Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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HISTOIRE DE LA TERRE





II. RÉVOLUTIONS LOCALES. (Suite)

Une tradition plus ancienne dit que la mer Rouge était, en partie du moins, une terre ferme fort peuplée, lorsqu'un roi d'Yémen, pour mettre ses états en communication avec l'Océan, fit ouvrir un canal au travers de là montagne qui fermait son pays ; mais la mer fit irruption par cette ouverture, inonda la contrée, engloutit les villes et les peuples et forma le golfe actuel de la mer Rouge.
D'après un passage obscur d'Hérodote, Sésostris aurait trouvé au delà du golfe Arabique, dans la mer Érythrée, des bas-fonds qui l'auraient contraint à rebrousser avec sa flotte, et qui ne peuvent être que ceux du détroit, qui, à cette époque, aurait été ouvert, mais non encore praticable. En 1541, Castro disait que « ce détroit a six lieues de large, et que les petites îles et les rocs dont il est rempli, sont en si grand nombre qu'on est porté à croire que ce passage était autrefois bouché ; ces îles ont tant de baies et de ports, tant d'enfoncements et de recoins où l'eau entre avec tant d'abondance, qu'en les traversant on s'imagine naviguer dans la plus dangereuse partie de l'Océan. » Le nom arabe du détroit signifie Porte des pleurs ; on le croyait si dangereux qu'en le passant on se couvrait d'habits de deuil (1).

Le géologue trouve sur place la tradition d'un isthme rompu très vraisemblable nous dit Ruppel, et la révolution s'explique facilement par les forces volcaniques qui agitent toute la région avoisinante. Les tremblements de terre sont fréquents en Abyssinie, tant sur le plateau que dans les îles Dahalak. Entre ces îles et Loheja est celle de Teir ou Tarr avec un volcan actif ; partout d'anciens cratères s'observent à l'est et à l'ouest du Saraen, dans le Tigré et dans le royaume de Gondar, ainsi que vers le nord, dans le Kulla. L'ancienne ville commerçante d'Aduli, qui était un port de mer, est maintenant, sous le nom de Zulla, à plus d'une lieue de la côte, par l'effet d'un soulèvement du sol. Entre Zulla et Arkiko est une colline conique avec lave trachytique. D'autres coulées de lave s'observent entre Massowa et Eylah. Dans la baie d'Amphila, des îles de coraux se trouvent à 20 et même à 30 pieds au-dessus de la ligne de la haute marée. En Arabie, le sol près d'Aden est volcanique (2).

Au reste, l'action des forces volcaniques sur les côtes de la mer Rouge s'étend, au moins en Arabie, du sud au nord, jusqu'à la presqu'île du Sinaï. Le Téhama ou la plaine basse s'élargit et la mer se retire avec une telle rapidité qu'il nous paraît impossible d'expliquer ce phénomène par les alluvions de quelques torrents et par les coraux, et que nous recourrions plutôt à l'hypothèse d'un soulèvement de la côte entière pareil à celui de la Scandinavie et du Chili.
Les indigènes, d'après leur propre témoignage, sont contraints de transporter tous les vingt ans leurs cabanes de pêcheurs pour les rapprocher de la mer ; et tout ce rivage est couvert de ruines d'anciennes villes maritimes dont les ports se sont comblés, et qui se trouvent à trois, à six milles allemands de la côte.

Depuis le cap qui forme l'extrémité de la péninsule du Sinaï jusqu'à Wuschk et au 26° latitude nord, la côte est formée de bancs de coraux qui sont soulevés à une hauteur constante de 30 à 40 pieds au-dessus de la mer ; du 26° vers le sud, leur élévation n'est que de 12 à 15 pieds. Ces coraux, ainsi que les coquilles attachées à ces rochers, sont identiques avec les espèces qui vivent actuellement dans la mer Rouge.

En Arabie, sur le plateau, la vaste contrée d'El-Ahkaf, qui est au sud-est, était originairement une terre fertile, qu'habitaient les Adites, et qui fut transformée en un affreux désert du vivant de Houd ou Héber. Ce patriarche n'est mort que longtemps après la naissance d'Abraham, et le désert d'El-Ahkaf date ainsi du même temps que celui de Sodome.

Dans le golfe Persique, la côte orientale s'accroît rapidement comme celle de la mer Rouge, et dans l'époque quaternaire les terres basses à travers lesquelles l'Euphrate et le Tigre se jettent dans la mer, n'avaient point leur forme actuelle. Ces deux fleuves ont changé leur cours dans les temps historiques, et le premier avait probablement son embouchure dans les marais des Chaldéens, qui sont situés entre les ruines de Babylone et le confluent du Tigre, et où l'Euphrate se divise en tant de bras qu'il semble prêt à terminer là son cours (3).

De la Babylonie, nous monterons sur le plateau de l'Iran ; mais là nulle tradition, nul fait géologique n'arrête nos pas, et nous passerons ainsi en Inde.

Les Indiens nous offrent le mythe si précieux de la seconde incarnation de Vichnou, qui, après avoir sauvé des eaux du Déluge Manou et les Richis enfermés dans l'arche, soutient au-dessus de l'Océan la terre qui s'enfonçait, au temps où les bons et les méchants sentaient avec effroi leurs forces vitales décliner et s'évanouir (4).
On ne pouvait, ce me semble, résumer d'une manière plus frappante que par ce mythe du barattement de la mer l'époque post-diluvienne et quaternaire, pendant laquelle, d'après la Bible, la vie de l'homme s'abrégea de huit siècles, et d'après la géologie, un grand nombre de basses plaines et de côtes se sont affaissées au-dessous du niveau des mers. Ce mythe est tout particulièrement vrai du sud-est de l'Asie, où nous allons trouver une foule d'isthmes brisés et de terres englouties à cette même époque post-diluvienne. Mais l'Inde nous retient quelques moments encore dans ses vastes limites.

Vichnou, dans sa sixième incarnation, a, sous la forme de Parasou-Rama, créé le Kérala, ou fait sortir de la mer la côte de Malabar, du cap Comorin à Mangalore, pour la donner aux Brahmines, et elle aurait été infestée de serpents jusqu'au moment où l'on se serait mis à leur rendre un culte divin. Mais cette création pourrait bien n'être qu'une découverte et une conquête. Toutefois une autre tradition, qui n'a rien de mythologique, et qui donne quelque crédit à la première, raconte que la côte orientale du Décan a été en grande partie soulevée du fond de la mer, et que les eaux de l'Océan avaient été refoulées vers l'Est avec une telle violence, qu'elles avaient englouti une grande partie des basses terres de la primitive Ceylan.

Après Rama vivaient les Pandawans, qui se retirèrent vers les monts Vindhyas pour y faire une de ces longues et redoutables pénitences qui ébranlent l'univers entier. « La toute-puissance de leur dévotion pénétra pendant très longtemps de chaleur ces montagnes, qui émirent de la fumée ; c'était chose merveilleuse à voir » (5)
Y a-t-il là le souvenir de phénomènes volcaniques extraordinaires qui auraient eu lieu au commencement des temps historiques (6) ?

D'après la tradition des Brahmines, la vallée de Cachemire était primitivement un lac, qui se serait vidé au temps de Casyapa, l'aïeul du genre humain ; et certainement les chaînes de l'Himalaya ont recelé longtemps bien d'autres bassins d'eau douce.
La péninsule de Guzérate était une île, que les alluvions du Padder auront reliée à la terre ferme en comblant la partie intérieure du golfe de Goutsch.
Le delta actuel du Gange et du Bourampoutre, qui l'ait une saillie de soixante-quinze lieues dans la mer, n'existait pas encore ; c'était au contraire un golfe, qui s'est insensiblement comblé, et l'on suit pour ainsi dire d'année en année les empiétements progressifs des alluvions sur l'eau salée.

L'île de Ceylan a fait certainement partie du continent voisin. Privée de toute espèce de mammifère qui lui serait propre, elle possède toutes celles de la terre ferme, entre autres l'éléphant par milliers, le rhinocéros, le lion, le tigre, le léopard, le chacal, l'ours, le porc-épic, le cerf, l'antilope, le pangolin.
L'isthme par lequel ces animaux auront passé du Décan dans l'île actuelle, c'est le pont que, dans sa septième incarnation, Vichnou-Rama a construit au travers du détroit, et dont les débris rendent aujourd'hui encore le passage à peu près impraticable aux vaisseaux. Les actes de la pagode de Ramisséram semblent même indiquer qu'au quinzième siècle de notre ère, les pèlerins allaient à pied du Décan à Ceylan. Cependant on sait qu'une flotte hollandaise a fait voile par ce détroit pour échapper aux Danois qui la poursuivaient.

