AU SERVICE
DU MAÎTRE
Soeur Sophie
de Pury
LA DERNIÈRE MONTÉE.
"Merci de m'avoir permis de venir ici,
écrivait le 28 octobre Soeur Sophie B., dont
les lettres vous permettront d'assister au
déclin graduel de cette vie si bénie.
Soeur Sophie en est si heureuse, elle dit que tu
lui as envoyé une grande douceur et un grand
repos. Je bénis le Seigneur de ce qu'Il
m'accorde cette faveur, dont je suis si indigne, et
je ne t'aurais pas répété la
commission de ma Mère, si je ne pensais pas
que cela rafraîchirait ton coeur d'avoir fait
cela pour elle !
Que te dire de notre bien-aimée
malade ? elle assure qu'elle se sent mieux
depuis que je suis ici, il est sûr que le
coussin à eau lui a fait un bien infini pour
son pauvre dos, qui se guérit ; elle se
disait couchée sur du feu auparavant. Mais
le côté gauche est encore plus malade
que le droit, le bras est comme paralysé, la
jambe aussi, et le tout lui fait souvent bien mal.
La main gauche a un peu,
très peu de mouvement, mais les doigts sont
comme morts ; elle a la bouche si
enflammée qu'elle ne peut prendre que du
liquide, et sa chère main, droite, le seul
membre valide, est si faible ! Oh ! cela
fait mal, et quand je vois son doux et lumineux
regard j'ai de la peine à croire qu'il doit
bientôt se voiler pour toujours sur cette
terre ... et elle sait si aimablement
s'intéresser à tant de choses !
M. Borel-Girard, qui a été ici, dit
qu'elle a un regard céleste, et qu'en la
voyant, il pensait à Étienne, dont le
visage était semblable à celui d'un
ange. "
Le lendemain de sa visite le sympathique
pasteur de la Chaux-de-Fonds, qui est poète
à ses heures, envoyait à la
chère malade les vers suivants :
- Nous tous qui contemplons la face du
Seigneur,
- Nous sommes transformés à
sa vivante image :
- L'oeuvre se fait sans bruit au plus
profond du coeur,
- Les souffrances sur nous mettent comme un
nuage ;
- Mais nos yeux sont tournés vers la
porte du ciel,
- Et le regard des saints est
déjà sur la terre
- Le reflet des clartés qu'aucune
ombre n'altère
- Oh ! comme il va briller au
séjour éternel !
Au mois de septembre M. le professeur
Frédéric Godet, ayant appris la
maladie de Soeur Sophie, lui avait écrit la
lettre suivante :
"J'apprends, en
arrivant à Neuchâtel, d'une
manière plus précise votre
état de maladie et de grande souffrance, que
je ne connaissais jusqu'ici que d'une
manière générale. Ce n'est pas
vous qui avez besoin d'être encouragée
à souffrir et préparée au
départ. Que de fois n'avez-vous pas
été restaurée et n'avez-vous
pas soutenu d'autres par ces
paroles de Jésus : « Si
quelqu'un me sert, qu'il me suive, et où je
suis, celui qui me sert, y sera aussi. »
Même en
saisissant cette assurance si encourageante,
peut-être arrivera-t-il pour vous un moment
d'obscurité où, comme le Maître
lui-même, vous serez obligée de
dire : « Maintenant mon âme
est troublée !" Oh ! qu'alors vous
puissiez vous jeter aveuglément comme Lui
dans les bras de sa volonté paternelle et
concentrer toute votre angoisse dans ce cri
filial : « Père, glorifie ton
nom ! » Et la réponse
d'En-Haut ne tardera pas. Vous recevrez la promesse
que "comme Dieu a été glorifié
en vous ici-bas, Il le sera encore Là-Haut."
(Jean 12, 26-28.)
Celui qui
jusqu'à la fin restera votre ami, et que,
s'il Lui plaît, notre Maître commun ne
tardera pas à recevoir aussi Là-Haut
dans sa grâce immense !
F.
GODET.
Le fidèle serviteur entra encore avant
elle dans la joie de son Maître, et en
partant, il envoya à cette Soeur en Christ,
à laquelle il avait de tout temps
témoigné un si profond
intérêt et qu'il savait si près
du but, un message tout particulier.
"Cela ne l'a pas trop émue, dit Soeur
Sophie B., elle est si douce et si courageuse,
pensant aux autres et s'oubliant toujours
elle-même", et quelques jours plus
tard : "elle a été si heureuse
de pouvoir expédier cette
dépêche, elle est encore
tout-à-fait elle-même quand il s'agit
de faire du bien ou du plaisir. N'a-t-elle pas fait
acheter à chacune des bonnes une provision
de reinettes pour l'hiver ? et quand elle sait
quelqu'un de pauvre ou de malade
dans les environs, elle n'a de repos que quand une
de ses soeurs y a été et a
apporté un soulagement quelconque. -
Oh ! comme sa douce, gracieuse bonté
nous manquera !
Je ne puis croire qu'elle va nous quitter,
et pourtant je le sais, je le vois, et elle le
sent, mais elle n'en parle guère, si ce
n'est pour me donner de temps en temps une petite
recommandation pour "après".
Oh ! après ! comme nous
serons pauvres et misérables, mais comme
elle se reposera, comme elle jouira dans tout son
être renouvelé, notre
bien-aimée.
"Quelle tâche douloureuse d'assister
jour après jour à tant de souffrance
sans pouvoir y remédier. Dans ce pauvre
corps décharné tout était
douloureux, et malgré les plus infinies
précautions les soins qu'on lui donnait ne
faisaient que lui infliger de nouvelles tortures.
Mais jamais elle n'eut un mot d'impatience. Dans
les premiers jours de novembre il y eut une
légère recrudescence de force. Soeur
Sophie B. le constate avec une joie
mêlée de tremblement.
"Notre malade continue à aller
joliment, dit-elle le 5 novembre, elle est si
reconnaissante de ne plus souffrir si fort. Ce
matin, pendant sa toilette, elle nous dirigeait et
nous nous sommes taquinées comme dans nos
plus beaux jours. Maintenant elle repose
après nous avoir tous reçus pour le
café et écouté la lecture
d'une bonne partie du "Journal religieux". Est-ce
un vrai mieux ? Oh ! comme j'aime le
texte d'aujourd'hui :
« L'Éternel combattra pour vous,
vous demeurerez en silence. » Et c'est ce
que nous faisons, elle et moi. M. de Pury s'est
remis à prier pour la guérison de
sa soeur
bien-aimée ! - Moi, je pense au texte,
et je me tiens tranquille ! - C'est toute ma
force."
Soeur Sophie B. était venue
censément pour 15 jours, mais il
n'était pas question de la rappeler, et
malgré le petit mieux, il lui semblait
impossible de parler de départ. En attendant
l'hiver s'annonçait.
