Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IX.

PROPHÉTIES CONCERNANT LA JUDÉE ET LES CONTRÉES ADJACENTES.

suite

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Il est évident qu'il s'est opéré un changement complet dans tout ce qui autrefois faisait la beauté et la gloire de ce pays : à cet égard, les différents récits des historiens juifs et romains, et toutes les descriptions des voyageurs s'accordent parfaitement, même dans les plus petites circonstances. Josèphe représente le sol de la Galilée comme tellement riche et fertile, et tellement couvert de plantations d'arbres, « qu'il semblait inviter les plus paresseux à le cultiver ». Il décrit les autres provinces de la Terre-Sainte comme abondantes en arbres qui portent leur fruit en automne, tant ceux qu'on cultivait que ceux qui croissaient sans culture (88).

Tacite raconte que non seulement tous les fruits de l'Italie venaient dans le sol fertile de la Judée, mais qu'on y trouvait encore le palmier et le baumier ; et il parle des précautions extrêmes avec lesquelles, lorsque la sève était en circulation, on faisait une incision dans les branches du baumier, soit avec une coquille ou une pierre aiguë, parce qu'on n'osait les toucher avec une lame. On chercherait inutilement aujourd'hui et cet art et ces soins.
Le baumier a disparu du sol qui l'a longtemps nourri : d'autres plantes plus robustes ont péri également. Et au lieu de remarquer maintenant la culture de tel ou tel arbre délicat, ou de raconter comment on en extrait telle ou telle essence médicinale, avec un art que Tacite trouvait digne de son attention et de ses éloges, la tâche du voyageur se réduit à étudier les moeurs de ceux qui occupent présentement ce même territoire. Les oliviers (aux environs d'Arimathée ) dépérissent de vétusté, par les ravages des factions opposées et même par des délits secrets. Les Mamelouks ayant coupé les oliviers, pour le plaisir de détruire ou pour se chauffer, Yafa a perdu la plupart de ses avantages et de ses agréments (89). »
Au lieu donc « de l'abondance d'arbres provenant d'une culture soignée », l'effet des ravages de l'ennemi a été tel que dans plusieurs parties de la Palestine on ne trouve pas même de bois à brûler. Cependant cette destruction, son progrès et son étendue accomplissent littéralement les paroles de la prophétie, qui non seulement déclare que les villes désertes de la Judée deviendront des lieux où les troupeaux paîtront, où le veau gîtera et broutera, mais qui dit aussi que « quand son branchage sera sec, il sera brisé, et les femmes y venant en allumeront du feu. - Car ce peuple n'a pas d'intelligence ! »
Les arts les plus simples sont dans la barbarie, les sciences sont entièrement inconnues (90).
« Les épines et les ronces monteront sur la terre de mon peuple. » La terre ne produit que des ronces et des épines (91). Les plaines et les montagnes désertes de la Palestine abondent en une espèce de plante épineuse appelée mérar, et en d'autres du même genre. Plusieurs des montagnes sont tellement couvertes de ces plantes qu'il est fort difficile de parvenir à leur sommet, et tout le district de Tibériade est parsemé d'un arbrisseau épineux (92!

« Vos chemins seront déserts (93). Les chemins « ont été réduits en désolation, les passants ne passent plus par les sentiers (94) ». Les communications étaient tellement fréquentes autrefois (dans la Judée, et les communications si régulièrement entretenues par les voyages ordonnés au peuple, pour se rendre à Jérusalem, à la célébration du culte, et pour obéir au précepte de l'ancienne loi, qu'il n'y a jamais eu de pays où les grands chemins fussent aussi fréquentés ou aussi nécessaires. Du temps d'Esaïe, « le pays abondait en chevaux, et il n'y avait fin de ses chariots ; » et même encore aujourd'hui il existe de nombreuses traces de chemins pavés construits par les Romains (95), et d'autres qui, évidemment, ne sont pas d'origine romaine ; mais parmi les précieux monuments littéraires qui sont parvenus jusqu'à nous, se trouvent trois itinéraires romains que nous pouvons invoquer.
D'après ces itinéraires, et aussi d'après le témoignage d'Arrien et de Diodore de Sicile, de Josèphe et d'Eusèbe, il paraît, comme Reland le fait voir aussi, que dans la Palestine, longtemps après sa décadence, il existait quarante-deux grands chemins différents (viae publicae), tous distinctement spécifiés, et qui parcouraient des lignes d'une longueur de près de neuf cents milles (96).

Cependant la prophétie a été littéralement accomplie. Dans l'intérieur, ni grandes routes, ni canaux ; pas même de ponts sur la plupart des rivières et des torrents, quelque nécessaires qu'ils fussent pendant l'hiver. Il n'y a de ville en ville ni poste ni moyens de transport. Personne ne voyage seul, vu le peu de sûreté des routes. Il faut attendre que plusieurs voyageurs veuillent aller au même endroit, ou profiter du passage de quelque grand qui se fait protecteur et souvent oppresseur de la caravane. Les chemins des montagnes sont très pénibles, parce que les habitants, loin de les adoucir, les rendent le plus difficiles possible, afin, disent-ils, d'ôter aux Turcs l'envie d'y amener leur cavalerie (97). Il est remarquable que dans toute la Syrie l'on ne voit pas un chariot, pas une charrette Il n'y a d'auberges en aucun lieu, continue Volney ; les logements dans les kans ( bâtiments destinés aux voyageurs) sont des cellules où l'on ne trouve que les quatre murs, de la poussière et quelquefois des scorpions. Le gardien du kan est chargé de donner la clef et une natte, le voyageur a dû se fournir du reste ; ainsi il doit porter avec lui son lit, sa batterie de cuisine et même ses provisions ; car souvent on ne trouve pas de pain dans les villages (98)
Il n'y a aucune espèce de voiture dans ce pays, dit un autre voyageur.
Il est impossible de traverser les montagnes de la Palestine, rapporte un troisième témoin ; le chemin en est impraticable (99). Le voyageur se trouve au milieu d'une infâme race de voleurs qui lui couperaient le cou pour un liard, et lui enlèveraient son argent par pure oisiveté (1).