D'ailleurs, d'après la tradition, Ceylan aurait formé une île immense qui aurait touché vers l'ouest aux Maldives, et se serait étendue au loin vers le sud dans l'océan Indien. Ce serait sous l'influence d'antiques souvenirs que les écrivains grecs et romains auraient fait de Taprobane le commencement d'un monde nouveau. Au moins est-il fort probable que l'île n'a pris ses formes actuelles que dans le quatrième siècle avant J.-C. D'après les annales indigènes, le bouddhisme venait de s'établir dans l'île, vers l'an 322, et il avait déjà couvert l'île de ses temples lorsque des étrangers, des Malabars, arrivant de la côte opposée, dévastèrent cette terre paisible et prospère, et les crimes de leurs rois attirèrent la colère des dieux, qui résolurent de les engloutir avec l'île dans les flots de l'Océan : déjà neuf îles voisines, avec leurs milliers de villages et de jardins, s'étaient abîmées ; mais le roi impie livra sa fille à la mort comme une victime d'expiation, et l'île actuelle fut épargnée.

L'archipel Indien, d'après les témoignages concordants de l'ethnographie, de la tradition et de la zoologie, a formé une terre continue, qui était séparée, comme aujourd'hui, de l'Australie par un large bras de mer, et unie par des isthmes à l'Indo-Chine.

Trois fois plus étendue que Madagascar, la Notasie, ainsi que la grande île africaine, a sa faune et sa flore particulières ; mais on y trouve en même temps les mammifères de l'Asie (7).
Et d'abord, l'éléphant et le tigre des Indes habitent aujourd'hui Sumatra et Bornéo, et ils existent aussi à Java. On prétend avoir vu le premier aux îles Soulou et aux Philippines, qui ne possèdent certainement pas le second. Tous les deux sont inconnus à Célèbes, dans les Moluques et dans les petites îles de la Sonde. Ne peut-on pas, semble-t-il, fixer la distance à laquelle ils étaient parvenus dans leurs migrations vers l'orient, quand les isthmes se sont brisés sous leurs pas et que la terre ferme s'est transformée en un archipel ?

D'autres espèces qui, par leurs formes étranges, semblent indigènes de la Notasie, se retrouvent sur le continent. Ainsi le tapir, ainsi l'ours malais (dont au reste on ne connaît pas avec certitude les limites vers l'est) : ils vivent aujourd'hui à Sumatra, à Java et à Bornéo, ainsi que dans la presqu'île de Malacca ; mais Célèbes, les Philippines et toutes les îles du sud-est ne les possèdent pas. Ainsi encore, le chevrotain mémina, qu'on ne connaît hors de l'archipel Indien que dans l'île de Ceylan et sur le plateau de Mysore.
Le gibbon aux longs bras et l'ourang-outang habitent l'Indo-Chine, Malacca, Bornéo et Sumatra, et le dernier en outre Célèbes, où il est si malfaisant et si nombreux qu'il deviendrait le maître du pays si d'énormes boas et d'autres serpents ne lui faisaient pas une guerre continuelle.

Il y a ensuite certaines espèces de mammifères qui sont propres à une seule île ; tels le redoutable pongo de l'île de Bornéo, qui d'ailleurs à elle seule est presque aussi grande que Madagascar ; le rhinocéros unicorne de Java, celui de Sumatra qui est bicorne, etc.

D'autres espèces propres à l'archipel et communes à plusieurs îles ont pris ici une couleur plus claire ou plus foncée, là une taille plus grande, ailleurs des membres plus gros et plus lourds, une queue plus longue, des poils moins longs. On dirait au premier abord autant d'espèces distinctes ; ce sont cependant de simples variétés ; mais elles prouvent avec quelle force certaines contrées tendent à marquer de leur caractère individuel les êtres organiques qui y demeurent.

Enfin, Java, Timor, les Moluques, et à l'ouest de la Nouvelle-Guinée, les îles Arrou ont des espèces de kangourous et de phalangers qui sont étrangers au reste de l'archipel Indien et qui annoncent la faune australienne. Sur les Moluques en particulier vit le casoar à casque ; la Nouvelle-Hollande en a sans casque, et ces oiseaux, qui sont condamnés à marcher, sont liés au sol qui les a produits. Les animaux propres aux îles du sud-est n'auront pas eu le temps, avant la rupture des isthmes, de peupler les terres du nord-ouest.

Tous ces faits sont sans doute fort compliqués. Mais l'hypothèse qui les explique le mieux n'est-elle pas celle de nombreux isthmes qui se seraient brisés avant que les mammifères propres aux diverses contrées de cette terre maritime se fussent dispersés partout en assez grand nombre pour échapper aux nombreuses causes de destruction ? La chaîne continue des montagnes de la Sonde aurait formé, à l'ouest et au sud, le bord de cette vaste péninsule triangulaire ; les Moluques et les Philippines seraient les débris du bord oriental ; Bornéo aurait été adjacent d'un côté à Java ou à Sumatra, de l'autre, par les Soulou, aux Philippines, et Célèbes aurait tenu à Bornéo et aux Moluques.

L'ethnographie de la Notasie a conduit à cette même hypothèse d'un continent à demi détruit, plusieurs savants, entre autres M. G. de Humboldt, dans son grand et bel ouvrage sur la langue cawi (8). En effet, entre les tribus noires de l'Inde qui habitent soit les monts Goands à l'angle nord-est du Décan, soit quelques vallées écartées de l'Himalaya, et les Nègres australiens de la Nouvelle-Guinée ou de la Nouvelle-Hollande, se trouvent des peuplades noires, les Négritos, qui sont éparses dans les îles Andaman, dans l'intérieur de la presqu'île de Malacca sous le nom de Sémang, aux Philippines sous celui d'Iglotes, à Timor, et sans doute aussi dans les contrées les plus reculées de Bornéo et de Sumatra.
Ces Négritos, ayant été partout refoulés par les Malais dans les montagnes de l'intérieur, sont évidemment les plus anciens habitants de la Notasie, et comme ils sont de vrais sauvages et que leurs frères de l'Australie, dans leurs pirogues, ne perdent jamais la côte de vue (9), il semble plus naturel d'admettre des isthmes qui se seraient rompus postérieurement à l'établissement des Négritos dans leurs demeures actuelles, qu'une civilisation très ancienne qui leur aurait appris à franchir de larges détroits.
Au reste, pourquoi tenter la voie incertaine des hypothèses, quand on possède des faits certains et des traditions vraisemblables ?

#8

On sait que Bali s'est détaché de Java l'an 1204 de notre ère, que Sélo Parang a fait partie de Sumbawa jusqu'en 1280, et Giling Trayangan jusqu'en 1260.
Puis, d'après la chronologie javanaise, Java et Sumatra n'auraient été séparées l'une de l'autre, et le détroit de la Sonde ne se serait formé que dans le premier siècle avant l'ère chrétienne.
Enfin, les Javanais, le seul peuple malais qui ait une littérature quelque peu complète, racontent que des colonies égyptiennes seraient arrivées dans leur île à une époque où celle-ci tenait encore à Sumatra et tout l'archipel au continent, et que Vichnou a régné à Java quand elle n'avait aucun habitant (10).

Mais leur mythe le plus remarquable est celui du dieu Gourou, qui, voyant que Java était mal équilibrée, fit transporter de l'occident vers l'orient une montagne qui était trop lourde, et forma le volcan Ramadi (11). Ceci se passait au temps où fut découverte la boisson d'immortalité, qu'on a obtenue en Inde en barattant la mer, c'est-à-dire au temps des Noachides, après le Déluge, dans l'époque quaternaire. Or, n'est-il pas étrange que la géologie ait constaté que les monts volcaniques de Java et des autres îles de la Sonde jusqu'à Timor, n'ont acquis leur hauteur présente que postérieurement au diluvium et lorsque la faune actuelle existait déjà ?
Ils ont soulevé sur leurs pentes opposées une vaste formation tertiaire peu anciennes (12). Mais ces terrains tertiaires ne sont-ils pas les collines qui, dans le mythe, se sont formées des fragments que les dieux laissaient tomber de dessus leurs épaules en transportant vers l'orient la montagne ?

La Nouvelle-Hollande, qui a sa faune et sa flore distinctes, a été le théâtre, après le Déluge, d'une création particulière, et l'on ne peut supposer qu'elle ait été attenante à la Notasie, puisqu'elle n'en possède pas les quadrupèdes et qu'elle ne lui a pas non plus donné les siens. Mais d'où lui vient sa population nègre, qui n'est qu'une variété de la grande race des Noirs australiens ?

