Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 16

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5 Les églises s'affermissaient donc dans la foi et augmentaient de jour en jour relativement au nombre. Cependant les apôtres, ayant été empêchés par le Saint-Esprit de prêcher la parole dans l'Asie, traversèrent la Phrygie et le pays dés Galates; puis, arrivés du côté de la Mysie, ils se proposaient d'entrer en Bithynie, mais l'esprit de Jésus ne le leur permit point.

8 Ils passèrent donc à côté de la Mysie et descendirent à Troas, où Paul eut une vision pendant la nuit: un homme macédonien se présentait devant lui, l'appelant et lui disant: «Passe en Macédoine et viens à notre secours!» Quand il eut cette vision, nous cherchâmes aussitôt à partir pour la Macédoine, comprenant que c'était le Seigneur qui nous appelait à y prêcher l'évangile.

XVI, 5-10. En quittant la Lycaonie, Paul et ses compagnons allaient entrer dans des pays où l'évangile n'avait point encore été prêché. Ils avaient à choisir entre plusieurs routes ou directions, sans risquer de s'écarter du cercle dominé par la civilisation grecque, et rendu accessible pour eux par la présence de l'élément juif. En se dirigeant vers l'ouest, on entrait dans la province de l'Asie proconsulaire, dont Éphèse était le chef-lieu. En allant vers le nord on traversait la Phrygie et la Galatie. Les apôtres préférèrent cette dernière route; leurs motifs ne sont pas autrement expliqués, mais ils doivent en avoir eu de sérieux pour ne pas aller cette fois-ci dans la province d'Asie, car le texte les qualifie d'avertissements du Saint-Esprit. Le même fait, expliqué de la même manière, se reproduit en Galatie. Ils pouvaient continuer la route vers le nord, traverser la Bithynie et déboucher sur les côtes de la mer Noire. L'esprit leur fit prendre maintenant une autre direction, qui offrait plus de chances de succès. À l'ouest, il n'y avait plus que la province de Mysie, qui les séparait de la mer Égée (de l'Archipel) et des côtes de l'Europe. C'est cette dernière qui les attirait, qui leur était désignée comme le but prochain de leur course. Aussi, sans s'arrêter, et laissant la Mysie de côté (dans le sens figuré du mot, car en réalité il fallait la traverser), ils gagnèrent la côte à Troas, ville moderne bâtie non loin de l'emplacement de l'ancienne Troie, et là, la vocation providentielle qui les appelait en Europe se manifesta à Paul d'une manière positive et indubitable.

On remarquera cette expression: esprit de Jésus; c'est la seule fois qu'elle se trouve dans le Nouveau Testament, tandis que les synonymes, esprit de Dieu, de Christ, du Seigneur, etc., se rencontrent à chaque page. Cette locution inusitée paraît avoir gêné les copistes; elle a été changée très anciennement déjà; car dans les querelles relatives au Saint-Esprit et au texte du symbole de Nicée (où les Latins seuls disaient que l'Esprit procède aussi du Fils), personne n'invoque notre passage.

C'est dans la dernière ligne de ce morceau qu'apparaît pour la première fois le pronom nous, qui trahit un auteur actuellement présent, un témoin oculaire. Nous en avons parlé dans l'introduction.

11 Nous nous embarquâmes donc à Troas, et nous finies voile directement vers l'île de Samothrace, et le lendemain vers Neapolis; de là, vers Philippes, qui est la première de la province de Macédoine, ville de colonie. Nous passâmes quelques jours dans cette ville; puis le jour du sabbat nous sortîmes hors de la porte, vers la rivière, là où était le lieu habituel de la prière, et nous y étant assis, nous nous mîmes à parler aux femmes qui s'y rassemblaient.

14 Or, il y avait là une femme nommée Lydie, marchande d'étoffes de pourpre de la ville de Thyatire, une prosélyte, qui nous écoutait et à laquelle le Seigneur ouvrit le cœur, de sorte qu'elle fût attentive à ce que disait Paul. Et quand elle eut été baptisée avec sa famille, elle nous invita en disant: «Si vous croyez que je suis fidèle au Seigneur, venez dans ma maison et restez-y!» Et elle nous y engagea.

