Il est évident qu'il s'est
opéré un changement complet dans tout
ce qui autrefois faisait la beauté et la
gloire de ce pays : à cet égard,
les différents récits des historiens
juifs et romains, et toutes les descriptions des
voyageurs s'accordent parfaitement, même dans
les plus petites circonstances. Josèphe
représente le sol de la Galilée comme
tellement riche et fertile, et tellement couvert de
plantations d'arbres, « qu'il semblait
inviter les plus paresseux à le
cultiver ». Il décrit les autres
provinces de la Terre-Sainte comme abondantes en
arbres qui portent leur fruit en automne, tant ceux
qu'on cultivait que ceux qui croissaient sans
culture
(88).
Tacite raconte que non seulement tous les fruits de
l'Italie venaient dans le sol fertile de la
Judée, mais qu'on y trouvait encore le
palmier et le baumier ; et il parle des
précautions extrêmes avec lesquelles,
lorsque la sève était en circulation,
on faisait une incision dans les branches du
baumier, soit avec une coquille ou une pierre
aiguë, parce qu'on n'osait les toucher avec
une lame. On chercherait inutilement aujourd'hui et
cet art et ces soins.
Le baumier a disparu du sol qui l'a longtemps
nourri : d'autres plantes plus robustes ont
péri également. Et au lieu de
remarquer maintenant la culture de tel ou tel arbre
délicat, ou de raconter comment on en
extrait telle ou telle essence médicinale,
avec un art que Tacite trouvait digne de son
attention et de ses éloges, la tâche
du voyageur se réduit à
étudier les moeurs de ceux qui occupent
présentement ce même territoire. Les
oliviers (aux environs d'Arimathée )
dépérissent de vétusté,
par les ravages des factions
opposées et même par des délits
secrets. Les Mamelouks ayant coupé les
oliviers, pour le plaisir de détruire ou
pour se chauffer, Yafa a perdu la plupart de ses
avantages et de ses agréments
(89). »
Au lieu donc « de l'abondance d'arbres
provenant d'une culture soignée »,
l'effet des ravages de l'ennemi a été
tel que dans plusieurs parties de la Palestine on
ne trouve pas même de bois à
brûler. Cependant cette destruction, son
progrès et son étendue accomplissent
littéralement les paroles de la
prophétie, qui non seulement déclare
que les villes désertes de la Judée
deviendront des lieux où les troupeaux
paîtront, où le veau gîtera et
broutera, mais qui dit aussi que « quand
son branchage sera sec, il sera brisé, et
les femmes y venant en allumeront du feu. - Car ce
peuple n'a pas
d'intelligence ! »
Les arts les plus simples sont dans la barbarie,
les sciences sont entièrement inconnues
(90).
« Les épines et les ronces
monteront sur la terre de mon peuple. »
La terre ne produit que des ronces et des
épines
(91).
Les
plaines et les montagnes désertes de la
Palestine abondent en une espèce de plante
épineuse appelée mérar, et en
d'autres du même genre. Plusieurs des
montagnes sont tellement couvertes de ces plantes
qu'il est fort difficile de parvenir à leur
sommet, et tout le district de Tibériade est
parsemé d'un arbrisseau épineux
(92) !
« Vos chemins seront déserts
(93). Les
chemins « ont été
réduits en désolation, les passants
ne passent plus par les sentiers
(94) ».
Les communications étaient tellement
fréquentes autrefois (dans la Judée,
et les communications si
régulièrement
entretenues par les voyages ordonnés au
peuple, pour se rendre à Jérusalem,
à la célébration du culte, et
pour obéir au précepte de l'ancienne
loi, qu'il n'y a jamais eu de pays où les
grands chemins fussent aussi
fréquentés ou aussi
nécessaires. Du temps d'Esaïe,
« le pays abondait en chevaux, et il n'y
avait fin de ses chariots ; » et
même encore aujourd'hui il existe de
nombreuses traces de chemins pavés
construits par les Romains
(95),
et
d'autres qui, évidemment, ne sont pas
d'origine romaine ; mais parmi les
précieux monuments littéraires qui
sont parvenus jusqu'à nous, se trouvent
trois itinéraires romains que nous pouvons
invoquer.
D'après ces itinéraires, et aussi
d'après le témoignage d'Arrien et de
Diodore de Sicile, de Josèphe et
d'Eusèbe, il paraît, comme Reland le
fait voir aussi, que dans la Palestine, longtemps
après sa décadence, il existait
quarante-deux grands chemins différents (viae publicae), tous
distinctement
spécifiés, et qui parcouraient des
lignes d'une longueur de près de neuf cents
milles
(96).
Cependant la prophétie a été
littéralement accomplie. Dans
l'intérieur, ni grandes routes, ni
canaux ; pas même de ponts sur la
plupart des rivières et des torrents,
quelque nécessaires qu'ils fussent pendant
l'hiver. Il n'y a de ville en ville ni poste ni
moyens de transport. Personne ne voyage seul, vu le
peu de sûreté des routes. Il faut
attendre que plusieurs voyageurs veuillent aller au
même endroit, ou profiter du passage de
quelque grand qui se fait protecteur et souvent
oppresseur de la caravane. Les chemins des
montagnes sont très pénibles, parce
que les habitants, loin de les adoucir, les rendent
le plus difficiles possible,
afin, disent-ils, d'ôter aux Turcs l'envie
d'y amener leur cavalerie
(97).
Il est
remarquable que dans toute la Syrie l'on ne voit
pas un chariot, pas une charrette Il n'y a
d'auberges en aucun lieu, continue Volney ;
les logements dans les kans ( bâtiments
destinés aux voyageurs) sont des cellules
où l'on ne trouve que les quatre murs, de la
poussière et quelquefois des scorpions. Le
gardien du kan est chargé de donner la clef
et une natte, le voyageur a dû se fournir du
reste ; ainsi il doit porter avec lui son lit,
sa batterie de cuisine et même ses
provisions ; car souvent on ne trouve pas de
pain dans les villages
(98)
Il n'y a aucune espèce de voiture dans ce
pays, dit un autre voyageur.