Pour expliquer la dispersion des Négritos dans toutes les îles de la Notasie, nous avions d'anciens isthmes qui étaient devenus plus tard des détroits. Ici les ponts nous manquent. Nous ne pouvons pas faire des Australiens une race aborigène : l'ethnographie et la linguistique s'y opposent. Il faut donc admettre que, enfants dégénérés d'une antique race qui leur était supérieure en civilisation, ils sont arrivés de la Notasie sur leur continent grâce à des connaissances nautiques dont ils auraient plus tard perdu jusqu'au souvenir, ou, plutôt, que les accidents de la navigation, les courants, les tempêtes ont jeté leurs ancêtres des îles de la Sonde ou de la Nouvelle-Guinée sur les rives septentrionales de l'Australie.

Van-Diémen a la même faune que la Nouvelle-Hollande. Le détroit de Bass est donc postérieur à la création de cette faune et à la dispersion de ses espèces.
Fait étrange ! les Moluques, malgré leur petitesse, possèdent des mammifères qui leur sont propres, et à peu de distance, la plus grande des îles de la terre, la Nouvelle-Guinée, qui se distingue par la magnificence de sa végétation et par la beauté de ses oiseaux, paraît ne pas compter plus de trois ou quatre espèces indigènes d'animaux terrestres. Le cochon, le chien, le rat y seront arrivés avec l'homme ; le sanglier peut avoir traversé les détroits à la nage, et la chauve-souris au vol.
Reste le phalanger blanc, lequel se retrouve avec des serpents dans la Nouvelle-Irlande ; la salamandre et la grenouille, dont on a constaté aussi la présence dans la Nouvelle-Géorgie.

Ces différents archipels, qui sont formés, ainsi que la Nouvelle-Bretagne et les îles Santa-Cruz, de roches primitives, ont constitué, d'après M. Lesson, une terre unique, longue, étroite et recourbée, qui avait pour centre physique la Nouvelle-Guinée au nord, et qui se terminait au sud par la Nouvelle-Zélande.
Cette dernière île, lors de sa découverte, possédait des chiens, des rats et point de cochons ; des chauve-souris, quelques serpents, des lézards et beaucoup d'oiseaux.
Quant à la Nouvelle-Calédonie, on n'y connaît jusqu'ici aucun autre quadrupède que des cochons et des chiens, qui y ont été importés depuis Cook : cette île aura donc été dès l'origine isolée de tout autre terre, même des Nouvelles-Hébrides.

Les nombreux archipels de l'Océan Pacifique n'ont pas plus produit d'animaux vertébrés que les Seychelles et autres petites îles qui sont comme perdues dans l'océan Indien, et les quelques mammifères qu'ils possèdent aujourd'hui, y sont arrivés des îles australiennes, ou y ont été apportés par l'homme. Les îles Sandwich, lors de leur découverte par les Européens, avaient des cochons, des chiens, des rats, vingt espèces d'oiseaux de terre ou de mer, deux espèces de lézards et point de serpent. Le chien existait dans tous les archipels. Le cochon manquait aux Carolines et aux Mariannes, qui avaient été habitées par une race jaune distincte des Malais. Quelques grandes chauves-souris frugivores s'étaient avancées vers l'ouest jusqu'à Oualan et Ticopia dans les Carolines, et même jusqu'à Tonga ; d'autres vespertilions de petite taille étaient parvenus jusqu'aux Sandwich et aux îles de la Société ; ils étaient, avec une espèce du genre mulot, les seuls mammifères sauvages de ce dernier archipel et de celui des Amis. Sur toutes les îles vivent des geckos et des scinques ; nulle part des batraciens. Le cerf des Mariannes a été probablement importé d'Amérique par les Espagnols.

C'est l'extrême pauvreté de la faune polynésienne qui, au chapitre du Déluge, ne nous a pas permis d'admettre que ses innombrables îles soient les débris d'un continent immense qui aurait été submergé (comme a dû l'être la Notasie) postérieurement au grand cataclysme et pendant la période quaternaire. Mais ici s'offre de nouveau à nous l'énigme du peuplement.
Les Malais, qui occupent aujourd'hui ces îles, ont trouvé dans la plupart des archipels, et même, d'après Forster, dans celui d'O-Tahiti, des peuplades de Nègres auxquels ils se sont plus ou moins mêlés.
M. Lafond a été en particulier très frappé de la ressemblance des chefs des Sandwich avec les Fidgiens à demi noirs. Si nous ne savions tout à l'heure par quelle voie faire arriver de Notasie les Nègres australiens, qui en sont cependant si rapprochés, comment rendrons-nous compte de la dispersion des Nègres polynésiens sur ces archipels qu'isole les uns des autres un océan immense ? Ici l'aborigénat serait absurde : de petites îles, qui n'auraient pas pu produire un seul mammifère, ne peuvent avoir donné spontanément naissance à l'homme.
L'hypothèse des courants, des tempêtes emportant au loin de fragiles canots, suffit-elle encore quand les distances d'une côte à l'autre sont de plusieurs semaines de navigation, et qu'il s'agit d'expliquer la présence d'une même race de sauvages dans un très grand nombre de terres ? Doit-on admettre une civilisation assez développée des Nègres primitifs qui auraient fait des voyages de long cours (13) ? Faut-il avoir recours à la submersion d'îles intermédiaires qui auraient servi de stations aux canots de tribus barbares entre les archipels actuels ?

Si des îles Sandwich nous revenons vers l'Asie, nous voyons sur la côte orientale de ce continent des guirlandes d'îles qui semblent les débris d'un ancien rivage, et qui séparent de l'immense Océan des méditerranées dont les eaux sont peu profondes. Ces îles, à en juger par leurs quadrupèdes, ont toutes été attenantes à l'Asie.
Dans l'archipel du Japon, qui a d'ailleurs sa faune spéciale, se trouvent des ours, des renards, des belettes, des daims, des sangliers, des singes, que ces îles possèdent en commun avec le continent voisin (14).
Les Lieu-Kieu, où ne vivent plus aujourd'hui que les animaux domestiques de la Chine, qui y sont de plus petite taille, ont été autrefois peuplées, au dire de Klaproth, d'ours, de loups et de chacals.
Formose et Haïnan nous offrent pareillement, en témoignage de leur ancienne union au continent, des singes, le rhinocéros, le tigre, le léopard, le loup, le pangolin (15).

La seule tradition à nous connue, qui vient à l'appui de notre conjecture, est celle de Kong-Kong « qui, dans sa colère, donna un coup de corne si violent contre le mont Pou-tchéou, que les liens de la terre en furent brisés et qu'elle reçut une brèche au sud-est. » Nous pourrions citer aussi les mythes de Peiroun, roi de Maurigasima. Cette île, qui était située près de Formose, était d'une fertilité extraordinaire, et produisait en outre une terre grasse, admirablement propre pour faire des vases de porcelaine. Ses habitants étaient arrivés par leur commerce à un tel degré de corruption que les dieux abîmèrent cette terre entière dans les flots, et ne sauvèrent que son pieux roi, qui, averti miraculeusement, s'embarqua sur un vaisseau avec sa famille et avec tous ceux qui voulurent le suivre. Ce qui semble garantir la vérité de ce récit, qui rappelle à la fois le déluge de Noé et l'Atlantide de Platon (16), c'est que des plongeurs retirent du fond des eaux où cette île a disparu, des vases de porcelaine, qui sont fort recherchés au Japon. Le Japon, où Kaempfer a recueilli ces renseignements, est bien éloigné de Formose, et l'on aimerait à voir son témoignage confirmé sur place par celui des habitants de cette dernière île ou des Chinois du Fokien.

D'après Krusenstern (17), Jesso et le Japon auraient formé jadis une seule île, vu le peu de largeur du détroit, l'escarpement des côtes, le nombre égal des caps de chaque côté, la direction uniforme des montagnes neigées et la proximité du volcan de Tilésius.

Les Chinois ont deux déluges : celui de Kong-Kong ou de Noé, et celui d'Yao. Le premier est une ruine de la terre et des cieux, et c'est la déesse Niu-va, la Neith victorieuse de l'Egypte, qui répare les brèches du monde et rend de nouvelles forces à la nature. Cependant, sous Yao, la Chine est recouverte encore par les eaux ; mais c'est une simple inondation dont l'homme triomphe par son industrie, et non un bouleversement de la nature entière auquel la Divinité seule peut porter remède.

Peut-être la géologie de l'époque quaternaire nous donnera-t-elle l'explication de ce déluge d'Yao. Le Hoang-ho et l'Yang-tsé-Kiang, après le diluvium, ne coulaient point dans leur lit actuel, et ils travaillaient, comme tous les autres grands fleuves de la terre, à combler les golfes de leurs embouchures et à les transformer en deltas. Sur les hauts plateaux de la Mongolie, ce qui est aujourd'hui le grand désert sablonneux du Coby, était un immense bassin d'eau salée. Un lac semblable existait aux environs du Ko-ko-noor. Quelque convulsion locale aura brisé les digues naturelles qui contenaient vers l'orient les eaux de ces mers intérieures. La première de ces mers a dû se verser sur la Basse-Chine par un affluent du Hoang-ho, et la seconde, par la gorge de Tsy-chy. Le sol qu'elles occupaient est aujourd'hui couvert de coquilles. C'est à ce même temps que nous rapporterons le soulèvement de deux grandes chaînes de montagnes, dont l'une a rejeté le Hoang-ho au sud, vers le Chen-si, et l'autre barré le cours de l'Yang-tsé-kiang, qui a formé de nombreux lacs et marais dans la Chine centrale (18).