XVI, 11-15. Pour faire le trajet de l'Asie en Europe, nos voyageurs eurent à traverser la partie la plus septentrionale de la mer Égée. Neapolis, à cette époque, faisant encore partie de la Thrace, Philippes était la première ville de Macédoine à laquelle ils touchèrent. C'est toujours là l'explication la plus simple du mot que nous venons de souligner. Car Philippes n'était pas la première ville au point de vue politique et administratif. Cependant elle marquait dans le pays, depuis que le roi Philippe, père d'Alexandre-le-Grand, l'avait agrandie en lui donnant son nom, et depuis que l'empereur Auguste, qui y avait autrefois remporté une victoire célèbre sur Brutus et Cassius, lui avait donné le jus italicum, la jouissance des droits et privilèges possédés par les villes d'Italie, et par conséquent aussi des magistrats romains. Déjà César y avait établi une colonie romaine.

Dans cette ville il y avait si peu de Juifs, qu'il n'y existait pas de synagogue; cependant hors de la ville, sur le bord de la rivière (pour faciliter en même temps les rites d'ablution), il y avait un lieu où l'on avait coutume de se réunir pour les actes de dévotion. Ce lieu n'était peut-être qu'un enclos découvert et non un bâtiment. C'est là que les missionnaires se rendirent pour commencer leur œuvre d'évangélisation. On s'est beaucoup tourmenté pour savoir comment ils n'y rencontrèrent que des femmes. Le fait est que nous n'en savons rien; et ce serait un jugement bien précipité, que d'accuser ici les hommes de tiédeur.

Thyatire est une ville de la Lydie, province comprise dans l'Asie proconsulaire, l'une des sept villes nommées dans l'Apocalypse. La Lydie fabriquait beaucoup d'étoffes de pourpre, et le nom de la personne ici désignée pourrait bien n'avoir été qu'un surnom d'origine et non un véritable nom propre (la Lydienne).

16 Or, il arriva, quand nous nous rendions au lieu de prière, qu'il se présentait dans notre chemin une esclave qui était possédée d'un esprit devin, et qui faisait gagner beaucoup d'argent à ses maîtres en disant la bonne aventure. Cette fille suivait Paul et nous autres, en répétant à haute voix: «Ces hommes-là sont des serviteurs du Dieu suprême et vous annoncent le chemin du salut!» Comme elle faisait cela pendant plusieurs jours, Paul impatienté se retourna et dit à l'esprit: «Je t'enjoins au nom de Jésus-Christ de la quitter!» Et il la quitta à l'heure même.

19 Cependant ses maîtres, voyant que l'espoir de leur gain était perdu, se saisirent de Paul et de Silas, les traînèrent à la place publique devant les magistrats et les présentèrent aux préteurs, en disant: «Ces hommes-là troublent notre ville; ce sont des Juifs qui prêchent des institutions que nous, en notre qualité de Romains, nous ne devons ni accepter, ni pratiquer!»

22 Et comme la populace s'attroupa contre eux, les préteurs leur firent arracher les vêtements, ordonnèrent qu'on les frappât de verges, et après les avoir maltraités de coups, les firent jeter en prison, en recommandant au geôlier de les garder en lieu sûr. Celui-ci, ayant reçu cette injonction, les jeta dans le cachot intérieur et assujettit leurs pieds aux ceps.

XVI, 16-24. Philippes, la première ville d'Europe où fut prêché l'Évangile, fut aussi le théâtre de la première persécution excitée par la populace païenne, sans que les Juifs y eussent trempé ou en fussent les instigateurs. Le récit qu'on vient de lire nous fait connaître l'occasion de cet événement. Nous y voyons très clairement ce que l'auteur veut nous raconter, et comment lui, il s'explique le fait au point de vue (juif et) chrétien. D'après cela, il s'agit d'un cas de possession démoniaque, comme il y en a tant dans les évangiles synoptiques, avec cette différence très essentielle, qu'il n'est pas question ici d'une maladie physique, infligée par le démon à la personne dont il s'est emparé, encore moins d'une maladie mentale; au contraire, le mauvais esprit se complaît à prédire l'avenir par la bouche de cette personne, à lui faire faire le métier de devineresse, et comme c'est une simple esclave, ce n'est pas elle, ce sont ses maîtres qui profitent de cette faculté extraordinaire et qui l'exploitent dans leur intérêt. Aussi l'exorcisme, c'est-à-dire l'expulsion du démon. fait-il aussitôt tarir cette source de revenu. Si l'auteur avait voulu nous faire entendre qu'il n'y eu là qu'une vulgaire imposture, une exploitation de la crédulité par la ruse et la fourberie, l'issue de cette histoire n'aurait pas pu être celle qui est rapportée. — Le texte grec nomme cet esprit un Python, c'est-à-dire un esprit devin; le nom est celui du fameux serpent que la mythologie mettait dans la grotte de Delphes, et rappelait en général tout ce qui concernait ce célèbre oracle. La seule chose que le texte n'explique pas, c'est le motif de l'acte de Paul. Pourquoi ne se prévaut-il pas, dans l'intérêt de la cause évangélique, du témoignage rendu par une bouche à la fois indépendante et mystérieuse, et devant ainsi, à double titre, favoriser l'action de l'évangile sur l'esprit d'une population encore si arriérée? Il faut supposer que l'apôtre, plein de confiance dans la puissance intrinsèque de la vérité qu'il prêchait, repoussait ce qu'il pouvait regarder comme un aveu extorqué à l'ennemi, aveu de peu de valeur et même compromettant par son origine. L'évangile, qui doit détruire l'œuvre du diable, n'a pas besoin de son appui pour triompher.