Il est impossible de traverser les montagnes de la
Palestine, rapporte un troisième
témoin ; le chemin en est impraticable
(99). Le
voyageur se trouve au milieu d'une infâme
race de voleurs qui lui couperaient le cou pour un
liard, et lui enlèveraient son argent par
pure oisiveté
(1).
Dans un pays où il y a ainsi absence
complète de voitures, il faut que les
chemins, quelque nombreux et quelque excellents
qu'ils aient été autrefois, restent
déserts ; et là ou à
chaque pas on rencontre des périls sans
nombre et des privations inouïes, on ne peut
pas s'étonner de ce que « les
passants ne passent plus par les
sentiers ». Mais que les disciples de
Volney nous disent à leur tour comment la
sagesse humaine a pu imaginer et transmettre tous
ces détails comme Moïse et Esaïe
l'ont fait, l'un trente-trois et l'autre vingt-cinq
siècles avant que le fait pût
s'accomplir ?
« Les destructeurs sont venus sur tous
les lieux élevés
du désert. » - Les
précautions dont nous parlons plus haut sont
surtout nécessaires dans les pays ouverts
aux Arabes, tels que la Palestine et la
frontière du désert
(2).
« Les habitants de Jérusalem qui
sont du « pays d'Israël mangeront
leur pain avec chagrin, et boiront leur eau avec
étonnement, parce que le pays sera
désolé, étant privé de
son abondance à cause de l'iniquité
de tous ceux qui y habitent. »
On observe que dans les grandes villes (de la
Syrie, car il n'y en a pas en Palestine) le peuple
a beaucoup de cet air dissipé et sans souci
qu'il a chez nous ; pourquoi cela ? c'est
que là comme ici, dit Volney en parlant de
la France, endurci à la souffrance par
l'habitude, affranchi de la réflexion par
l'ignorance, le peuple vit dans une sorte de
sécurité ; il n'a rien à
perdre, il n'a pas peur qu'on le
dépouille.
Le marchand, au contraire, vit dans la crainte
perpétuelle et de ne pas acquérir
davantage et de perdre ce qu'il a ; il tremble
d'attirer les regards d'un gouvernement rapace pour
qui un air de satisfaction serait l'enseigne de
l'aisance et le signal d'une avanie. La même
crainte règne dans les villages, où
chaque paysan redoute d'exciter l'envie de ses
égaux et la cupidité de l'aga et des
gens de guerre.
Dans un tel pays, où l'on est sans cesse
surveillé, par une autorité
spoliatrice, on doit porter un visage
sérieux, par la même raison que l'on
porte des habits percés
(3)
ou bien, pour
terminer par les paroles du prophète,
« à cause de l'iniquité de
tous ceux qui y habitent. »
« Vous serez frustrés de vos
revenus. »
D'après l'état des contributions de
chaque pachalik, il paraît
que la somme annuelle que la Syrie verse au kazna ou
trésor du sultan se monte
à 2345 bourses, savoir:
bourses | |
Pour Alep |
800 |
Pour Tripoli |
750 |
Pour Damas |
45 |
Pour St Jean-d'Acre |
750 |
Pour la Palestine |
0 |
|
|
Total |
2,345 |
qui font 2,931,250 livres de notre monnaie. |
Après avoir spécifié
quelques autres sources de revenus, l'auteur
ajoute :
« On doit se rapprocher beaucoup de la
vérité, en portant à 7
millions et demi la totalité du revenu que
le sultan tire de la Syrie, total, 7,500,000 livres
(4), »
ce qui ne fait pas la septième partie du
tribut payé à l'Égypte, tel
qu'il était longtemps après cette
prédiction.
Voilà tout ce que le gouvernement le plus
despotique est parvenu à tirer de la Syrie
appauvrie ; mais quelque insignifiante que
soit cette somme, comme revenu de possessions aussi
étendues, qui autrefois contenaient
plusieurs états opulents et puissants, il
faut encore en déduire la plus grande partie
avant de pouvoir connaître exactement quelle
est la chétive pitance qu'à titre de
revenu, et à force d'extorsions, on tire de
la terre d'Israël.
En jetant un coup d'oeil rapide sur le tableau
ci-dessus, il est facile de se convaincre de la
désolation et de la pauvreté
respective des différentes provinces de la
Syrie ; et encore les moins stériles de
ces provinces, c'est-à-dire les pachaliks
d'Alep et de Tripoli, ne faisaient point partie de
l'ancienne Judée. La Palestine, contenant
l'ancienne Philistie et une
partie de la Judée, fut partagée en
deux portions par le sultan, et soumise à
l'autorité de deux individus. Le vaste
pachalik de Damas, si peu productif en revenus,
contient cependant Jérusalem et une grande
partie de l'ancienne Judée ; ainsi on
peut en dire avec encore plus d'exactitude que de
tout le reste (5) : « Vous serez
frustrés de vos revenus. »
Au lieu d'examiner à part chaque
prédiction relative à la
désolation de la terre de Judée, on
peut en envisager plusieurs à la fois, et le
sens en est si clair qu'il serait fort inutile de
les expliquer plus au long. La preuve de leur
parfait accomplissement n'est pas non plus
difficile à trouver, car Volney confirme six
prédictions dans une seule phrase, à
laquelle il ajoute une réflexion qui ne tend
pas moins à établir la
vérité des paroles
prophétiques.
« Je détruirai vos hauts lieux, je
ruinerai vos tabernacles. »
« Je désolerai vos
sanctuaires. »
« Le palais va être
renversé. »
« Je ferai périr le reste de leurs
ports de mer. »
« Je réduirai aussi vos villes en
désert. »
« Les habitants du pays sont
consumés et peu de gens y sont
demeurés. »
« Toute la terre ne sera que
désolation. »
Les temples se sont écroulés, les
palais sont renversés, les ports sont
comblés, les villes sont détruites,
et la terre, nue d'habitants, ressemble à un
vaste cimetière
(5).