Si nous poursuivons notre route à l'ouest et que nous descendions par la Songarie vers le Turkestan, nous serons arrêté par une mer immense, qui communiquait par deux détroits, vers le nord avec l'océan Boréal, vers l'ouest avec le Pont-Euxin (19).

Cette mer, dont le lac Caspien et le lac Aral sont les derniers restes, s'étendait au nord-est jusqu'à l'extrémité occidentale des hauteurs de l'Ulu-tau, qui séparent les eaux du Sarasou et du Sihon, de celles de l'Irtisch et de l'Oby.
Cet Ulu-tau, qui part de l'Altaï, forme de l'est à l'ouest, sur une étendue de deux cent soixante-cinq lieues, une série de collines isolées dont l'élévation relative n'est que de cinq à six cents pieds. On dirait l'informe ébauche d'une grande chaîne de montagnes, qui aurait été le prolongement de l'Altaï vers l'ouest, mais qui ne devait pas atteindre à l'Oural. Du côté de l'est, le pays est trop mal connu pour qu'on puisse déterminer l'ancien rivage, et les points où le Sihon et le Gihon avaient alors leurs embouchures. Les monts du Khorasan et le Démavend marquent les limites méridionales de cette Méditerranée asiatique. Elle formait sans doute au sud du Caucase, dans l'Albanie, un golfe profond. Au nord-ouest, on en suit aisément tous les bords : ce sont ces hautes terres qui partent de l'Oural sous le nom d'Obtschey-Sirt, et qui aboutissent, en s'abaissant et se brisant, aux sources du Manitsch. De nos jours coule à leur pied le Wolga du nord au sud, puis la Sarpa du sud au nord. À l'époque diluvienne, le Wolga se jetait dans la mer soit à Volsk, soit à Kamyschin, et le Jaïk à Ouralsk. À l'est du Jaïk et sur la ligne de l'Oural, la Méditerranée asiatique était semée d'îles peu élevées. L'une des plus considérables était sans contredit le Mugosar-tau, qui se prolonge au loin vers le sud, entre le lac Aral et le lac Caspien.

Aujourd'hui, la mer Caspienne est d'environ quatre-vingts pieds plus basse que l'Océan (20), et la steppe d'Astrakhan, qu'elle a laissée à sec, entre le Wolga et le Jaïk, n'est en moyenne qu'à cinquante pieds au-dessus de ce lac. Les anciens rivages, qui sont parfaitement visibles, attestent que le niveau de la Méditerranée asiatique était de quatre-vingts pieds au moins plus haut que l'Océan.
La communication entre la mer intérieure et l'Océan Boréal était la terre basse qui s'étend de l'extrémité occidentale de l'Ulu-tau au pied de l'Oural, et où sont le Kum-Koul, ou lac des sables, et le Balek-Koul. C'est là l'ancien détroit, dont parle Strabon. qui unissait la mer Caspienne à l'océan Boréal, et dont la longueur était de quinze cents stades (soit la largeur de l'isthme de Suez). Depuis ces lacs, on suit aujourd'hui, vers le sud, la dépression du sol, par l'Aksa-Koul, où se jette le Tourga, jusqu'au lac Aral, qui forme précisément à son angle nord-est un golfe long et étroit. Du côté opposé, vers le nord, l'ancien lit de l'océan Boréal se reconnaît dans les steppes des Barabinzes, où les lacs sont fort nombreux, et on le poursuit, dans la direction d'Omsk, de Sourgout et de Bérésow, jusqu'à l'embouchure de l'Obi.

L'autre détroit, celui qui unissait la Méditerranée d'Asie au Pont-Euxin, était bordé au nord par l'extrémité du plateau de la Sarpa, et au sud par une haute terre qui se rattache au Caucase, et d'où descend la Kouma. Cette rivière, ainsi que le Térek, versait alors directement ses eaux dans ce bras de mer, dont la direction est indiquée aujourd'hui par la vallée du Manitsch. Le point le plus élevé, aux sources de cette dernière rivière, n'est qu'à soixante-quinze pieds au-dessus de la mer d'Azow.

Nous venons de voir que le niveau de l'antique Caspienne était d'environ quatre-vingts pieds plus élevé que celui des océans. Or d'autres naturalistes ont été conduits, par l'étude des rivages du Pont-Euxin, à admettre que cette mer s'était abaissée de soixante-quinze à quatre-vingt-dix pieds. Ces deux résultats d'observations indépendantes s'accordent d'une manière fort remarquable, et nous sommes donc bien en droit d'admettre que la mer Noire et le lac Caspien ont communiqué autrefois par-dessus les hauteurs du Manitsch, qui n'étaient recouvertes que de quelques pieds d'eau.

Ces deux mers étaient unies, mais par un simple détroit. La mer Caspienne ne se confondait point avec le Pont-Euxin. Elle avait ses limites propres, son bassin, et ses eaux s'écoulaient par le nord dans l'Océan Boréal. Les Chinois parlent d'un grand lac salé qui existait dans l'intérieur de la Sibérie, et qu'aurait traversé le Jénisséï (21).

Mais si la Caspienne a communiqué avec l'Océan, il n'est plus surprenant qu'elle contienne des poissons de mer et des phoques, et ainsi se justifie en même temps ce que les écrivains grecs et latins disaient de ce lac, dont ils faisaient un golfe de l'Océan (Boréal).
À ce titre, il prenait légitimement le nom même de l'Océan. Eschyle ne faisait donc pas erreur en plaçant l'Océan près du Caucase, et Mimnerme pouvait dire que le Soleil, pendant la nuit, dort près de la ville d'Aëtès, roi de la Colchide, au bord de l'Océan, et ailleurs, qu'il est porté dans sa coupe d'or sur tes flots depuis la contrée des Hespérides vers la terre des Éthiopiens, d'où il monte sur son char dès que l'Aurore s'élève vers les cieux. Le Phase, par lequel le Pont-Euxin était uni à la mer Caspienne, nous paraît être, dans quelques-unes des traditions les plus anciennes, non la rivière de la Colchide, mais le détroit du Manitsch ; c'est là le Phase par lequel, dans Homère, la Méditerranée communique avec l'Océan, et qui, dans Hésiode, conduit les Argonautes depuis le Pont-Euxin dans la mer extérieure.

Le Pont-Euxin, à l'époque diluvienne, étendait ses eaux sur les steppes de sa côte septentrionale, sur les plaines moldaves et valaques du Bas-Danube à l'ouest, et dans la vallée du Phase à l'est. Le Bosphore d'ailleurs n'existait pas encore, et nous devons supposer que la plaine de Nicée, qui sépare le Pont-Euxin de la Propontide, et qui n'a aujourd'hui que trente-six pieds d'élévation absolue, opposait aux eaux de la mer Noire une barrière plus haute.

Les Anciens, qui confondaient sans doute d'antiques souvenirs avec l'état présent, allaient jusqu'à prétendre que le Pont-Euxin égalait en grandeur la Méditerranée, et avait de plus profonds golfes qu'aucune autre mer ; il devait même son nom de à son immense étendue, qui en faisait comme un second Océan. Il est probable qu'après le Déluge, la Hongrie, qui n'est qu'à deux cents pieds au-dessus de la mer, formait un immense lac qui communiquait par le détroit d'Orsowa (entre les monts de la Transylvanie et ceux de la Servie) avec le vaste golfe occidental du Pont-Euxin.
Vers le nord, les flots de la mer baignaient le plateau granitique de l'Ukraine, qui, des Carpathes à l'Obtchey-Sirt, s'étend aujourd'hui entre les bas steppes de la mer Noire et les plaines plus élevées de la Russie. Le rivage passait près des cataractes du Dniéper, et le Don avait son embouchure vers le confluent du Donetz. Il paraît même, d'après d'anciens géographes grecs, que le Don avait alors deux embouchures, l'une dans les Palus Maeotides, l'autre en Scythie par l'Arae ou Volga, avec lequel il aurait mêlé ses eaux.
Les monts de la Crimée formaient une île à une grande distance de la rive septentrionale. Cependant au delà de la digue de l'Ukraine s'étendent les marais Lithuaniens, que traversent en tout sens les affluents du Dniéper, de la Vistule et du Niémen, et qui sont la grande dépression du continent européen. Nous y reconnaissons le fond, encore humide, d'une mer peu profonde qui s'unissait par quelque étroit canal au Pont-Euxin, dont elle aurait ainsi formé le grand golfe septentrional.