"On a mis les doubles fenêtres,
écrit-elle le 9 novembre, nous ne pouvons
plus ouvrir tout grand et laisser
pénétrer des flots d'air, nous sommes
réduites au "guichet" que nous connaissons
par les histoires de Huguenin. Jeanne a
apporté ce matin de magnifiques pavots
rouges et des pervenches, le tout recouvert, d'une
fine glace ! Soeur Sabine, qui a
été se promener avec nos dames, est
revenue, tenant d'une main un délicieux
bouquet de fleurs des bois et de l'autre une boule
de neige sur un plat de fougères et de
sapin ! "
Le 11 novembre la chère malade
demandait au docteur tout simplement :
"N'est-ce pas, je marche vers la fin ?" et il
répondait tout ému : "
Oh ! ma Soeur, nous aurions tant voulu vous
garder encore !"
"Tout son désir, ajoute Soeur Sophie
B., tend vers le Seigneur Jésus seul. -
Oh ! qu'il arrive maintenant la prendre
doucement à Lui, sa pauvre petite tente
tombe en ruines. Mais quelle grâce que les
fortes douleurs ne soient pas
revenues ! »
Lundi, 12 novembre. "Cet après-midi
j'ai aidé à ma Mère à
mettre ses papiers en ordre. - C'est tellement
poignant et si bienfaisant pourtant, parce que tout
est si simple ! C'est l'enfant qui retourne
à la maison - il ne craindrait pas une
petite prolongation de son temps d'école,
mais il se réjouit tant
de voir son Père, que le reste n'est
qu'accessoire. - Et ses papiers ! oh !
quel désir de glorifier son Maître, de
ne vivre que pour Lui dans tout ce qu'elle a fait,
tout ce qu'elle a vécu !
Et plus loin : Les souffrances sont
comme émoussées, elle en est si
doucement reconnaissante que les larmes m'en
viennent aux yeux quand j'entends ses actions de
grâce. Demain elle veut me dicter une lettre
au comité."
Mercredi, 14 novembre fut un jour de
souffrance, mais vers le soir ses nerfs se sont
détendus et elle a pu parler à son
frère et à ses soeurs de choses qui
lui tenaient au coeur. Elle a demandé que sa
soeur lui chante : « O
Désiré de la terre ! »
puis « Sainte Sion, ô Patrie
éternelle ! » Elle a
récité elle-même de sa
chère voix brisée les deux
dernières strophes du cantique :
« Il est en Israël une source
abondante ».
- Je reprendrai mes chants dans un plus
doux langage
- Quand la mort aura clos mes lèvres
pour jamais,
- Et mon âme, échappée
à son dur esclavage,
- Changera d'instrument et non pas de
sujet.
- Sur une harpe d'or par mon Dieu
préparée
- Je chanterai l'amour et le nom
glorieux
- Du Berger qui chercha sa brebis
égarée
- Et la prit dans ses bras pour la porter
aux cieux.
Elle-même n'a aucune émotion quand
elle nous parle de son départ et des choses
du, ciel. Ce n'est que Jésus "mort pour ses
péchés et ressuscité pour sa
justification" qui lui fait verser des larmes
d'amour. Puis il y a des moments où elle
pleure à cause de ses péchés
et où il faut lui rappeler qu'elle est
couverte du sang de l'Agneau sans défaut et
sans tache. Elle
gémissait doucement hier
au soir, je lui ai demandé si elle
souffrait, elle m'a répondu : "Oh non,
c'est une mauvaise habitude, mais tu sais, au ciel
on ne gémira plus ! - Oh non, lui ai-je
répondu, tu te souviens :
« La douleur et le gémissement
s'enfuiront » Tu aurais dû voir son
joyeux et rayonnant sourire !"
Vendredi. 16 novembre. "Nous sommes en plein
dans la mauvaise saison, le vent souffle triste et
froid autour de la maison, et quand hier le bon M.
de Pury est rentré tout gelé de ses
visites aux malades, Soeur Sophie lui a dit si
tendrement d'aller se réchauffer à la
cheminée du salon. "Oh non, lui a-t-il
répondu vivement, tu es notre soleil !"
Et c'est bien vrai ! il part d'elle une
influence si bienfaisante, si
réchauffante ! Oh ! notre
chérie s'en va-t-elle vraiment ? Il me
semble qu'elle a un petit regain de vie ces
jours-ci et elle en jouit, mais elle ne demande
qu'à être dans la volonté du
Seigneur. Les crampes dans les jambes reviennent
pourtant, mais elles sont moins douloureuses. Elle
a toujours le pénible sentiment d'être
en deux parties, et elle est si gracieuse, qu'elle
nous le raconte en souriant gaiement."
La lettre au comité lui avait donne
bien de l'émotion. En dictant les
premières lignes qui, concernaient Mlle L.
Berger, elle avait ajouté : "Je ne sais
ce que je serais devenue sans elle ! " Tout
était en ordre maintenant, son testament
aussi. Par moments elle se reprenait à faire
des projets : "Si ma vie se prolonge,
disait-elle, il faudrait que mon Alice vienne
encore une fois me voir. "
Dimanche, 18 novembre, M. de Pury lui lisait
une méditation de M. Frank Thomas :
« Jésus, roi de notre
corps. » Et moi, dit-elle à la
fin, que puis-je faire encore dans mon
état ? plus rien du tout,
hélas ! - Toi, ma chérie, lui
a-t-il répondu, tu nous édifies par
ta patience et tu glorifies le Seigneur par ta
confiance, que te faut-il de plus ?"
"Aujourd'hui, ajoute notre chère
correspondante, notre chérie va bien
joliment, grâces à Dieu (ce joliment,
dans sa bouche, a toutes sortes de sens. Cela va
toujours joliment, même quand elle a mal).
"
En réponse à la lettre
écrite par Soeur Sophie au comité de
la Maison des Diaconesses, Mlle Berger lui avait
exprimé avec la chaleureuse effusion dont
elle avait le secret, les sentiments de
vénération, d'affection, de regret et
de reconnaissance de ces dames.
Lundi, 19 novembre. "Merci, répond
Soeur Sophie B., pour ta chère lettre, que
j'ai lue à Soeur Sophie et qui l'a fait
pleurer de joie et de confusion. Elle dit que le
Seigneur la jugera tout autrement, et moi je lui ai
rappelé comme Il est doux et tendre envers
le fils qui le sert ... et elle est la fille qui
l'a servi dans l'humilité, dans la patience,
dans la charité ! - Je ne lui ai pas
dit ces derniers mots, à cette douce
chérie !"
Et plus loin : "Notre chérie
dort en ce moment. Elle est si misérable et
voulait encore une fois écrire une lettre
à toutes les Soeurs, écrire
elle-même ! Elle veut essayer
demain ! mais demain, de quoi sera-t-il
fait ? d'un peu plus de misère
encore ! - Sa douce et ferme confiance ne
faiblit pas un moment ! La
fidélité du Seigneur
Jésus non plus !
oh ! comme nous Lui rendons
grâces ! Le texte d'aujourd'hui fait ses
délices : « Béni soit
l'Éternel, mon rocher, mon bienfaiteur et ma
forteresse, ma haute retraite et mon
libérateur, mon bouclier, Celui en qui je me
réfugie », elle aime tant ces
derniers mots."