Si la critique historique, non satisfaite de cette manière de se représenter le fait, voulait l'expliquer autrement, elle devrait au moins reconnaître que le texte ne lui en fournit pas les moyens, et qu'elle devra se hasarder à y substituer un récit passablement arbitraire. Ainsi beaucoup de commentateurs, s'appuyant sur l'emploi incontestable du mot python pour désigner un ventriloque, prétendent appliquer ce sens à notre histoire. Mais on n'exorcise pas un ventriloque, et comme Luc ne raconte pas que la fille exorcisée devint chrétienne, nous ne voyons pas pourquoi elle n'aurait pas pu continuer son métier? D'autres ont cru qu'il s'agissait d'une personne plus ou moins dérangée dans ses facultés, et qui, ayant entendu par hasard les apôtres parler de la voie du salut, aurait machinalement répété cette phrase sans savoir ce qu'elle disait. Rien n'étant plus commun dans l'antiquité que les rapports entre la folie et la divination, Paul, en guérissant sa maladie mentale, aurait fait cesser l'exploitation à laquelle on faisait servir cette malheureuse. On oublie que dans toutes les guérisons analogues, racontées dans les évangiles, les malades eux-mêmes se savent ou se croient possédés par des démons; cette croyance étant absolument étrangère aux populations païennes, une explication psychologique, qui pouvait avoir sa raison d'être à l'égard de faits appartenant à la sphère judaïque, nous paraît inapplicable ici. Nous devons nous en tenir à l'impression qu'avait reçue du fait le témoin oculaire qui nous le raconte. Enfin si, pour faire la part des croyances locales, nous mettons à la place du diable un prétendu dieu, un Apollon pythien, par exemple, il restera toujours le fait de la guérison instantanée et miraculeuse.

La ville de Philippes possédant le jus italicum ou droit italien, la justice y était administrée par deux préteurs (duumviri, prœtores), que les Grecs avaient l'habitude de désigner par un titre militaire. Ces magistrats ne trouvent pas nécessaire d'instruire selon les règles le procès des apôtres accusés. On les leur dénonce comme des novateurs politiques et religieux (car au fond, l'un n'allait point sans l'autre), et ils se hâtent de couper le mal dans sa racine par un procédé sommaire et expéditif; et cela d'autant plus volontiers, qu'il s'agissait de Juifs, généralement mal vus des autorités romaines. Le prosélytisme exercé en faveur d'une religion étrangère était d'ailleurs sévèrement défendu par les lois.

25 Or, vers le milieu de la nuit, Paul et Silas étaient en prières et chantaient la louange de Dieu, et les prisonniers les écoutaient. Tout à coup il se fit un grand tremblement de terre, de manière que les fondements de la prison s'ébranlèrent, que toutes les portes s'ouvrirent aussitôt, et que les liens de tous les captifs se relâchèrent. Le geôlier, réveillé en sursaut et voyant les portes de la prison ouvertes, tira son épée et allait se donner la mort, parce qu'il croyait que les prisonniers s'étaient échappés.

28 Mais Paul lui cria à haute voix: «Ne te fais point de mal, nous sommes tous ici.» Alors, ayant demandé de la lumière, il se précipita dans le cachot et tomba tout tremblant aux pieds de Paul et de Silas; puis, les ayant conduits dehors, il leur dit: «Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé?» Et ils répondirent: «Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta famille.» Et ils lui exposèrent la parole du Seigneur, ainsi qu'à tous ceux de sa maison.

33 Puis, à cette même heure de la nuit, il les prit avec lui, lava leurs blessures, et se fit aussitôt baptiser, lui et tous les siens. Et les ayant conduits dans son appartement, il leur servit à manger, et toute la famille était dans la joie pour avoir cru en Dieu.