Le plateau des lacs de la Prusse aurait séparé cette mer Lithuanienne de la mer Baltique. Cette dernière, à l'époque quaternaire, n'avait point sa forme actuelle.
Le mythe danois de Géfyon et la nature du terrain indiquent que le Sund et les Belt n'existaient pas encore, et d'après une autre tradition, le Jutland était séparé de l'Allemagne par un large détroit qui unissait, à travers le Schleswig, les deux mers voisines. Peut-être aussi qu'alors la contrée des lacs de Ladoga et d'Onéga était un bras de mer par lequel le golfe de Finlande communiquait avec la mer Blanche. On a même supposé qu'entre la Finlande et la Laponie était un canal naturel qui unissait la mer Blanche au golfe de Bothnie. La Scandinavie aurait donc été jadis un immense archipel, et peut-être l'était-elle encore lorsque les écrivains latins parlaient en termes vagues des grandes îles Nérigos, Bergos, Dumna, Scandia (22).

Bugen tenait, dit-on, à la Poméranie, et la mer, qui ronge son pourtour, a transformé dans les temps modernes en îles deux de ses presqu'îles. Une tradition fait arriver la mer dans la vallée de la Vistule jusqu'à Culm, et l'on a trouvé près de Bromberg, à vingt pieds de profondeur, dans la tourbe, un bateau avec deux ancres. Des débris de vaisseau et des noms de lieu dans des actes anciens, semblent attester que dans le Mecklembourg aussi la mer Baltique s'étendait au loin dans les terres, jusqu'à Neu-Brandebourg et Strélitz.
On a supposé, mais sans raisons suffisantes, que la Bohême avait formé un lac jusqu'au déluge cimbrique, peu de siècles avant l'ère chrétienne. D'antiques traditions parlent d'un temps où la vallée du Rhin-moyen, entre les Vosges et la Forêt Noire, était un bassin fermé, où naviguaient des géants qui attachaient leurs barques à des anneaux qu'on montre encore aujourd'hui ; l'un de ces géants aurait livré passage aux eaux et donné à la contrée sa forme actuelle.

Sur les côtes méridionales de la mer du Nord, il n'y avait ni Zuydersée, ni Dollart, ni Jahde. Helgoland est peut-être le dernier reste de quelque grande terre basse qui comblait l'angle formé par le Schleswig et le Hanovre, et qu'aurait détruite l'inondation cimbrique.

La Grande-Bretagne tenait au continent : la géologie le prouve et la géographie des animaux le confirme. Le peu de profondeur de la mer entre Douvres et le cap Blancnez indique la direction de l'isthme, et des deux côtés les côtes sont abruptes : les traces du déchirement sont pour ainsi dire encore visibles. Mais surtout, des quarante-neuf quadrupèdes de la France, l'Angleterre en a compté trente-neuf. Il lui manque entre autres le lynx, le loir, le chamois, certaines chauve-souris, et elle a perdu depuis huit siècles l'ours, le castor, le loup, le bison, le sanglier.
L'Irlande, au contraire, paraît avoir été une île dès le temps du Déluge ; au moins n'y trouve-t-on aucune espèce de serpents, ni crapauds, ni taupes ; les grenouilles y ont été importées de la Grande-Bretagne au commencement du dix-huitième siècle, et nous ne trouvons aucune mention de loups, ni d'ours, ni de bisons ; point de daims : les cerfs y seront arrivés par quelque voie inconnue.

Les traditions des Kymris sur la Grande-Bretagne sont fort remarquables. Ils se souviennent du temps où Whigt, Man et la terre d'Orc étaient les seules îles voisines des côtes de leur patrie, et de celui où la mer détacha du pays de Kymrou ou de Galles, Mona, qui est Anglesey, transforma en îles et îlots quelques portions d'Alban ou de l'Écosse, et divisa l'unique Orcade en plusieurs petites îles.
Mais les Triades bretonnes gardent le silence sur l'origine du détroit de Calais ; on doit supposer qu'il existait déjà lorsque les Kymris arrivèrent de la contrée lointaine de Défrobani dans leur patrie définitive. Ils distinguent d'ailleurs trois grandes calamités qui ont ravagé la Bretagne, dont la première est « la rupture du lac Llion ou des torrents diluviens, » et la seconde « le tremblement du torrent de feu, lorsque la terre fut déchirée et entraînée dans le grand abîme, et que fut détruite la majeure partie de toute vie (23). »
Ce déchirement de la terre serait-il la rupture de l'isthme de Calais, de celui d'Anglesey, de l'Orcade ? Y a-t-il eu, depuis le diluvium, des révolutions volcaniques, des épanchements de lave dans la Grande Bretagne ?
On n'y a signalé, à notre connaissance, dans l'époque quaternaire, que des côtes qui se sont affaissées ou élevées. D'ailleurs, de mémoire d'homme, une des Orcades a été divisée en deux, et les Romains, qui comptaient avec nous une trentaine d'Orcades, ne connaissaient que sept Shetlands, tandis qu'aujourd'hui il y en a quarante, sans compter quarante-six îlots (24).

Nous passons sous silence les traditions kymriques de villes submergées, ainsi que celles des Bas-Bretons sur leur ville royale d'Ys, parce qu'il nous est impossible de démêler ce qui est légende diluvienne et souvenir de révolutions toutes locales (25).
Les contrées occidentales de la France, celles de l'Espagne, ne nous offrent aucun fait à recueillir, et revenant ainsi au détroit de Gibraltar, d'où nous étions parti, nous entrons enfin dans cette Méditerranée qui est toute pleine de traditions géologiques.

Parmi ces traditions il en est une que pour son importance nous placerions à côté du mythe indien du barattement de la mer, c'est la fable de Typhon ou Typhée. Ce monstre, qui est le dernier des ennemis que les dieux eurent à combattre, et qui, d'après Nonnus, est postérieur au Déluge, personnifie les révolutions volcaniques de la Syrie, de l'Asie Mineure, de la Grèce et de l'Italie, qui ont eu lieu pendant l'époque quaternaire (26).

On lui attribuait en particulier la formation de la vallée de l'Oronte. Cette vallée, qui d'ailleurs est fort peu connue, n'offre, il est vrai, de la lave que dans une localité, et ne possède qu'une source thermale. Mais du moins les tremblements de terre y sont très fréquents, et le bassin d'Antioche, qui est aujourd'hui à trois cent quatre-vingts pieds au-dessus du niveau de la Méditerranée, n'avait point encore, aux temps des Noachides, sa forme actuelle, si l'on en juge par le soulèvement de ses terrains diluviens (27). C'était un golfe, qui aura disparu par une révolution locale dont les enfants de Sem et d'Aram, les Arimes, ont dû être les témoins.
D'après Pline, Chypre tenait autrefois à la Syrie. Les hautes plaines qui s'étendent, arides et sablonneuses, au pied septentrional du Taurus, étaient probablement d'immenses lacs dans les temps postdiluviens. On connaît l'ancre des médailles d'Ancyre : c'était celle que Midas avait trouvée en creusant les fondements de cette ville.

La Phrygie brûlée avait vu ses forêts, ses plaines, ses monts réduits en cendres ou noircis, soit par Typhée combattant contre Jupiter, soit par le monstre Aegide (28). L'historien de la Lydie, Xanthus, avait recueilli de précieux renseignements sur les changements qu'avait subis le sol de sa patrie et celui de la Phrygie dans les temps historiques.

Mais ces révolutions sont de peu d'intérêt au prix de celle qui a brisé l'isthme du Bosphore de Thrace, et produit l'abaissement des eaux du Pont-Euxin à leur niveau actuel. On pourrait sans doute s'étonner que les habitants de Samothrace nous en aient seuls conservé le souvenir. Mais cette île, avec ses mystères, était un très antique foyer de civilisation, où les vieux souvenirs devaient se conserver avec soin, tandis que les Thraces d'Europe et les Bithyniens de l'Asie Mineure, qui habitaient à droite et à gauche du Bosphore, étaient des peuples à demi barbares. C'est d'ailleurs à la géologie à décider la question du niveau du Pont-Euxin à l'époque quaternaire, et à confirmer ou réfuter l'opinion de ceux qui prétendent, avec M. Hommaire de Hell, que les eaux se sont abaissées de trente et un mètres.