Lettre de Soeur Sophie de Pury aux
Soeurs.
20. novembre. Vous toutes, mes
bien-aimées, Soeurs, depuis la plus
âgée à la plus jeune, de la
plus ancienne à la plus nouvelle, je veux
vous adresser un adieu, mais aussi un heureux au
revoir.
Combien j'ai été heureuse
auprès de vous, combien je vous ai
aimées, combien je vous aime encore, oui,
c'est pour l'éternité. Et maintenant
je crois tout-à-fait que c'est mon tour de
quitter ce monde et de rejoindre mon Sauveur. O mes
bien chères Soeurs, je ne puis vous dire ses
compassions infinies ! elles m'ont suivie
toute ma vie, elles sont allées en
augmentant, et Il me mène tout doucement et
surtout Il m'assure du pardon. Oh ! quelle
immense grâce ! et ma vie est
plongée dans son sang du jour de ma
naissance au dernier. Suppliez-le avec moi que
Jésus me conserve cette ferme assurance
jusqu'au moment où Il me fermera les yeux.
Oh ! que sera-ce de les rouvrir dans
l'éternité et d'y rencontrer
Jésus, le Sauveur, et tous nos
bien-aimés.
Mais, mes chères, ce qui me touche
profondément de votre part, c'est que j'ai
entendu que vous êtes toutes d'accord
à regarder ma chère Sophie comme
votre déléguée auprès
de moi, et elle a vraiment
tâché de bien vous représenter
auprès de moi.
À Dieu, mes bien-aimées.
Oh ! qu'Il vous bénisse, et que nous
nous retrouvions toutes auprès de Lui.
Votre SOPHIE.
On célébrait de tristes
fêtes à Strasbourg pendant ces jours
d'angoisse. Un nuage de deuil avait plané
déjà sur celle du 31 octobre, et
maintenant Noël approchait, et l'absence de
celle qui depuis tant d'années avait
été l'âme de tous les
préparatifs se faisait vivement et
douloureusement sentir.
"Oh ! comme notre bien-aimée
manquera à ces fêtes de Noël pour
lesquelles elle se donnait tant de peine,
écrivait Soeur Sophie B. le 21 novembre,
comme elle avait à coeur que chacun
fût réjoui par un rayon du soleil
d'En-Haut ! Comme elle s'y est encore
fatiguée l'année passée,
malade comme elle l'était, sans que nous le
sussions ! - Oh ! quel trésor le
Seigneur nous avait prêté en
elle !"
Le Seigneur lui avait fait la grâce de
ne plus se préoccuper de toutes ces choses
qui jusque-là lui avaient tant tenu à
coeur, auxquelles elle s'était donnée
si entièrement. Elle avait tout
déposé aux pieds de son Maître
et l'y avait laissé ; l'idée
qu'elle pût être indispensable ne l'a
jamais effleurée. Elle s'en remettait
à son Maître pour faire faire
dorénavant par celles qu'Il voudrait bien en
charger, la besogne dont elle s'était si
fidèlement acquittée, et elle se
reposait sur Son coeur sans s'en mettre en
souci."
Jeudi, 22 novembre. "Le docteur dit que la
maladie attaque tous les organes à la fois
et que la faiblesse augmente, mais il croit qu'il
peut encore revenir de meilleurs jours. Le meilleur
jour sera celui où le Seigneur viendra
chercher sa servante fatiguée. Quand nous
étions jeunes elle me disait : "Il
faudra que nous puissions dire à la fin de
notre vie : Seigneur, je me suis lassée
à ton service, mais jamais de ton service,
et c'est ce quelle peut faire maintenant en toute
vérité."
Le 23 novembre notre chère malade
priait son amie de finir ses ouvrages
commencés, parce qu'elle ne pourrait plus le
faire. Elle se sentait bien près du
départ, quoi qu'elle n'en dît
rien.
"Depuis trois jours, écrit Soeur
Sophie B., je ne puis plus lui lire autre chose que
le texte ; la dernière chose qu'elle
ait demandé, c'est la lecture de la
prière sacerdotale, à la fin de
laquelle elle a dit : "Oh oui, amen !"
Comme elle a aimé le texte d'hier et le
petit verset qui l'accompagne :
« Quand je suis dans la détresse,
sauve-moi ! Aie pitié de moi,
écoute ma prière ! - Seigneur,
du sein de la poussière mon âme crie
à toi ... » Mais elle n'est pas
dans la détresse, notre bien-aimée,
son pied repose sur le roc, son Sauveur est le
réconfort de son âme. Mlle M. me
disait que Soeur Sophie avait été
comme un ange au lit de mort de Mad. Sch., j'ai le
même souvenir d'elle, quand je pense aux
derniers moments de notre chère Mlle de
Coulon. Quand Soeur Sophie a prié
près d'elle, je vois encore le sourire
radieux de notre amie que nous croyions
insensible ! Maintenant les anges entourent
son lit, j'en suis sûre,
et quand le moment sera venu, ils transporteront
leur soeur au pied du trône de
Jésus."
Pendant les derniers jours de novembre on
crut sa fin prochaine, elle-même parlait de
son départ.
Mercredi, 28 novembre, Soeur Sophie Baquol
écrivait : "Je sens comme vos coeurs
sont avec nous dans une même attente et une
même foi. Notre douce chérie a eu un
moment si pénible de faiblesse hier vers le
soir, qu'elle a cru que le Seigneur allait venir.
J'étais seule avec elle, elle m'a
regardée, toute blanche, mais avec un
rayonnant sourire : "N'aie pas peur, c'est
Jésus. qui vient !"
Je sentais que ce n'était pas le
moment encore, mais mon coeur tremblait
d'émotion. Elle a demandé ses soeurs,
mais elles étaient sorties ainsi que M. de
Pury. À leur retour elle était un peu
mieux, mais épuisée. Je lui ai dit le
soir : "Cela ne te fait rien de rester encore
un peu chez nous ? - Mais non ! je suis
contente ! "
Et toujours. son doux sourire qui vous
remonte. Oh ! si tu avais entendu hier au soir
la prière de M. de Pury : "Tu sais,
Seigneur, que Sophie croit que tu vas venir la
chercher. Oh ! comme nous te bénissons
de savoir qu'elle est ton enfant. - Lavée,
purifiée dans ton sang, ne voulant d'autres
mérites que les tiens, sachant que tu es
là, les bras tendus, pour la recevoir !
garde-la de tout mal, qu'elle ne jette pas un
regard sur elle-même, qu'elle reste en toi
..."
Oh ! qu'elle est douce et chère,
notre précieuse chérie !
N'est-ce pas, vous ne vous fatiguez pas de prier
que le Seigneur la garde de toute angoisse morale
et physique, si c'est sa bonne
volonté !"
