qui suis-je et qui est mon peuple, que nous ayons assez de pouvoir pour offrir ces choses volontairement ? Car toutes choses viennent de toi, et les ayant reçues de ta main, nous te les présentons.
Éternel, notre Dieu, toute cette abondance que nous avons préparée pour bâtir une maison à ton saint nom, est de ta main, et toutes ces choses sont à toi ; et je sais, ô mon Dieu, que c'est toi qui sondes les cœurs et que tu prends plaisir à la droiture. C'est pourquoi j'ai volontairement offert d'un cœur droit toutes ces choses, et j'ai vu maintenant avec joie que ton peuple qui s'est trouvé ici t'a fait son offrande volontairement. O Éternel, Dieu d'Abraham, d'Isaac, et d’Israël nos pères, entretiens à toujours cette inclination des pensées du cœur de ton peuple, et tourne leurs cœurs vers toi ! »

On se rappelle encore que lorsque Moïse eut sollicité des offrandes pour la construction du tabernacle au désert, « les hommes qui faisaient le service du tabernacle parlèrent à Moïse en disant :
Le peuple ne cesse d'apporter plus qu'il ne faut pour le service et pour l'ouvrage que l'Éternel a commande de faire. Alors, par le commandement de Moïse, on fit crier dans le camp : Que ni homme ni femme ne fassent plus d'ouvrage pour l"offrande du sanctuaire ; et ainsi on empêcha le peuple d'offrir (Exod. XXXVI, 4-6). »

Que les temps sont changés ! et que ce rapprochement est humiliant pour nous ! Sachons-le bien : le plan de nos sacrifices pécuniaires a besoin d'une révision complète. Ce qu'il nous faut, ce ne sont pas seulement des dons plus considérables, ce sont des principes nouveaux

 

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