Grand Dieu ! s'écrie Volney,
d'où viennent d'aussi funestes
révolutions ? Par quels motifs la
fortune de ces contrées a-t-elle si fort
changée ? Pourquoi tant de villes
sont-elles détruites ? Pourquoi cette
ancienne population ne s'est-elle point reproduite
et perpétuée ? Je l'ai
parcourue, cette terre
ravagée ; j'ai dénombré
les royaumes de Damas et d'Idumée, de
Jérusalem et de Samarie. Cette Syrie, me
disais-je, aujourd'hui presque
dépeuplée, contenait alors cent
villes puissantes, et ses campagnes étaient
couvertes de villages, de bourgs et de hameaux. Que
sont devenues tant de brillantes créations
de la main de l'homme ? Que sont devenus ces
âges d'abondance et de vie ? etc.
En cherchant à être sage, l'homme
devient insensé, tant qu'il ne veut se fier
qu'à son imagination trompeuse, au lieu de
chercher la sagesse dans cette parole de Dieu qui
confond les sages, mais qui rend intelligents les
simples. Ces paroles, prononcées par la
bouche de l'incrédule, rendent
témoignage à cette
vérité même qu'il était
trop aveugle ou trop orgueilleux pour apercevoir et
pour admettre. Car les « pasteurs
arabes » n'accomplissent pas plus, sans
s'en douter, une prédiction, quand ils
« foulent aux pieds » la
Palestine, que Volney l'académicien ne
confirme l'accomplissement d'une autre, lorsqu'il
parle ainsi en son propre nom et en celui des
autres. « Et la génération
à venir dira, savoir vos enfants qui
viendront après vous, et l'étranger
qui viendra d'un pays éloigné, quand
ils verront les plaies de ce pays et les maladies
dont l'Éternel l'affligera : Pourquoi
l'Éternel a-t-il ainsi traité ce
peuple ? Quelle est la cause de l'ardeur de sa
grande colère
(6) ? »
Ce n'est point un « anathème
secret, » comme le dit Volney, que Dieu a
prononcé contre la Judée ; c'est
la malédiction résultant d'une
alliance abandonnée qui pèse sur
cette contrée ; ce sont les
conséquences des péchés de
l'ancien peuple maintenant
dispersé, et de ceux de ses habitants
actuels. Ce n'est pas le respect que les peuples
ont porté à une religion
révélée qui a causé la
ruine des empires ; la source en est bien
différente. La destruction de
Jérusalem et celle des autres villes de la
Palestine fut l'oeuvre des Romains, païens
idolâtres, et la dévastation, pendant
des siècles, fut continuée par les
Sarrazins et par les Turcs, disciples de Mahomet
l'imposteur ; et toutes les désolations
y furent apportées par des ennemis de la
dispensation mosaïque et
chrétienne.
Ces désolations elles-mêmes n'ont
été ordonnées par la
volonté divine qu'en tant qu'elles ont
été une suite de la violation de la
loi de Dieu. - C'est la décadence de la foi
qui a amené la destruction. Et la terre n'a
eu à subir d'autres malédictions que
celles qui sont décrites dans le Livre
Saint.
Là, le caractère et la condition du
peuple, et l'aspect du pays, frappé de
malédiction à cause du
péché de ses habitants, se trouvent
dépeints avec la même exactitude. Et
quand l'incrédule demande : Pourquoi
l'Éternel a-t-il ainsi traité ce
peuple ? la même parole qui
prédit que cette question serait faite
fournit aussi la réponse : Et on
répondra : « C'est parce
qu'ils ont abandonné l'alliance de
l'Éternel, le Dieu de leurs
pères. »
« Le pays a été
profané par ses habitants, parce qu'ils ont
transgressé ses lois ; ils ont
changé les ordonnances, et ont violé
l'alliance éternelle, « c'est
pourquoi l'imprécation du serment a
dévoré le pays. »
Ces paroles si expressives, en déclarant la
cause des jugements et des désolations,
décrivent aussi la méchanceté
de ceux qui devaient occuper la terre de
Judée pendant le temps de sa
désolation, et pendant que ses anciens
habitants seraient « dispersés sur
la terre. »
Et quoique l'ignorance de ces peuples puisse
être un sujet de pitié, cependant on
ne peut nier leur excessive
dégénération. La
férocité des Turcs, les moeurs
désordonnées des Arabes,
l'état d'avilissement du petit nombre de
Juifs à qui l'on permet encore de vivre sur
le sol de leurs ancêtres, les disputes sans
cesse renaissantes parmi ce peuple
mélangé, et la grande
dépravation qui règne dans toutes les
classes, ont complètement changé
l'aspect moral de ce pays qu'au temps d'autrefois
on appelait « la Terre
Sainte. » Et cette région,
où, pendant plusieurs siècles, le
seul vrai Dieu fut connu et adoré ; ce
pays qui présentait aux regards des hommes
l'unique exemple d'une parfaite morale, est
maintenant une des parties du monde les plus
dégradées ; et on peut
véritablement dire que cette terre a
été profanée par ses
habitants.
Et il y a bien des siècles qu'il est ainsi
profané. Le Père des
miséricordes n'afflige pas volontairement
les enfants des hommes. C'est le
péché qui est toujours
l'avant-coureur des malédictions du ciel. Ce
fut à cause de leur idolâtrie et de
leurs iniquités que les dix tribus furent
d'abord « retranchées de la terre
d'Israël. »
Plus tard, à leur propre prière et
d'après la mesure de leurs
péchés, le sang de Jésus
retomba sur les Juifs et sur leurs enfants ;
et avant leur expulsion finale de cette terre que
leur iniquité avait profanée, elle
fut arrosée du sang de plus d'un
demi-million de leur peuple.