Dans un pays où il y a ainsi absence complète de voitures, il faut que les chemins, quelque nombreux et quelque excellents qu'ils aient été autrefois, restent déserts ; et là ou à chaque pas on rencontre des périls sans nombre et des privations inouïes, on ne peut pas s'étonner de ce que « les passants ne passent plus par les sentiers ». Mais que les disciples de Volney nous disent à leur tour comment la sagesse humaine a pu imaginer et transmettre tous ces détails comme Moïse et Esaïe l'ont fait, l'un trente-trois et l'autre vingt-cinq siècles avant que le fait pût s'accomplir ?

« Les destructeurs sont venus sur tous les lieux élevés du désert. » - Les précautions dont nous parlons plus haut sont surtout nécessaires dans les pays ouverts aux Arabes, tels que la Palestine et la frontière du désert (2).

« Les habitants de Jérusalem qui sont du « pays d'Israël mangeront leur pain avec chagrin, et boiront leur eau avec étonnement, parce que le pays sera désolé, étant privé de son abondance à cause de l'iniquité de tous ceux qui y habitent. »
On observe que dans les grandes villes (de la Syrie, car il n'y en a pas en Palestine) le peuple a beaucoup de cet air dissipé et sans souci qu'il a chez nous ; pourquoi cela ? c'est que là comme ici, dit Volney en parlant de la France, endurci à la souffrance par l'habitude, affranchi de la réflexion par l'ignorance, le peuple vit dans une sorte de sécurité ; il n'a rien à perdre, il n'a pas peur qu'on le dépouille.
Le marchand, au contraire, vit dans la crainte perpétuelle et de ne pas acquérir davantage et de perdre ce qu'il a ; il tremble d'attirer les regards d'un gouvernement rapace pour qui un air de satisfaction serait l'enseigne de l'aisance et le signal d'une avanie. La même crainte règne dans les villages, où chaque paysan redoute d'exciter l'envie de ses égaux et la cupidité de l'aga et des gens de guerre.
Dans un tel pays, où l'on est sans cesse surveillé, par une autorité spoliatrice, on doit porter un visage sérieux, par la même raison que l'on porte des habits percés (3) ou bien, pour terminer par les paroles du prophète, « à cause de l'iniquité de tous ceux qui y habitent. »

« Vous serez frustrés de vos revenus. »
D'après l'état des contributions de chaque pachalik, il paraît que la somme annuelle que la Syrie verse au kazna ou trésor du sultan se monte à 2345 bourses, savoir:


bourses

Pour Alep

800 

Pour Tripoli

750

Pour Damas

45

Pour St Jean-d'Acre

750

Pour la Palestine

0



Total

2,345 

qui font 2,931,250 livres de notre monnaie.


Après avoir spécifié quelques autres sources de revenus, l'auteur ajoute :
« On doit se rapprocher beaucoup de la vérité, en portant à 7 millions et demi la totalité du revenu que le sultan tire de la Syrie, total, 7,500,000 livres (4), » ce qui ne fait pas la septième partie du tribut payé à l'Égypte, tel qu'il était longtemps après cette prédiction.
Voilà tout ce que le gouvernement le plus despotique est parvenu à tirer de la Syrie appauvrie ; mais quelque insignifiante que soit cette somme, comme revenu de possessions aussi étendues, qui autrefois contenaient plusieurs états opulents et puissants, il faut encore en déduire la plus grande partie avant de pouvoir connaître exactement quelle est la chétive pitance qu'à titre de revenu, et à force d'extorsions, on tire de la terre d'Israël.

En jetant un coup d'oeil rapide sur le tableau ci-dessus, il est facile de se convaincre de la désolation et de la pauvreté respective des différentes provinces de la Syrie ; et encore les moins stériles de ces provinces, c'est-à-dire les pachaliks d'Alep et de Tripoli, ne faisaient point partie de l'ancienne Judée. La Palestine, contenant l'ancienne Philistie et une partie de la Judée, fut partagée en deux portions par le sultan, et soumise à l'autorité de deux individus. Le vaste pachalik de Damas, si peu productif en revenus, contient cependant Jérusalem et une grande partie de l'ancienne Judée ; ainsi on peut en dire avec encore plus d'exactitude que de tout le reste (5) : « Vous serez frustrés de vos revenus. »

Au lieu d'examiner à part chaque prédiction relative à la désolation de la terre de Judée, on peut en envisager plusieurs à la fois, et le sens en est si clair qu'il serait fort inutile de les expliquer plus au long. La preuve de leur parfait accomplissement n'est pas non plus difficile à trouver, car Volney confirme six prédictions dans une seule phrase, à laquelle il ajoute une réflexion qui ne tend pas moins à établir la vérité des paroles prophétiques.

« Je détruirai vos hauts lieux, je ruinerai vos tabernacles. »
« Je désolerai vos sanctuaires. »
« Le palais va être renversé. »
« Je ferai périr le reste de leurs ports de mer. »
« Je réduirai aussi vos villes en désert. »
« Les habitants du pays sont consumés et peu de gens y sont demeurés. »
« Toute la terre ne sera que désolation. »

Les temples se sont écroulés, les palais sont renversés, les ports sont comblés, les villes sont détruites, et la terre, nue d'habitants, ressemble à un vaste cimetière (5).
Grand Dieu ! s'écrie Volney, d'où viennent d'aussi funestes révolutions ? Par quels motifs la fortune de ces contrées a-t-elle si fort changée ? Pourquoi tant de villes sont-elles détruites ? Pourquoi cette ancienne population ne s'est-elle point reproduite et perpétuée ? Je l'ai parcourue, cette terre ravagée ; j'ai dénombré les royaumes de Damas et d'Idumée, de Jérusalem et de Samarie. Cette Syrie, me disais-je, aujourd'hui presque dépeuplée, contenait alors cent villes puissantes, et ses campagnes étaient couvertes de villages, de bourgs et de hameaux. Que sont devenues tant de brillantes créations de la main de l'homme ? Que sont devenus ces âges d'abondance et de vie ? etc.

