HISTOIRE DE
LA TERRE
II. RÉVOLUTIONS LOCALES.
(Suite)
Une tradition plus ancienne dit que la mer Rouge
était, en partie du moins, une terre ferme
fort peuplée, lorsqu'un roi d'Yémen,
pour mettre ses états en communication avec
l'Océan, fit ouvrir un canal au travers de
là montagne qui fermait son pays ; mais
la mer fit irruption par cette ouverture, inonda la
contrée, engloutit les villes et les peuples
et forma le golfe actuel de la mer Rouge.
D'après un passage obscur d'Hérodote,
Sésostris aurait trouvé au
delà du golfe Arabique, dans la mer
Érythrée, des bas-fonds qui
l'auraient contraint à rebrousser avec sa
flotte, et qui ne peuvent être que
ceux du détroit, qui,
à cette époque, aurait
été ouvert, mais non encore
praticable. En 1541, Castro disait que
« ce détroit a six lieues de
large, et que les petites îles et les rocs
dont il est rempli, sont en si grand nombre qu'on
est porté à croire que ce passage
était autrefois bouché ; ces
îles ont tant de baies et de ports, tant
d'enfoncements et de recoins où l'eau entre
avec tant d'abondance, qu'en les traversant on
s'imagine naviguer dans la plus dangereuse partie
de l'Océan. » Le nom arabe du
détroit signifie Porte des pleurs ;
on le croyait si dangereux qu'en le passant on
se couvrait d'habits de deuil
(1).
Le géologue trouve sur place la tradition
d'un isthme rompu très vraisemblable nous
dit Ruppel, et la révolution s'explique
facilement par les forces volcaniques qui agitent
toute la région avoisinante. Les
tremblements de terre sont fréquents en
Abyssinie, tant sur le plateau que dans les
îles Dahalak. Entre ces îles et Loheja
est celle de Teir ou Tarr avec un volcan
actif ; partout d'anciens cratères
s'observent à l'est et à l'ouest du
Saraen, dans le Tigré et dans le royaume de
Gondar, ainsi que vers le nord, dans le Kulla.
L'ancienne ville commerçante d'Aduli, qui
était un port de mer, est maintenant, sous
le nom de Zulla, à plus d'une lieue de la
côte, par l'effet d'un soulèvement du
sol. Entre Zulla et Arkiko est une colline conique
avec lave trachytique. D'autres coulées de
lave s'observent entre Massowa et Eylah. Dans la
baie d'Amphila, des îles de coraux se
trouvent à 20 et même à 30
pieds au-dessus de la ligne de la haute
marée. En Arabie, le sol près d'Aden
est volcanique
(2).
Au reste, l'action des forces volcaniques sur les
côtes de la mer Rouge
s'étend, au moins en Arabie, du sud au nord,
jusqu'à la presqu'île du Sinaï.
Le Téhama ou la plaine basse
s'élargit et la mer se retire avec une telle
rapidité qu'il nous paraît impossible
d'expliquer ce phénomène par les
alluvions de quelques torrents et par les coraux,
et que nous recourrions plutôt à
l'hypothèse d'un soulèvement de
la côte entière pareil à
celui de la Scandinavie et du Chili.
Les indigènes, d'après leur propre
témoignage, sont contraints de transporter
tous les vingt ans leurs cabanes de pêcheurs
pour les rapprocher de la mer ; et tout ce
rivage est couvert de ruines d'anciennes villes
maritimes dont les ports se sont comblés, et
qui se trouvent à trois, à six milles
allemands de la côte.
Depuis le cap qui forme l'extrémité
de la péninsule du Sinaï jusqu'à
Wuschk et au 26° latitude nord, la côte
est formée de bancs de coraux qui sont
soulevés à une hauteur constante de
30 à 40 pieds au-dessus de la mer ; du
26° vers le sud, leur élévation
n'est que de 12 à 15 pieds. Ces coraux,
ainsi que les coquilles attachées à
ces rochers, sont identiques avec les
espèces qui vivent actuellement dans la mer
Rouge.
En Arabie, sur le plateau, la vaste contrée
d'El-Ahkaf, qui est au sud-est, était
originairement une terre fertile, qu'habitaient les
Adites, et qui fut transformée en un affreux
désert du vivant de Houd ou Héber. Ce
patriarche n'est mort que longtemps après la
naissance d'Abraham, et le désert d'El-Ahkaf
date ainsi du même temps que celui de
Sodome.
Dans le golfe Persique, la côte orientale
s'accroît rapidement comme celle de la mer
Rouge, et dans l'époque quaternaire les
terres basses à travers lesquelles
l'Euphrate et le Tigre se jettent dans la mer,
n'avaient point leur forme actuelle. Ces deux
fleuves ont changé leur cours dans les temps
historiques, et le premier avait
probablement son embouchure dans les marais des
Chaldéens, qui sont situés entre les
ruines de Babylone et le confluent du Tigre, et
où l'Euphrate se divise en tant de bras
qu'il semble prêt à terminer là
son cours
(3).
De la Babylonie, nous monterons sur le plateau de
l'Iran ; mais là nulle tradition, nul
fait géologique n'arrête nos pas, et
nous passerons ainsi en Inde.
Les Indiens nous offrent le mythe si
précieux de la seconde incarnation de
Vichnou, qui, après avoir sauvé des
eaux du Déluge Manou et les Richis
enfermés dans l'arche, soutient au-dessus de
l'Océan la terre qui s'enfonçait, au
temps où les bons et les méchants
sentaient avec effroi leurs forces vitales
décliner et s'évanouir
(4).
On ne pouvait, ce me semble, résumer d'une
manière plus frappante que par ce mythe du
barattement de la mer l'époque
post-diluvienne et quaternaire, pendant laquelle,
d'après la Bible, la vie de l'homme
s'abrégea de huit siècles, et
d'après la géologie, un grand nombre
de basses plaines et de côtes se sont
affaissées au-dessous du niveau des mers. Ce
mythe est tout particulièrement vrai du
sud-est de l'Asie, où nous allons trouver
une foule d'isthmes brisés et de terres
englouties à cette même époque
post-diluvienne. Mais l'Inde nous retient quelques
moments encore dans ses vastes limites.
Vichnou, dans sa sixième incarnation, a,
sous la forme de Parasou-Rama, créé
le Kérala, ou fait sortir de la mer la
côte de Malabar, du cap Comorin à
Mangalore, pour la donner aux Brahmines, et elle
aurait été infestée de
serpents jusqu'au moment où l'on se serait
mis à leur rendre un culte divin. Mais cette
création pourrait bien n'être qu'une
découverte et une conquête. Toutefois
une autre tradition, qui n'a
rien de mythologique, et qui donne quelque
crédit à la première, raconte
que la côte orientale du Décan a
été en grande partie soulevée
du fond de la mer, et que les eaux de
l'Océan avaient été
refoulées vers l'Est avec une telle
violence, qu'elles avaient englouti une grande
partie des basses terres de la primitive
Ceylan.
Après Rama vivaient les Pandawans, qui se
retirèrent vers les monts Vindhyas pour y
faire une de ces longues et redoutables
pénitences qui ébranlent l'univers
entier. « La toute-puissance de
leur dévotion pénétra pendant
très longtemps de chaleur ces montagnes, qui
émirent de la fumée ;
c'était chose merveilleuse à
voir »
(5)
Y a-t-il là le souvenir de
phénomènes volcaniques
extraordinaires qui auraient eu lieu au
commencement des temps historiques
(6) ?
D'après la tradition des Brahmines, la
vallée de Cachemire était
primitivement un lac, qui se serait vidé au
temps de Casyapa, l'aïeul du genre
humain ; et certainement les chaînes de
l'Himalaya ont recelé longtemps bien
d'autres bassins d'eau douce.
La péninsule de Guzérate était
une île, que les alluvions du Padder auront
reliée à la terre ferme en comblant
la partie intérieure du golfe de
Goutsch.
Le delta actuel du Gange et du Bourampoutre, qui
l'ait une saillie de soixante-quinze lieues dans la
mer, n'existait pas encore ; c'était au
contraire un golfe, qui s'est insensiblement
comblé, et l'on suit pour ainsi dire
d'année en année les
empiétements progressifs des alluvions sur
l'eau salée.
L'île de Ceylan a fait certainement partie du
continent voisin. Privée
de toute espèce de mammifère qui lui
serait propre, elle possède toutes celles de
la terre ferme, entre autres
l'éléphant par milliers, le
rhinocéros, le lion, le tigre, le
léopard, le chacal, l'ours, le
porc-épic, le cerf, l'antilope, le
pangolin.