XVI, 25-34. Plus d'une fois de nos jours, on a eu recours à des tremblements de terre pour expliquer d'une manière prétendue naturelle des événements présentés comme des miracles par les récits bibliques. Le morceau qu'on vient de lire semblerait écrit tout exprès pour démontrer l'absurdité de pareilles explications. Car ici il s'agit d'un véritable tremblement de terre, et pourtant les circonstances absolument miraculeuses abondent dans le récit. Si l'ébranlement est assez fort pour faire sauter les portes, et même pour briser les chaînes des captifs, comment ces derniers n'ont-ils pas les membres démis et broyés par la violence du coup? Si le geôlier a pu vouloir se tuer, parce qu'il ne voyait que les portes ouvertes et rien de plus, comment Paul voit-il, lui, le geôlier et son épée? Qu'est-ce qui porte ce geôlier à se jeter aux pieds des apôtres, comme si c'était à eux qu'il attribuait le tremblement de terre? L'événement restera donc miraculeux, malgré la cause purement physique assignée à la délivrance des prisonniers, et il rentre dans la catégorie de ceux qui représentent rétablissement premier du christianisme comme un effet tout spécial de l'intervention directe et permanente de la Providence. Les formes de cette intervention varient dans la tradition, l'idée reste toujours la même. Dans le cas actuel on entrevoit clairement que le geôlier avait connaissance de la prédication des apôtres, autrement il n'aurait pu leur adresser la question qui est mise dans sa bouche.

35 Quand le jour fut venu, les préteurs envoyèrent les licteurs pour dire: «Relâche ces hommes!» Et le geôlier en informa Paul, en disant: «Les préteurs ont envoyé pour vous faire relâcher: sortez donc et partez en paix!» Mais Paul leur dit: «Après nous avoir battus publiquement et sans jugement, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont jetés en prison, et maintenant ils nous renvoient secrètement? Oh que non! Qu'ils viennent eux-mêmes pour nous reconduire!»

38 Les licteurs ayant rapporté ces paroles aux préteurs, ceux-ci, apprenant que c'étaient des citoyens romains, eurent peur et vinrent leur parler amicalement, et les reconduisirent, en les priant de quitter la ville. Étant ainsi sortis de la prison, ils se rendirent chez Lydie, et après avoir vu et exhorté les frères, ils partirent.

XVI, 35-40. Les formes judiciaires avaient été violées dès l'abord à l'égard des missionnaires, et les magistrats ne trouvaient pas de moyen plus simple de réparer leur première faute, qu'en les violant une seconde fois. Après avoir cédé la veille à la pression impérieuse d'une populace ameutée, et infligé une peine sans aucune instruction préalable, ils comptent aujourd'hui se débarrasser de toute cette affaire en relâchant les prisonniers, qui, pensaient-ils, devaient se trouver fort heureux d'en être quittes à si bon marché.

Mais Paul ne veut pas partir comme un criminel gracié. Il demande une réparation d'honneur. Il fait valoir son droit de citoyen romain, qui aurait dû le protéger contre la peine infamante de la flagellation. En demandant satisfaction pour sa personne, il veut en même temps sauvegarder l'honneur de l'évangile, aux yeux de ceux dont les convictions encore mal affermies pouvaient être ébranlées par des expériences pareilles ou par des craintes assez naturelles. Paul possédait les droits civiques par sa naissance (XXII, 18); or, comme la ville de Tarse, à cette époque, n'avait point ce privilège, il faut admettre que son père, ou l'un de ses ancêtres, l'a obtenu à titre de récompense personnelle, à l'occasion d'un service qu'il a pu rendre à l'un des chefs de l'état, pendant les guerres civiles. Pour ce qui est de Silas, son nom même pourrait trahir son origine latine (Sylvanus). Les magistrats avaient à craindre une réclamation judiciaire de la part de ces hommes, pour abus de pouvoir et attentat à leurs droits et leur honneur. Ils firent donc leurs excuses en personne et tâchèrent ainsi de prévenir les conséquences fâcheuses que cette affaire pouvait avoir pour eux-mêmes. Cependant ils prièrent en même temps les étrangers de quitter la ville, de peur que leur présence prolongée ne donnât lieu à de nouveaux troubles.

On remarquera que dans la dernière partie de ce récit le narrateur ne parle plus à la première personne; il n'a donc pas partagé la captivité de ses deux compagnons. En général, cette trace se perd complètement dans les chapitres suivants, et ne reparaît qu'au 20e chapitre, précisément à l'endroit où Paul se trouve de nouveau dans cette même ville de Philippes.

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