En cherchant à être sage, l'homme devient insensé, tant qu'il ne veut se fier qu'à son imagination trompeuse, au lieu de chercher la sagesse dans cette parole de Dieu qui confond les sages, mais qui rend intelligents les simples. Ces paroles, prononcées par la bouche de l'incrédule, rendent témoignage à cette vérité même qu'il était trop aveugle ou trop orgueilleux pour apercevoir et pour admettre. Car les « pasteurs arabes » n'accomplissent pas plus, sans s'en douter, une prédiction, quand ils « foulent aux pieds » la Palestine, que Volney l'académicien ne confirme l'accomplissement d'une autre, lorsqu'il parle ainsi en son propre nom et en celui des autres. « Et la génération à venir dira, savoir vos enfants qui viendront après vous, et l'étranger qui viendra d'un pays éloigné, quand ils verront les plaies de ce pays et les maladies dont l'Éternel l'affligera : Pourquoi l'Éternel a-t-il ainsi traité ce peuple ? Quelle est la cause de l'ardeur de sa grande colère (6? »
Ce n'est point un « anathème secret, » comme le dit Volney, que Dieu a prononcé contre la Judée ; c'est la malédiction résultant d'une alliance abandonnée qui pèse sur cette contrée ; ce sont les conséquences des péchés de l'ancien peuple maintenant dispersé, et de ceux de ses habitants actuels. Ce n'est pas le respect que les peuples ont porté à une religion révélée qui a causé la ruine des empires ; la source en est bien différente. La destruction de Jérusalem et celle des autres villes de la Palestine fut l'oeuvre des Romains, païens idolâtres, et la dévastation, pendant des siècles, fut continuée par les Sarrazins et par les Turcs, disciples de Mahomet l'imposteur ; et toutes les désolations y furent apportées par des ennemis de la dispensation mosaïque et chrétienne.
Ces désolations elles-mêmes n'ont été ordonnées par la volonté divine qu'en tant qu'elles ont été une suite de la violation de la loi de Dieu. - C'est la décadence de la foi qui a amené la destruction. Et la terre n'a eu à subir d'autres malédictions que celles qui sont décrites dans le Livre Saint.
Là, le caractère et la condition du peuple, et l'aspect du pays, frappé de malédiction à cause du péché de ses habitants, se trouvent dépeints avec la même exactitude. Et quand l'incrédule demande : Pourquoi l'Éternel a-t-il ainsi traité ce peuple ? la même parole qui prédit que cette question serait faite fournit aussi la réponse : Et on répondra : « C'est parce qu'ils ont abandonné l'alliance de l'Éternel, le Dieu de leurs pères. »
« Le pays a été profané par ses habitants, parce qu'ils ont transgressé ses lois ; ils ont changé les ordonnances, et ont violé l'alliance éternelle, « c'est pourquoi l'imprécation du serment a dévoré le pays. »

Ces paroles si expressives, en déclarant la cause des jugements et des désolations, décrivent aussi la méchanceté de ceux qui devaient occuper la terre de Judée pendant le temps de sa désolation, et pendant que ses anciens habitants seraient « dispersés sur la terre. »

Et quoique l'ignorance de ces peuples puisse être un sujet de pitié, cependant on ne peut nier leur excessive dégénération. La férocité des Turcs, les moeurs désordonnées des Arabes, l'état d'avilissement du petit nombre de Juifs à qui l'on permet encore de vivre sur le sol de leurs ancêtres, les disputes sans cesse renaissantes parmi ce peuple mélangé, et la grande dépravation qui règne dans toutes les classes, ont complètement changé l'aspect moral de ce pays qu'au temps d'autrefois on appelait « la Terre Sainte. » Et cette région, où, pendant plusieurs siècles, le seul vrai Dieu fut connu et adoré ; ce pays qui présentait aux regards des hommes l'unique exemple d'une parfaite morale, est maintenant une des parties du monde les plus dégradées ; et on peut véritablement dire que cette terre a été profanée par ses habitants.

Et il y a bien des siècles qu'il est ainsi profané. Le Père des miséricordes n'afflige pas volontairement les enfants des hommes. C'est le péché qui est toujours l'avant-coureur des malédictions du ciel. Ce fut à cause de leur idolâtrie et de leurs iniquités que les dix tribus furent d'abord « retranchées de la terre d'Israël. »
Plus tard, à leur propre prière et d'après la mesure de leurs péchés, le sang de Jésus retomba sur les Juifs et sur leurs enfants ; et avant leur expulsion finale de cette terre que leur iniquité avait profanée, elle fut arrosée du sang de plus d'un demi-million de leur peuple.
La Judée se reposa ensuite pendant un court espace de temps, lors du premier établissement des églises chrétiennes ; mais dans cette terre, berceau du christianisme, les semences de corruption ne tardèrent pas à paraître. La puissance morale de la religion commença à s'effacer, le culte des images se propagea, et les disciples apparents de la vraie foi violèrent l'alliance éternelle (7).
La doctrine de Mahomet, le Coran ou l'épée, fut le fléau ou la guérison de l'idolâtrie ; mais toutes les impuretés de la croyance mahométane succédèrent à un christianisme corrompu et grossier. Depuis lors, des hordes de Sarrazins, d'Égyptiens, de Fatimites, de Tartares, de Mameloucks et de Turcs (assemblage de noms barbares sans pareils, du moins dans les temps modernes), ont pendant l'espace de douze cents ans « profané » la terre des enfants d'Israël par l'iniquité et par le sang. Ainsi la prophétie n'a rien d'hyperbolique : « Les plus méchantes des nations posséderont leurs habitations, et leurs saints lieux seront profanés (8). »
Quant aux saints lieux, Omar, à la première conquête de Jérusalem par les Mahométans, construisit une mosquée sur l'emplacement même du temple de Salomon, et quelque jaloux de sa gloire que soit le Dieu d'Israël, les disputes continuelles et sanglantes entre les sectes chrétiennes, autour même du sépulcre de l'auteur de leur foi, qu'ils déshonorent, témoignent encore aujourd'hui de la vérité de cette prédiction.
Le zèle frénétique des chrétiens croisés ne put extirper de la Judée les païens qui la possédaient, quoique l'Europe se répandît comme un torrent sur l'Asie. Mais la profanation de la terre, comme celle des lieux saints, n'est pas encore passée, et la Judée est encore profanée à l'heure qu'il est, non seulement par des gouverneurs tyranniques, mais aussi par des peuples sans lois et sans principes. La barbarie est complète dans la Syrie, dit Volney (9). J'ai souvent pensé, dit Burckhardt, en décrivant la conduite immorale d'un prêtre grec dans le Hauran (mais en termes qui ne sont que trop susceptibles d'une application générale), que si le code pénal anglais était soudainement proclamé dans ce pays, à peine y aurait-il un homme dans les affaires, ou ayant avec d'autres des relations pécuniaires, qui ne fût sujet à la déportation (10).
« Sous le nom de christianisme » on professe ou l'on tolère toutes sortes de superstitions et de cérémonies profanes, également éloignées des saintes doctrines de l'Évangile et de la dignité de la nature de l'homme. Le pur Évangile de Christ, partout le précurseur de la civilisation et de la science, est presque aussi inconnu dans la Terre-Sainte que dans la Californie ou la Nouvelle-Hollande.
Quelques légendes, quelques traditions, empreintes de vestiges de judaïsme, et les misérables visions d'ermites ignorants, font cependant apercevoir de temps en temps une lueur de la lumière céleste ; mais, si nous recherchons les effets du christianisme sur la terre de Chanaan, il nous faut attendre ce bienheureux temps où « le désert fleurira comme la rose » (11). « Le pays a été profané parce que ses « habitants ont transgressé ses lois ; ils ont changé les ordonnances et ont violé l'alliance éternelle, c'est pourquoi l'imprécation du serment a dévoré le pays. » (Esaïe, XXIV, 5, 6.)