La Judée se reposa ensuite pendant un court
espace de temps, lors du premier
établissement des églises
chrétiennes ; mais dans cette terre,
berceau du christianisme, les semences de
corruption ne tardèrent pas à
paraître. La puissance morale de la religion
commença à s'effacer, le culte
des images se propagea, et les
disciples apparents de la vraie foi
violèrent l'alliance éternelle
(7).
La doctrine de Mahomet, le Coran ou
l'épée, fut le fléau ou la
guérison de l'idolâtrie ; mais
toutes les impuretés de la croyance
mahométane succédèrent
à un christianisme corrompu et grossier.
Depuis lors, des hordes de Sarrazins,
d'Égyptiens, de Fatimites, de Tartares, de
Mameloucks et de Turcs (assemblage de noms barbares
sans pareils, du moins dans les temps modernes),
ont pendant l'espace de douze cents ans
« profané » la terre des
enfants d'Israël par l'iniquité et par
le sang. Ainsi la prophétie n'a rien
d'hyperbolique : « Les plus
méchantes des nations posséderont
leurs habitations, et leurs saints lieux seront
profanés
(8). »
Quant aux saints lieux, Omar, à la
première conquête de Jérusalem
par les Mahométans, construisit une
mosquée sur l'emplacement même du
temple de Salomon, et quelque jaloux de sa gloire
que soit le Dieu d'Israël, les disputes
continuelles et sanglantes entre les sectes
chrétiennes, autour même du
sépulcre de l'auteur de leur foi, qu'ils
déshonorent, témoignent encore
aujourd'hui de la vérité de cette
prédiction.
Le zèle frénétique des
chrétiens croisés ne put extirper de
la Judée les païens qui la
possédaient, quoique l'Europe se
répandît comme un torrent sur l'Asie.
Mais la profanation de la terre, comme celle
des lieux saints, n'est pas encore
passée, et la Judée est encore
profanée à l'heure qu'il est, non
seulement par des gouverneurs tyranniques, mais
aussi par des peuples sans lois et sans principes.
La barbarie est complète dans la Syrie, dit
Volney (9).
J'ai
souvent pensé, dit Burckhardt,
en décrivant la conduite
immorale d'un prêtre grec dans le Hauran
(mais en termes qui ne sont que trop susceptibles
d'une application générale), que si
le code pénal anglais était
soudainement proclamé dans ce pays, à
peine y aurait-il un homme dans les affaires, ou
ayant avec d'autres des relations
pécuniaires, qui ne fût sujet à
la déportation
(10).
« Sous le nom de
christianisme » on professe ou l'on
tolère toutes sortes de superstitions et de
cérémonies profanes, également
éloignées des saintes doctrines de
l'Évangile et de la dignité de la
nature de l'homme. Le pur Évangile de
Christ, partout le précurseur de la
civilisation et de la science, est presque aussi
inconnu dans la Terre-Sainte que dans la Californie
ou la Nouvelle-Hollande.
Quelques légendes, quelques traditions,
empreintes de vestiges de judaïsme, et les
misérables visions d'ermites ignorants, font
cependant apercevoir de temps en temps une lueur de
la lumière céleste ; mais, si
nous recherchons les effets du christianisme sur la
terre de Chanaan, il nous faut attendre ce
bienheureux temps où « le
désert fleurira comme la rose »
(11). « Le
pays a
été profané parce que ses
« habitants ont transgressé ses
lois ; ils ont changé les ordonnances
et ont violé l'alliance éternelle,
c'est pourquoi l'imprécation du serment a
dévoré le pays. »
(Esaïe,
XXIV, 5, 6.)
« Les habitants ont été mis
en désolation. »
Le gouvernement des Turcs en Syrie est un pur
despotisme militaire, c'est-à-dire que la
foule des habitants y est soumise aux
volontés d'une faction d'hommes armés
qui disposent de tout selon leur
intérêt et à leur gré.
Dans chaque gouvernement, le pacha est despote
absolu. Le peuple,
gêné dans la jouissance des fruits de
son travail, restreint son activité dans les
bornes des premiers besoins. - On n'est en
sûreté ni dans les villes ni dans les
campagnes
(12).
« Et peu de gens y seront demeurés
de reste. »
Si le caractère du peuple est ainsi
corrompu, si sa condition est misérable, son
nombre est aussi bien petit, comparé
à l'étendue du pays et à la
fertilité du sol. Après avoir
évalué le nombre des habitants de la
Syrie, Volney ajoute :
« On a droit de s'étonner d'une
population si faible dans un pays si
excellent ; mais l'on s'en étonnera
encore davantage, si on la compare à la
population des temps anciens. Les seuls territoires
de Jamma et de Joppé en Palestine, dit le
géographe philosophe Strabon, furent jadis
si peuplés qu'ils pouvaient entre eux armer
quarante mille hommes ; à peine
aujourd'hui en fourniraient-ils trois mille.
D'après le tableau assez bien
constaté de la Judée au temps de
Titus, cette contrée devait contenir quatre
millions d'âmes, et aujourd'hui elle n'en a
peut-être pas trois cent mille. Si l'on
remonte aux siècles antérieurs, on
trouve la même abondance d'habitants chez les
Philistins, chez les Phéniciens, et dans les
royaumes de Samarie et de Damas
(13). »
En estimant l'ancienne population de la
Judée à son taux le plus bas et celle
d'aujourd'hui au taux le plus élevé,
le pays ne semble pas contenir la dixième
partie de ses anciens habitants, qui
subsistèrent pendant des siècles,
uniquement par ses propres ressources et par la
richesse de son sol. Qui aurait pu s'imaginer que
ce même pays ne devait donner un jour qu'une
chétive nourriture au « peu de
gens qui y seraient demeurés de
reste ? »
« Toutefois il en restera un
dixième. »
« La ville de laquelle il en sortait
mille n'en aura de reste que cent ; et celle
de laquelle il en sortait cent n'en aura de reste
que dix
(14) »
La population actuelle de la Judée a
été évaluée, sans aucun
rapport aux prophéties, a un dixième
de ce qu'elle était avant la dispersion du
peuple juif. Volney, d'après une estimation
comparative, l'évalue à moins encore.
