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TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Félix Neff - Homme de réveil





CHAPITRE IV

LES MÉTHODES DE RÉVEIL DE FÉLIX NEFF

Les principales méthodes de Réveil employées par Félix Neff consistent dans la distribution des Traités religieux, l'établissement de réunions d'édification mutuelle, les visites ou la cure d'âme et la prédication.


1. - Les Traités religieux

Félix Neff fonda à Mens une Société de Traités religieux. Fils du Réveil, il était convaincu que c'était un des moyens pour produire le Réveil. Dans une lettre adressée à « ses frères de Genève », et datée du 1er janvier 1823, il parlait du but de la Société naissante et des collecteurs ou collectrices qu'il avait formés pour recueillir les fonds : « Nous avons dans le bourg, écrit-il cinq collectrices. Ce sont les dames les mieux disposées qui se sont chargées de cela. Elles ont fait leur première tournée aux environs de Noël : le résultat a été plus grand que nous ne l'attendions pour un pays pauvre et où il y a tant de tièdes et d'ennemis..., mais outre l'avantage des souscriptions, cette manière de les solliciter a encore fourni à nos soeurs de belles occasions de prêcher l'Évangile, et de sonder les dispositions du peuple ».

Cette Société se proposait, non de donner des Traités (sauf dans certaines occasions) mais de les vendre ou de les prêter, Elle devint, dans la suite, une petite bibliothèque religieuse plus bienfaisante que les romans qui, avant le Réveil, arrivaient régulièrement de Grenoble.
Un grand nombre d'habitants de Mens furent édifiés et même réveillés par ces excellentes lectures.
Dans les Hautes-Alpes, les traités ont contribué aussi à produire le Réveil.
Mais il faut que ces brochures soient bien écrites, intéressantes, bien choisies et toujours lues d'avance par celui qui les distribue.

Il serait bon, urgent même, que tous ceux qui peuvent faire du colportage dans nos Églises - laïques ou pasteurs - le fassent. Qu'ils ensemencent de Bibles, de Nouveaux-Testaments, de Traités religieux, la région qu'ils habitent ! Des milliers et des milliers d'âmes meurent de faim, moralement, dans notre patrie. Dégoûtées de Rome et du matérialisme athée, elles soupirent après la consolation et la vérité. Or c'est l'Évangile seul qui leur donnera l'une et l'autre.
Nous croyons que les traités religieux ont fait et font tous les jours du bien à un grand nombre de personnes. Beaucoup d'entre elles se sont converties à Jésus-Christ par leur moyen.

Travaillons « tandis qu'il fait jour » et que nous sommes à un moment particulièrement favorable pour évangéliser la France.


2. - Les réunions d'édification mutuelle

Félix Neff avait essayé, déjà à Grenoble, d'établir des réunions d'édification mutuelle, mais elles n'eurent pas beaucoup de succès dans ce « cimetière » : « Je tiens le soir, écrivait-il, de misérables petites réunions où souvent il ne vient que deux personnes, qui encore sont de Mens, où elles retourneront bientôt... » Aussi regrettait-il la réunion vivante qui avait lieu le vendredi soir à l'Église du Bourg-de-Four : « Si je regrette quelque chose à Genève, disait-il, c'est, en particulier, notre petite réunion du vendredi soir ». Il faisait allusion à l'un de ces entretiens fraternels que l'on considère avec raison chez les Frères Moraves et chez les Wesleyens, comme une des principales sources de la vie de l'Église.

Les mêmes résultats bénis se produisirent dans l'Église de Mens où Neff établit ces réunions pour la première fois. Elles avaient lieu le soir, dans une maison particulière, durant les premiers temps de son séjour. Plus tard, elles furent tenues au Temple et dans d'autres habitations. Neff y attachait une importance capitale et ne cessait de les recommander : « Je ne sais pas de meilleur moyen, de moyen plus sûr, écrivait-il à une « soeur » de Mens, de moyen plus durable que cette surveillance, cette confiance mutuelle, qui, en quelque façon, nous tient sans cesse éveillés, et, bon gré malgré nous, dissipe nos illusions et nous rappelle notre véritable état, nos obligations, nos devoirs, et les secours qui nous sont offerts. Vous reconnaissez que ces réunions ont fait beaucoup de bien : d'abord à celles d'entre vous qui étaient déjà vivantes, en les affermissant dans la pratique de la piété, comme on se l'était proposé en les établissant. De plus, il en est résulté un bien qu'on n'en attendait pas : savoir que des âmes encore plongées dans la sécurité et dans l'ignorance d'elles-mêmes, se trouvant, dans ces assemblées, « ont vu les secrets de leur coeur manifestés, se sont senties jugées et condamnées, se sont humiliées et ont reconnu que Dieu était vraiment au milieu de nous » (1 Corinthiens XIV : 24-25) (1).