D'après Pindare, qui s'appuie sur « les plus anciennes traditions, » et dont le témoignage est confirmé par plusieurs savants de l'antiquité, « l'île de Rhodes était encore ensevelie dans les profonds abîmes de la mer » lors du partage que les dieux firent entre eux de la terre (après le Déluge). Mais la géologie paraît contredire ouvertement ce mythe. Je ne sais comment expliquer une telle erreur dans une tradition aussi authentique. Peut-être a-t-on confondu l'histoire des cultes qui se sont succédé à Rhodes avec l'histoire physique de l'île même.
L'île de Lesbos, d'après Pline, a été, de mémoire d'homme, une presqu'île attenant au groupe de l'Ida, et Besbice, dans la Propontide, a été détachée de la Rithynie.
D'après M. Boué, la plaine d'Andrinople a été, comme plusieurs autres, occupée par un lac d'eau douce « jusqu'à une époque très récente et peut-être même historique (29). » Nulle tradition n'a d'ailleurs conservé le souvenir de la catastrophe qui aurait amené l'écoulement de ce lac, et frayé un lit nouveau ou plus profond à l'Hébrus. Mais que savons-nous des traditions des Thraces ?

Entre autres plaines pareilles à celle d'Andrinople était celle de la Thessalie, que des montagnes entourent des quatre côtés, et qui formait un lac avant le temps où l'Olympe fut séparé de l'Ossa par cet étroit et pittoresque défilé qui est célèbre sous le nom de vallée de Tempé. Ce temps est, au dire des Grecs, celui de Deucalion ; mais Deucalion est Noé, et l'on aura confondu avec le grand et vrai Déluge la révolution subséquente et locale qui aura mis à sec le bassin du Pénée.

L'Eubée tenait, par l'isthme de Chalcis au continent, et l'on veut même que l'île de Céos ait fait partie de l'Eubée.
À l'isthme de Corinthe en correspondait un autre, à l'ouest, entre le cap Rhium et celui d'Antirrhium, et le golfe actuel était ainsi un bassin fermé, tel que l'était sans doute pareillement le golfe Ambracique. Leucade a été une presqu'île de l'Acarnanie.

Dans le mythe de Latone, Délos flottait sur les eaux. Nous ne verrions dans cette île flottante qu'un mythe cosmogonique ou diluvien, si Aristote n'avait pas admis comme un fait certain que Délos était sortie subitement de la mer, et si, de même que ses deux voisines, Rhénée et Mycone, elle ne différait pas complètement, par sa nature granitique, des autres Cyclades, qui sont calcaires.
Elles sont toutes calcaires, sauf le groupe de Mélos et Kimolos, et celui de Théra, Thérasia et Théa, qui, l'un et l'autre, sont d'origine volcanique. L'histoire a pris note des années où Thérasia et Théa ont apparu. Elle se tait, ainsi que la mythologie, sur l'origine de Mélos. Mais on disait de Théra et d'Anaphé qu'Apollon les avait fait sortir du fond des mers en faveur de Jason et des Argonautes, assaillis par une violente tempête.

Parmi les Sporades, Néa, au sud de Lemnos, et Halone, vers la côte de l'Ionie, étaient pareillement des terres nouvelles.

Quant à la grande et belle île de Crête, nulle tradition ne la reliait soit a l'Europe, soit à l'Asie, soit à l'Afrique. Déjà dans l'Antiquité elle ne nourrissait aucune bête sauvage, et l'on prétendait même. quoique à tort, que les serpents y étaient inconnus. Mais comment expliquer la présence, dans les hautes montagnes de cette île, d'une espèce de bouquetin qui est identique avec la capra sinaïca qui vit au Sinaï et en Nubie ? Je l'ignore.

La Sardaigne et la Corse ont bien des variétés de brebis, de chiens et de porcs qui leur sont propres ; mais ni leur faune, ni la géologie, ni la tradition ne permettent d'admettre que ces deux îles en aient jamais formé une seule, qui aurait été attenante à l'Italie.

Nulle tradition ne rapporte aux temps historiques l'origine des Baléares, ni même celle des îles toutes volcaniques d'Éole ou de Lipari. Toutefois les noms d'errantes et de nageantes qu'Homère leur donne, ainsi qu'aux Cyanées, semble indiquer un temps où leur forme et leur nombre étaient encore soumis à de grands changements. L'année de la mort d'Annibal elles se sont accrues d'une île nouvelle, qu'on croit être l'îlot de Vulcanello.
Anaria ou Ischia, dont Prochyta faisait originairement partie, est d'une date postérieure au peuplement de l'Italie ; car la tradition gardait le souvenir de son apparition.

Neptune qui ébranle la terre, d'après un mythe antique, avait détaché la Sicile du continent pour qu'Acaste put y régner en paix. Acaste était fils d'Éole, et c'était sous Éole que le détroit de Calpé s'était formé. La ville de Rhegium devait son nom, disait déjà Eschyle, au déchirement de l'ancien isthme.
« Dans ces temps, de beaucoup antérieurs au siège de Troie, a dit Diodore, les violentes éruptions de l'Etna, qui se renouvelaient d'année en année, contraignirent les Sicanes, qui étaient les habitants primitifs de la Sicile, à se réfugier vers l'extrémité occidentale de l'île (30). »
Cet événement se passait vers le seizième siècle avant notre ère. Alors aussi le Vésuve vomissait ces torrents de lave sur lesquels fut bâtie plus tard Pompeïa, et dans le premier siècle de notre ère, le souvenir de ces antiques éruptions, auxquelles avait succédé un calme profond, ne s'était pas entièrement effacé. Le Vésuve n'était point d'ailleurs la seule montagne en ignition de l'Italie : dans la Campanie, près de l'ancienne Sinuessa, on a trouvé, au pied des volcans éteints des Rocce Monfine, des murs ensevelis sous des éjections volcaniques pareilles à celles qui recouvrent Herculanum ; le tuf volcanique des environs de Caserta recelait, à soixante-seize pieds de profondeur, des ossements humains et des débris de vases, et c'est sans doute à cette époque qu'il faut rapporter l'apparition d'Aenaria. Les violentes commotions qu'éprouvait à cette époque le centre de l'Italie, furent cause que les Pélasges quittèrent la côte de l'Etrurie.
Tous les peuples de l'Italie se déplaçaient dans ces temps d'agitations physiques et humaines, et le retour du calme est représenté par le mythe de Cacus et d'Hercule, qu'on dit avoir été les contemporains d'Evandre, au treizième siècle. Cacus est fils du dieu du feu, Vulcain ; son nom signifie en grec le méchant, dans les langues sémitiques celui qui brûle (31). Il demeurait sur l'Aventin, et Rome est bâtie en partie sur le cratère d'un volcan. Il avait dérobé les troupeaux de cet Hercule, qui est le représentant en Italie de la civilisation, et qui le fit mourir. Le même Hercule, pour donner aux habitants de Cimini une preuve de sa grande force, avait enfoncé en terre une barre de fer que nul ne put retirer, et lorsqu'il la reprit, une telle quantité d'eau sortit de l'ouverture qu'elle forma un lac (32). Ce lac, qui doit être celui de Vigo, doit probablement son origine au même tremblement de terre qui détruisit, vers 1450, la ville inconnue de Saccunum.

Nous passons en Amérique, et nous trouvons d'abord les Antilles, dont le nom se lit déjà dans Aristote, où il désigne une île de l'Atlantique découverte par les Carthaginois. Il est hors de tout doute que lorsque les quadrupèdes du Nouveau Monde se répandirent sur sa vaste surface, les Antilles, où ils font entièrement défaut, étaient déjà des îles. En effet, St-Domingue, Cuba et la Jamaïque, dont la superficie est à peu près égale à celle de la Grande-Bretagne, et dont les immenses forêts rivalisaient de magnificence avec celles du Brésil, ne nourrissaient, à l'arrivée des Espagnols, ni le couguar de la Guyane, ni le jaguar du Mexique, ni le tapir de l'Yucatan, ni le cerf de la Virginie, ni singes, ni écureuils, ni armadilles ; et les Antilles, placées au centre des contrées du monde les plus riches en mammifères de toute espèce, n'offraient sur leurs montagnes et dans leurs plaines que des oiseaux, des insectes, et des reptiles, tels que des iguanas, des tortues, des couleuvres, des alligators, etc. Leurs seuls mammifères, de fort petite taille, avaient été importés sans aucun doute par l'homme. Les Espagnols en trouvèrent à St-Domingue cinq espèces, dont la chair à tous était bonne à manger : le goschi, petit chien muet qui servait d'amusement aux femmes, et qui existe sur le continent ; l'agouti ou lapin sauvage, qui vit aussi sur le continent, et que les indigènes prenaient au piège pour s'en nourrir ; le cori, qui tenait, disait-on, à la fois du lapin et de la taupe, et qui était apprivoisé ; le chemi et le mohui, que l'on comparait semblablement au lapin.