Et le lendemain, 29 novembre, elle
disait : "Hier au soir M. de Pury a de nouveau
si tendrement recommandé sa soeur au
Seigneur - comme un frère à un
frère aîné tout-puissant :
"Dis-lui que tu lui réserves une chambre
dans ces demeures éternelles que tu as
préparées pour nous !"
Le jour suivant, s'éveillant
après un moment de somnolence :
"Crois-tu que Jésus m'oublie ?"
demandait-elle. - Je sentais si bien, dit son amie,
qu'elle-même ne le croyait pas, mais comme il
lui tarde d'être
délivrée !"
L'oppression, les douleurs dans les deux
jambes étaient revenues, les pieds
étaient enflés, la main et le pied
gauches étaient comme morts, et les
palpitations de son pauvre coeur étaient
visibles. "Je n'y fais pas attention", disait-elle.
Souvent elle répétait :
"Jésus est si bon !" et c'était
chaque fois un baume pour ceux qui la voyaient si
intensément souffrir. Elle n'avait plus
qu'un désir, c'est que le Seigneur
vînt la prendre pendant son sommeil.
"Hier au soir, écrit Soeur Sophie B.
à la date du 2 décembre, quand nous
sommes revenues du souper, elle m'a dit : "Je
viens de me réveiller, et je vous attends
pour que vous me portiez au
cimetière !" - Je lui ai
répondu : "Mais, chérie,
Jésus te portera au ciel, et nous ne donnons
pas une pensée au cimetière. - Mais
c'est donc ! m'a-t-elle répondu
joyeusement, et là-dessus elle invite de
nouveau la famille à passer une heure
auprès d'elle et à lui faire la
lecture ! Quelle grâce qu'elle soit si
patiente et si soumise."
Elle ne lisait plus les lettres, plus
même son cher livre de textes, et ce n'est
que par une douce
déférence aux habitudes reçues
qu'elle subissait ces lectures. Le texte du jour
lui était toujours précieux et il lui
arrivait encore de dire qu'elle se proposait bien
de le vivre.
Aux lettres qui lui parlaient de son
activité passée et de ce qu'elle
avait été pour notre Maison, elle
répondait que rien ne pouvait plus lui faire
de mal, que Jésus "tout en tous"
l'enveloppait, et qu'elle-même n'était
que poussière.
Lorsque, le dimanche, 2 décembre, on
lui dit que c'était l'Avent, elle
répondit : "Oui, et toute mon attente
est en Lui !" et un peu plus tard : "La
paix ! j'ai la paix que Lui seul peut donner,
l'assurance de son salut tout gratuit", et ses
beaux yeux resplendissaient de joie.
Le 3 décembre elle eut tant
d'oppression, et la faiblesse prenait tellement le
dessus qu'on crut qu'elle allait partir. "Nous
étions tous réunis autour d'elle, dit
la lettre du jour, M. de Pury lui a lu la fin du
chapitre VII de l'Apocalypse, et il
a prié comme il sait prier. Puis notre
bien-aimée a demandé Lament. III.
« Quand je pense à ma
détresse et à ma misère, voici
ce que je veux repasser dans mon coeur, ce qui me
donnera de l'espérance : les
bontés de l'Éternel ne sont pas
épuisées ... Oh ! que sa
fidélité est grande. »
Puis Saint
Jean XIV : les demeures dans la
maison du Père ... et toujours les actions
de grâces de notre bien-aimée !
Puis voici M. de Pury qui se lève et d'une
voix presque joyeuse, O Sophie ! dit-il, te
souviens-tu ? le vieux M. Pétavel nous
disait qu'il lui semble que les enfants de Dieu
forment une grande ronde sur la terre et
chantent : "Nous avons un grand château
... et que les anges du ciel
leur répondent : Le
notre est plus beau !" et ils appellent un
chrétien après l'autre, et voici, ils
vont t'appeler. "Nous avons tous un peu ri,
c'était si joli !"
Le lendemain, sans qu'on lui ait
parlé du désir des Soeurs de voir sa
dépouille mortelle reposer dans notre
paisible cimetière du Schlössel parmi
toutes les chères âmes qui nous ont
devancées, elle dit tout d'un coup en se
réveillant : "N'est-ce pas, cela ne
fera rien à mes chères Soeurs qu'on
me garde ici ? j'aimerais reposer près
de ma soeur Louise, puisque je suis ici. Dis-leur
que "toute la terre est au Seigneur". Cela me fait
du bien de penser, ajoute Soeur Sophie B., qu'elle
restera tout près de ses montagnes, de ses
forêts qu'elle a tant aimées.
Jour après jour la famille vient
s'établir à son chevet pour y passer
la soirée. On lit les Paraboles de la nature
de Mad. Gatty « La terre
inconnue », « La
résurrection de la chenille ». On
fait le culte à neuf heures et Soeur Sophie
y répond par un Amen si ferme, après
quoi elle n'oublie jamais de prier qu'on fasse
passer les pastilles avant de se séparer.
"Elle pense à tant de petites choses
regardant notre confort, dit son amie, que cela
fait pleurer, elle qui ne connaît plus aucune
bonne petite place depuis si longtemps. Son
médecin continue à être si bon,
si attentif, si délicat, ajoute-t-elle. Hier
au soir, par une pluie battante et un vent furieux,
il a fait cinq quarts d'heure à pied pour
arriver à l'heure, au lien d'attendre le
petit régional, oui n'aurait pu l'amener que
deux heures plus tard. Il était
transpercé en
arrivant."
"Ce lit est vraiment un autel, disait Soeur
Sophie B., le 4 décembre, et cette chambre
un sanctuaire ; mais cette victime qui est
là, ce grand sacrifice que nous avons fait,
que le Seigneur l'accepte maintenant et la prenne
à Lui pour l'amour de son nom."
Mais le Seigneur tardait, et notre
Mère bien-aimée passait par moments
par des angoisses plus pénibles que les
souffrances. "N'abandonnons pas notre confiance,
répétait-elle, qui doit avoir une si
grande récompense." Elle exprimait tous ses
sentiments par des passages de la Bible, et comme
elle la connaissait !
On avait fait venir pour elle de Strasbourg
le compte-rendu autographié des derniers
jours de M. Rein de Nonnenweyer, témoignage
précieux et bienfaisant d'un chrétien
vraiment primitif pendant les jours qui
précédèrent son
délogement, et elle jouissait d'en entendre
lire des passages. De sa main presque
paralysée, elle écrivit encore une
dédicace dans le livre de texte d'une Soeur
qui l'avait priée de n'y mettre que son
nom.
"Cette nuit, dit Soeur Sophie Baquol, il
faisait si clair que j'ai éteint la lampe et
ouvert les grands rideaux, cela a été
un ravissement pour elle de voir la grande
étendue de neige sous la fenêtre et
les rayons argentés de la lune qui
l'éclairait."
Le lendemain elle fut si bien dans
l'après-midi, qu'elle put avoir son
frère et causer intimement avec lui.