Et dans une autre lettre, Neff écrivait - « Comment donc les chrétiens, les citoyens du ciel, les rachetés de Jésus-Christ, les héritiers du royaume de Gloire, ne trouveraient-ils pas un vrai plaisir, une douce joie à se réunir, au nom du Sauveur, pour s'entretenir de la seule chose nécessaire, pour parler de ce bon Sauveur, qui les a tant aimés et qui s'est donné pour eux... pour se féliciter du bonheur dont ils jouissent et de la gloire qui les attend, pour se faire mutuellement part des grâces qu'ils reçoivent de leur Père Céleste ? » (2).

Ces assemblées où le sacerdoce universel était mis en pratique et « qui sont recommandées par le Seigneur lui-même dans toute l'Écriture » et par Saint Paul, répondaient à un besoin réel des âmes. Aussi se multiplièrent-elles beaucoup. Tous désiraient s'édifier et prier ensemble. Il régnait dans ces réunions une grande liberté. Tous les chrétiens pouvaient rendre leur témoignage, lire quelques versets indiquer un cantique. On y parlait plus souvent patois que français.

Tout se passait avec une simplicité charmante. « C'était simple, cordial, vivant, raconte un témoin oculaire ; il y avait de l'entente, de la charité, du support et un véritable amour fraternel. Les personnes des classes les plus humbles étaient reçues, traitées par celles des classes les plus élevées avec une touchante bienveillance et la plus sympathique ouverture. On était confondu, on se mêlait sans méconnaître jamais les égards que l'on se devait les uns aux autres » (3). Très souvent, personne ne présidait, sinon l'Esprit de Christ.

Félix Neff établit aussi dans les Hautes-Alpes des réunions d'édification, d'exhortations mutuelles. Elles furent très bienfaisantes et contribuèrent au Réveil de cette région.
Aussi comprenons-nous le très vif intérêt que Neff a toujours porté à ces réunions. Même sur son lit de mort, il les recommandait encore instamment à ses anciens paroissiens : « Ne fussiez-vous que quelques bergers ou quelques servantes réunies dans une pauvre étable, leur écrivait il en mars 1829, si chacun de vous y apporte un esprit de foi et de recueillement, le Seigneur sera au milieu de vous, et votre assemblée pourra être bénie aussi abondamment que celle des premiers disciples assemblés dans une chambre haute, le jour de l'effusion du Saint-Esprit ».

Sans doute, ces réunions développaient entre les chrétiens le zèle religieux et l'amour des choses religieuses. Simplement, sans fausse honte, dans un sentiment de mutuelle confiance, les chrétiens réunis méditaient la Parole de Dieu, chantaient des cantiques, priaient humblement. La pensée que chacun pouvait prendre la parole et exhorter ses frères constituait bien pour eux un stimulant puissant.

Mais il ne faut pas se dissimuler les abus que ces réunions pouvaient entraîner, si elles devenaient par trop fréquentes. Sans doute, il y fait bon, spirituellement parlant ; mais vivre toujours dans cette atmosphère imprégnée de prières et d'adoration, n'est pas bon pour le chrétien ; à côté de lui, nombreux sont ceux qui se perdent et qui peuvent être sauvés par une parole dite avec amour et à-propos. Après la prière, l'action. Le chrétien ne doit pas être infidèle à la pensée de son Maître qui, parlant de ses disciples, disait à Dieu : « je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les préserver du mal » (Jean XVII, 15).