« Les habitants ont été mis en désolation. »
Le gouvernement des Turcs en Syrie est un pur despotisme militaire, c'est-à-dire que la foule des habitants y est soumise aux volontés d'une faction d'hommes armés qui disposent de tout selon leur intérêt et à leur gré. Dans chaque gouvernement, le pacha est despote absolu. Le peuple, gêné dans la jouissance des fruits de son travail, restreint son activité dans les bornes des premiers besoins. - On n'est en sûreté ni dans les villes ni dans les campagnes (12).

« Et peu de gens y seront demeurés de reste. »
Si le caractère du peuple est ainsi corrompu, si sa condition est misérable, son nombre est aussi bien petit, comparé à l'étendue du pays et à la fertilité du sol. Après avoir évalué le nombre des habitants de la Syrie, Volney ajoute :
« On a droit de s'étonner d'une population si faible dans un pays si excellent ; mais l'on s'en étonnera encore davantage, si on la compare à la population des temps anciens. Les seuls territoires de Jamma et de Joppé en Palestine, dit le géographe philosophe Strabon, furent jadis si peuplés qu'ils pouvaient entre eux armer quarante mille hommes ; à peine aujourd'hui en fourniraient-ils trois mille.
D'après le tableau assez bien constaté de la Judée au temps de Titus, cette contrée devait contenir quatre millions d'âmes, et aujourd'hui elle n'en a peut-être pas trois cent mille. Si l'on remonte aux siècles antérieurs, on trouve la même abondance d'habitants chez les Philistins, chez les Phéniciens, et dans les royaumes de Samarie et de Damas (13). » En estimant l'ancienne population de la Judée à son taux le plus bas et celle d'aujourd'hui au taux le plus élevé, le pays ne semble pas contenir la dixième partie de ses anciens habitants, qui subsistèrent pendant des siècles, uniquement par ses propres ressources et par la richesse de son sol. Qui aurait pu s'imaginer que ce même pays ne devait donner un jour qu'une chétive nourriture au « peu de gens qui y seraient demeurés de reste ? »

« Toutefois il en restera un dixième. »
« La ville de laquelle il en sortait mille n'en aura de reste que cent ; et celle de laquelle il en sortait cent n'en aura de reste que dix (14) »
La population actuelle de la Judée a été évaluée, sans aucun rapport aux prophéties, a un dixième de ce qu'elle était avant la dispersion du peuple juif. Volney, d'après une estimation comparative, l'évalue à moins encore. Il est impossible d'en obtenir la proportion exacte. Les paroles de Pierre Bello, citées par Malte-Brun, quoique rendant au fond un témoignage semblable à celui des autres voyageurs, nous offrent cependant la supputation la plus précise : Le même district qui aujourd'hui ne fournit à cent individus qu'une faible subsistance fournissait autrefois abondamment à mille (15).

« La joie des tambours a cessé, le bruit de ceux qui se réjouissent est fini ; la joie de la harpe a cessé (16). »
La musique instrumentale était fort en usage chez les Juifs. Le tambour et la harpe, la cymbale, le psaltérion et le clairon étaient en vogue parmi eux, et faisaient régulièrement partie du service au temple. À l'époque de cette prédiction, la harpe, le clairon, le tambour, la viole et la flûte résonnaient dans toutes leurs fêtes ; et quoiqu'il y ait longtemps que les Juifs ne font plus une nation, cependant ces instruments se trouvent encore parmi eux. Mais hélas ! dans la terre de la Judée, jadis si heureuse, la voix joyeuse de la musique a cessé de se faire entendre.
Dans une esquisse de l'état des arts et des sciences en Syrie et dans toute la Terre-Sainte, Volney observe qu'on ne rencontre que rarement des personnes initiées à l'art de la musique.

Toute leur musique est vocale ; ils ne connaissent ni n'estiment le jeu des instruments, et ils ont raison ; car les leurs, sans en excepter les flûtes, sont détestables (17). « La joie du tambour a cessé, la joie de la harpe a cessé. »
Encore n'est-ce pas ici le seul trait mélancolique qui semble avoir passé du pays au coeur de ses habitants. Et le langage plaintif du prophète se trouve réalisé à la lettre (quoiqu'on eût fort bien pu s'attendre à un accomplissement moins littéral) lorsqu'on le compare simplement aux paroles d'un incrédule célèbre.
« Car ceux qui avaient le coeur joyeux soupirent ; on ne boira plus de vin avec des chansons ; toute la joie est tournée en obscurité ; l'allégresse du pays s'en est allée. Le chant de la vendange n'y retentira plu (18).