À Cuba, les compagnons de Christophe Colomb, lors de son premier voyage, n'avaient aperçu en six jours, pour tout quadrupède, que des chiens muets. Plus tard ils trouvèrent un animal qui ressemblait au cochon et qu'ils tuèrent à coups d'épée : c'était le pécari ou tajassou qui habite le Mexique et la Guyane, et qui s'apprivoise très facilement (33). Cuba possédait d'ailleurs, comme Saint-Domingue, l'agouti, que les indigènes prenaient au piège et qui formait leur principale nourriture, avec deux espèces de capromys, qu'on peut aussi apprivoiser. Ils mangeaient également de ces petits chiens muets, qu'ils engraissaient en grande quantité au Jardin de la Reine ; et l'iguana, que les compagnons de Colomb regardaient avec dégoût comme une espèce de serpent, était pour les Sauvages une nourriture si délicieuse, qu'il n'était pas plus permis au bas peuple d'en manger qu'il ne lui est permis en Espagne de manger des paons. Il n'existait d'ailleurs dans l'île entière de Cuba aucun animal malfaisant.
Cette extrême pauvreté des Antilles en mammifères fait le plus étrange contraste avec l'extrême richesse de l'archipel Indien.

À Guanahani, la plus grande des Lucayes, Christophe Colomb n'avait pareillement trouvé que des lézards d'une grandeur démesurée (des iguanas), des lapins de la grosseur d'un rat, et quantité de petits chiens muets et de perroquets (34).
La Trinité, que Colomb découvrit en 1498, abondait en daims. Quels que soient les animaux désignés par ce nom, ils auront franchi à la nage le détroit qui sépare l'île du continent, et qui est rempli d'îlots.
La Terre-de-Feu, à l'exception du loup-renard, n'a aucun des quadrupèdes de la Patagonie.

Vers le nord, la Terre-Neuve possède le caribou, l'ours, le lynx, le renard, le castor, en un mot tous les animaux du continent voisin. Ils y seront arrivés par ces immenses champs de glace qui, jusqu'en juin, s'étendent depuis les côtes à perte de vue.

Le Groenland compte parmi ses habitants, outre l'ours blanc qui est originaire des contrées polaires, et le chien sauvage, qui est exactement semblable à celui des Esquimaux du Labrador, le renne, le lièvre changeant, le renard arctique, et vers le sud le glouton, qui seront venus du Labrador ou de la baie d'Hudson par des îles de glace.

Le renard arctique a trouvé la même voiture pour se transporter du Groenland à l'Islande, et il a de même passé avec le renne au Spitzberg. C'est probablement du Labrador qu'ont été transportés dans le Spitzberg la belette commune et le renard rouge. La souris a manqué le Groenland, mais elle est arrivée en Islande, où elle a peuplé. La chauve-souris commune a été primitivement poussée, par la tempête, de la Norvège en Islande. Le glouton et le lièvre changeant n'ont jamais atteint plus loin que le Groenland. Tel paraît être, ajoute Pennaut, le progrès du passage des quadrupèdes dans la zone froide, aussi loin qu'on trouve des terres (35). La faune de ces îles boréales ne prouve donc point qu'elles aient eu, pendant l'époque quaternaire, une autre forme que leur forme actuelle.

Mais laissons ces îles boréales qui sont sans intérêt pour l'histoire, et mettons le pied sur le continent américain. Le Nouveau Monde comme l'Ancien a eu depuis le Déluge ses révolutions locales ; mais les peuples n'en ont point gardé le souvenir, et c'est à la géologie seule à nous les faire connaître. On dirait que tous les isthmes étaient déjà brisés, que tous les bas pays étaient émergés, que tous les volcans étaient en pleine activité lorsque l'homme s'est dispersé sur la surface des deux Amériques.

Quand les Peaux-Rouges nous disent que les mastodontes vivaient avec des hommes dont le nombre était égal au leur, et que l'Être suprême a fait périr les uns et les autres à coups de foudre, c'est au temps du Déluge qu'il faut rapporter cette destruction de l'humanité et des animaux par Dieu lui-même, et c'est en effet dans les terrains diluviens que se trouvent les os des mastodontes.

Toutefois il paraît que les peuples actuels ont été en guerre avec les animaux gigantesques qui auraient vécu dans l'époque quaternaire.
Nous avons cité plus haut ce que les Indiens des Appalaches racontaient du débordement du lac Théomi.
Ajoutons qu'on a trouvé dans les États-Unis des troncs d'arbres marqués de coups de hache, qui étaient enfouis à une grande profondeur. Des sculptures grossières ont été tracées sur des rochers qui sont aujourd'hui inaccessibles, tant près des rives du Mississippi à une assez grande distance au nord de son delta, que dans les forêts de la Guyane. Ici les indigènes racontent « que leurs ancêtres, du temps des grandes eaux, étaient parvenus en canot jusqu'à la cime de ces montagnes, et qu'alors les pierres se trouvaient encore dans un état tellement ramolli, que les hommes ont pu y tracer des traits avec leurs doigts (36). »

La géologie nous apprend qu'à l'époque tertiaire supérieure ou à l'époque quaternaire, les basses terres que traversent aujourd'hui le Rio de la Plata, le Maranon, l'Orénoque, le Mississippi, étaient des golfes plus ou moins profonds, dans lesquels se jetaient, comme autant de cours d'eau indépendants, plusieurs des affluents actuels de ces fleuves immenses.
D'après M. Agassiz, l'Amérique boréale même aurait été alors en majeure partie sous l'eau ; car dans les environs du lac Supérieur reposent sur le diluvium des dépôts stratifiés dont l'inclinaison contraste avec la sienne, et qui contiennent des coquilles identiques avec celles qui vivent de nos jours dans les mers du nord. L'émersion des terres s'est opérée en des temps différents, ainsi que le prouvent les terrasses voisines de ce lac, dont les hauteurs varient de quelques pieds à plusieurs centaines de pieds. Ce mouvement d'élévation n'a point même cessé dans l'époque actuelle, et l'on ne voit ainsi aucune possibilité de déterminer exactement la limite entre notre époque et la précédente ou la quaternaire (37).


Nous venons de recueillir les principaux matériaux de l'histoire de la terre pendant les mille ans de l'époque quaternaire. Il nous faudrait maintenant déterminer la date ou du moins l'ordre de succession de ces différents faits Mais la géologie ne nous est ici que de peu de secours, et si les traditions d'un même peuple respectent d'ordinaire en gros la chronologie, il est à peu près impossible de coordonner avec quelque peu de certitude celles de peuples différents. L'édifice que nous allons construire avec nos matériaux ne sera donc qu'une oeuvre d'attente. Nous le fonderons sur les dates précises que nous fournissent le Pentateuque et le Livre de Josué.

L'époque quaternaire se divise, nous semble-t-il, en deux parties : les temps ethnogoniques ou d'Abraham, et ceux de Moïse.

1° Les temps ethnogoniques sont ceux du déclin de la longévité humaine, de la formation des peuples et de leur dispersion, de la création des faunes et des flores locales, et d'un grand refroidissement de la température, qui a dérobé à la terre la vue du soleil et de la lune, couvert d'immenses glaciers les régions froides et tempérées, inondé de pluies torrentielles les pays du sud, aujourd'hui arides, enlevé aux orages leur force et soulevé de violentes tempêtes. Ces temps sont encore ceux où le feu souterrain, volcanique ou plutonique, a causé de grands ravages et des changements considérables sur la face de la terre. C'est alors qu'Abraham a vu la ruine de Sodorae, et cette ruine eut lieu pendant la même époque que la destruction des Adites, puisque Héber en a été le témoin ; que les catastrophes de la vallée de l'Oronte qui fait le pendant du Jourdain ; et que celles de la Cilicie et de la Lydie, puisqu'elles sont attribuées, comme les précédentes, au même Typhée.

C'est à ces mêmes temps que nous devons rapporter, en Afrique, la destruction, par le feu et l'eau, des forêts vitrifiées de l'Egypte, et la combustion du Djebel Achmar ; le soulèvement, en Nubie, des monts du Béhéda ; et la dernière transformation qu'a subi le cours du Nil ; - en Chine, le déluge d'Yao, c'est-à-dire l'écoulement des grands lacs de la Mongolie, et la formation de deux chaînes de montagnes dans les bassins du Hoang-ho et du Yang-tséKiang ; - la brèche faite au sud-est et au nord-est de l'Asie par l'Océan, qui franchit les digues que lui opposaient les Lieu-Kieu, Japon-Jesso et les Kouriles ; - le barattement de la mer des Indes et l'enfoncement de Java, ou la rupture des isthmes qui unissaient, soit les unes aux autres, soit au continent voisin, Ceylan et les îles de la Notasie.