Félix Neff lui-même signale un autre danger de ces réunions : l'ignorance de ceux qui les dirigent. Il raconte qu'après le Réveil dans les Hautes-Alpes, plusieurs jeunes gens avaient organisé des réunions dans leurs villages ou hameaux. Leur coeur brûlait d'amour pour le Christ et les âmes, mais l'ignorance arrêtait leur zèle et l'oeuvre de Dieu en souffrait.
« Il arrive parfois, écrivait-il, que l'on confie sans réflexion les diverses branches de l'oeuvre de Dieu, même les plus délicates, à des hommes qui n'ont que leur foi et leurs espérances spirituelles ; on ne tarde pas alors à reconnaître l'insuffisance de ces prédicateurs improvisés. On sent la nécessité d'un certain degré d'instruction pour travailler efficacement à l'oeuvre de Dieu. »

Enfin, il ne faut pas que les réunions particulières où le sacerdoce universel est pratiqué nuisent au ministère du pasteur. Félix Neff a proclamé bien haut l'utilité du pastorat. Nous en avons une preuve dans le fait qu'il a envoyé lui-même à Montauban quelques-uns de ses élèves pour y faire des études théologiques.
Il va même jusqu'à dire que les chrétiens ne doivent, en aucune façon, abandonner leur Église : « Si quelqu'un venait à vous prêcher une autre doctrine que celle que je vous ai annoncée, disait-il dans un de ses derniers entretiens, ne quittez pas pour cela l'assemblée des jours de dimanche ; mais cherchez plutôt à éclairer le pasteur lui-même et à lui faire comprendre la voie du salut ».

Comprenant la grande influence des cantiques comme moyen de Réveil, Neff établit à Mens et dans les Hautes-Alpes des réunions de chant qui contribuèrent, en effet, pour leur part, à y produire le Réveil. Le mouvement religieux se fortifia et se propagea par ces chants mêmes : « Il est évident, écrivait-il, que la musique harmonieuse de nos cantiques a été bien utile pour réunir les dormants autour de la croix de Jésus-Christ » (4).

Personne n'ignore le rôle considérable qu'a joué le chant dans le Réveil du siècle dernier et, plus récemment, dans le Réveil du Pays-de-Galles. Les cantiques pleins d'espérance, de fraîcheur et de joie ont touché à salut des milliers d'âmes.
En France, on commence à comprendre l'influence bienfaisante du chant dans l'oeuvre de l'évangélisation. Cette influence - qui est immense - contribuera au salut de notre patrie.


3. - Les visites. La cure d'âme

Comme tout pasteur fidèle, Félix Neff faisait des visites. Il en faisait même beaucoup, car il était passionné pour le salut des âmes dont il se sentait responsable. L'une d'elles était-elle heureuse ? Neff l'était aussi ; une autre était-elle triste ou souffrait-elle ? il était triste aussi, souffrait, et n'avait de repos intérieur que lorsqu'il était sûr que les consolations de l'Évangile avaient raffermi cette âme. Il aimait tellement ses paroissiens qu'en hiver, dit le pasteur André Blanc, son collègue à Mens, il allait quelquefois les visiter, avec des temps affreux, ayant de la neige jusqu'aux genoux ». Il ne craignait rien : « On veut vous donner des coups à tel endroit », lui dit-on un jour. Il sourit : « On se propose de me battre, sans savoir si le Seigneur le veut ; je les plains, prions pour eux » (5). Après avoir prononcé ces paroles, il se remit en route.

Si les personnes auxquelles il voulait faire connaître l'Évangile ne savaient pas lire, il entreprenait aussitôt la pénible tâche de leur apprendre à lire ; et c'était avec une douceur et une patience inaltérables qu'il leur montrait les lettres et leur faisait épeler les syllabes.

Nous pouvons avoir une idée des visites de Neff par les lettres de direction ou d'exhortation qu'il écrivait, des Hautes-Alpes, par exemple, à ses amis de Mens, arrivés par son moyen, à la connaissance de l'Évangile. C'était de la cure d'âme : « Voyons un peu en ordre, ce qui s'est passé dans votre âme depuis que vous avez connu la Parole de vérité, écrivait-il à un « frère » de Mens, qui lui avait donné des nouvelles de son « déplorable état spirituel ». « D'abord, vous avez, comme tous les autres, été longtemps sans vous connaître vous-mêmes ; vous étiez content de votre conduite et de vos sentiments ; et, voyant beaucoup de gens qui faisaient plus mal que vous, vous auriez volontiers remercié, Dieu comme le Pharisien, de ce que vous n'étiez pas comme ces péagers... Vous vous croyez passable et vous n'aviez pas grande crainte du jugement de Dieu.