L'isthme par lequel ces animaux auront passé
du Décan dans l'île actuelle, c'est le
pont que, dans sa septième incarnation,
Vichnou-Rama a construit au travers du
détroit, et dont les débris rendent
aujourd'hui encore le passage à peu
près impraticable aux vaisseaux. Les actes
de la pagode de Ramisséram semblent
même indiquer qu'au quinzième
siècle de notre ère, les
pèlerins allaient à pied du
Décan à Ceylan. Cependant on sait
qu'une flotte hollandaise a fait voile par ce
détroit pour échapper aux Danois qui
la poursuivaient.
D'ailleurs, d'après la tradition, Ceylan
aurait formé une île immense qui
aurait touché vers l'ouest aux Maldives, et
se serait étendue au loin vers le sud dans
l'océan Indien. Ce serait sous l'influence
d'antiques souvenirs que les écrivains grecs
et romains auraient fait de Taprobane le
commencement d'un monde nouveau. Au moins est-il
fort probable que l'île n'a pris ses formes
actuelles que dans le quatrième
siècle avant J.-C. D'après les
annales indigènes, le bouddhisme venait de
s'établir dans l'île, vers l'an 322,
et il avait déjà couvert l'île
de ses temples lorsque des étrangers, des
Malabars, arrivant de la côte opposée,
dévastèrent cette terre paisible et
prospère, et les crimes de leurs rois
attirèrent la colère des dieux, qui
résolurent de les engloutir avec l'île
dans les flots de l'Océan :
déjà neuf îles voisines, avec
leurs milliers de villages et de jardins,
s'étaient abîmées ; mais
le roi impie livra sa fille à la mort comme
une victime d'expiation, et l'île actuelle
fut épargnée.
L'archipel Indien, d'après les
témoignages concordants de l'ethnographie,
de la tradition et de la zoologie, a formé
une terre continue, qui était
séparée, comme aujourd'hui, de
l'Australie par un large bras de mer, et unie par
des isthmes à l'Indo-Chine.
Trois fois plus étendue que Madagascar, la
Notasie, ainsi que la grande île africaine, a
sa faune et sa flore particulières ;
mais on y trouve en même temps les
mammifères de l'Asie
(7).
Et d'abord, l'éléphant et le tigre
des Indes habitent aujourd'hui Sumatra et
Bornéo, et ils existent aussi à Java.
On prétend avoir vu le premier aux
îles Soulou et aux Philippines, qui ne
possèdent certainement pas le second. Tous
les deux sont inconnus à
Célèbes, dans les Moluques et dans
les petites îles de la Sonde. Ne peut-on pas,
semble-t-il, fixer la distance à laquelle
ils étaient parvenus dans leurs migrations
vers l'orient, quand les isthmes se sont
brisés sous leurs pas et que la terre ferme
s'est transformée en un archipel ?
D'autres espèces qui, par leurs formes
étranges, semblent indigènes de la
Notasie, se retrouvent sur le continent. Ainsi le
tapir, ainsi l'ours malais (dont au reste on ne
connaît pas avec certitude les limites vers
l'est) : ils vivent aujourd'hui à
Sumatra, à Java et à Bornéo,
ainsi que dans la presqu'île de
Malacca ; mais Célèbes, les
Philippines et toutes les îles du sud-est ne
les possèdent pas. Ainsi encore, le
chevrotain mémina, qu'on ne connaît
hors de l'archipel Indien que dans l'île de
Ceylan et sur le plateau de Mysore.
Le gibbon aux longs bras et l'ourang-outang
habitent l'Indo-Chine, Malacca, Bornéo et
Sumatra, et le dernier en outre
Célèbes, où il est si
malfaisant et si nombreux qu'il
deviendrait le maître du pays si
d'énormes boas et d'autres serpents ne lui
faisaient pas une guerre continuelle.
Il y a ensuite certaines espèces de
mammifères qui sont propres à une
seule île ; tels le redoutable pongo de
l'île de Bornéo, qui d'ailleurs
à elle seule est presque aussi grande que
Madagascar ; le rhinocéros unicorne de
Java, celui de Sumatra qui est bicorne, etc.
D'autres espèces propres à l'archipel
et communes à plusieurs îles ont pris
ici une couleur plus claire ou plus foncée,
là une taille plus grande, ailleurs des
membres plus gros et plus lourds, une queue plus
longue, des poils moins longs. On dirait au premier
abord autant d'espèces distinctes ; ce
sont cependant de simples
variétés ; mais elles prouvent
avec quelle force certaines contrées tendent
à marquer de leur caractère
individuel les êtres organiques qui y
demeurent.
Enfin, Java, Timor, les Moluques, et à
l'ouest de la Nouvelle-Guinée, les
îles Arrou ont des espèces de
kangourous et de phalangers qui sont
étrangers au reste de l'archipel Indien et
qui annoncent la faune australienne. Sur les
Moluques en particulier vit le casoar à
casque ; la Nouvelle-Hollande en a sans
casque, et ces oiseaux, qui sont condamnés
à marcher, sont liés au sol qui les a
produits. Les animaux propres aux îles du
sud-est n'auront pas eu le temps, avant la rupture
des isthmes, de peupler les terres du
nord-ouest.
Tous ces faits sont sans doute fort
compliqués. Mais l'hypothèse qui les
explique le mieux n'est-elle pas celle de nombreux
isthmes qui se seraient brisés avant que les
mammifères propres aux diverses
contrées de cette terre maritime se fussent
dispersés partout en assez grand nombre pour
échapper aux nombreuses causes de
destruction ? La chaîne continue des
montagnes de la Sonde aurait
formé, à l'ouest et au sud, le bord
de cette vaste péninsule triangulaire ;
les Moluques et les Philippines seraient les
débris du bord oriental ; Bornéo
aurait été adjacent d'un
côté à Java ou à
Sumatra, de l'autre, par les Soulou, aux
Philippines, et Célèbes aurait tenu
à Bornéo et aux Moluques.
L'ethnographie de la Notasie a conduit à
cette même hypothèse d'un continent
à demi détruit, plusieurs savants,
entre autres M. G. de Humboldt, dans son grand et
bel ouvrage sur la langue cawi
(8). En effet,
entre les tribus noires de l'Inde qui habitent soit
les monts Goands à l'angle nord-est du
Décan, soit quelques vallées
écartées de l'Himalaya, et les
Nègres australiens de la
Nouvelle-Guinée ou de la Nouvelle-Hollande,
se trouvent des peuplades noires, les
Négritos, qui sont éparses dans les
îles Andaman, dans l'intérieur de la
presqu'île de Malacca sous le nom de
Sémang, aux Philippines sous celui
d'Iglotes, à Timor, et sans doute aussi dans
les contrées les plus reculées de
Bornéo et de Sumatra.
Ces Négritos, ayant été
partout refoulés par les Malais dans les
montagnes de l'intérieur, sont
évidemment les plus anciens habitants de la
Notasie, et comme ils sont de vrais sauvages et que
leurs frères de l'Australie, dans leurs
pirogues, ne perdent jamais la côte de vue
(9), il semble
plus naturel d'admettre des isthmes qui se seraient
rompus postérieurement à
l'établissement des Négritos dans
leurs demeures actuelles, qu'une civilisation
très ancienne qui leur aurait appris
à franchir de larges détroits.
Au reste, pourquoi tenter la voie incertaine des
hypothèses, quand on possède des
faits certains et des traditions
vraisemblables ?
#8
On sait que Bali s'est détaché de
Java l'an 1204 de notre ère, que Sélo
Parang a fait partie de Sumbawa jusqu'en 1280, et
Giling Trayangan jusqu'en 1260.
Puis, d'après la chronologie javanaise, Java
et Sumatra n'auraient été
séparées l'une de l'autre, et le
détroit de la Sonde ne se serait
formé que dans le premier siècle
avant l'ère chrétienne.
Enfin, les Javanais, le seul peuple malais qui ait
une littérature quelque peu complète,
racontent que des colonies égyptiennes
seraient arrivées dans leur île
à une époque où celle-ci
tenait encore à Sumatra et tout l'archipel
au continent, et que Vichnou a régné
à Java quand elle n'avait aucun habitant
(10).
Mais leur mythe le plus remarquable est celui du
dieu Gourou, qui, voyant que Java était mal
équilibrée, fit transporter de
l'occident vers l'orient une montagne qui
était trop lourde, et forma le volcan Ramadi
(11). Ceci se
passait au temps où fut découverte la
boisson d'immortalité, qu'on a obtenue en
Inde en barattant la mer, c'est-à-dire au
temps des Noachides, après le Déluge,
dans l'époque quaternaire. Or, n'est-il pas
étrange que la géologie ait
constaté que les monts volcaniques de Java
et des autres îles de la Sonde jusqu'à
Timor, n'ont acquis leur hauteur présente
que postérieurement au diluvium et lorsque
la faune actuelle existait
déjà ?