Nous devons supposer que, tandis que les isthmes se brisaient aux limites orientales de l'Ancien Monde, ceux de l'occident faisaient place pareillement aux détroits actuels. En effet, le Bosphore de Thrace s'est formé au temps de Dardanus, qui est un des grands héros ethnogoniques des Pélasges, et les géographes grecs avaient mis en rapport cet événement avec la formation du détroit de Calpé et d'Abyla. Celui de Messine, ceux des golfes de Corinthe et d'Ambracia, ainsi que celui de Babel-Mandeb, datent sans doute de la même époque, et les Kymris avaient trouvé déjà l'Angleterre isolée de la France. Le nom de Deucalion fait remonter jusqu'aux premières origines des Hellènes l'écoulement du lac Thessalien. Peut-être ce dernier fait était-il en relation avec la fonte des glaciers du Pinde. L'histoire du lac de la Thessalie rend compte des lacs de la Thrace, d'Ancyre, de Cachemire, du Rhin-moyen et d'une infinité d'autres.

Enfin, c'est pendant l'époque d'Yao qu'a eu lieu la grande sécheresse post-diluvienne, que les Grecs expliquaient par le mythe de Phaëthon II, et les Ariens par celui de Féridoun-Trita (38).
Nos temps ethnogoniques correspondent en géologie à l'époque du soulèvement du Ténare, laquelle s'enrichira incontestablement d'une foule de petites révolutions locales.

Ces temps ont été séparés par quelques siècles de repos de ceux de Moïse, ainsi que l'enseignent tous ces mythes relatifs à la victoire que les dieux bienfaisants et sauveurs ont remporté sur Typhée et sur les Géants, sur Aegide, sur Cacus, sur Thrym, etc. (39).

2° Dans l'histoire juive, les phénomènes géologiques et physiques qui ont eu lieu à l'ordre de Moïse et de Josué, caractérisent très nettement l'époque pleine de perturbations qui clôt les temps paisibles des patriarches hébreux, et qui précède les temps des Juges, qui sont très pauvres en miracles. Or cette époque est précisément celle où la vie humaine cessait de décroître et prenait sa durée définitive.
On peut donc dire que les temps de Moïse et de Josué sont à la limite de la période post-diluvienne ou quartenaire et de la période actuelle. Arrivée à cette limite, la nature s'ébranle encore une fois violemment avant d'entrer dans son repos, et c'est dans ce moment d'agitation que l'Éternel confie pour la première fois à un homme, au Législateur des Hébreux, la puissance de commander en maître aux éléments.

Les seuls faits géologiques que nous puissions avec certitude rapporter à l'époque de Moïse, sont les révolutions volcaniques et les tremblements de terre qui ont bouleversé l'Italie et forcé ses peuples primitifs à émigrer (40).
Ce n'est que par conjecture que nous ajoutons l'émersion de Théra et d'Anaphé pendant l'expédition des Argonautes. D'après la chronologie reçue nous aurions dû placer ici le déluge thessalien de Deucalion ; ce qui aurait prolongé jusqu'au seizième siècle l'époque glaciaire.
Enfin, le ralentissement du mouvement de la terre à la parole de Josué peut avoir produit quelques-unes des révolutions locales que nous avions rapportées plus haut aux temps ethnogoniques.

Mais les révolutions locales que nous avons passées en revue n'ont pas eu toutes lieu dans l'époque quaternaire : plusieurs appartiennent déjà aux temps historiques, et il nous reste à examiner si la période actuelle n'a point eu, elle aussi, ses ères de repos et ses ères de bouleversements.


Table des matières


(1) Hoff, t. I, p. 163. Ruppel, Voyage en Abyssinie, t. I, p. 256 (en allem.). Hérodote, II, 102. - Histoire générale des voyages, t. I, p. 147. 171.

(2) Hoff, t. I, p. 163. Ruppel, t. I, p. 256. 267. 305 ; t. II, p 143.

(3) K. Ritter, Géographie, t. X.

(4) Peuple Primitif, t. II, p. 287.

(5) K. Ritter, Géographie, t. V, p. 496.

(6) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 284 sq.

(7) D'après Zimraermann, Prichard et Lesson.

(8) T. I, p. VI et VII.

(9) Voyage de l'Astrolabe, zoologie.

(10) Raffles, Histoire de Java, t. II, p. 65 (en anglais).

(11) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 288.

(12) D'Archiac, t. II, p. 234.

(13) Strabon (I, 3) prétend contre Eratosthènes que les Anciens, Bacchus, Hercule, Jason, Ulysse, Ménélas, Thésée, Pirithoüs, les Dioscures, Minos et les Phéniciens, Enée et Anténor, ont fait sur terre et sur mer de beaucoup plus grands voyages que les modernes.

(14) Kaempfer, Histoire du Japon, t. I, p. 198 et suiv. Krusenstern.

(15) Pour Formose, sur laquelle les renseignements se contredisent, voyez K. Ritter, Géographie, t. III. p. 872 (en allem.).

(16) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 539.

(17) Voyage, t. II, p. 39.

(18) Marcel de Serres, t. I, p. 186.

(19) Voyez, outre Hoff, Humboldt, Fragments de géologie et de climatologie asiatiques, t. I ; et Muller, les peuples Ungriens (der Ungrische Stamm).

(20) Malheureusement le niveau de la mer Caspienne n'est point déterminé d'une manière certaine. D'après d'autres mesures que vient d'adopter M. G. de Schubert dans son Histoire de la nature, t. I, p. 295, le niveau du Pont-Euxin est de trois cents pieds, et celui du lac Aral de cent dix-sept plus élevé que celui de cette mer intérieure. Les sources du Manitsch seraient à sept cent cinquante pieds au-dessus de cette dernière, et à quatre cent vingt six au-dessus de la mer Noire. P. 594.

(21) Hoff, t. III, p. 272. M. de Paravey m'écrivait en 1841 : « Mes recherches dans les livres chinois m'ont amené à voir et à démontrer qu'autrefois la mer Glaciale était libre de glaces et avançait de 7 à 8°, ou 200 lieues plus au sud que maintenant.
Macrobe dit cette mer navigable, et avant lui on y a fait passer les Argonautes. Mais les Chinois citent à 62° des mesures de gnomon faites sur ses bords, et ils décrivent en 581 un peuple nommé Katoumey, montant de grands navires, étant fort hauts de taille, très agiles et à habits courts, et piratant sur ses bords. Ils donnent aussi à cette époque le Kamtschatka comme très peuplé, et Dobell y a vu naguère des levées et digues en pierre, dues à un ancien peuple civilisé.
L'eau douce se gèle infiniment plus vite que l'eau de mer. Les fleuves de Sibérie ont porté depuis 1200 ans leurs eaux douces à 200 lieues plus loin au nord, et par suite ont glacé et cette mer et tous les marais qu'ils ont formés sur ses bords. Ainsi la navigation a dû cesser dans ces parages ; mais autrefois elle avait lieu, et les livres chinois le démontrent.

(22) Outre lloff, voyez Dalin, Histoire de Suède, t. I, p. 12 de la traduction allemande ; Klee, État primitif de la terre (en allem.), p. 154 ; Bulletin de la Société de géographie, 1842, t. II, p. 447.

(23) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 529. 286.

(24) Diefenbach, Celtica, t. III, p. 77 (en allem.). Pomp. Mela, 3,6.

(25) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 180.530.

(26) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 284.

(27) Rusegger, t. I, p. 443.

(28) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 285.

(29) D'Archiac, t. II, p. 295.

(30) Hoff ; vers 1500 ; t. IV, p. 134. Vers 1350, selon Champollion. Figeac, Traité de chronologie, p. 263.

(31) Voyez Peuple Primitif, t. II, p. 285.

(32) Hercule, ajoute Hoff, semble ainsi être l'inventeur des puits artésiens. »
(33) Saint-Domingue, Hist. génér. des Voyages, XII, 227. Zimmermann place dans cette île la sarigue, dont les premiers voyageurs ne font aucune mention. - Cuba, Hist. génér. des Voyages, XII, 17. Irwing, Vie de Christophe Colomb, II, p. 105, 127. 140.

(34) Hist. génér. des Voyages, t. XII, p. 14-16.

(35) Le Nord du Globe, trad. franç, II, 246.

(36) Humboldt, Vues des Cordillères, t. I, p. 184.

(37) Bibl. Univ. de Genève, Archives des sciences physiques, t. XVI.

(38) Peuple Primitif, t. II, p. 290.

(39) Peuple Primitif, t. II, p. 289.

(40) Comparez Ischia et son volcan expulsant deux fois ses habitants ; les Cananéens chassés de la mer Érythrée, et les Daouriens des bords du lac Baïkal, par de violents tremblements de terre : les habitants d'une des Moluques qui semblait près d'être détruite par des éruptions volcaniques, s'enfuyant à Banda en 1693. Hoff, t. II, p. 429. 447, K. Ritter, t. III, p. 84.

 

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