« Quand vous avez entendu la prédication du pur Évangile, vous avez été porté à vous examiner plus sérieusement vous-même ; et vous n'avez pas trouvé que vous ressemblassiez au portrait que la Sainte Écriture fait du vrai fidèle. Vous avez vu la sainteté de la loi de Dieu, qui est spirituelle, pure, parfaite, qui juge des intentions et des affections de notre coeur ; et en comparant vos sentiments et vos actions à cette sainte loi, vous avez vu que vous en étiez bien éloigné ; vous avez vu qu'au lieu d'aimer Dieu de tout votre coeur et votre prochain comme vous-même, vous n'aimiez que vous seul... Vous avez appris à connaître en votre coeur mille péchés d'orgueil, de souillure, de malice, enfin une grande racine de corruption que vous ne connaissiez pas... » (6).

Cet ami de Neff se sent maintenant justement condamné par Dieu : il est convaincu que le plus grand malheur qui puisse lui arriver, c'est de mourir si mal préparé, mourir dans ses péchés.
Il tremble en pensant au danger de sa situation : Il faut qu'Il (Jésus-Christ) vous reçoive tel que vous êtes, continue Neff. N'attendez pas un jour de plus ; allez à ce bon Sauveur tel que vous êtes... Priez toujours sans vous tourmenter de ce que vos prières sont encore très imparfaites ; n'offrez rien au Sauveur ; ne lui promettez rien, pas même de l'aimer, ni de le servir mieux ; mais demandez-lui tout, absolument tout ; il donne tout gratuitement à tous ceux qui ne croient pas pouvoir le payer... » (7).

De telles exhortations qui reposaient sur la Parole de Dieu et sur la propre expérience de Félix Neff, partaient de son coeur brûlant d'amour et allaient droit au coeur contrit, souffrant. Elles lui faisaient sentir sa profonde misère et le guérissaient en même temps.

Les visites de Neff aux malades étaient très fréquentes et très appréciées. Il écoutait patiemment le long récit de leurs souffrances et les aidait de ses connaissances en botanique pour préparer les remèdes ordonnés par le médecin. Il allait même quelquefois chercher les plantes ou arracher les racines indiquées, et poussait le dévouement jusqu'à veiller ses paroissiens souffrants. Il écrivait souvent, des Hautes-Alpes, à quelque « frère » ou « soeur » malade à Mens : « Bien aimée soeur en Jésus-Christ, j'ai eu plusieurs fois des nouvelles par nos amis qui m'ont appris que le Seigneur vous avait éprouvée par la souffrance je puis vous dire que j'en ai été bien affecté, mais bien moins que si c'eût été pour quelqu'un qui n'eût pas connu le Consolateur ». Ensuite, il compare l'état spirituel de cette personne à la situation du « mondain » aux prises avec la maladie : « Comparez, chère soeur, cette triste position avec la vôtre, et vous bénirez le Seigneur. Vous souffrez, il est vrai ; mais vous savez que cette souffrance ne durera pas longtemps. Vous voyez devant vous la délivrance et le repos... La mort ne vous épouvante pas ; elle est, pour vous la porte de la vie. Dans ce dépouillement du corps de péché, la pensée du jugement ne vous trouble point ; car « il n'y a pas de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Ils sont passés de la mort à la vie et ne viendront point en jugement... Bannissez donc de votre coeur tout doute et toute crainte. Le Seigneur vous connaît et vous aime ... Ayez ainsi la paix et la joie, elles sont à VOUS ... » (8). La malade dût être consolée.

La cure d'âme est peut-être plus difficile que la prédication. Dans la prédication, il y a très souvent des malentendus et des généralités : aussi a-t-elle un effet beaucoup plus passager que la cure d'âme. Ici, en effet, le pasteur se trouve en présence d'une âme isolée. Il peut s'adresser à elle personnellement. Mais pour lui parler avec justesse et franchise. comme il a besoin de tact et d'amour !