Ils ont soulevé sur leurs pentes
opposées une vaste formation tertiaire peu
anciennes (12).
Mais ces terrains tertiaires ne
sont-ils pas les collines qui, dans le mythe, se
sont formées des fragments que les dieux
laissaient tomber de dessus leurs épaules en
transportant vers l'orient la montagne ?
La Nouvelle-Hollande, qui a sa faune et sa flore
distinctes, a été le
théâtre, après le
Déluge, d'une
création
particulière, et l'on ne peut supposer
qu'elle ait été attenante à la
Notasie, puisqu'elle n'en possède pas les
quadrupèdes et qu'elle ne lui a pas non plus
donné les siens. Mais d'où lui vient
sa population nègre, qui n'est qu'une
variété de la grande race des Noirs
australiens ?
Pour expliquer la dispersion des Négritos
dans toutes les îles de la Notasie, nous
avions d'anciens isthmes qui étaient devenus
plus tard des détroits. Ici les ponts nous
manquent. Nous ne pouvons pas faire des Australiens
une race aborigène : l'ethnographie et
la linguistique s'y opposent. Il faut donc admettre
que, enfants dégénérés
d'une antique race qui leur était
supérieure en civilisation, ils sont
arrivés de la Notasie sur leur continent
grâce à des connaissances nautiques
dont ils auraient plus tard perdu jusqu'au
souvenir, ou, plutôt, que les accidents de la
navigation, les courants, les tempêtes ont
jeté leurs ancêtres des îles de
la Sonde ou de la Nouvelle-Guinée sur les
rives septentrionales de l'Australie.
Van-Diémen a la même faune que la
Nouvelle-Hollande. Le détroit de Bass est
donc postérieur à la création
de cette faune et à la dispersion de ses
espèces.
Fait étrange ! les Moluques,
malgré leur petitesse, possèdent des
mammifères qui leur sont propres, et
à peu de distance, la plus grande des
îles de la terre, la Nouvelle-Guinée,
qui se distingue par la magnificence de sa
végétation et par la beauté de
ses oiseaux, paraît ne pas compter plus de
trois ou quatre espèces indigènes
d'animaux terrestres. Le cochon, le chien, le rat y
seront arrivés avec l'homme ; le
sanglier peut avoir traversé les
détroits à la nage, et la
chauve-souris au vol.
Reste le phalanger blanc, lequel se retrouve avec
des serpents dans la Nouvelle-Irlande ; la
salamandre et la grenouille, dont on a
constaté aussi la présence dans la
Nouvelle-Géorgie.
Ces différents archipels, qui sont
formés, ainsi que la Nouvelle-Bretagne et
les îles Santa-Cruz, de roches primitives,
ont constitué, d'après M. Lesson, une
terre unique, longue, étroite et
recourbée, qui avait pour centre physique la
Nouvelle-Guinée au nord, et qui se terminait
au sud par la Nouvelle-Zélande.
Cette dernière île, lors de sa
découverte, possédait des chiens, des
rats et point de cochons ; des chauve-souris,
quelques serpents, des lézards et beaucoup
d'oiseaux.
Quant à la Nouvelle-Calédonie, on n'y
connaît jusqu'ici aucun autre
quadrupède que des cochons et des chiens,
qui y ont été importés depuis
Cook : cette île aura donc
été dès l'origine
isolée de tout autre terre, même des
Nouvelles-Hébrides.
Les nombreux archipels de l'Océan Pacifique
n'ont pas plus produit d'animaux
vertébrés que les Seychelles et
autres petites îles qui sont comme perdues
dans l'océan Indien, et les quelques
mammifères qu'ils possèdent
aujourd'hui, y sont arrivés des îles
australiennes, ou y ont été
apportés par l'homme. Les îles
Sandwich, lors de leur découverte par les
Européens, avaient des cochons, des chiens,
des rats, vingt espèces d'oiseaux de terre
ou de mer, deux espèces de lézards et
point de serpent. Le chien existait dans tous les
archipels. Le cochon manquait aux Carolines et aux
Mariannes, qui avaient été
habitées par une race jaune distincte des
Malais. Quelques grandes chauves-souris frugivores
s'étaient avancées vers l'ouest
jusqu'à Oualan et Ticopia dans les
Carolines, et même jusqu'à
Tonga ; d'autres vespertilions de petite
taille étaient parvenus jusqu'aux Sandwich
et aux îles de la
Société ; ils étaient,
avec une espèce du genre mulot, les seuls
mammifères sauvages de ce dernier archipel
et de celui des Amis. Sur toutes les îles
vivent des geckos et des scinques ; nulle part
des batraciens. Le cerf des
Mariannes a été probablement
importé d'Amérique par les
Espagnols.
C'est l'extrême pauvreté de la faune
polynésienne qui, au chapitre du
Déluge, ne nous a pas permis d'admettre que
ses innombrables îles soient les
débris d'un continent immense qui aurait
été submergé (comme a dû
l'être la Notasie) postérieurement au
grand cataclysme et pendant la période
quaternaire. Mais ici s'offre de nouveau à
nous l'énigme du peuplement.
Les Malais, qui occupent aujourd'hui ces
îles, ont trouvé dans la plupart des
archipels, et même, d'après Forster,
dans celui d'O-Tahiti, des peuplades de
Nègres auxquels ils se sont plus ou moins
mêlés.
M. Lafond a été en particulier
très frappé de la ressemblance des
chefs des Sandwich avec les Fidgiens à demi
noirs. Si nous ne savions tout à l'heure par
quelle voie faire arriver de Notasie les
Nègres australiens, qui en sont cependant si
rapprochés, comment rendrons-nous compte de
la dispersion des Nègres polynésiens
sur ces archipels qu'isole les uns des autres un
océan immense ? Ici l'aborigénat
serait absurde : de petites îles, qui
n'auraient pas pu produire un seul
mammifère, ne peuvent avoir donné
spontanément naissance à l'homme.
L'hypothèse des courants, des tempêtes
emportant au loin de fragiles canots, suffit-elle
encore quand les distances d'une côte
à l'autre sont de plusieurs semaines de
navigation, et qu'il s'agit d'expliquer la
présence d'une même race de sauvages
dans un très grand nombre de terres ?
Doit-on admettre une civilisation assez
développée des Nègres
primitifs qui auraient fait des voyages de long
cours
(13) ?
Faut-il avoir recours à la
submersion d'îles
intermédiaires qui auraient servi de
stations aux canots de tribus barbares entre les
archipels actuels ?
Si des îles Sandwich nous revenons vers
l'Asie, nous voyons sur la côte orientale de
ce continent des guirlandes d'îles qui
semblent les débris d'un ancien rivage, et
qui séparent de l'immense Océan des
méditerranées dont les eaux sont peu
profondes. Ces îles, à en juger par
leurs quadrupèdes, ont toutes
été attenantes à l'Asie.
Dans l'archipel du Japon, qui a d'ailleurs sa faune
spéciale, se trouvent des ours, des renards,
des belettes, des daims, des sangliers, des singes,
que ces îles possèdent en commun avec
le continent voisin
(14).
Les Lieu-Kieu, où ne vivent plus aujourd'hui
que les animaux domestiques de la Chine, qui y sont
de plus petite taille, ont été
autrefois peuplées, au dire de Klaproth,
d'ours, de loups et de chacals.
Formose et Haïnan nous offrent pareillement,
en témoignage de leur ancienne union au
continent, des singes, le rhinocéros, le
tigre, le léopard, le loup, le pangolin
(15).
La seule tradition à nous connue, qui vient
à l'appui de notre conjecture, est celle de
Kong-Kong « qui, dans sa colère,
donna un coup de corne si violent contre le mont
Pou-tchéou, que les liens de la terre en
furent brisés et qu'elle reçut une
brèche au sud-est. » Nous
pourrions citer aussi les mythes de Peiroun, roi de
Maurigasima. Cette île, qui était
située près de Formose, était
d'une fertilité extraordinaire, et
produisait en outre une terre grasse, admirablement
propre pour faire des vases de porcelaine. Ses
habitants étaient arrivés par leur
commerce à un tel degré de corruption
que les dieux abîmèrent cette terre
entière dans les flots, et ne
sauvèrent que son pieux roi, qui, averti
miraculeusement, s'embarqua sur
un vaisseau avec sa famille et avec tous ceux qui
voulurent le suivre. Ce qui semble garantir la
vérité de ce récit, qui
rappelle à la fois le déluge de
Noé et l'Atlantide de Platon
(16), c'est que
des plongeurs retirent du fond des eaux où
cette île a disparu, des vases de porcelaine,
qui sont fort recherchés au Japon. Le Japon,
où Kaempfer a recueilli ces renseignements,
est bien éloigné de Formose, et l'on
aimerait à voir son témoignage
confirmé sur place par celui des habitants
de cette dernière île ou des Chinois
du Fokien.