"Il m'a dit, rapporta-t-elle ensuite
à son amie, que je n'ai rien d'autre
à apporter au Seigneur Jésus que ma
misère et ma faiblesse, qu'Il est là
tout prêt à me
recevoir telle que je suis, que le reste est
effacé, pardonné, lavé. Ne
sommes-nous pas des gens heureux ! Oh !
quelle paix, et que c'est doux ! et ouvrant le
recueil de cantiques, elle mit le doigt sur la
strophe suivante :
- "C'est un port à l'abri de toutes
les tempêtes,
- Un trône où le chétif
accourt sûr, d'un appui ;
- C'est le palais d'un roi dont les
paisibles fêtes
- Sont saintes comme Lui."
On se demande, ajoute Soeur Sophie Baquol,
où elle prend la force de
s'intéresser encore si vivement à
tout. Oh ! n'est-ce pas que nous ne savions
pas quel trésor le Seigneur nous avait
donné en elle !"
Cependant le docteur constatait que le pouls
devenait mauvais et qu'il y avait tous les jours
baisse de forces. Lundi 10 décembre, elle
était si faible que son amie crut sa fin
toute proche.
"Je me demande, écrit-elle, en
commençant cette lettre, si vous la recevrez
avant le télégramme qui vous
annoncera peut-être demain déjà
que notre bien-aimée va partir ou est
partie ! (Elle devait vivre encore dans cet
indescriptible état de misère
physique jusqu'au 4 janvier.) Ses forces baissent
visiblement, sa chère figure si amaigrie
continue à changer, elle dort beaucoup et ne
se retrouve pas quand elle se réveille, la
précieuse lumière s'éteint
tout doucement. Comme je voudrais que vous puissiez
la voir, vous et nos Soeurs ! elle dort si
paisiblement, et son cher visage a une empreinte
céleste, tout est tranquille autour de nous
et je baise ses mains chéries pour vous,
pour nos Soeurs, pour
moi !
Oh ! que de choses on voudrait encore
lui dire, mais c'est fini pour cette terre, son
âme n'est plus ouverte qu'à la Parole
de Dieu et aux choses qui sont En-haut, là
où son coeur a toujours
été ! Elle s'est
éveillée un moment et m'a dit qu'elle
ne fait que rêver, et qu'elle ne devrait pas
tant dormir, puisque le Seigneur Jésus va
venir, "et comment fera-t-Il pour me prendre avec
Lui ?"
Elle semblait la plupart du temps absolument
détachée des choses de ce monde,
même les fleurs, qu'elle avait tant
aimées, obtenaient à peine un regard,
mais dans ses rêves elle en voyait et
s'extasiait sur leur beauté. Tout ce qu'elle
disait, même en divaguant, était si
doux et si joli que cela faisait pleurer. Soeur
Sophie B. lui ayant dit qu'une Soeur lui demandait
pardon de l'avoir si souvent affligée, elle
répondit avec quelque chose de son ancienne
gaieté : "Je lui pardonne, tu me
pardonnes, je te pardonne, et le Seigneur
Jésus est notre suprême pardon." Et le
même jour une mandarine lui ayant fait grand
bien et grand plaisir, elle regarda joyeusement sa
soeur et lui dit : "Il y a de grandes
bénédictions et de petites
bénédictions."
Elle parlait avec joie de son prochain
départ, et le 12 décembre son
frère eut le courage, pour la
première fois, quand on se sépara
pour la nuit, de prier le Seigneur de venir
bientôt. "Nous te présentons, a-t-il
dit, la requête de notre soeur ;
à sa prière nous te disons :
"Seigneur Jésus, viens !" L'Amen de
notre Mère fut saisissant, dit Soeur Sophie
B. et plus loin : "C'était si beau hier
au soir de voir comme elle profitait de son
petit moment de bien-être
pour visiter en esprit ses Soeurs, ses amis !
- fidèle et tendre jusqu'à la
fin !"
Que de fois elle se reprochait de trop
dormir, d'être si engourdie. "J'ai quelque
chose devant moi, disait-elle, j'ai à me
recueillir, j'ai à prier." Et avec quelle
ferveur elle demandait au Seigneur de lui continuer
le sentiment de sa présence, de lui aider
dans le passage difficile qui s'ouvrait devant
elle.
"J'ai besoin de toi, de toi seul !"
c'était le cri de son âme. "Le temps
est si beau ces jours, continue Soeur Sophie B.,
elle a admiré de tout son coeur le ciel, la
montagne, le marais couvert de neige ... puis tout
d'un coup : "Oh ! que j'aimerais me
promener encore une fois là-bas", et son
frère tout doucement : "Tu iras te
promener sur les montagnes d'où nous vient
le secours ! le ciel est si beau !" Mais
il est heureux, ajoute-t-elle, de chaque jour
où le Seigneur nous la laisse."
Une nuit elle racontait à Soeur
Sabine, qui reposait près d'elle, que
c'était l'usage aux Ponts d'habiller les
morts de leurs vêtements de dimanche, mais
qu'elle désirait être arrangée
comme les Soeurs diaconesses. "Puis
tout-à-coup, dit Soeur Sophie B., elle a
prié le Seigneur de la délivrer de
ces pensées terrestres et de faire le
silence dans son âme, pour que Lui seul lui
parle. Le lendemain, pendant qu'elle était
bien souffrante, je lui ai caressé la main
en lui disant : "Pauvre chérie !"
Elle m'a regardée de son lumineux regard et
m'a dit : "N'est-ce pas, je suis bien
misérable, pourvu que je ne devienne pas
misérable en la foi ! »
Non, non ! Jésus la
gardera jusqu'au bout, notre vaillante amie !
Mlle de Pury lui chante en ce moment :
« Agneau de Dieu, par tes
langueurs. » Elle se le fait
répéter. Quel mystère que la
mort ! C'est bien comme me le disait Mlle
Berger dans sa dernière lettre : "Le
Seigneur met les dernières fleurs à
la couronne de son épouse." Quel contraste
entre le visible et l'invisible ! Le visible
est une Oeuvre de destruction : Jésus
ôte, enlève, brise - et l'invisible
fait pressentir une Oeuvre si belle, Il orne, Il
achève, Il rend parfaite en beauté
celle qu'Il va présenter à son
Père comme sa rachetée."
Et le lendemain elle écrivait :
tout à l'heure elle a voulu choisir des
passages pour les livres de textes de ses soeurs et
de son frère, mais elle n'a pas pu, et cela
m'a serré le coeur de voir son expression de
tristesse et de lassitude ! Oh ! jusques
à quand ? J'étais si triste en
voyant sa souffrance, son dépouillement et
je ne pensais pas au travail invisible du Seigneur
Jésus ! mais est-il invisible ?
Quand ses chers yeux si pleins de lumière et
de paix se fixent sur vous, on sent un rayon du
ciel pénétrer dans votre âme et
quelque chose de l'au-delà se fixer sur
vous !