La cure d'âme est la partie du ministère la plus négligée. C'est cependant la plus importante : voilà pourquoi tant de pasteurs n'ont pas un ministère béni.
Plus que jamais, le pasteur s'il est vraiment fidèle - fera de la cure d'âme l'objet de ses soins les plus persévérants. Il se convaincra de l'importance capitale du soin individuel des âmes qui composent son troupeau. Beaucoup réclament ses soins, il ira droit au but. Son temps est précieux, il ne le perdra pas à écouter et à répéter les histoires qui circulent dans le voisinage, mais il ne se lassera pas de raconter l'histoire de l'amour de Jésus. Si cet amour le « presse », il saura bientôt trouver l'occasion d'aborder la grande question du salut.

Il faut le reconnaître avec tristesse : nombreux, trop nombreux sont les paroissiens qui ne donnent pas de nouvelles de leur âme à leurs pasteurs. Le plus souvent, ils parlent de tout autre chose : ils détournent la conversation.
Quel est le pasteur qui ne l'a pas expérimenté et qui n'en a pas été navré ? Ils sont nombreux dans nos Églises ceux qui ne sont pas convertis et, par conséquent, heureux. Les pasteurs leur parlent du Sauveur qui les aime et veut leur accorder son pardon, s'ils veulent, tout d'abord, changer de vie. Ils leur parlent de la joie ineffable qu'ils éprouveront, s'ils donnent leur coeur à Jésus-Christ. Mais cette conversation les gêne ou les ennuie. Le pasteur fidèle ne se découragera pas : il priera avec d'autant plus de persévérance et de foi pour ces âmes immortelles.
Heureusement, il est des membres de nos Églises qui aiment la visite de leur pasteur et en sont réconfortés. Ils sont animés du désir d'être plus consacrés au service de Dieu et de leurs frères, comme les paroissiens de Félix Neff.
Dans ces conditions, l'oeuvre du pasteur ne sera pas inutile.


4. - La Prédication

Il y a trois parties principales que nous distinguerons dans la prédication de Félix Neff : la forme, le fond et l'improvisation.

A) Forme de la prédication de Félix Neff

Ce qui frappe dans les sermons ou méditations de Félix Neff, c'est la simplicité. Comment arriver à se faire comprendre de ses auditeurs peu cultivés, sachant à peine parler le français, si ce n'est en leur parlant simplement, en attirant leur attention sur les préoccupations de leur vie quotidienne ? « C'est par des idées neuves, dit André Blanc, par des peintures vives, des comparaisons frappantes qu'il commandait leur attention.

La faim, la soif physiques que ses paroissiens éprouvaient tous les jours l'amenaient à leur parler des besoins de leur âme : « Avez-vous habituellement faim et soif de justice ? leur disait-il un jour. Pouvez-vous dire comme David que votre âme a soif du Dieu vivant ? Si votre corps est atteint ou seulement menacé de quelque maladie, si vous craignez quelque danger, avec quelle ardeur ne cherchez-vous pas du secours, que ne faites-vous pas pour recouvrer ou conserver votre santé et votre liberté ? En est-il de même quand il s'agit du salut ? »

Neff ne se perdait jamais dans le vague, mais par des récits de conversions, parlant quelquefois de lui-même, de ses propres expériences, il leur montrait clairement l'importance du salut.
Des termes justes, vigoureux caractérisaient ses méditations nourries de citations bibliques et illustrées de comparaisons frappantes : « Comme les eaux de la mer baignent également la baleine et le plus petit coquillage, comme une pluie abondante arrose suffisamment le chêne et le gramen, ainsi l'amour de Dieu, embrassant tous les êtres qui vivent en Lui, rassasie pleinement chacun d'eux, comme s'Il ne s'occupait que de lui seul... » (9).

Il allait droit à la conscience et faisait comprendre à ses auditeurs que le but de tous ses sermons ou méditations était leur conversion. Tout cela était dit avec conviction, avec amour : ce qui explique la puissance de la prédication de Neff comme moyen de Réveil : « Donnez-vous à votre âme les mêmes soins qu'à votre corps, qu'à votre réputation, qu'à votre intérêt temporel ?
« Faites-vous pour votre salut ce que vous feriez pour des choses de moindre valeur ? Vous ne passerez pas sans doute une seule journée sans prendre votre nourriture, votre repos, vos délassements ; combien en passez-vous sans alimenter votre âme ? Et si vous le faites, si vous prenez votre nourriture spirituelle, le faites-vous avec autant d'ardeur, de régularité que s'il s'agissait de votre corps ? Vous dites sans doute : il faut que je vive ; il est nécessaire que je sois nourri, vêtu, logé ; dites-vous aussi fermement : il faut que mon âme vive, il faut qu'elle soit nourrie de la Parole de Dieu, vêtue de la justice de Christ, et qu'elle ait une place dans la Cité céleste ? » (10).