Leur expression (en chantant) est accompagnée de soupirs. On peut dire qu'ils excellent dans le genre mélancolique. À voir un Arabe la tête penchée, la main près de l'oreille en forme de conque ; à voir ses sourcils froncés, ses yeux languissants, à entendre ses intonations plaintives, ses tenues prolongées, ses soupirs sanglotants, il est presque impossible de retenir ses larmes (19).
Le même auteur, dans ses tristes récits, nous reproduit encore les visions du prophète. Dans le chapitre où il donne la description des habitudes et du caractère des habitants de la Syrie, il appuie surtout sur l'expression de tristesse répandue sur les physionomies. Au lieu de ce visage ouvert et gai, dit-il, que chez nous l'on porte ou l'on affecte, ils ont un visage sérieux, austère ou mélancolique ; rarement ils rient, et l'enjouement de nos Français leur paraît un accès de délire. S'ils parlent, c'est sans empressement, sans geste, sans passion ; ils écoutent sans interrompre, ils gardent le silence des journées entières, et ils ne se piquent point d'entretenir la conversation. Toujours assis, ils passent des journées entières rêvant, les jambes croisées, la pipe à la bouche, presque sans changer d'attitude.
Les Orientaux en général ont l'extérieur grave et flegmatique ; s'ils marchent, c'est posément et pour affaires ; ils regardent l'inaction comme un des éléments de bonheur (20).

Après avoir ainsi énoncé le fait, Volney s'efforce de combattre, par plusieurs arguments également justes et judicieux, l'idée que la nature du climat, du sol, puisse être la cause radicale d'un phénomène si frappant ; et après avoir exposé un grand nombre d'exemples tirés de l'histoire ancienne qui prouvent l'insuffisance de cette cause, il remarque que les Juifs eux-mêmes, quoique bornés à un petit état, ne cessèrent de lutter pendant mille ans contre des empires puissants.
Si les hommes de ces nations, ajoute-t-il, furent des hommes inertes, qu'est-ce que l'activité ? s'ils furent actifs, où est l'influence du climat ? Pourquoi, dans les mêmes contrées où se développa jadis tant d'énergie, règne-t-il aujourd'hui une inertie si profonde (21) ?
Et après avoir affranchi l'avocat du christianisme de la nécessité de prouver que ce contraste entre les anciennes moeurs et les habitudes du peuple de la Syrie ne peut provenir d'une cause naturelle que peut-être il y aurait eu possibilité de prévoir, Volney continue à démontrer quelle en est la véritable source, c'est-à-dire le genre de gouvernement et l'état de la religion et des lois, qu'il eût été impossible à la sagacité de l'homme de décrire d'avance, et qui n'ont commencé à agir que bien des siècles après l'époque où leur action et leur effet furent révélés aux anciens prophètes d'Israël.
Non seulement on est étonné d'un état de choses ainsi clairement prédit et prouvé par rapport aux habitants de la Judée, et aussi en raison du contraste complet et frappant qu'il présente, mais encore cet état est tellement contraire aux usages et aux moeurs des peuples qu'il est impossible d'expliquer comment, par des moyens purement humains, il aurait pu être prédit : car cette prédiction, qui a trouvé son parfait accomplissement sur la terre jadis heureuse de la Judée, est également en contradiction avec la nature humaine partout où on l'envisage, sous quelque climat qu'on l'étudie.
Voyez les groupes de sauvages réunis autour de leurs misérables habitations, s'égayant par de grossières harmonies, ou s'exaltant par des chants guerriers ? Allez de là dans les cercles élégants de notre société civilisée, et vous y trouverez encore la même jouissance et le même entraînement.
Dans les cabanes des déserts, dans les palais de l'Asie et de l'Europe, dans les vastes solitudes de l'Amérique, dans les immenses plaines de l'Afrique, sur les prairies de la Grande-Bretagne, dans les champs de la France ou dans les vallées de l'Italie, l'observation de l'homme à cet égard donne partout le même résultat ; mais peut-être ce fait n'aurait-il été que lentement établi, et les paroles de la prophétie n'auraient été regardées que comme l'hallucination d'un esprit prévenu, si un chrétien, au lieu de Volney, avait rendu le même témoignage.

« On ne boira plus de vin avec une chanson. La cervoise sera amère à ceux qui la boivent (22».

Plus l'auteur des « Ruines » examine la cause de la désolation de ces régions et la source des calamités qui ont fondu sur leurs habitants, plus il fournit de preuves que les prophéties qui se rapportent à ce sujet ne peuvent avoir qu'une origine divine.
Chez nous, dit Volney, l'une des sources de la gaîté est la table et l'usage des vins ; chez les Orientaux ce double plaisir est presque inconnu. La bonne chère attirerait une avanie, et le vin une punition corporelle, vu le zèle de la police à faire exécuter les préceptes du Koran. Ce n'est pas même sans peine que les musulmans tolèrent dans les chrétiens l'usage d'une liqueur qu'ils leur envient (23).
À cette déclaration on peut ajouter le témoignage d'autres voyageurs également désintéressés. Les vins de Jérusalem, dit M. Joliffe, sont exécrables. Dans un pays où toutes les espèces de jus de raisin sont prohibées, autant par la loi que par l'Évangile, une seule fontaine a une plus grande valeur que beaucoup de pressoirs (24) M. Wilson assure qu'il est impossible de trouver de plus mauvais vin que celui que l'on boit à Jérusalem. (25)

Tandis que d'un côté l'intolérance et le despotisme des Turcs, la rapacité et le vagabondage des Arabes ont entièrement annulé toute l'influence du climat et la fertilité de ces vignobles, d'un autre côté la prohibition peu naturelle de l'usage des vins et la rigueur qui force à l'obéissance de cette loi ont complètement découragé la culture de la vigne ; le pressoir n'est plus qu'un travail onéreux et odieux ; cependant, dans un pays où la vigne croît naturellement, où elle était célèbre par l'excellence de ses produits, il ne fallait rien de moins que des causes surnaturelles et extraordinaires pour réaliser le langage du prophète. Dans ce cas-ci, comme dans tous les autres, la récapitulation des prophéties est le meilleur sommaire des faits que t'on puisse établir. Il suffit de changer le futur en présent et en passé, pour prouver qu'il serait impossible à un témoin oculaire, écrivant sur les lieux mêmes, de représenter plus exactement l'état actuel de la Judée que ne le fait Esaïe dans son langage prophétique, si riche, si clair et si varié.