Jeudi, 20 décembre. Tout à
l'heure quand je lui ai donné son
petit-déjeuner, elle a joint les mains en
disant : "Il faut que je remercie pour tout ce
qui viendra aujourd'hui. Merci, mon Dieu !"
Oh ! que c'est beau, quand la vie de
l'âme a passé d'outre en outre et
triomphe même dans le délire, car il
ne la quitte plus guère pour ce qui la
regarde, pour les autres elle a parfois des
pensées si touchantes encore. Elle croit
qu'elle a des cadeaux de
Noël à préparer. Donner est sa
constante préoccupation, elle pense à
tant de gens et a même fait inscrire le
chargeur à la gare, parce qu'il a eu un
surcroît de besogne pour elle et à
cause d'elle."
Vendredi, 21 décembre. "Figure-toi
que hier, après son long sommeil de
l'après-midi, elle s'est
réveillée bien, bien souffrante de
toutes espèces de malaises et de douleurs,
mais parfaitement naturelle et lucide - et
voilà qu'elle reçoit, juste dans ce
moment, la meilleure lettre possible de M. le
pasteur Hoffmann de Stuttgart ; elle en a
été si heureuse qu'elle a
pleuré de joie."
Nous faisons suivre ici cette parole
d'encouragement d'un frère en Christ qui
avait comme elle, porté de longues
années le fardeau de la direction d'une
Maison de Diaconesses :
"Très
honorée Soeur Sophie.
Mademoiselle L. Berger a
eu la bonté de me mettre au courant de votre
état de souffrance. En songeant aux rapports
affectueux qui se sont continués entre nous,
soit de vive voix, soit par écrit depuis
tant d'années, j'éprouve le besoin de
vous faire parvenir encore un message à
cette heure suprême et de vous exprimer toute
ma sympathie.
Que le Seigneur
Jésus vous entoure de sa force, de ses
consolations, de ses encouragements, qu'Il vous
fasse sentir son amour jusque dans le calice amer
de la souffrance, cet amour dont vous avez eu des
preuves si visibles au cours de
votre vie. Votre
ministère a été béni et
maintenant il vous reste encore à le
glorifier en souffrant sans murmure, le regard
fixé sur la Jérusalem qui est
En-Haut. Que Celui qui en a jeté les
fondements vous revête de l'Esprit de Gloire.
(I Pierre 4, 14.) Il veut vous former à sa
ressemblance dans le creuset de la
douleur :
- La souffrance,
c'est le moule
- Où le divin
Maître culte
- Son image dans nos
coeurs.
- Unter Leiden
prägt der Meister
- In die Herzen, in
die Geister
- Sein allgeltend
Bildnis ein.
Reposez en paix dans les
bras de votre Sauveur, ce sont des bras d'amour. Il
continuera à les étendre sur la
chère Maison de Strasbourg pour la
bénir et la protéger.
Plusieurs chers amis
ont été rappelés
récemment. M. Dändliker, M. le docteur
Sick. Ces âmes qui nous ont devancés
sont de puissants aimants qui nous attirent
En-Haut. Vous allez pouvoir les suivre,
chère Soeur Sophie. Puissions-nous nous
retrouver tous là-bas et mêler nos
voix à l'Alléluia de l'Église
triomphante.
Encore quelques
semaines et j'aurai atteint la limite d'âge
que le Psalmiste assigne aux "plus vigoureux". La
fin ne saurait tarder.
En attendant nous
voulons nous souvenir les uns des autres et
accompagner en priant ceux qui vont entrer au
port.
Dans
l'espérance d'un joyeux revoir auprès
de Celui qui est le Seigneur et Maître de
tous les enfants de Dieu, je vous recommande
à sa grâce et à l'efficace de
son sang.
Votre
compagnon de pèlerinage et frère en
la foi.
HOFFMANN.
Le même soir, voyant son amie craintive,
Soeur Sophie lui disait doucement :
"Chérie, si le Seigneur venait cette nuit
pendant mon sommeil, tu te souviendrais que c'est
la plus grande grâce qu'Il pourrait me
faire."
Lundi, 26 décembre. "Hier au soir je
lui ai dit : Nous avons de nouveau à
rendre grâces ! Te souviens-tu, quand
nous étions jeunes, comme tu aimais ce
passage : « Celui qui sacrifie la
louange me glorifiera. » - Certes je m'en
souviens, dit-elle, mais maintenant je pense
à un autre passage : « La
louange sera continuellement dans ma bouche." Ce
sera pour le ciel et un peu sur la terre par sa
grâce."
Aujourd'hui, oh ! qu'elle est faible,
qu'elle a froid, qu'elle est
oppressée ! mais toujours
elle-même ! Ce matin, dès qu'elle
s'est retrouvée un peu, elle a
demandé les livres de textes de son
frère et de ses soeurs pour y écrire
leurs noms et un passage. Mais que c'était
douloureux ! Elle récrivait toujours la
même lettre sans s'en apercevoir et savait
pourtant parfaitement ce qu'elle désirait
écrire. Ce sera un souvenir bien poignant
pour M. de Pury ; j'ai dû lui conduire
la main pour les autres.
Ce même jour, la veille de Noël,
Soeur Sophie envoyait à ses Soeurs de
Strasbourg le télégramme :
"Noël béni !" et le Bon-Pasteur
lui répondait par le passage.
Es. 60, 20.
« L'Éternel sera pour toi une
lumière éternelle, et les jours de
ton deuil seront
finis. »
Noël 1900.
"Hier nous croyions que notre chérie
partirait peut-être aujourd'hui, mais il n'y
a guère de changement, et notre douce malade
restera encore un peu avec nous. Elle était
si faible, que depuis onze heures du matin elle n'a
plus ouvert les yeux jusqu'au soir. Elle n'a pas
entendu les cloches de Noël qu'on a
sonné au-dessus d'elle (Le Temple et la cure
se trouvent sous le même toit) pour la grande
fête de famille à l'église,
mais elle a perçu les chants lointains des
enfants, que nous entendions à peine, et
elle a cru entendre les anges. Elle a
écouté avec ravissement et nous a
raconté ensuite combien c'était beau.
Puis la faiblesse l'a reprise, elle a
demandé à nous faire ses adieux. La
nuit a été plutôt bonne, et
aujourd'hui notre pauvre bien-aimée est
encore là, mourante, mais vivante !
Elle reste si délicieusement bonne !
Ce matin de nouveau elle nous a
demandé si tendrement pardon et ne pouvait
se consoler de nous avoir alarmées en
gémissant ! Les chères
dépêches sont arrivées hier au
soir après le chant des anges, et elles lui
ont fait tant plaisir. Plus tard, quand elle
était de nouveau un peu absente, elle
répétait : "Montrez-moi encore
les beaux cadeaux que j'ai reçus !" et
on lui répétait les passages. Quand
je lui ai dit cette nuit : "C'est
Noël !" elle m'a répondu :
"Quel jour de bonheur !" Et vraiment elle a
gardé aujourd'hui une si douce expression de
bonheur sur son visage amaigri ! Mlle de Pury
pense que le Seigneur viendra quand M. de Pury sera
prêt avec ses catéchumènes, il
les reçoit en ce moment ; il a
été bien occupé pas eux tous
ces temps ! On a chanté hier au
soir : « Stille Nacht, heil'ge
Nacht », (Douce nuit,
sainte nuit !) elle l'a trouvé si
beau ! Nous avons une radieuse journée
de Noël après bien des jours de
brouillard, j'en suis si contente pour notre
malade, qui aime tant le soleil."