D'après Krusenstern (17),
Jesso et le Japon auraient
formé jadis une seule île, vu le peu
de largeur du détroit, l'escarpement des
côtes, le nombre égal des caps de
chaque côté, la direction uniforme des
montagnes neigées et la proximité du
volcan de Tilésius.
Les Chinois ont deux déluges : celui de
Kong-Kong ou de Noé, et celui d'Yao. Le
premier est une ruine de la terre et des cieux, et
c'est la déesse Niu-va, la Neith victorieuse
de l'Egypte, qui répare les
brèches du monde et rend de
nouvelles forces à la nature. Cependant,
sous Yao, la Chine est recouverte encore par les
eaux ; mais c'est une simple inondation dont
l'homme triomphe par son industrie, et non un
bouleversement de la nature entière auquel
la Divinité seule peut porter
remède.
Peut-être la géologie de
l'époque quaternaire nous donnera-t-elle
l'explication de ce déluge d'Yao. Le
Hoang-ho et l'Yang-tsé-Kiang, après
le diluvium, ne coulaient point dans leur lit
actuel, et ils travaillaient, comme tous les autres
grands fleuves de la terre, à combler les
golfes de leurs embouchures et à les
transformer en deltas. Sur les hauts plateaux de la
Mongolie, ce qui est aujourd'hui
le grand désert sablonneux du Coby,
était un immense bassin d'eau salée.
Un lac semblable existait aux environs du
Ko-ko-noor. Quelque convulsion locale aura
brisé les digues naturelles qui contenaient
vers l'orient les eaux de ces mers
intérieures. La première de ces mers
a dû se verser sur la Basse-Chine par un
affluent du Hoang-ho, et la seconde, par la gorge
de Tsy-chy. Le sol qu'elles occupaient est
aujourd'hui couvert de coquilles. C'est à ce
même temps que nous rapporterons le
soulèvement de deux grandes chaînes de
montagnes, dont l'une a rejeté le Hoang-ho
au sud, vers le Chen-si, et l'autre barré le
cours de l'Yang-tsé-kiang, qui a
formé de nombreux lacs et marais dans la
Chine centrale
(18).
Si nous poursuivons notre route à l'ouest et
que nous descendions par la Songarie vers le
Turkestan, nous serons arrêté par une
mer immense, qui communiquait par deux
détroits, vers le nord avec l'océan
Boréal, vers l'ouest avec le Pont-Euxin
(19).
Cette mer, dont le lac Caspien et le lac Aral sont
les derniers restes, s'étendait au nord-est
jusqu'à l'extrémité
occidentale des hauteurs de l'Ulu-tau, qui
séparent les eaux du Sarasou et du Sihon, de
celles de l'Irtisch et de l'Oby.
Cet Ulu-tau, qui part de l'Altaï, forme de
l'est à l'ouest, sur une étendue de
deux cent soixante-cinq lieues, une série de
collines isolées dont
l'élévation relative n'est que de
cinq à six cents pieds. On dirait l'informe
ébauche d'une grande chaîne de
montagnes, qui aurait été le
prolongement de l'Altaï vers l'ouest, mais qui
ne devait pas atteindre à l'Oural. Du
côté de l'est, le pays est trop mal
connu pour qu'on puisse
déterminer l'ancien
rivage, et les points où le Sihon et le
Gihon avaient alors leurs embouchures. Les monts du
Khorasan et le Démavend marquent les limites
méridionales de cette
Méditerranée asiatique. Elle formait
sans doute au sud du Caucase, dans l'Albanie, un
golfe profond. Au nord-ouest, on en suit
aisément tous les bords : ce sont ces
hautes terres qui partent de l'Oural sous le nom
d'Obtschey-Sirt, et qui aboutissent, en s'abaissant
et se brisant, aux sources du Manitsch. De nos
jours coule à leur pied le Wolga du nord au
sud, puis la Sarpa du sud au nord. À
l'époque diluvienne, le Wolga se jetait dans
la mer soit à Volsk, soit à
Kamyschin, et le Jaïk à Ouralsk.
À l'est du Jaïk et sur la ligne de
l'Oural, la Méditerranée asiatique
était semée d'îles peu
élevées. L'une des plus
considérables était sans contredit le
Mugosar-tau, qui se prolonge au loin vers le sud,
entre le lac Aral et le lac Caspien.
Aujourd'hui, la mer Caspienne est d'environ
quatre-vingts pieds plus basse que l'Océan
(20), et la
steppe d'Astrakhan, qu'elle a laissée
à sec, entre le Wolga et le Jaïk, n'est
en moyenne qu'à cinquante pieds au-dessus de
ce lac. Les anciens rivages, qui sont parfaitement
visibles, attestent que le niveau de la
Méditerranée asiatique était
de quatre-vingts pieds au moins plus haut que
l'Océan.
La communication entre la mer intérieure et
l'Océan Boréal était la terre
basse qui s'étend de
l'extrémité
occidentale de l'Ulu-tau au pied
de l'Oural, et où sont le Kum-Koul, ou
lac des sables, et le Balek-Koul. C'est
là l'ancien détroit, dont
parle Strabon. qui unissait la mer Caspienne
à l'océan Boréal, et dont la
longueur était de quinze cents stades (soit
la largeur de l'isthme de Suez). Depuis ces lacs,
on suit aujourd'hui, vers le sud, la
dépression du sol, par l'Aksa-Koul,
où se jette le Tourga, jusqu'au lac Aral,
qui forme précisément à son
angle nord-est un golfe long et étroit. Du
côté opposé, vers le nord,
l'ancien lit de l'océan Boréal se
reconnaît dans les steppes des Barabinzes,
où les lacs sont fort nombreux, et on le
poursuit, dans la direction d'Omsk, de Sourgout et
de Bérésow, jusqu'à
l'embouchure de l'Obi.
L'autre détroit, celui qui unissait la
Méditerranée d'Asie au Pont-Euxin,
était bordé au nord par
l'extrémité du plateau de la Sarpa,
et au sud par une haute terre qui se rattache au
Caucase, et d'où descend la Kouma. Cette
rivière, ainsi que le Térek, versait
alors directement ses eaux dans ce bras de mer,
dont la direction est indiquée aujourd'hui
par la vallée du Manitsch. Le point le plus
élevé, aux sources de cette
dernière rivière, n'est qu'à
soixante-quinze pieds au-dessus de la mer
d'Azow.
Nous venons de voir que le niveau de l'antique
Caspienne était d'environ quatre-vingts
pieds plus élevé que celui des
océans. Or d'autres naturalistes ont
été conduits, par l'étude des
rivages du Pont-Euxin, à admettre que cette
mer s'était abaissée de
soixante-quinze à quatre-vingt-dix pieds.
Ces deux résultats d'observations
indépendantes s'accordent d'une
manière fort remarquable, et nous sommes
donc bien en droit d'admettre que la mer Noire et
le lac Caspien ont communiqué autrefois
par-dessus les hauteurs du Manitsch, qui
n'étaient recouvertes que de quelques pieds
d'eau.
Ces deux mers étaient unies, mais par un
simple détroit. La mer
Caspienne ne se confondait point avec le
Pont-Euxin. Elle avait ses limites propres, son
bassin, et ses eaux s'écoulaient par le nord
dans l'Océan Boréal. Les Chinois
parlent d'un grand lac salé qui existait
dans l'intérieur de la Sibérie, et
qu'aurait traversé le
Jénisséï
(21).
Mais si la Caspienne a communiqué avec
l'Océan, il n'est plus surprenant qu'elle
contienne des poissons de mer et des phoques, et
ainsi se justifie en même temps ce que les
écrivains grecs et latins disaient de ce
lac, dont ils faisaient un golfe de l'Océan
(Boréal).