« La vendange manquera et l'on ne fera point de récolte. Frappez-vous la poitrine à cause de vos belles campagnes et de vos vignes fertiles. Les épines et les ronces monteront sur la terre de mon peuple, même sur toutes les maisons de plaisir et sur la ville qui est dans la joie ; car le palais va être renversé, la multitude de la ville va être abandonnée ; les lieux élevés du pays et les forteresses seront autant de cavernes à jamais ; ce sera là que se joueront les ânes sauvages et que paîtront les troupeaux (26). »
« Les chemins ont été réduits en désolation, les passants ne passent plus par les sentiers ; le pays est dans les pleurs et languit ; le Liban est confus et coupé, Saron est devenu comme une lande, et Basçan et Carmel ont été secoués (27). »
« Le pays sera entièrement vidé et entièrement pillé ; le monde est languissant, il est déchu. Le pays a été profané par ses habitants, parce qu'ils ont transgressé les lois. C'est pourquoi l'imprécation du serment a dévoré le pays ; à cause de cela les habitants du pays sont consumés, et peu de gens y sont demeurés de reste ; la vigne languit et tous ceux qui avaient le coeur joyeux soupirent. La joie des tambours a cessé ; le bruit de ceux qui se réjouissent est fini, la joie de la harpe a cessé ; on ne boira plus de vin avec des chansons ; la cervoise sera amère à ceux qui la boivent ; la ville de confusion a été ruinée ; toute la joie est tournée en obscurité, l'allégresse du pays s'en est allée (28). »

À ce tableau d'une destruction et d'une dévastation générales, le prophète, comme pour y mettre la dernière main, ajoute :
« Il arrivera au milieu du pays comme quand on secoue l'olivier et quand on grappille après avoir achevé de vendanger (29). »
« La gloire de Jacob sera diminuée, et il en sera comme quand on secoue l'olivier et qu'il reste deux ou trois olives au bout des plus hautes branches, et quatre ou cinq au haut des branches fertiles (30). »

Ce qui veut dire, comme ailleurs on le déclare sans métaphore, qu'une petite portion serait réservée ; que quoique la Judée dût devenir aussi pauvre qu'un champ qu'on vient de moissonner, ou semblable à une vigne après la vendange, cependant sa désolation ne serait pas tellement complète qu'on ne pût encore découvrir quelques indices de son abondance première, comme ces épis laissés par les moissonneurs après la récolte, ou ces raisins suspendus encore à la vigne, ou les fruits restés sur l'olivier après qu'on l'a secoué.

Aperçoit-on donc encore un reste de l'ancienne gloire d'Israël ? oui, certes ; et il serait impossible de trouver une image plus exacte ou qui peignît mieux son état présent. Naplouse (anciennement Sichar ou Sichem) est environné des plus délicieux bosquets ; il est à moitié caché par les riches jardins et les arbres magnifiques répandus dans la belle vallée où il est situé (31). Le jardin de Jeddin, situé sur les confins du mont Saron, et protégé par le flanc de cette montagne, s'étend sur plusieurs lieues dans une large vallée, et abonde en excellents fruits, tels qu'olives, amandes, pêches, abricots et figues ; il est traversé par nombre de ruisseaux qui descendent de la montagne et arrosent les cotonniers qui viennent très bien dans ce sol fertile (32).
La plaine de Zabulon ne le cède pas en beauté à la riche vallée située au sud de la Crimée ; elle rappelle au souvenir du voyageur les paysages les plus pittoresques du Kent et du Sussey (33). Le sol, quoique pierreux, est extrêmement riche, mais totalement négligé ; et la délicieuse plaine de Zabulon paraît couverte d'une végétation spontanée, abondante et sauvage. Même parmi les montagnes de Gilead, la nature est d'une richesse extraordinaire. À chaque pas on rencontre des paysages ravissants ; on voit de magnifiques forêts entrecoupées de gazons fleuris, et de vastes plaines d'un sol rougeâtre sont couvertes de chardons, preuve de fertilité (34).
La vallée de St.-Jean, aux environs de Jérusalem, est entièrement couverte à sa sommité d'oliviers et de vignes, tandis que le fond de la vallée produit des figuiers et des amandiers (35).

Dès qu'un lieu devient la propriété d'un aga turc ou d'un cheik arabe, ou qu'il en fait sa résidence, alors il faut que le sol fournisse à son luxe ou à ses besoins, et la fertilité et la beauté de la terre de Chanaan reparaissent bientôt ; mais ces endroits ne se voient que de loin à loin, au milieu d'une vaste désolation. Et comment aurait-on jamais pu prévoir que d'un côté la même cause, c'est-à-dire la résidence de chefs avides, causerait une immense désolation sur toute la surface du pays, et que de l'autre il faudrait lui attribuer le peu qui reste de son ancienne gloire ? ou enfin, que les fruits rares que l'on cueillerait au bout des plus hautes branches seraient conservés par les mains mêmes de celui qui aurait « secoué l'olivier ».

Parmi un si grand nombre de prophéties, où la prédiction et son accomplissement forment un miracle si frappant, il est presque impossible d'en désigner une qui soit plus remarquable que les autres ; mais, certes, celle qui regarde Samarie n'est pas la moins digne d'attention.