Mercredi, 26 décembre, Soeur Sophie
dictait encore un message pour ses Soeurs :
"Je les remercie toutes, disait-elle, pour
leur fidèle affection, je les bénis,
je les prie de continuer à me soutenir
jusqu'au bout. J'ai besoin du Seigneur Jésus
tout entier, et je suis triste de ne pas leur avoir
dit assez combien Jésus est bon !"
Jeudi, 27 décembre, on la crut
mourante. De dix heures jusque vers deux heures,
dit Soeur Sophie Baquol, elle était
couchée les yeux fermés, d'une
pâleur livide, avec un pouls si faible que le
docteur a cru aussi qu'elle allait mourir. À
deux heures notre chérie a rouvert les yeux
et a demandé un peu de soupe, tout en
s'étonnant d'être encore ici. Puis la
tristesse est venue, elle s'est souvenue que nous
l'entourions tous ce matin et qu'elle croyait
partir. Alors elle s'est demandé si le
Seigneur veut lui dire quelque chose qu'elle ne
parvient pas à comprendre ... et elle a un
peu pleuré ! Oh ! ces pleurs des
mourants ! Mad. Barrelet lui a dit que le
Seigneur nous l'a prêtée encore pour
une toute petite visite (et notre chérie a
souri si délicieusement), et que pour
sûr, sa demeure au ciel est
déjà prête, que ses
bien-aimés l'attendent et que le Seigneur
Jésus, qui a tout préparé, ne
tardera plus du tout maintenant à venir la
chercher. Je lui ai répété les
deux passages des dépêches, et de
nouveau ils l'ont infiniment réjouie et
restaurée.
L'attente se prolongeait douloureusement,
mais la patience de notre Mère
bien-aimée ne se démentait pas.
"Malgré tout, écrivait Soeur Sophie
Baquol le 28 décembre, malgré cette
soif du départ, il fait si bon auprès
de notre bien-aimée, ou sent son Sauveur si
près d'elle, on voit son secours de tous les
instants ! Jamais une plainte, jamais un mot
d'impatience. Nos mouvements sont souvent bien
maladroits. Elle a alors parfois la force d'en rire
si gentiment, et son exquise politesse ne lui fait
jamais défaut ; cela fait mal quand
elle s'excuse pour des choses dont elle ne peut
absolument rien. Et ses reconnaissants mercis pour
de petits services qui vont de soi ! -
N'est-ce pas, vous aiderez à prier pour que
Jésus vienne bientôt chercher sa
brebis fatiguée ? Je passerai cette
nuit auprès d'elle, elle espère que
le Seigneur viendra, mais rien d'extérieur
ne nous le dit."
Samedi, 29 décembre. "Que de fois
elle m'a dit cette nuit : "Crois-tu qu'Il
viendra ? je n'ai rien du tout à Lui
apporter, rien que mes péchés que je
Lui ai confessés et qu'Il ma
pardonnés, je le sais. Je sais qu'Il ne
demande rien d'autre, ce bon Sauveur - et quand Il
viendra, pourrai-je aller ?"
- Je lui ai répété
combien nous demandons avec elle qu'Il vienne,
qu'Il la prenne dans ses bras et la porte dans son
royaume, où tout est paix et joie, où
sa mère chérie, son frère, sa
soeur l'attentent et se réjouissent - et
elle souriait si joliment, si doucement en
m'écoutant. Puis nous avons parlé de
la ville de Dieu, dont il est dit des choses
glorieuses." Pendant que je t'écris, elle ne
cesse de prier tout bas, et j'entends comme
elle dit : "Ami
fidèle, mon ami !" - Oh ! Il
l'est, et elle est son amie choisie,
éprouvée et si
précieuse ! "Jésus, s'il te
plaît, aide-moi, oh ! aide-moi !"
dit-elle en ce moment.
Cette nuit, dans l'ombre, je voyais comme de
sa main encore un peu valide, elle cherchait la
pauvre main enflée et paralysée, et
les joignait avec effort et les élevait vers
Dieu. "Si tu trouves bon de me faire encore
souffrir, disait-elle, c'est égal, pourvu
que tu continues à me tenir dans ta bonne
main !"
Oh ! notre chérie, notre
trésor ! Que ne pouvez-vous la voir, si
paisible et pourtant si désireuse
d'être délivrée. "S'il te
plaît, cher Jésus, ne me laisse
pas ! Jésus, Ami fidèle,
achève tout dans ta grâce, je ne vis
que par ta grâce !"
Samedi, 30 décembre. Elle m'a
raconté comme son frère lui a fait du
bien en l'exhortant à se tenir toute
tranquille dans la volonté du Seigneur,
prête à aller, prête à
rester encore un peu. Ce soir je lui ai
rappelé le cher petit verset :
- Quand tu conduis comme en rêve
- Par les portes de la mort,
- Libres nous prenons l'essor...
-
- Du kannst durch des Todes Türen
- Träutnend führen
- Und machst uns auf einmal frei.
Oh! si Jésus voulait le lui donner. Son
cher visage resplendissait de joie à cette
pensée. Elle est si parfaitement humble et
demande qu'on lui aide à prier pour que le
Seigneur la purifie complètement et qu'Il
puisse la prendre à Lui. De quel ton
douloureux n'a-t-elle pas dit ce matin
à Mlle de Pury :
"Julie, le Seigneur n'est pas venu !" Et sa
soeur lui a raconté si joliment une
arrivée à Monlézi : il
pleuvait à verse, les prés
n'étaient pas fauchés et les herbes
si hautes qu'elles lui mouillait le visage,
à elle, fillette de quatre ans. Elle disait
à sa mère : "Je ne puis plus
avancer", et sa mère la tenait plus ferme
par la main et l'encourageait en lui rappelant
qu'on allait à Monlézi, leur paradis
terrestre. - Puis de nouveau les herbes
mouillées l'empêchaient de marcher, et
sa mère lui disait : "Encore quelques
pas, et nous y seront !" Et enfin on y est
arrivé ! Grittelet, la vieille bonne,
était là, une bonne chaude
réception les attendait, et les fatigues du
voyage étaient oubliées ! -
Cette petite histoire a rafraîchi notre
bien-aimée, on peut si facilement la
consoler, l'intéresser, pourvu qu'on lui
parle du ciel et de son Sauveur. "
Elle vit encore l'aube du nouveau
siècle, elle put encore se réjouir
des bons messages qu'on lui envoya, et de toutes
ces consolantes promesses, celle qui fit le plus de
bien à son coeur, ce fut ce beau
passage : « Je reviendrai et je vous
prendrai avec Moi. »
Et le moment tant désiré
n'était pas loin. Ce fut dans la nuit du 4
au 5 janvier que le Seigneur vint la
délivrer. Pendant les derniers jours elle
suppliait encore le Seigneur de lui montrer les
péchés qu'elle n'avait pas encore
reconnus et confessés, pour qu'Il les lui
pardonne, afin d'être prête à
partir.