Les sermons de Neff rappellent ceux de Nardin par leur caractère profondément évangélique. D'ailleurs, il appréciait lui-même beaucoup ce prédicateur et en recommandait la lecture à ses paroissiens.

À l'école de Félix Neff tous les pasteurs devraient apprendre à prêcher simplement et à se défaire absolument de ces termes d'École que la plupart des auditeurs ne comprennent pas. Cela demande une préparation très sérieuse ; c'est si difficile de parler simplement !
Il faut que les prédications soient nourries de la Bible pour qu'elles puissent nourrir les âmes et les fortifier dans la foi. Il faut qu'elles visent la conscience et aient pour but la conversion, origine de toute vie vraiment chrétienne.

B) Fond de la prédication de Félix Neff

La prédication de Félix Neff, comme celle des prédicateurs du Réveil, avait, à sa base, les vérités dogmatiques qui sont, depuis la Réforme, les fondements de la Théologie évangélique : la chute de l'homme et son état de condamnation, la rédemption par le sacrifice expiatoire de Jésus-Christ, la justification par la foi, la régénération, la nécessité de la sanctification ; en un mot - le salut comme oeuvre de la grâce et de la miséricorde d'un seul Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, vérités que l'Esprit-Saint a réunies avec une admirable plénitude d'expression dans les paroles suivantes : « Élus suivant la prescience de Dieu, le Père, pour être sanctifiés par l'Esprit, pour obéir à Jésus-Christ, et pour avoir part à l'aspersion de son sang ».

C'est surtout le dogme de la Rédemption par le sang du Christ qui faisait le sujet de la prédication de Félix Neff. Il absorbait à lui seul la plus grande partie de ses sermons ou méditations. C'était la doctrine fondamentale autour de laquelle tout se mouvait.
Si nous ajoutons la conversion par laquelle l'âme saisit les bienfaits de la Rédemption, l'amour de Dieu opposé à l'amour du monde, et enfin, l'autorité de la Bible, nous aurons toute la prédication de Neff.

On lui reprochait quelquefois d'annoncer des doctrines nouvelles : il s'en défendait énergiquement. Il lui arrivait même de porter en chaire le catéchisme de Calvin ou d'anciens livres liturgiques : « Dans la première partie de mon sermon, écrit-il lui-même à propos d'une prédication qu'il donna dans le Temple de Mens le dimanche 24 août 1822, je n'ai fait que lire les extraits de catéchisme et des sermons de Calvin, de sa confession de foi, etc..., en ayant soin de leur faire remarquer la parfaite conformité de ma doctrine avec celle de nos anciens docteurs ».

Il n'admettait pas que l'on prêchât autre chose que ce qui est renfermé dans la Bible et consacré par la tradition : « Quand on ne croit pas que toute la Bible est divinement inspirée, disait-il un jour à un pasteur avec lequel il avait discuté longtemps ; quand on ne croit pas que l'homme est, par sa conception naturelle, soumis à la condamnation et qu'il a besoin d'un Sauveur, quand on ne regarde pas Jésus-Christ comme Dieu béni éternellement, on ne célèbre pas des fêtes en son honneur, on ne baptise pas des enfants en son nom, on ne se dit pas son ministre, on prend le froc et on le jette aux orties ».

L' « apôtre des Hautes-Alpes » croyait à l'inspiration littérale de la Bible, comme la plupart des prédicateurs du Réveil du siècle dernier. Le volume sacré, par le fait même du profond amour que Neff lui portait, formait pour lui un bloc compact et intangible. Il ignorait que la Bible n'est pas un livre, mais une collection de livres écrits à des époques très diverses, par des auteurs plus divers encore, de culture et de développement spirituel très différents.