Il est impossible d'en obtenir la proportion
exacte. Les paroles de Pierre Bello, citées
par Malte-Brun, quoique rendant au fond un
témoignage semblable à celui des
autres voyageurs, nous offrent cependant la
supputation la plus précise : Le
même district qui aujourd'hui ne fournit
à cent individus qu'une faible subsistance
fournissait autrefois abondamment à mille
(15).
« La joie des tambours a cessé, le
bruit de ceux qui se réjouissent est
fini ; la joie de la harpe a cessé
(16). »
La musique instrumentale était fort en usage
chez les Juifs. Le tambour et la harpe, la cymbale,
le psaltérion et le clairon étaient
en vogue parmi eux, et faisaient
régulièrement partie du service au
temple. À l'époque de cette
prédiction, la harpe, le clairon, le
tambour, la viole et la flûte
résonnaient dans toutes leurs
fêtes ; et quoiqu'il y ait longtemps que
les Juifs ne font plus une nation, cependant ces
instruments se trouvent encore parmi eux. Mais
hélas ! dans la terre de la
Judée, jadis si heureuse, la voix joyeuse de
la musique a cessé de se faire entendre.
Dans une esquisse de l'état des arts et des
sciences en Syrie et dans toute la Terre-Sainte,
Volney observe qu'on ne rencontre que rarement des
personnes initiées à l'art de la
musique.
Toute leur musique est vocale ; ils ne
connaissent ni n'estiment le jeu des instruments,
et ils ont raison ; car les leurs, sans en
excepter les flûtes, sont détestables
(17).
« La joie du tambour a cessé, la
joie de la harpe a cessé. »
Encore n'est-ce pas ici le seul trait
mélancolique qui semble avoir passé
du pays au coeur de ses habitants. Et le langage
plaintif du prophète se trouve
réalisé à la lettre (quoiqu'on
eût fort bien pu s'attendre à un
accomplissement moins littéral) lorsqu'on le
compare simplement aux paroles d'un
incrédule célèbre.
« Car ceux qui avaient le coeur joyeux
soupirent ; on ne boira plus de vin avec des
chansons ; toute la joie est tournée en
obscurité ; l'allégresse du pays
s'en est allée. Le chant de la vendange n'y
retentira plu
(18).
Leur expression (en chantant) est
accompagnée de soupirs. On peut dire qu'ils
excellent dans le genre mélancolique.
À voir un Arabe la tête
penchée, la main près de l'oreille en
forme de conque ; à voir ses sourcils
froncés, ses yeux languissants, à
entendre ses intonations plaintives, ses tenues
prolongées, ses soupirs sanglotants, il est
presque impossible de retenir ses larmes
(19).
Le même auteur, dans ses tristes
récits, nous reproduit encore les visions du
prophète. Dans le chapitre où il
donne la description des habitudes et du
caractère des habitants de la Syrie, il
appuie surtout sur l'expression de tristesse
répandue sur les physionomies. Au lieu de ce
visage ouvert et gai, dit-il, que chez nous l'on
porte ou l'on affecte, ils ont un visage
sérieux, austère ou
mélancolique ; rarement ils rient, et
l'enjouement de nos Français leur
paraît un accès de
délire. S'ils parlent, c'est sans
empressement, sans geste, sans passion ; ils
écoutent sans interrompre, ils gardent le
silence des journées entières, et ils
ne se piquent point d'entretenir la conversation.
Toujours assis, ils passent des journées
entières rêvant, les jambes
croisées, la pipe à la bouche,
presque sans changer d'attitude.
Les Orientaux en général ont
l'extérieur grave et flegmatique ;
s'ils marchent, c'est posément et pour
affaires ; ils regardent l'inaction comme un
des éléments de bonheur
(20).
Après avoir ainsi énoncé le
fait, Volney s'efforce de combattre, par plusieurs
arguments également justes et judicieux,
l'idée que la nature du climat, du sol,
puisse être la cause radicale d'un
phénomène si frappant ; et
après avoir exposé un grand nombre
d'exemples tirés de l'histoire ancienne qui
prouvent l'insuffisance de cette cause, il remarque
que les Juifs eux-mêmes, quoique
bornés à un petit état, ne
cessèrent de lutter pendant mille ans contre
des empires puissants.
Si les hommes de ces nations, ajoute-t-il, furent
des hommes inertes, qu'est-ce que
l'activité ? s'ils furent actifs,
où est l'influence du climat ?
Pourquoi, dans les mêmes contrées
où se développa jadis tant
d'énergie, règne-t-il aujourd'hui une
inertie si profonde
(21) ?
Et après avoir affranchi l'avocat du
christianisme de la nécessité de
prouver que ce contraste entre les anciennes moeurs
et les habitudes du peuple de la Syrie ne peut
provenir d'une cause naturelle que peut-être
il y aurait eu possibilité de
prévoir, Volney continue à
démontrer quelle en est la véritable
source, c'est-à-dire le genre de
gouvernement et l'état de la religion et des
lois, qu'il eût été impossible
à la sagacité de
l'homme de décrire d'avance, et qui n'ont
commencé à agir que bien des
siècles après l'époque
où leur action et leur effet furent
révélés aux anciens
prophètes d'Israël.
Non seulement on est étonné d'un
état de choses ainsi clairement
prédit et prouvé par rapport aux
habitants de la Judée, et aussi en raison du
contraste complet et frappant qu'il
présente, mais encore cet état est
tellement contraire aux usages et aux moeurs des
peuples qu'il est impossible d'expliquer comment,
par des moyens purement humains, il aurait pu
être prédit : car cette
prédiction, qui a trouvé son parfait
accomplissement sur la terre jadis heureuse de la
Judée, est également en contradiction
avec la nature humaine partout où on
l'envisage, sous quelque climat qu'on
l'étudie.