À ce titre, il prenait légitimement
le nom même de l'Océan. Eschyle ne
faisait donc pas erreur en plaçant
l'Océan près du Caucase, et Mimnerme
pouvait dire que le Soleil, pendant la nuit, dort
près de la ville d'Aëtès, roi de
la Colchide, au bord de l'Océan, et
ailleurs, qu'il est porté dans sa coupe d'or
sur tes flots depuis la contrée des
Hespérides vers la terre des
Éthiopiens, d'où il monte sur
son char dès que l'Aurore
s'élève vers les cieux. Le Phase, par
lequel le Pont-Euxin était uni à la
mer Caspienne, nous paraît
être, dans quelques-unes des traditions les
plus anciennes, non la rivière de la
Colchide, mais le détroit du Manitsch ;
c'est là le Phase par lequel, dans
Homère, la Méditerranée
communique avec l'Océan, et qui, dans
Hésiode, conduit les Argonautes depuis le
Pont-Euxin dans la mer extérieure.
Le Pont-Euxin, à l'époque diluvienne,
étendait ses eaux sur les steppes de sa
côte septentrionale, sur les plaines moldaves
et valaques du Bas-Danube à l'ouest, et dans
la vallée du Phase à l'est. Le
Bosphore d'ailleurs n'existait pas encore, et nous
devons supposer que la plaine de Nicée, qui
sépare le Pont-Euxin de la Propontide, et
qui n'a aujourd'hui que trente-six pieds
d'élévation absolue, opposait aux
eaux de la mer Noire une barrière plus
haute.
Les Anciens, qui confondaient sans doute d'antiques
souvenirs avec l'état présent,
allaient jusqu'à prétendre que le
Pont-Euxin égalait en grandeur la
Méditerranée, et avait de plus
profonds golfes qu'aucune autre mer ; il
devait même son nom de à son immense étendue,
qui en faisait comme un second Océan. Il est
probable qu'après le Déluge, la
Hongrie, qui n'est qu'à deux cents pieds
au-dessus de la mer, formait un immense lac qui
communiquait par le détroit d'Orsowa
(entre les monts de la Transylvanie et ceux de la
Servie) avec le vaste golfe occidental du
Pont-Euxin.
Vers le nord, les flots de la mer baignaient le
plateau granitique de l'Ukraine, qui, des Carpathes
à l'Obtchey-Sirt, s'étend aujourd'hui
entre les bas steppes de la mer Noire et les
plaines plus élevées de la Russie. Le
rivage passait près des cataractes du
Dniéper, et le Don avait son embouchure vers
le confluent du Donetz. Il paraît même,
d'après d'anciens géographes grecs,
que le Don avait alors deux embouchures, l'une dans
les Palus Maeotides, l'autre en
Scythie par l'Arae ou Volga, avec lequel il aurait
mêlé ses eaux.
Les monts de la Crimée formaient une
île à une grande distance de la rive
septentrionale. Cependant au delà de la
digue de l'Ukraine s'étendent les marais
Lithuaniens, que traversent en tout sens les
affluents du Dniéper, de la Vistule et du
Niémen, et qui sont la grande
dépression du continent européen.
Nous y reconnaissons le fond, encore humide, d'une
mer peu profonde qui s'unissait par quelque
étroit canal au Pont-Euxin, dont elle aurait
ainsi formé le grand golfe
septentrional.
Le plateau des lacs de la Prusse aurait
séparé cette mer Lithuanienne de la
mer Baltique. Cette dernière, à
l'époque quaternaire, n'avait point sa forme
actuelle.
Le mythe danois de Géfyon et la nature du
terrain indiquent que le Sund et les Belt
n'existaient pas encore, et d'après une
autre tradition, le Jutland était
séparé de l'Allemagne par un large
détroit qui unissait, à travers le
Schleswig, les deux mers voisines. Peut-être
aussi qu'alors la contrée des lacs de Ladoga
et d'Onéga était un bras de mer par
lequel le golfe de Finlande communiquait avec la
mer Blanche. On a même supposé
qu'entre la Finlande et la Laponie était un
canal naturel qui unissait la mer Blanche au golfe
de Bothnie. La Scandinavie aurait donc
été jadis un immense archipel, et
peut-être l'était-elle encore lorsque
les écrivains latins parlaient en termes
vagues des grandes îles Nérigos,
Bergos, Dumna, Scandia
(22).
Bugen tenait, dit-on, à la Poméranie,
et la mer, qui ronge son pourtour, a
transformé dans les temps modernes en
îles deux de ses presqu'îles. Une
tradition fait arriver la mer dans la vallée
de la Vistule jusqu'à
Culm, et l'on a trouvé
près de Bromberg, à vingt pieds de
profondeur, dans la tourbe, un bateau avec deux
ancres. Des débris de vaisseau et des noms
de lieu dans des actes anciens, semblent attester
que dans le Mecklembourg aussi la mer Baltique
s'étendait au loin dans les terres,
jusqu'à Neu-Brandebourg et
Strélitz.
On a supposé, mais sans raisons suffisantes,
que la Bohême avait formé un lac
jusqu'au déluge cimbrique, peu de
siècles avant l'ère
chrétienne. D'antiques traditions parlent
d'un temps où la vallée du
Rhin-moyen, entre les Vosges et la Forêt
Noire, était un bassin fermé,
où naviguaient des géants qui
attachaient leurs barques à des anneaux
qu'on montre encore aujourd'hui ; l'un de ces
géants aurait livré passage aux eaux
et donné à la contrée sa forme
actuelle.
Sur les côtes méridionales de la mer
du Nord, il n'y avait ni Zuydersée, ni
Dollart, ni Jahde. Helgoland est peut-être le
dernier reste de quelque grande terre basse qui
comblait l'angle formé par le Schleswig et
le Hanovre, et qu'aurait détruite
l'inondation cimbrique.
La Grande-Bretagne tenait au continent : la
géologie le prouve et la géographie
des animaux le confirme. Le peu de profondeur de la
mer entre Douvres et le cap Blancnez indique la
direction de l'isthme, et des deux
côtés les côtes sont
abruptes : les traces du déchirement
sont pour ainsi dire encore visibles. Mais surtout,
des quarante-neuf quadrupèdes de la France,
l'Angleterre en a compté trente-neuf. Il lui
manque entre autres le lynx, le loir, le chamois,
certaines chauve-souris, et elle a perdu depuis
huit siècles l'ours, le castor, le loup, le
bison, le sanglier.
L'Irlande, au contraire, paraît avoir
été une île dès le temps
du Déluge ; au moins n'y trouve-t-on
aucune espèce de serpents, ni crapauds, ni
taupes ; les grenouilles y ont
été importées de la
Grande-Bretagne au commencement du
dix-huitième siècle, et
nous ne trouvons aucune mention
de loups, ni d'ours, ni de bisons ; point de
daims : les cerfs y seront arrivés par
quelque voie inconnue.
Les traditions des Kymris sur la Grande-Bretagne
sont fort remarquables. Ils se souviennent du temps
où Whigt, Man et la terre d'Orc
étaient les seules îles voisines des
côtes de leur patrie, et de celui où
la mer détacha du pays de Kymrou ou de
Galles, Mona, qui est Anglesey, transforma en
îles et îlots quelques portions d'Alban
ou de l'Écosse, et divisa l'unique Orcade en
plusieurs petites îles.
Mais les Triades bretonnes gardent le
silence sur l'origine du détroit de
Calais ; on doit supposer qu'il existait
déjà lorsque les Kymris
arrivèrent de la contrée lointaine de
Défrobani dans leur patrie
définitive. Ils distinguent d'ailleurs trois
grandes calamités qui ont ravagé la
Bretagne, dont la première est
« la rupture du lac Llion ou des
torrents diluviens, » et la
seconde « le tremblement du torrent de
feu, lorsque la terre fut déchirée et
entraînée dans le grand abîme,
et que fut détruite la majeure partie de
toute vie
(23). »
Ce déchirement de la terre serait-il la
rupture de l'isthme de Calais, de celui d'Anglesey,
de l'Orcade ? Y a-t-il eu, depuis le diluvium,
des révolutions volcaniques, des
épanchements de lave dans la Grande
Bretagne ?
On n'y a signalé, à notre
connaissance, dans l'époque quaternaire, que
des côtes qui se sont affaissées ou
élevées. D'ailleurs, de
mémoire d'homme, une des Orcades a
été divisée en deux, et les
Romains, qui comptaient avec nous une trentaine
d'Orcades, ne connaissaient que sept Shetlands,
tandis qu'aujourd'hui il y en a quarante, sans
compter quarante-six îlots
(24).
Nous passons sous silence les traditions kymriques
de villes submergées,
ainsi que celles des Bas-Bretons sur leur ville
royale d'Ys, parce qu'il nous est impossible de
démêler ce qui est légende
diluvienne et souvenir de révolutions toutes
locales
(25).
