Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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JACOB LE PÈLERIN

(Suite du n° 825)


Une apparition à la fenêtre.

Une vie plus libre lui apparut en rêve, une vie qui s’étendait plus loin que ses horizons actuels. Il avait assez de lui-même et du monde étroit qui l’entourait. Il commença à s’intéresser aux questions sociales et religieuses du jour, il s’acquit le titre de fanatique en déclarant que le sermon sur la Montagne pouvait être réalisé dans la vie de chaque jour.

En voyant la division dans le monde religieux, ses jalousies étroites et l’esprit sectaire qui régnaient, il n’était pas surpris de voir des incrédules autour de lui. Il était même étonné qu’il n’y en eût pas cent fois plus. Cela n’ébranla cependant pas sa foi, fermement ancrée sur l'Évangile de Jésus-Christ.

Les années ne surent pas le tranquilliser; Jacob n’avait de pensée que pour un monde plus vaste. Il avait aussi l’air de croire qu’il avait perdu toute occasion de se consacrer au service de Dieu; il raisonnait faux, mais, comme beaucoup d’autres braves gens, Jacob fit des fautes et eut à en souffrir.

Il se décida à quitter la maison, partir pour la capitale et voir ce qu’il pourrait y faire. Il lui fallut rassembler tout son courage pour faire part de ses intentions à son père et à sa sœur, et, quand il l’eut fait, il lui sembla qu’un nuage s’était glissé dans son cœur. Il résolut de partir en secret afin d’éviter la douleur des adieux.

Son père aurait assez pour vivre, il le savait, et sa sœur s’était engagée dans un petit commerce; ainsi se crut-il libre. Un soir de clair de lune, il se retira dans sa chambre, non pour se coucher, mais pour attendre le moment où tout serait sombre, afin de s’échapper furtivement. Il écrivit quelques mots pour expliquer la brusque promptitude de son départ.

À deux heures du matin, Jacob ouvrit le vieux pupitre de chêne qui renfermait ses économies, de trois cents francs. Il ne voulait en prendre que 150 avec lui.

Comme il mettait la main sur les clefs, une ombre parut sur la fenêtre projetée par la lune qui brillait dans un ciel sans nuage. Cette apparition étrange fit trembler Jacob et, regardant à la fenêtre, il vit une figure à l’air dur et menaçanf, dont les yeux lançaient des éclairs comme ceux d’un serpent: Une vraie face de criminel. Le reflet ne fut que d’un moment, car une seconde après tout avait disparu. Tout frissonnant, Jacob s’avança vers la fenêtre et se pencha dehors. On ne voyait rien. Évidemment, ce devait être un voleur de nuit.

Cet incident produisit une impression profonde sur lui. Il crut comprendre que c’était une intervention de Dieu. Il attendit toute la nuit près de la fenêtre le retour du personnage mystérieux, mais il ne le revit plus. À l’aurore, il déchira la lettre qui expliquait son départ et s’assit pour lire la Bible. Instinctivement, il l’ouvrit au 14e chapitre de Saint-Jean et trouva de la joie à en lire les promesses bénies.


II avait lu ce chapitre bien des fois auparavant; mais ce matin-là, il semblait lui parler comme si c’eût été la voix d’un homme. L’heure d’après, il était résolu à rester chez lui, pour le moment du moins. Il essaya de se consoler à l’idée que la main de Dieu avait arrangé tout cela. Il ne parla à personne de cette nuit d’émotion.

Le matin, il descendit et tâcha de se montrer le même qu’à l’ordinaire; mais sa figure fit supposer à sa sœur qu’il s’était passé quelque chose. On le questionna, mais sans succès. Il partit à son travail comme d’habitude, mais d’un air morose qui attira l’attention de ses camarades d’atelier. Il lutta cependant contre tout soupçon et réussit à contenir son émotion. Il pensait, sans le dire, que l’apparition à la fenêtre était celle d’un voleur de nuit. Par sa présence dans la chambre, il avait donc prévenu sinon un crime, en tout cas le vol de l’argent de son père. «C’est l’œuvre de Dieu», se disait-il, et cet événement fut le moyen de le retenir à la maison.

Son père mourut quelques années après. Sa sœur n’ayant pas besoin de lui, il songea de nouveau à la capitale. Le souvenir de l’apparition nocturne s’était presque éteint. Un de ses amis lui trouva un emploi dans la grande ville. Il quitta cependant la province avec quelque regret... pourtant n’était-il pas un homme libre? N’avait-il pas le monde devant lui?

Il se mit à l’œuvre avec toute l’énergie de son corps et de son âme. Maintenant seulement il commençait à vivre.

(à suivre).

En avant 1899 06 17



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