Voyez les groupes de sauvages réunis autour
de leurs misérables habitations,
s'égayant par de grossières
harmonies, ou s'exaltant par des chants
guerriers ? Allez de là dans les
cercles élégants de notre
société civilisée, et vous y
trouverez encore la même jouissance et le
même entraînement.
Dans les cabanes des déserts, dans les
palais de l'Asie et de l'Europe, dans les vastes
solitudes de l'Amérique, dans les immenses
plaines de l'Afrique, sur les prairies de la
Grande-Bretagne, dans les champs de la France ou
dans les vallées de l'Italie, l'observation
de l'homme à cet égard donne partout
le même résultat ; mais
peut-être ce fait n'aurait-il
été que lentement établi, et
les paroles de la prophétie n'auraient
été regardées que comme
l'hallucination d'un esprit prévenu, si un
chrétien, au lieu de Volney, avait rendu le
même témoignage.
« On ne boira plus de vin avec une
chanson. La cervoise sera amère à
ceux qui la boivent
(22) ».
Plus l'auteur des « Ruines »
examine la cause de la désolation de ces
régions et la source des calamités
qui ont fondu sur leurs habitants, plus il fournit
de preuves que les prophéties qui se
rapportent à ce sujet ne peuvent avoir
qu'une origine divine.
Chez nous, dit Volney, l'une des sources de la
gaîté est la table et l'usage des
vins ; chez les Orientaux ce double plaisir
est presque inconnu. La bonne chère
attirerait une avanie, et le vin une punition
corporelle, vu le zèle de la police à
faire exécuter les préceptes du
Koran. Ce n'est pas même sans peine que les
musulmans tolèrent dans les chrétiens
l'usage d'une liqueur qu'ils leur envient
(23).
À cette déclaration on peut ajouter
le témoignage d'autres voyageurs
également
désintéressés. Les vins de
Jérusalem, dit M. Joliffe, sont
exécrables. Dans un pays où toutes
les espèces de jus de raisin sont
prohibées, autant par la loi que par
l'Évangile, une seule fontaine a une plus
grande valeur que beaucoup de pressoirs
(24) M.
Wilson
assure qu'il est impossible de trouver de plus
mauvais vin que celui que l'on boit à
Jérusalem.
(25)
Tandis que d'un côté
l'intolérance et le despotisme des Turcs, la
rapacité et le vagabondage des Arabes ont
entièrement annulé toute l'influence
du climat et la fertilité de ces vignobles,
d'un autre côté la prohibition peu
naturelle de l'usage des vins et la rigueur qui
force à l'obéissance de cette loi ont
complètement découragé la
culture de la vigne ; le pressoir n'est plus
qu'un travail onéreux et odieux ;
cependant, dans un pays où la vigne
croît naturellement, où elle
était célèbre par l'excellence
de ses produits, il ne fallait rien de moins que
des causes surnaturelles et
extraordinaires pour
réaliser le langage du prophète. Dans
ce cas-ci, comme dans tous les autres, la
récapitulation des prophéties est le
meilleur sommaire des faits que t'on puisse
établir. Il suffit de changer le futur en
présent et en passé, pour prouver
qu'il serait impossible à un témoin
oculaire, écrivant sur les lieux
mêmes, de représenter plus exactement
l'état actuel de la Judée que ne le
fait Esaïe dans son langage
prophétique, si riche, si clair et si
varié.
« La vendange manquera et l'on ne fera
point de récolte. Frappez-vous la poitrine
à cause de vos belles campagnes et de vos
vignes fertiles. Les épines et les ronces
monteront sur la terre de mon peuple, même
sur toutes les maisons de plaisir et sur la ville
qui est dans la joie ; car le palais va
être renversé, la multitude de la
ville va être abandonnée ; les
lieux élevés du pays et les
forteresses seront autant de cavernes à
jamais ; ce sera là que se joueront les
ânes sauvages et que paîtront les
troupeaux (26). »
« Les chemins ont été
réduits en désolation, les passants
ne passent plus par les sentiers ; le pays est
dans les pleurs et languit ; le Liban est
confus et coupé, Saron est devenu comme une
lande, et Basçan et Carmel ont
été secoués
(27). »
« Le pays sera entièrement
vidé et entièrement
pillé ; le monde est languissant, il
est déchu. Le pays a été
profané par ses habitants, parce qu'ils ont
transgressé les lois. C'est pourquoi
l'imprécation du serment a
dévoré le pays ; à cause
de cela les habitants du pays sont consumés,
et peu de gens y sont demeurés de
reste ; la vigne languit et tous ceux qui
avaient le coeur joyeux soupirent. La joie des
tambours a cessé ;
le bruit de ceux qui se réjouissent est
fini, la joie de la harpe a cessé ; on
ne boira plus de vin avec des chansons ; la
cervoise sera amère à ceux qui la
boivent ; la ville de confusion a
été ruinée ; toute la
joie est tournée en obscurité,
l'allégresse du pays s'en est allée
(28). »
À ce tableau d'une destruction et d'une
dévastation générales, le
prophète, comme pour y mettre la
dernière main, ajoute :
« Il arrivera au milieu du pays comme
quand on secoue l'olivier et quand on grappille
après avoir achevé de vendanger
(29). »
« La gloire de Jacob sera
diminuée, et il en sera comme quand on
secoue l'olivier et qu'il reste deux ou trois
olives au bout des plus hautes branches, et quatre
ou cinq au haut des branches fertiles
(30). »
Ce qui veut dire, comme ailleurs on le
déclare sans métaphore, qu'une petite
portion serait réservée ; que
quoique la Judée dût devenir aussi
pauvre qu'un champ qu'on vient de moissonner, ou
semblable à une vigne après la
vendange, cependant sa désolation ne serait
pas tellement complète qu'on ne pût
encore découvrir quelques indices de son
abondance première, comme ces épis
laissés par les moissonneurs après la
récolte, ou ces raisins suspendus encore
à la vigne, ou les fruits restés sur
l'olivier après qu'on l'a secoué.