Les contrées occidentales de la France,
celles de l'Espagne, ne nous offrent aucun fait
à recueillir, et revenant ainsi au
détroit de Gibraltar, d'où nous
étions parti, nous entrons enfin dans cette
Méditerranée qui est toute pleine de
traditions géologiques.
Parmi ces traditions il en est une que pour son
importance nous placerions à
côté du mythe indien du barattement de
la mer, c'est la fable de Typhon ou Typhée.
Ce monstre, qui est le dernier des ennemis que les
dieux eurent à combattre, et qui,
d'après Nonnus, est postérieur au
Déluge, personnifie les révolutions
volcaniques de la Syrie, de l'Asie Mineure, de la
Grèce et de l'Italie, qui ont eu lieu
pendant l'époque quaternaire
(26).
On lui attribuait en particulier la formation de la
vallée de l'Oronte. Cette vallée, qui
d'ailleurs est fort peu connue, n'offre, il est
vrai, de la lave que dans une localité, et
ne possède qu'une source thermale. Mais du
moins les tremblements de terre y sont très
fréquents, et le bassin d'Antioche, qui est
aujourd'hui à trois cent quatre-vingts pieds
au-dessus du niveau de la
Méditerranée, n'avait point encore,
aux temps des Noachides, sa forme actuelle, si l'on
en juge par le soulèvement de ses terrains
diluviens (27).
C'était un golfe, qui aura
disparu par une révolution locale dont les
enfants de Sem et d'Aram, les Arimes, ont dû
être les témoins.
D'après Pline, Chypre tenait autrefois
à la Syrie. Les hautes plaines qui
s'étendent, arides et sablonneuses, au pied
septentrional du Taurus, étaient
probablement d'immenses lacs
dans les temps postdiluviens. On connaît
l'ancre des médailles d'Ancyre :
c'était celle que Midas avait trouvée
en creusant les fondements de cette ville.
La Phrygie brûlée avait vu ses
forêts, ses plaines, ses monts réduits
en cendres ou noircis, soit par Typhée
combattant contre Jupiter, soit par le monstre
Aegide (28).
L'historien de la Lydie, Xanthus,
avait recueilli de précieux renseignements
sur les changements qu'avait subis le sol de sa
patrie et celui de la Phrygie dans les temps
historiques.
Mais ces révolutions sont de peu
d'intérêt au prix de celle qui a
brisé l'isthme du Bosphore de Thrace,
et produit l'abaissement des eaux du Pont-Euxin
à leur niveau actuel. On pourrait sans doute
s'étonner que les habitants de Samothrace
nous en aient seuls conservé le souvenir.
Mais cette île, avec ses mystères,
était un très antique foyer de
civilisation, où les vieux souvenirs
devaient se conserver avec soin, tandis que les
Thraces d'Europe et les Bithyniens de l'Asie
Mineure, qui habitaient à droite et à
gauche du Bosphore, étaient des peuples
à demi barbares. C'est d'ailleurs à
la géologie à décider la
question du niveau du Pont-Euxin à
l'époque quaternaire, et à confirmer
ou réfuter l'opinion de ceux qui
prétendent, avec M. Hommaire de Hell, que
les eaux se sont abaissées de trente et un
mètres.
D'après Pindare, qui s'appuie sur
« les plus anciennes
traditions, » et dont le
témoignage est confirmé par plusieurs
savants de l'antiquité,
« l'île de Rhodes était
encore ensevelie dans les profonds abîmes de
la mer » lors du partage que les dieux
firent entre eux de la terre (après le
Déluge). Mais la géologie
paraît contredire ouvertement ce mythe. Je ne
sais comment expliquer une telle
erreur dans une tradition aussi authentique.
Peut-être a-t-on confondu l'histoire des
cultes qui se sont succédé à
Rhodes avec l'histoire physique de l'île
même.
L'île de Lesbos, d'après Pline, a
été, de mémoire d'homme, une
presqu'île attenant au groupe de l'Ida, et
Besbice, dans la Propontide, a été
détachée de la Rithynie.
D'après M. Boué, la plaine
d'Andrinople a été, comme plusieurs
autres, occupée par un lac d'eau douce
« jusqu'à une époque
très récente et peut-être
même historique
(29). »
Nulle tradition n'a d'ailleurs conservé le
souvenir de la catastrophe qui aurait amené
l'écoulement de ce lac, et frayé un
lit nouveau ou plus profond à
l'Hébrus. Mais que savons-nous des
traditions des Thraces ?
Entre autres plaines pareilles à celle
d'Andrinople était celle de la Thessalie,
que des montagnes entourent des quatre
côtés, et qui formait un lac avant le
temps où l'Olympe fut séparé
de l'Ossa par cet étroit et pittoresque
défilé qui est célèbre
sous le nom de vallée de Tempé. Ce
temps est, au dire des Grecs, celui de
Deucalion ; mais Deucalion est Noé, et
l'on aura confondu avec le grand et vrai
Déluge la révolution
subséquente et locale qui aura mis à
sec le bassin du Pénée.
L'Eubée tenait, par l'isthme de
Chalcis au continent, et l'on veut même que
l'île de Céos ait fait partie de
l'Eubée.
À l'isthme de Corinthe en correspondait un
autre, à l'ouest, entre le cap Rhium et
celui d'Antirrhium, et le golfe actuel était
ainsi un bassin fermé, tel que
l'était sans doute pareillement le golfe
Ambracique. Leucade a été une
presqu'île de l'Acarnanie.
Dans le mythe de Latone, Délos flottait sur
les eaux. Nous ne verrions dans cette île
flottante qu'un mythe
cosmogonique ou diluvien, si Aristote n'avait pas
admis comme un fait certain que Délos
était sortie subitement de la mer, et si, de
même que ses deux voisines,
Rhénée et Mycone, elle ne
différait pas complètement, par sa
nature granitique, des autres Cyclades, qui sont
calcaires.
Elles sont toutes calcaires, sauf le groupe de
Mélos et Kimolos, et celui de Théra,
Thérasia et Théa, qui, l'un et
l'autre, sont d'origine volcanique. L'histoire a
pris note des années où
Thérasia et Théa ont apparu. Elle se
tait, ainsi que la mythologie, sur l'origine de
Mélos. Mais on disait de Théra et
d'Anaphé qu'Apollon les avait fait sortir du
fond des mers en faveur de Jason et des Argonautes,
assaillis par une violente tempête.
Parmi les Sporades, Néa, au sud de Lemnos,
et Halone, vers la côte de l'Ionie,
étaient pareillement des terres
nouvelles.
Quant à la grande et belle île de
Crête, nulle tradition ne la reliait soit a
l'Europe, soit à l'Asie, soit à
l'Afrique. Déjà dans
l'Antiquité elle ne nourrissait aucune
bête sauvage, et l'on prétendait
même. quoique à tort, que les serpents
y étaient inconnus. Mais comment expliquer
la présence, dans les hautes montagnes de
cette île, d'une espèce de bouquetin
qui est identique avec la capra sinaïca qui
vit au Sinaï et en Nubie ? Je
l'ignore.
La Sardaigne et la Corse ont bien des
variétés de brebis, de chiens et de
porcs qui leur sont propres ; mais ni leur
faune, ni la géologie, ni la tradition ne
permettent d'admettre que ces deux îles en
aient jamais formé une seule, qui aurait
été attenante à l'Italie.
Nulle tradition ne rapporte aux temps historiques
l'origine des Baléares, ni même celle
des îles toutes volcaniques d'Éole ou
de Lipari. Toutefois les noms d'errantes et
de nageantes qu'Homère leur donne,
ainsi qu'aux Cyanées, semble indiquer un
temps où leur forme et
leur nombre étaient
encore soumis à de grands changements.
L'année de la mort d'Annibal elles se sont
accrues d'une île nouvelle, qu'on croit
être l'îlot de Vulcanello.
Anaria ou Ischia, dont Prochyta faisait
originairement partie, est d'une date
postérieure au peuplement de
l'Italie ; car la tradition gardait le
souvenir de son apparition.
Neptune qui ébranle la terre, d'après
un mythe antique, avait détaché la
Sicile du continent pour qu'Acaste put y
régner en paix. Acaste était fils
d'Éole, et c'était sous Éole
que le détroit de Calpé
s'était formé. La ville de Rhegium
devait son nom, disait déjà Eschyle,
au déchirement de l'ancien isthme.