Il croyait que tout, dans la Bible, était Parole de Dieu.
Tout n'est pas « parole de Dieu » dans la Bible - on y trouve des paroles d'homme et des paroles de Dieu. Dieu s'est servi d'intermédiaires humains - quelle condescendance ! - pour nous transmettre sa parole, par une révélation progressive ; d'auteurs qui n'étaient pas d'égale valeur religieuse et qui, vivant à des époques très différentes, ne pouvaient pas avoir exactement la même opinion sur tous les points.
Mais nous ne devons absolument rien retrancher à la Parole écrite. Nous devons en conserver soigneusement toutes les parties comme utiles, nécessaires même pour nous faire connaître le Dieu d'amour qui se met au niveau de sa créature tombée pour pouvoir mieux la sauver en l'élevant jusqu'à Lui !

L'Écriture sainte est encore et sera toujours la Parole de Dieu infiniment précieuse, car elle contient la nourriture après laquelle notre âme soupire, l'eau vive dont elle est altérée et la consolation éternelle que nos coeurs réclament.

Le fond de la prédication de Félix Neff n'offrait donc rien de nouveau.
Comme lui, nous croyons que nous, pasteurs, nous devons, en instruisant nos paroissiens, « chercher, à les convaincre de péché par tous les moyens scripturaires et de raisonnement ; les conduire à Jésus, l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde et ne rejette aucun de ceux qui vont à Lui ; les engager tous à lire et à méditer la Parole de Dieu, et surtout prier pour ceux qui ne connaissent pas la vérité, afin que le Seigneur éclaire leur esprit, leur fasse sentir leurs péchés et leur donne le pardon et la paix en Jésus ; prier aussi pour ceux qui le connaissent, afin que Dieu les garde de tout péché, et les conduise à la perfection dans la charité et l'humilité » (11). Ceux qui ont charge d'âmes doivent aussi prêcher « Christ et Christ crucifié » : c'est la seule prédication qui ait converti véritablement les âmes.
Prêchons la Rédemption par le sang de l'agneau pur et sans tâche, « mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification » : c'est la seule prédication qui ait véritablement humilié les âmes et leur ait fait comprendre à quel prix elles ont été rachetées.

Prêchons la folie de la croix.
En un mot : annonçons l'Évangile « intégralement, sans voile, tout entier, dans sa mystérieuse grandeur, en élevant aussi haut que possible, avec l'ardent courage d'une foi sûre d'elle-même, le glorieux étendard qui porte toujours dans ses plis le salut de nos frères. On nous écoutera avec d'autant plus de respect et peut-être de faveur que notre absolue sincérité dira mieux la conviction qui fait le bonheur de notre vie » (12).

C) L'improvisation dans la prédication de Félix Neff

D'après ce que nous savons sur la contrée où s'exerçait le ministère de Félix Neff et sur les difficultés, matérielles qui rendaient sa tâche plus rude à visites pénibles d'une vallée à l'autre, montagnes à franchir, malgré le vent, la pluie, le froid et la neige, on peut comprendre que le temps qui lui restait, pour se recueillir et préparer ses sermons, était très limité.

Les réunions étaient fréquentes avec des auditeurs, à peine civilisés ; c'est ainsi que Neff qui n'avait pas toujours le temps de préparer sa prédication avec autant de soin qu'il l'aurait fallu, fut amené à prêcher selon l'inspiration du moment.
S'appuyant sur Dieu seul, Lui demandant son secours, il prêchait avec facilité bien qu'il ne se fût pas préparé.
Sa profonde connaissance de la Bible, de la vie chrétienne de Jésus-Christ surtout lui facilitait la tâche. Ses talents naturels lui étaient en particulier d'un précieux secours.

On ne naît pas improvisateur. Sans doute l'habitude avait pu accroître chez Félix Neff ce don naturel de la parole : « Je fais le sermon de la passion de demain matin, écrivait-il, il ne m'a pas été possible de le préparer ; c'est pourquoi, j'espère que le Seigneur y pourvoira et qu'Il me donnera de quoi parler. Je m'accoutume ainsi à improviser, et souvent j'ajoute un grand bout à mon discours sans que cela se puisse connaître ».