Aperçoit-on donc encore un reste de
l'ancienne gloire d'Israël ? oui,
certes ; et il serait impossible de trouver
une image plus exacte ou qui peignît mieux
son état présent. Naplouse
(anciennement Sichar ou Sichem) est
environné des plus délicieux
bosquets ; il est à moitié
caché par les riches jardins et les arbres
magnifiques répandus dans
la belle vallée où il est
situé
(31).
Le jardin
de Jeddin, situé sur les confins du mont
Saron, et protégé par le flanc de
cette montagne, s'étend sur plusieurs lieues
dans une large vallée, et abonde en
excellents fruits, tels qu'olives, amandes,
pêches, abricots et figues ; il est
traversé par nombre de ruisseaux qui
descendent de la montagne et arrosent les
cotonniers qui viennent très bien dans ce
sol fertile
(32).
La plaine de Zabulon ne le cède pas en
beauté à la riche vallée
située au sud de la Crimée ;
elle rappelle au souvenir du voyageur les paysages
les plus pittoresques du Kent et du Sussey
(33).
Le sol,
quoique pierreux, est extrêmement riche, mais
totalement négligé ; et la
délicieuse plaine de Zabulon paraît
couverte d'une végétation
spontanée, abondante et sauvage. Même
parmi les montagnes de Gilead, la nature est d'une
richesse extraordinaire. À chaque pas on
rencontre des paysages ravissants ; on voit de
magnifiques forêts entrecoupées de
gazons fleuris, et de vastes plaines d'un sol
rougeâtre sont couvertes de chardons, preuve
de fertilité
(34).
La vallée de St.-Jean,
aux environs de Jérusalem, est
entièrement couverte à sa
sommité d'oliviers et de vignes, tandis que
le fond de la vallée produit des figuiers et
des amandiers
(35).
Dès qu'un lieu devient la
propriété d'un aga turc ou d'un cheik
arabe, ou qu'il en fait sa résidence, alors
il faut que le sol fournisse à son luxe ou
à ses besoins, et la fertilité et la
beauté de la terre de Chanaan reparaissent
bientôt ; mais ces endroits ne se voient
que de loin à loin, au milieu d'une vaste
désolation. Et comment aurait-on jamais pu
prévoir que d'un côté la
même cause, c'est-à-dire la
résidence de chefs avides, causerait une
immense désolation sur toute la surface du
pays, et que de l'autre il faudrait lui attribuer
le peu qui reste de son ancienne gloire ? ou
enfin, que les fruits rares que l'on cueillerait au
bout des plus hautes branches seraient
conservés par les mains mêmes de celui
qui aurait « secoué
l'olivier ».
Parmi un si grand nombre de prophéties,
où la prédiction et son
accomplissement forment un miracle si frappant, il
est presque impossible d'en désigner une qui
soit plus remarquable que les autres ; mais,
certes, celle qui regarde Samarie n'est pas la
moins digne d'attention.
Pendant longtemps cette ville fut la capitale des
dix tribus d'Israël. Hérode-le-Grand
l'embellit, l'agrandit, et en honneur de
César-Auguste lui donna le nom de
Sébaste. On conserve encore plusieurs
médailles en cuivre qui y furent
frappées
(36).
C'était un évêché, comme
le prouve la signature de plusieurs de ses
évêques apposée à de
vieux documents. On peut ainsi faire remonter son
histoire à une époque
considérablement éloignée de
celle de la prédiction ; le
récit d'un voyageur fait
sans égard à la prophétie, et
que les commentateurs n'ont pas même
remarqué, nous en montre l'entier
accomplissement.
Parmi d'autres passages relatifs à la
destruction de cette ville, remarquons cette parole
de l'Éternel sortie de la bouche de
Michée : « Je réduirai
Samarie comme en un monceau de pierres qu'on fait
dans les champs où l'on plante les vignes,
et je ferai rouler ses pierres dans la
vallée et je découvrirai ses
fondements (37). »
Cette grande ville est maintenant
entièrement changée en jardins, et
tout ce qui reste pour en prouver l'existence,
c'est, du côté du nord, une grande
place carrée entourée de colonnes, et
à l'est les ruines d'une ancienne
église. C'est tout ce que Maundrell rapporte
sur cette ancienne capitale en 1696, et Buckingham
confirme ainsi ce qu'il en dit : La distance
relative, la position et le nom prouvent que c'est
bien ici le site de Samarie, et le prophète
Michée a fait lui-même la description
de ce qu'elle est maintenant
(38)
.
Mais le sort prédit à
Jérusalem a été encore plus
clairement accompli que celui de la capitale des
dix tribus d'Israël ; c'est le sujet de
la prophétie de Jacob sur son lit de
mort ; et comme siège du gouvernement
de Judas, le sceptre ne devait pas être
ôté du milieu d'elle jusqu'à ce
que le Messie fût venu, c'est-à-dire
dix-sept siècles après la mort du
patriarche, et jusqu'à ce que le temps de la
désolation prédite par Daniel
fût accompli : une destinée
diamétralement
opposée à sa
situation première devait l'atteindre dans
le lointain ; et avant qu'elle perdit rien de
sa grandeur, au temps même où les
Juifs en foule se rendaient dans son sein pour
célébrer leurs fêtes, au temps
même où elle contenait une population
nombreuse et paisible, son arrêt fut
prononcé ; elle devait être
foulée aux pieds par les nations ( gentils )
jusqu'à ce que le temps des nations
fût accompli. Le temps des nations n'est pas
encore accompli, car aujourd'hui encore
Jérusalem est foulée par les
nations.