« Dans ces temps, de beaucoup
antérieurs au siège de Troie, a dit
Diodore, les violentes éruptions de l'Etna,
qui se renouvelaient d'année en
année, contraignirent les Sicanes, qui
étaient les habitants primitifs de la
Sicile, à se réfugier vers
l'extrémité occidentale de
l'île
(30). »
Cet événement se passait vers le
seizième siècle avant notre
ère. Alors aussi le Vésuve vomissait
ces torrents de lave sur lesquels fut bâtie
plus tard Pompeïa, et dans le premier
siècle de notre ère, le souvenir de
ces antiques éruptions, auxquelles avait
succédé un calme profond, ne
s'était pas entièrement
effacé. Le Vésuve n'était
point d'ailleurs la seule montagne en ignition de
l'Italie : dans la Campanie, près de
l'ancienne Sinuessa, on a trouvé, au pied
des volcans éteints des Rocce Monfine, des
murs ensevelis sous des éjections
volcaniques pareilles à celles qui
recouvrent Herculanum ; le tuf volcanique des
environs de Caserta recelait, à
soixante-seize pieds de profondeur, des ossements
humains et des débris de vases, et c'est
sans doute à cette époque qu'il
faut rapporter l'apparition
d'Aenaria. Les violentes commotions
qu'éprouvait à cette époque le
centre de l'Italie, furent cause que les
Pélasges quittèrent la côte de
l'Etrurie.
Tous les peuples de l'Italie se
déplaçaient dans ces temps
d'agitations physiques et humaines, et le retour du
calme est représenté par le mythe de
Cacus et d'Hercule, qu'on dit avoir
été les contemporains d'Evandre, au
treizième siècle. Cacus est fils du
dieu du feu, Vulcain ; son nom signifie en
grec le méchant, dans les langues
sémitiques celui qui brûle
(31).
Il demeurait sur l'Aventin, et Rome est
bâtie en partie sur le cratère d'un
volcan. Il avait dérobé les troupeaux
de cet Hercule, qui est le représentant en
Italie de la civilisation, et qui le fit mourir. Le
même Hercule, pour donner aux habitants de
Cimini une preuve de sa grande force, avait
enfoncé en terre une barre de fer que nul ne
put retirer, et lorsqu'il la reprit, une telle
quantité d'eau sortit de l'ouverture qu'elle
forma un lac
(32). Ce lac,
qui doit être celui de Vigo, doit
probablement son origine au même tremblement
de terre qui détruisit, vers 1450, la ville
inconnue de Saccunum.
Nous passons en Amérique, et nous trouvons
d'abord les Antilles, dont le nom se lit
déjà dans Aristote, où il
désigne une île de l'Atlantique
découverte par les Carthaginois. Il est hors
de tout doute que lorsque les quadrupèdes du
Nouveau Monde se répandirent sur sa vaste
surface, les Antilles, où ils font
entièrement défaut, étaient
déjà des îles. En effet,
St-Domingue, Cuba et la Jamaïque, dont la
superficie est à peu près
égale à celle de la Grande-Bretagne,
et dont les immenses forêts rivalisaient de
magnificence avec celles du Brésil, ne
nourrissaient, à
l'arrivée des Espagnols, ni le couguar de la
Guyane, ni le jaguar du Mexique, ni le tapir de
l'Yucatan, ni le cerf de la Virginie, ni singes, ni
écureuils, ni armadilles ; et les
Antilles, placées au centre des
contrées du monde les plus riches en
mammifères de toute espèce,
n'offraient sur leurs montagnes et dans leurs
plaines que des oiseaux, des insectes, et des
reptiles, tels que des iguanas, des tortues, des
couleuvres, des alligators, etc. Leurs seuls
mammifères, de fort petite taille, avaient
été importés sans aucun doute
par l'homme. Les Espagnols en trouvèrent
à St-Domingue cinq espèces, dont la
chair à tous était bonne à
manger : le goschi, petit chien muet
qui servait d'amusement aux femmes, et qui existe
sur le continent ; l'agouti ou lapin sauvage,
qui vit aussi sur le continent, et que les
indigènes prenaient au piège pour
s'en nourrir ; le cori, qui tenait,
disait-on, à la fois du lapin et de la
taupe, et qui était apprivoisé ;
le chemi et le mohui, que l'on
comparait semblablement au lapin.
À Cuba, les compagnons de Christophe Colomb,
lors de son premier voyage, n'avaient aperçu
en six jours, pour tout quadrupède, que des
chiens muets. Plus tard ils trouvèrent un
animal qui ressemblait au cochon et qu'ils
tuèrent à coups d'épée
: c'était le pécari ou tajassou qui
habite le Mexique et la Guyane, et qui s'apprivoise
très facilement (33).
Cuba possédait d'ailleurs,
comme Saint-Domingue, l'agouti, que les
indigènes prenaient au piège et qui
formait leur principale nourriture, avec deux
espèces de capromys, qu'on peut aussi
apprivoiser. Ils mangeaient également de ces
petits chiens muets, qu'ils engraissaient en grande
quantité au Jardin de la
Reine ; et l'iguana, que
les compagnons de Colomb regardaient avec
dégoût comme une espèce de
serpent, était pour les Sauvages une
nourriture si délicieuse, qu'il
n'était pas plus permis au bas peuple d'en
manger qu'il ne lui est permis en Espagne de manger
des paons. Il n'existait d'ailleurs dans
l'île entière de Cuba aucun animal
malfaisant.
Cette extrême pauvreté des Antilles en
mammifères fait le plus étrange
contraste avec l'extrême richesse de
l'archipel Indien.
À Guanahani, la plus grande des Lucayes,
Christophe Colomb n'avait pareillement
trouvé que des lézards d'une grandeur
démesurée (des iguanas), des lapins
de la grosseur d'un rat, et quantité de
petits chiens muets et de perroquets
(34).
La Trinité, que Colomb découvrit en
1498, abondait en daims. Quels que soient les
animaux désignés par ce nom, ils
auront franchi à la nage le détroit
qui sépare l'île du continent, et qui
est rempli d'îlots.
La Terre-de-Feu, à l'exception du
loup-renard, n'a aucun des quadrupèdes de la
Patagonie.
Vers le nord, la Terre-Neuve possède le
caribou, l'ours, le lynx, le renard, le castor, en
un mot tous les animaux du continent voisin. Ils y
seront arrivés par ces immenses champs de
glace qui, jusqu'en juin, s'étendent depuis
les côtes à perte de vue.
Le Groenland compte parmi ses habitants, outre
l'ours blanc qui est originaire des contrées
polaires, et le chien sauvage, qui est exactement
semblable à celui des Esquimaux du Labrador,
le renne, le lièvre changeant, le renard
arctique, et vers le sud le glouton, qui seront
venus du Labrador ou de la baie d'Hudson par des
îles de glace.
Le renard arctique a trouvé la même
voiture pour se transporter du Groenland à
l'Islande, et il a de même passé avec
le renne au Spitzberg. C'est probablement du
Labrador qu'ont été
transportés dans le Spitzberg la belette
commune et le renard rouge. La souris a
manqué le Groenland, mais elle est
arrivée en Islande, où elle a
peuplé. La chauve-souris commune a
été primitivement poussée, par
la tempête, de la Norvège en Islande.
Le glouton et le lièvre changeant n'ont
jamais atteint plus loin que le Groenland. Tel
paraît être, ajoute Pennaut, le
progrès du passage des quadrupèdes
dans la zone froide, aussi loin qu'on trouve des
terres (35). La
faune de ces îles boréales ne prouve
donc point qu'elles aient eu, pendant
l'époque quaternaire, une autre forme que
leur forme actuelle.
Mais laissons ces îles boréales qui
sont sans intérêt pour l'histoire, et
mettons le pied sur le continent américain.
Le Nouveau Monde comme l'Ancien a eu depuis le
Déluge ses révolutions locales ;
mais les peuples n'en ont point gardé le
souvenir, et c'est à la géologie
seule à nous les faire connaître. On
dirait que tous les isthmes étaient
déjà brisés, que tous les bas
pays étaient émergés, que tous
les volcans étaient en pleine
activité lorsque l'homme s'est
dispersé sur la surface des deux
Amériques.
Quand les Peaux-Rouges nous disent que les
mastodontes vivaient avec des hommes dont le nombre
était égal au leur, et que
l'Être suprême a fait périr les
uns et les autres à coups de foudre, c'est
au temps du Déluge qu'il faut rapporter
cette destruction de l'humanité et des
animaux par Dieu lui-même, et c'est en effet
dans les terrains diluviens que se trouvent les os
des mastodontes.