Pendant longtemps cette ville fut la capitale des dix tribus d'Israël. Hérode-le-Grand l'embellit, l'agrandit, et en honneur de César-Auguste lui donna le nom de Sébaste. On conserve encore plusieurs médailles en cuivre qui y furent frappées (36). C'était un évêché, comme le prouve la signature de plusieurs de ses évêques apposée à de vieux documents. On peut ainsi faire remonter son histoire à une époque considérablement éloignée de celle de la prédiction ; le récit d'un voyageur fait sans égard à la prophétie, et que les commentateurs n'ont pas même remarqué, nous en montre l'entier accomplissement.

Parmi d'autres passages relatifs à la destruction de cette ville, remarquons cette parole de l'Éternel sortie de la bouche de Michée : « Je réduirai Samarie comme en un monceau de pierres qu'on fait dans les champs où l'on plante les vignes, et je ferai rouler ses pierres dans la vallée et je découvrirai ses fondements (37). »
Cette grande ville est maintenant entièrement changée en jardins, et tout ce qui reste pour en prouver l'existence, c'est, du côté du nord, une grande place carrée entourée de colonnes, et à l'est les ruines d'une ancienne église. C'est tout ce que Maundrell rapporte sur cette ancienne capitale en 1696, et Buckingham confirme ainsi ce qu'il en dit : La distance relative, la position et le nom prouvent que c'est bien ici le site de Samarie, et le prophète Michée a fait lui-même la description de ce qu'elle est maintenant (38)
.
Mais le sort prédit à Jérusalem a été encore plus clairement accompli que celui de la capitale des dix tribus d'Israël ; c'est le sujet de la prophétie de Jacob sur son lit de mort ; et comme siège du gouvernement de Judas, le sceptre ne devait pas être ôté du milieu d'elle jusqu'à ce que le Messie fût venu, c'est-à-dire dix-sept siècles après la mort du patriarche, et jusqu'à ce que le temps de la désolation prédite par Daniel fût accompli : une destinée diamétralement opposée à sa situation première devait l'atteindre dans le lointain ; et avant qu'elle perdit rien de sa grandeur, au temps même où les Juifs en foule se rendaient dans son sein pour célébrer leurs fêtes, au temps même où elle contenait une population nombreuse et paisible, son arrêt fut prononcé ; elle devait être foulée aux pieds par les nations ( gentils ) jusqu'à ce que le temps des nations fût accompli. Le temps des nations n'est pas encore accompli, car aujourd'hui encore Jérusalem est foulée par les nations.

Les Juifs ont fait, pour la recouvrer, maintes et maintes tentatives ; ni le temps ni l'espace n'ont pu l'effacer de leurs affections ; dans les cérémonies de leur culte ils ont le visage tourné vers elle, comme vers l'objet de leur adoration et de leur amour ; et quoique le désir d'y retourner soit toujours vivant et indélébile dans le coeur de chaque Juif qui se regarde comme un exilé, cependant ils n'ont jamais pu ni rebâtir leur temple ni arracher Jérusalem de la main des gentils. Ils n'ont pas fait seuls cette tentative, dont le succès devait annuler le jugement de Dieu.
Julien, empereur des Romains, ne permit pas seulement aux Juifs de rebâtir Jérusalem et leur temple, mais il les invita à le faire, et leur promit de les rétablir dans la cité de leurs pères. Par ce seul acte il aurait pu, plus que par tous ses écrits, détruire l'influence du christianisme et amener le retour de son paganisme chéri. Le zèle des Juifs fut égal au sien.
On commença par poser de nouveau les fondements du temple. - Tite était parvenu à entourer toute la ville d'une haute muraille ; ce travail ne lui avait pris que trois jours, en présence d'une ville remplie. de ses ennemis ; car, loin d'être interrompu, ce grand ouvrage se continua avec une merveilleuse activité, et par là s'accomplissaient les paroles de Jésus. Qu'est-ce donc qui a pu empêcher l'empereur Julien de rebâtir le temple, lorsque tous les Juifs se mettaient à l'oeuvre avec tant de courage ? rien ne lui était contraire, sauf une seule phrase prononcée quelques siècles auparavant par la bouche du Crucifié ! Si cette parole avait été d'un homme, aurait-elle pu lutter contre la toute-puissance du Maître du monde ?
Et pourquoi Julien, avec sa profonde haine contre le christianisme, pourquoi n'est-il point parvenu à exécuter un travail si facile et si durable ?
Un historien païen rapporte que des tourbillons de flamme sortaient de terre et brûlaient les ouvriers, qui, ne pouvant plus résister à ce terrible élément, furent forcés d'abandonner leurs travaux (39). D'autres auteurs rendent le même témoignage.
Chrysostôme, contemporain de cet événement, en appelle à l'état des fondements et au témoignage universel sur ce fait ; et un voyageur moderne fort distingué, et qui a visité ce lieu avec soin, assure qu'il y a tout lieu de croire que les restes mutilés qui occupent l'emplacement de l'ancien temple sont un monument de l'inutilité des efforts de Julien (40).
Mais indépendamment de ce nouveau témoignage, Gibbon même n'a pu résister à la force de l'évidence historique, et il avoue que l'incrédule ne peut que s'étonner devant une telle autorité. Mais, même abstraction faite de l'idée d'une interposition miraculeuse, la prédiction n'en a pas moins été accomplie. On a ouvertement essayé de rebâtir le temple, et il a fallu abandonner la tentative sans cause explicable. Elle n'a jamais réussi et la prophétie s'est accomplie.