Les Juifs ont fait, pour la recouvrer, maintes et
maintes tentatives ; ni le temps ni l'espace
n'ont pu l'effacer de leurs affections ; dans
les cérémonies de leur culte ils ont
le visage tourné vers elle, comme vers
l'objet de leur adoration et de leur amour ;
et quoique le désir d'y retourner soit
toujours vivant et indélébile dans le
coeur de chaque Juif qui se regarde comme un
exilé, cependant ils n'ont jamais pu ni
rebâtir leur temple ni arracher
Jérusalem de la main des gentils. Ils n'ont
pas fait seuls cette tentative, dont le
succès devait annuler le jugement de
Dieu.
Julien, empereur des Romains, ne permit pas
seulement aux Juifs de rebâtir
Jérusalem et leur temple, mais il les invita
à le faire, et leur promit de les
rétablir dans la cité de leurs
pères. Par ce seul acte il aurait pu, plus
que par tous ses écrits, détruire
l'influence du christianisme et amener le retour de
son paganisme chéri. Le zèle des
Juifs fut égal au sien.
On commença par poser de nouveau les
fondements du temple. - Tite était parvenu
à entourer toute la ville d'une haute
muraille ; ce travail ne lui avait pris que
trois jours, en présence d'une ville
remplie. de ses ennemis ; car, loin
d'être interrompu, ce grand ouvrage se
continua avec une merveilleuse
activité, et par là s'accomplissaient
les paroles de Jésus. Qu'est-ce donc qui a
pu empêcher l'empereur Julien de
rebâtir le temple, lorsque tous les Juifs se
mettaient à l'oeuvre avec tant de
courage ? rien ne lui était contraire,
sauf une seule phrase prononcée quelques
siècles auparavant par la bouche du
Crucifié ! Si cette parole avait
été d'un homme, aurait-elle pu lutter
contre la toute-puissance du Maître du
monde ?
Et pourquoi Julien, avec sa profonde haine contre
le christianisme, pourquoi n'est-il point parvenu
à exécuter un travail si facile et si
durable ?
Un historien païen rapporte que des
tourbillons de flamme sortaient de terre et
brûlaient les ouvriers, qui, ne pouvant plus
résister à ce terrible
élément, furent forcés
d'abandonner leurs travaux (39). D'autres
auteurs rendent le
même témoignage.
Chrysostôme, contemporain de cet
événement, en appelle à
l'état des fondements et au
témoignage universel sur ce fait ; et
un voyageur moderne fort distingué, et qui a
visité ce lieu avec soin, assure qu'il y a
tout lieu de croire que les restes mutilés
qui occupent l'emplacement de l'ancien temple sont
un monument de
l'inutilité des efforts
de Julien (40).
Mais indépendamment de ce nouveau
témoignage, Gibbon même n'a pu
résister à la force de
l'évidence historique, et il avoue que
l'incrédule ne peut que s'étonner
devant une telle autorité. Mais, même
abstraction faite de l'idée d'une
interposition miraculeuse, la prédiction
n'en a pas moins été accomplie. On a
ouvertement essayé de rebâtir le
temple, et il a fallu abandonner la tentative sans
cause explicable. Elle n'a jamais réussi et
la prophétie s'est accomplie.
Et lors même que Julien n'eût jamais
fait cette tentative, la prophétie n'en
serait pas moins remarquable. Les Juifs n'ont
jamais été rétablis dans la
Judée. Jérusalem a toujours
été foulée par les
nations.
L'édit d'Adrien fut renouvelé par les
successeurs de Julien, et aucun Juif ne pouvait
approcher de Jérusalem, si ce n'est en
trompant ou en achetant les gardes : le sol
leur était interdit par la loi.
Du temps des Croisés, toute la puissance de
la chrétienté fut concentrée
pour délivrer Jérusalem de la main
des païens, et elle ne put y
réussir.
Romains, Grecs, Perses, Sarrazins, Tartares,
Mamelouks, Turcs, Égyptiens, et encore
Arabes et Turcs, l'ont foulée tour à
tour, pendant plus de dix-huit siècles. Y
avait-il événement moins probable, et
pouvait-on prévoir chose plus impossible que
cet état d'un peuple qui, banni de son pays
et de sa capitale, en resterait exilé
pendant dix-huit cents ans ?
Où est la nation qui ait jamais subi un
pareil sort ?
L'Écriture contient-elle un seul point plus
difficile à croire que ne l'était ce
seul fait au moment de la prédiction ?
et même avec cet exemple des Juifs devant nos
yeux, est-il possible, ou est-il croyable que les
habitants de quelque autre contrée
de notre globe soient jamais
dispersés parmi toutes les nations, qu'ils
conservent leurs traits distinctifs, qu'ils aient
à endurer des vicissitudes sans pareilles,
qu'ils existent comme peuple sans gouvernement et
sans patrie, et que tel soit constamment leur sort,
jusqu'à ce qu'un certain
événement prédit autrefois
soit pleinement accompli ?
À qui donc pourrions-nous attribuer la
connaissance de faits semblables à ceux-ci,
si ce n'est à Celui dont la prescience
embrasse en même temps les voies et les
volontés des peuples, et qui connaît
d'avance toutes les actions et toute l'histoire des
nations, jusqu'aux générations les
plus reculées ?
Mais les prophètes ne bornent pas leurs
prédictions à la terre de
Judée ; elles parcourent un vaste
champ, elles embrassent un espace immense.
Après un laps de plusieurs siècles on
commence à connaître les
contrées voisines de la Judée, et
à mesure que les voyageurs les visitent,
leurs relations développent la description
que les prophètes ont donnée de leur
pauvreté et de leur désolation
futures, au temps même de leur plus grande
prospérité et de leur luxe
prodigieux.
Les pays des Ammonites, des Moabites, d'Edom,
d'Idumée et de la Philistie ont
été tour à tour le sujet des
prophéties. Leurs positions relatives,
clairement désignées dans les Saintes
Écritures, ont été
constatées, et les territoires des anciens
ennemis des Juifs, si longtemps occupés par
les ennemis du christianisme, vont nous offrir des
preuves de l'inspiration divine des Livres Juifs et
de la vérité la religion
chrétienne
(41).
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