"Maintenant, écrit Soeur Sophie
Baquol, le matin du 5 janvier, elle repose sur son
lit de douleur, la joie et l'allégresse se
sont approchées, la
douleur et le gémissement se sont
enfuis ! Elle a encore tant, tant souffert
physiquement, elle a appelé si souvent son
fidèle Ami, le Seigneur Jésus, mais
ce n'étaient plus de douloureux appels, elle
a été paisible tout le jour et
souriante si souvent. Elle a même souri
à la neige, au beau ciel bleu ! et quel
céleste sourire illuminait son cher visage
quand on lui disait un passage de la Bible !
M. de Pury et le docteur disent que, sauf
quelques moments de lutte, c'était une douce
agonie. Je crois qu'elle a bientôt perdu
connaissance, elle n'a rien dit que de temps en
temps un "oui" si doux, et je suis sûre que
c'était parce que son frère lui avait
dit qu'elle était dans la volonté du
Seigneur en attendant paisiblement son heure - elle
le disait à Dieu avec un si beau sourire et
un tel abandon. Et quand Mad. Barrelet lui a dit
que peut-être le Seigneur viendrait avant la
fin de la journée la chercher, elle a
plusieurs fois répété avec
extase : "Cet après-midi ! cet
après-midi !"
Depuis avant-hier elle a toujours eu plus de
128 pulsations et tout son pauvre corps
était douloureux ; la nuit
passée pourtant a été si
bonne. Elle avait un peu de délire, mais
elle était si délicieusement
gracieuse, elle m'a tendu plusieurs fois la main en
me disant une de ses chères vieilles
tendresses et en me demandant comment j'allais,
elle allait si bien !
Quelle bonté de Dieu que notre douce
chérie ne soit pas partie avant-hier, nous
aurions toujours entendu ses plaintes ! - Tout
le monde est resté réuni autour de
son lit, M. de Pury a prié, et
au moment de la mort, il a
béni sa soeur bien-aimée en
remerciant le Seigneur de ce que cette
chérie a été, de ce que
dès son enfance elle lui a appartenu, et de
ce qu'Il lui a donné de faire du bien et de
réjouir tant de coeurs ! - Oui, elle a
fait du bien, elle n'a fait que cela sur la
terre ! Et comme elle s'est fidèlement
préparée à la rencontre de son
Dieu, comme elle avait peur d'un
péché non reconnu et non
confessé, comme elle a cherché le
pardon ! Oh ! ses prières, mon
coeur en est encore tout plein ! Encore hier,
comme elle a supplié le Seigneur de la
sanctifier plus complètement !
Oh ! que je suis heureuse de penser qu'elle
est dans son repos auprès de son
Maître tant aimé - mais comme elle a
souffert !
Je voudrais que vous vissiez comme elle est
belle, paisible et recueillie, au-delà de
toute expression, elle semble tout entourée
d'une atmosphère de pureté, de
sainteté, de prière ! Elle fait
dire aux Soeurs qu'elle se réjouit de les
retrouver Là-Haut toutes, toutes ! Elle
était toute triste de ne pas l'avoir
ajouté à sa dernière lettre,
cela lui paraissait mal ! Il faudra avoir la
bonté de le dire quand on parlera d'elle,
cela lui tenait tant à coeur. Elle
remerciait tant aussi pour les témoignages
d'affection qu'elle recevait. J'ai écrit
bien des lettres, mais je ne pouvais tout fournir.
Vous ai-je dit qu'elle m'a dit ces derniers
jours : Quant à l'oppression, je
respirerai tout juste comme Il voudra, et tout ira
bien !"
- Maintenant elle contemple son Sauveur,
dans la paix, dans la joie, "elle sait pourquoi
elle a dû tant souffrir, tant
attendre".
Le lundi suivant, 7 janvier, l'église
des Ponts voyait dans ses murs une grande famille
en deuil. C'était la parenté
immédiate de notre Mère, les enfants,
les diaconesses venues de près et de loin
pour accompagner sa chère dépouille,
et les paroissiens de M. de Pury qui avaient suivi
avec une sympathie toujours en éveil toutes
les péripéties de cette longue
maladie ; et tous écoutaient dans le
plus profond recueillement les paroles de regret,
de consolation, mais aussi d'actions de grâce
prononcées par MM. les pasteurs Robert
Tissot de Neuchâtel, Borel-Girard de La
Chaux-de-Fonds, Zäslin et Stricker de
Strasbourg, lesquels rendaient à notre Soeur
Sophie ce témoignage unanime : "Le
pèlerinage terrestre de celle que nous
pleurons se résume en ces trois mots ;
Amour et fidélité dans
l'humilité", et M. Borel-Girard termina par
une série de textes qui mettent en
lumière d'une façon saisissante les
phases successives de cette vie cachée avec
Christ en Dieu.
« Heureuse est celle qui a
cru ; car les choses qui lui ont
été dites de la part du Seigneur
auront leur accomplissement
(Luc. 1, 45).
Parle, parle, Seigneur, car j'écoute
(1 Sam. 3, 10).
Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais
c'est moi qui vous ai choisis et qui vous ai
établis, afin que vous alliez et que vous
portiez du fruit et que votre fruit soit permanent
(Jean 15, 16).
Le fruit de l'Esprit consiste en toute sorte
de bonté, de justice et de
vérité
(Ephés. 5, 9).
La pureté incorruptible d'un esprit
doux et paisible est d'un grand prix devant Dieu
(l. Pierre 3,
4).
Ma vie ne m'est point précieuse,
pourvu que j'achève avec joie ma course et
le ministère que j'ai reçu du
Seigneur Jésus, pour rendre
témoignage à l'Évangile de la
grâce de Dieu
(Act. 20, 24).
En effet, aucun de nous ne vit pour
soi-même, et aucun de nous ne meurt pour
soi-même
(Rom. 14, 7).
Nous avons connu la charité en ce que
Jésus-Christ a mis sa vie pour nous ;
nous devons donc aussi mettre notre vie pour nos
frères
(l. Jean 3, 16).
Celui qui aura conservé sa vie la
perdra ; mais celui qui aura perdu sa vie
à cause de moi la retrouvera
(Matth. 10, 39).
Je vois les cieux ouverts et le Fils de
l'homme debout à la droite de Dieu
(Act. 7, 56).
J'ai obtenu, miséricorde
(l. Tim. 1. 16).
Au Roi des siècles, immortel,
invisible, à Dieu, seul sage, soient honneur
et gloire aux siècles des
siècles ! Amen. »
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