Et lors même que Julien n'eût jamais fait cette tentative, la prophétie n'en serait pas moins remarquable. Les Juifs n'ont jamais été rétablis dans la Judée. Jérusalem a toujours été foulée par les nations.
L'édit d'Adrien fut renouvelé par les successeurs de Julien, et aucun Juif ne pouvait approcher de Jérusalem, si ce n'est en trompant ou en achetant les gardes : le sol leur était interdit par la loi.
Du temps des Croisés, toute la puissance de la chrétienté fut concentrée pour délivrer Jérusalem de la main des païens, et elle ne put y réussir.
Romains, Grecs, Perses, Sarrazins, Tartares, Mamelouks, Turcs, Égyptiens, et encore Arabes et Turcs, l'ont foulée tour à tour, pendant plus de dix-huit siècles. Y avait-il événement moins probable, et pouvait-on prévoir chose plus impossible que cet état d'un peuple qui, banni de son pays et de sa capitale, en resterait exilé pendant dix-huit cents ans ?
Où est la nation qui ait jamais subi un pareil sort ?
L'Écriture contient-elle un seul point plus difficile à croire que ne l'était ce seul fait au moment de la prédiction ? et même avec cet exemple des Juifs devant nos yeux, est-il possible, ou est-il croyable que les habitants de quelque autre contrée de notre globe soient jamais dispersés parmi toutes les nations, qu'ils conservent leurs traits distinctifs, qu'ils aient à endurer des vicissitudes sans pareilles, qu'ils existent comme peuple sans gouvernement et sans patrie, et que tel soit constamment leur sort, jusqu'à ce qu'un certain événement prédit autrefois soit pleinement accompli ?
À qui donc pourrions-nous attribuer la connaissance de faits semblables à ceux-ci, si ce n'est à Celui dont la prescience embrasse en même temps les voies et les volontés des peuples, et qui connaît d'avance toutes les actions et toute l'histoire des nations, jusqu'aux générations les plus reculées ?

Mais les prophètes ne bornent pas leurs prédictions à la terre de Judée ; elles parcourent un vaste champ, elles embrassent un espace immense. Après un laps de plusieurs siècles on commence à connaître les contrées voisines de la Judée, et à mesure que les voyageurs les visitent, leurs relations développent la description que les prophètes ont donnée de leur pauvreté et de leur désolation futures, au temps même de leur plus grande prospérité et de leur luxe prodigieux.
Les pays des Ammonites, des Moabites, d'Edom, d'Idumée et de la Philistie ont été tour à tour le sujet des prophéties. Leurs positions relatives, clairement désignées dans les Saintes Écritures, ont été constatées, et les territoires des anciens ennemis des Juifs, si longtemps occupés par les ennemis du christianisme, vont nous offrir des preuves de l'inspiration divine des Livres Juifs et de la vérité la religion chrétienne (41).


(88) Josèphe, De bello judaico, I. III, ch. III, & 2.

(89) Volney, ch. XXXI, p. 307, 308.

(90) Ibid., ch. XXXI.

(91) Ibid., Ruines, ch. II.

(92) Burckhardt, p. 333.

(93) Lévit., XXVI, 22.

(94) Esaïe, XXXIII, 8.

(95) Straton.

(96) Relandi Palaestina ex monumentis veteribus illustrata, T.I, I. II, ch. III, p, 405, 425.

(97) Volney, ch. XXXIII, p. 382.

(98) Ibid., p. 384.

(99) Voyages de Wilson, p. 100.

(1) Voyages de Richardson, vol. II, p. 225.

(2) Volney, ch. XXXVIII, p. 383. 

(3) Ibid., XL, p. 437.

(4) Volney, ch. XXXII, p. 332.

(5) Ruines de Volney.

(6) Deut., XXIX, 22 

(7) Esaïe, XXIV, 5

(8) Ezéchiel, VII, 27. 

(9) Volney, ch. XXXIX. 

(10) Burckhart, p. 84. 

(11) Clarke, vol. II, p. 405.

(12) Volnay, ch. XXXII, & 3.

(13) Ibid., XXXII 

(14) Amos, V, 3

(15) Géog. de Malte-Brun, vol. II, p. 181.

(16) Esaïe, XXIV, 8.

(17) Volney, ch. XXXIX.

(18) Esaïe, XXIV. Jérémie, XLVIII, 33

(19) Volney, ch. XL.

(20) Volney, ch. XL

(21) Ibid. 

(22) Esaïe, XXIV.

(23) Volney, ch. Il, p. 440.

(24) Joliffe, vol. I, p. 484.

(25) Voyages de Wilson, p. 180.

(26) Esaïe, XXXII, 10, 12, 13-14

(27) Ibid., XXXIII, 8, 9

(28) Esaïe, XXIV, 3-14

(29) Ibid., 13

(30) Ibid., XVII, 4-6

(31) Clarke, vol. Il, p. 506.
Capernaüm, capitale de la Galilée, qui « était portée jusqu'au ciel », c'est-à-dire qui était dans l'état de la plus grande prospérité à l'époque où Jésus-Christ et ses apôtres s'y firent entendre en vain, se trouve maintenant « abaissée jusqu'en enfer », ou en d'autres mots "entièrement détruite », et ne présente, comme Chorazin et Bethsaïde, qu'une masse de ruines.
D'un autre côté, Samarie, capitale du pays de ce nom, est également « renversée dans la vallée ».
En présence de ces faits, le lecteur chrétien verra avec intérêt que Sichar, l'une des villes inférieures de la Samarie, que Sichar, dont les habitants vinrent au-devant de Jésus et crurent en lui après l'avoir entendu, forme maintenant, au dire des voyageurs qui en parlent, une des exceptions les plus frappantes à la désolation générale des pays qui l'entourent, et qu'elle est le seul vestige qui rappelle les villes de la Judée, de la Samarie et de la Galilée.

(32) Mariti, t. II, p. 151.

(33) Clarke, t. II, p. 400.

(34) Buckingham, p. 332.

(35) Straton.

(36) Dictionnaire de Calmet. - Relandi Palestina. 

(37) Michée, I, 6

(38) Buckingham, p. 511-512. D'autres voyageurs ont fait une description semblable, et presque dans les mêmes termes. Les pierres sont roulées dans la vallée, les fondements sont à découvert et on ne voit plus que « la colline où fut jadis Samarie ». Un voyageur a pris Naplouse pour l'antique Samarie. 

(39) (Note en latin) 

(40) Clarke, vol. II.

(41) Relandi Palestina illustrata. - Carte de d'Anville. - Cartes, dans les Voyages, de Burckhardt et de Buckingham. - Géographie sainte de Wells. - Histoire de Gibbon. - Voyages de Shaw, etc.
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