Toutefois il paraît que les peuples actuels
ont été en guerre avec les animaux
gigantesques qui auraient vécu dans
l'époque quaternaire.
Nous avons cité plus haut ce que les Indiens
des Appalaches racontaient du débordement du
lac Théomi.
Ajoutons qu'on a trouvé dans les
États-Unis des troncs d'arbres
marqués de coups de hache, qui
étaient enfouis à une grande
profondeur. Des sculptures grossières ont
été tracées sur des rochers
qui sont aujourd'hui inaccessibles, tant
près des rives du Mississippi à une
assez grande distance au nord de son delta, que
dans les forêts de la Guyane. Ici les
indigènes racontent « que leurs
ancêtres, du temps des grandes eaux,
étaient parvenus en canot jusqu'à la
cime de ces montagnes, et qu'alors les pierres se
trouvaient encore dans un état tellement
ramolli, que les hommes ont pu y tracer des traits
avec leurs doigts
(36). »
La géologie nous apprend qu'à
l'époque tertiaire supérieure ou
à l'époque quaternaire, les basses
terres que traversent aujourd'hui le Rio de la
Plata, le Maranon, l'Orénoque, le
Mississippi, étaient des golfes plus ou
moins profonds, dans lesquels se jetaient, comme
autant de cours d'eau indépendants,
plusieurs des affluents actuels de ces fleuves
immenses.
D'après M. Agassiz, l'Amérique
boréale même aurait été
alors en majeure partie sous l'eau ; car dans
les environs du lac Supérieur reposent sur
le diluvium des dépôts
stratifiés dont l'inclinaison contraste avec
la sienne, et qui contiennent des coquilles
identiques avec celles qui vivent de nos jours dans
les mers du nord. L'émersion des terres
s'est opérée en des temps
différents, ainsi que le prouvent les
terrasses voisines de ce lac, dont les hauteurs
varient de quelques pieds à plusieurs
centaines de pieds. Ce mouvement
d'élévation n'a
point même cessé
dans l'époque actuelle, et l'on ne voit
ainsi aucune possibilité de
déterminer exactement la limite entre notre
époque et la précédente ou la
quaternaire
(37).
Nous venons de recueillir les principaux
matériaux de l'histoire de la terre
pendant les mille ans de l'époque
quaternaire. Il nous faudrait maintenant
déterminer la date ou du moins l'ordre de
succession de ces différents faits Mais la
géologie ne nous est ici que de peu de
secours, et si les traditions d'un même
peuple respectent d'ordinaire en gros la
chronologie, il est à peu près
impossible de coordonner avec quelque peu de
certitude celles de peuples différents.
L'édifice que nous allons construire avec
nos matériaux ne sera donc qu'une oeuvre
d'attente. Nous le fonderons sur les dates
précises que nous fournissent le Pentateuque
et le Livre de Josué.
L'époque quaternaire se divise, nous
semble-t-il, en deux parties : les temps
ethnogoniques ou d'Abraham, et ceux de
Moïse.
1° Les temps ethnogoniques sont ceux du
déclin de la longévité
humaine, de la formation des peuples et de leur
dispersion, de la création des faunes et des
flores locales, et d'un grand refroidissement de la
température, qui a dérobé
à la terre la vue du soleil et de la lune,
couvert d'immenses glaciers les régions
froides et tempérées, inondé
de pluies torrentielles les pays du sud,
aujourd'hui arides, enlevé aux orages leur
force et soulevé de violentes
tempêtes. Ces temps sont encore ceux
où le feu souterrain, volcanique ou
plutonique, a causé de grands ravages et des
changements considérables sur la face de la
terre. C'est alors qu'Abraham a vu la
ruine de Sodorae, et cette ruine
eut lieu pendant la même époque que la
destruction des Adites, puisque Héber en a
été le témoin ; que les
catastrophes de la vallée de l'Oronte qui
fait le pendant du Jourdain ; et que celles de
la Cilicie et de la Lydie, puisqu'elles sont
attribuées, comme les
précédentes, au même
Typhée.
C'est à ces mêmes temps que nous
devons rapporter, en Afrique, la destruction, par
le feu et l'eau, des forêts vitrifiées
de l'Egypte, et la combustion du Djebel
Achmar ; le soulèvement, en Nubie, des
monts du Béhéda ; et la
dernière transformation qu'a subi le cours
du Nil ; - en Chine, le déluge d'Yao,
c'est-à-dire l'écoulement des grands
lacs de la Mongolie, et la formation de deux
chaînes de montagnes dans les bassins du
Hoang-ho et du Yang-tséKiang ; - la
brèche faite au sud-est et au nord-est
de l'Asie par l'Océan, qui franchit les
digues que lui opposaient les Lieu-Kieu,
Japon-Jesso et les Kouriles ; - le
barattement de la mer des Indes et
l'enfoncement de Java, ou la rupture des isthmes
qui unissaient, soit les unes aux autres, soit au
continent voisin, Ceylan et les îles de la
Notasie.
Nous devons supposer que, tandis que les isthmes se
brisaient aux limites orientales de l'Ancien Monde,
ceux de l'occident faisaient place pareillement aux
détroits actuels. En effet, le Bosphore de
Thrace s'est formé au temps de Dardanus, qui
est un des grands héros ethnogoniques des
Pélasges, et les géographes grecs
avaient mis en rapport cet événement
avec la formation du détroit de Calpé
et d'Abyla. Celui de Messine, ceux des golfes de
Corinthe et d'Ambracia, ainsi que celui de
Babel-Mandeb, datent sans doute de la même
époque, et les Kymris avaient trouvé
déjà l'Angleterre isolée de la
France. Le nom de Deucalion fait remonter jusqu'aux
premières origines des Hellènes
l'écoulement du lac
Thessalien. Peut-être ce dernier fait
était-il en relation avec la fonte des
glaciers du Pinde. L'histoire du lac de la
Thessalie rend compte des lacs de la Thrace,
d'Ancyre, de Cachemire, du Rhin-moyen et d'une
infinité d'autres.
Enfin, c'est pendant l'époque d'Yao qu'a eu
lieu la grande sécheresse post-diluvienne,
que les Grecs expliquaient par le mythe de
Phaëthon II, et les Ariens par celui de
Féridoun-Trita
(38).
Nos temps ethnogoniques correspondent en
géologie à l'époque du
soulèvement du Ténare, laquelle
s'enrichira incontestablement d'une foule de
petites révolutions locales.
Ces temps ont été
séparés par quelques siècles
de repos de ceux de Moïse, ainsi que
l'enseignent tous ces mythes relatifs à la
victoire que les dieux bienfaisants et sauveurs ont
remporté sur Typhée et sur les
Géants, sur Aegide, sur Cacus, sur Thrym,
etc. (39).
2° Dans l'histoire juive, les
phénomènes géologiques et
physiques qui ont eu lieu à l'ordre de
Moïse et de Josué, caractérisent
très nettement l'époque pleine de
perturbations qui clôt les temps paisibles
des patriarches hébreux, et qui
précède les temps des Juges, qui sont
très pauvres en miracles. Or cette
époque est précisément celle
où la vie humaine cessait de
décroître et prenait sa durée
définitive.
On peut donc dire que les temps de Moïse et de
Josué sont à la limite de la
période post-diluvienne ou quartenaire et de
la période actuelle. Arrivée à
cette limite, la nature s'ébranle encore une
fois violemment avant d'entrer dans son repos, et
c'est dans ce moment d'agitation que
l'Éternel confie pour la première
fois à un homme, au Législateur des
Hébreux, la puissance de commander en
maître aux
éléments.
Les seuls faits géologiques que nous
puissions avec certitude rapporter à
l'époque de Moïse, sont les
révolutions volcaniques et les tremblements
de terre qui ont bouleversé l'Italie et
forcé ses peuples primitifs à
émigrer
(40).
Ce n'est que par conjecture que nous ajoutons
l'émersion de Théra et
d'Anaphé pendant l'expédition des
Argonautes. D'après la chronologie
reçue nous aurions dû placer ici le
déluge thessalien de Deucalion ; ce qui
aurait prolongé jusqu'au seizième
siècle l'époque glaciaire.
Enfin, le ralentissement du mouvement de la terre
à la parole de Josué peut avoir
produit quelques-unes des révolutions
locales que nous avions rapportées plus haut
aux temps ethnogoniques.
Mais les révolutions locales que nous avons
passées en revue n'ont pas eu toutes lieu
dans l'époque quaternaire : plusieurs
appartiennent déjà aux temps
historiques, et il nous reste à examiner si
la période actuelle n'a point eu, elle
aussi, ses ères de repos et ses ères
de bouleversements.
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