Dieu avait bien choisi son ouvrier. Neff possédait, en effet, ces qualités nécessaires à tout improvisateur : savoir parler selon le besoin du moment tenir ou ranimer le zèle religieux, s'exprimer sur le champ, dans une circonstance donnée, d'une manière assez correcte et surtout vivante.

Félix Neff, pourtant, préparait souvent ses sermons : « Nous avons eu le privilège, dit M. A. Peloux, d'avoir entre les mains quelques manuscrits de méditations de Félix Neff lui-même. C'est avec une émotion bien grande que nous avons contemplé ces feuilles jaunies par le temps, remplies d'une écriture fine, irrégulière et tourmentée. Sa main un peu tremblante nous révèle un homme habitué plutôt à une vie errante d'apôtre et d'évangéliste qu'à une existence de cabinet. Il y a même des fautes d'orthographe. Mais ces sermons sont soigneusement préparés, la forme en est étudiée ; il y a beaucoup de ratures, de surcharges, des pages entières sont effacées, d'autres sont presque illisibles. Des expressions sont remplacées par d'autres plus heureuses ou plus fortes. Certaines phrases sont soigneusement soulignées ».

Neff se sentait soutenu de Dieu et cela lui donnait de l'assurance : « On gaspille beaucoup de talent dans ce monde faute d'un peu de courage », a-t-on dit. « L'apôtre des Hautes-Alpes » possédait ce courage qui l'aidait puissamment. Il allait de l'avant en comptant sur Dieu, et tout allait bien : « Quoique mon discours ne pût être soigné pour le style, puisqu'il était improvisé comme à l'ordinaire, tout le monde m'en a témoigné de la satisfaction... je ne crois pas dire ceci pour me glorifier; mais je n'aurais jamais osé espérer que la prédication me deviendrait aussi facile. Il me semblait que tels d'entre nos prédicateurs étaient des prodiges, et je vois maintenant qu'un peu d'habitude, et la foi surtout, peuvent faire de ces prodiges tant qu'on veut. Aujourd'hui, monter en chaire sans même avoir eu le temps de songer à mon texte, et faire un discours en règle, sans répétitions, sans chevilles, aussi long et devant tant de personnes qu'on voudra, ne me semble pas une chose difficile » (13).

Les pasteurs qui peuvent en faire autant sont rares, à notre avis.
Beaucoup de prédicateurs du Réveil n'ont pas su éviter les dangers de l'improvisation, par exemple, la négligence, la confusion.
Il est de toute évidence que ce qui importe c'est le fond, l'Évangile. La prédication de l'Évangile doit être mise en pleine lumière, mais un prédicateur qui n'a pas le don inné de l'improvisation laisse le fond se voiler par l'imperfection de la forme et le manque de suite dans le développement.
Il faut se méfier des discours d'abondance où les mots résonnent sans valeur : ces sermons où le « patois de Canaan » domine ne font aucun bien.

Félix Neff ne prononçait jamais de pareils discours. Et parce qu'il improvisait facilement, il ne faut pas s'imaginer que l'improvisation est nécessaire dans une oeuvre de Réveil.
Une préparation sérieuse, au contraire, permet à l'orateur de choisir le mot juste et frappant, de soigner la forme de son discours et d'analyser ses idées. Alliée à la simplicité et à la conviction, elle peut produire un sermon excellent.


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(1) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 178, t. Il.

(2) A. Bost ; « Lettres de Félix Neff », p. 307, t. I.

(3) Martin-Dupont : « Mes Impressions », p. 67.

(4) A. Bost ; « Lettres de Félix Neff », p. 224, t. I.

(5) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 213, t, Il.

(6) A. Bost. « Lettres de Félix Neff » p. 394 et 395, t. I.

(7) A - Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 396 et 397, t. I.

(8) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 456. 457 et 459 t. I.

(9) « Méditations sur le 4e chapitre de l'Épître de Saint Jacques », par Félix Neff.

(10) Sermon inédit sur Hébreux Il : 1-3, communiqué à M. A. Peloux par M. le pasteur Daniel Benoît.

(11) Fragment de la profession de foi de Félix Neff, lors de sa consécration au saint ministère, à Londres, en mai 1823.

(12) E. Router : « L'âme moderne et la Prédication de la Croix », « Relèvement » de septembre 1908.

(13) A. Bost ; « Lettres de Félix Neff », p. 229, t. I.

 

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