LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
5. Un
réformateur, Priscillien
Au quatrième
siècle apparaît un réformateur dont l'oeuvre
affecta de vastes cercles en Espagne. Elle s'étendit à
laLusitanie(Portugal) et à
l'Aquitaine, en France, puis finalement
à Rome même.
Priscillie n'était
un Espagnol riche et influent, un homme remarquable par son
érudition et son éloquence. Comme beaucoup, appartenant
à sa classe sociale, il avait abandonné la religion
païenne. Cependant il n'était pas attiré vers le
christianisme et préférait la littérature
classique aux Écritures. Il nourrissait donc son âme des
philosophies dominantes,
lenéo-platonisme et le
manichéisme. Il se convertit un jour à Christ, fut
baptisé et commença une vie nouvelle de
consécration à Dieu et
deséparation du monde. Il devint un
étudiant enthousiaste et un ami des Écritures,
vécut en ascète, espérant arriver à une
communion plus étroite avec Christ en faisant de son corps un
temple plus digne du St-Esprit. Bien que laïque, il prêcha
et enseigna avec zèle. Il organisa des conventicules et des
réunions, dans le but de faire de la religion une
réalité qui transforme le caractère. Un nombre
considérable de personnes, surtout dans la classe
intellectuelle, se joignirent au mouvement. Priscillien fut
élu évêque d'Avila. Mais il
ne tarda pas à se heurter à l'hostilité d'une
partie du clergé espagnol.
L'évêque Hydiatus,
métropolite de Lusitanie, se mit à la tête de
l'opposition et, à un synode tenu en 380
àSaragosse,ill'accusa
d'hérésie manichéenne
etgnostique.L'affaire n'eut pas d'abord de
succès, mais des nécessités politiques
poussèrent l'empereurMaxime, qui avait
assassiné Gratien et usurpé sa place, à
rechercher l'aide du clergé espagnol. Alors,
dansun synode tenu à Bordeaux(384),
l'évêque Ithaque, homme de mauvaise réputation,
chargea Priscillien et les
«Priscillianistes» de
sorcellerie et d'immoralité. Les accusés furent
conduits à Trèves, condamnés par l'Église
et remis aux mains du pouvoir civil pour être
exécutés (385). Les éminents
évêques,Martin
deTours etAmbroise de
Milan, protestèrent en vain contre ce
procès.Priscillien et six autres
furent décapités, entre autres une femme
distinguée,Euchrotie, veuve d'un
poète et orateur bien connu. Ce fut la première fois
que des chrétiens furent mis à mort par
l'Église, mais non la dernière, hélas!
Des cas semblables devinrent
fréquents. Martin et Ambroise refusèrent ensuite
d'avoir aucun rapport avecHydatius et les
autres évêques responsables de ce crime. Quand
l'empereur Maxime tomba, les cruelles tortures et le meurtre de ces
nobles croyants furent relatés avec horreur et Ithaque fut
destitué. Les corps de Priscillien et de ses compagnons furent
ramenés en Espagne et on les honora comme martyrs.
Néanmoins, unsynode convoqué
à Trèves approuva ces exécutions, leur donnant
ainsi la sanction officielle de l'Église romaine. Confirmation
en fut faite 176 ans plus tard, auSynode de
Braga, en sorte que l'Église dominante, non seulement
persécuta les « Priscillianistes », mais encore
transmit à l'histoire la déclaration que Priscillien et
ses adeptes avaient été punis à cause de leurs
vues manichéennes et gnostiques et pour l'impureté de
leurs vies. Depuis des siècles, ce jugement mensonger continue
à être généralement accepté.
Bien que Priscillien
eût beaucoup écrit, on pensait qu'il ne resterait rien
de ses écrits. Ne s'était-on pas efforcé de les
détruire.Mais, en
1886,Georges Schepss découvrit, à
la bibliothèque de l'université de Würzburg, onze
des oeuvres de Priscillien qu'il décrit comme
«renfermées en un précieux manuscrit en
caractères onciaux resté inconnu jusqu'à
maintenant»(22). Écrit en très
vieux latin, c'est un des plus anciens manuscrits connus en cette
langue. Il se compose de onze traités (quelques parties
manquent) dont les quatre premiers renferment les détails du
procès, et les sept autres, l'enseignement de Priscillien. La
lecture de ces traités, écrits par Priscillien
même, démontre que le rapport transmis à la
postérité était absolument
faux,qu'il était un homme de
caractère pieux, pur dans sa doctrine,et un réformateur
énergique, enfin que ses adeptes, hommes et femmes,
étaient de vrais disciples de Christ. Les autorités
ecclésiastiques ne se bornèrent pas à exterminer
ces chrétiens, à les exiler et à confisquer
leurs biens. Elles calomnièrent encore sans relâche leur
mémoire.
Le style littéraire de
Priscillien est vivant et attrayant. Il cite constamment
l'Écriture (23) à l'appui de ce qu'il
avance et montre une connaissance intime de l'ensemble de l'Ancien et
du Nouveau Testament. Cependant il maintient le droit du
chrétien de lire d'autre littérature, et l'on en
profita pour l'accuser de vouloir inclureles
livres apocryphes dans le canon des Écritures, ce qu'il ne fit
pas. Il justifie sa position et celle de ses amis quant aux
études bibliques auxquelles participaient des laïques,
voire des femmes.Il explique aussi leur
opposition à prendre la Sainte-Cène avec des personnes
frivoles et mondaines.Pour lui, les discussions théologiques
de l'Église avaient peu de valeur, car il connaissait le don
de Dieu et l'avait accepté par une foi vivante. Il se refusait
à discuter sur la Trinité. Il se contentait de savoir
qu'en Christ on peut saisir le seul vrai Dieu à l'aide du
Saint-Esprit (24). Il enseignait que le but de la
rédemption est de nous tourner vers Dieu, qu'il importe donc
de nous détourner énergiquement du monde, afin
d'éviter tout ce qui entraverait notre communion avec
Lui.Ce salut n'est pas un
événement magique, accompli par quelque sacrement, mais
bien un acte spirituel.L'Église, il est vrai, établit
une confession de foi, baptise et transmet aux hommes les
commandements, ou Parole de Dieu. Cependant chacun doit
décider pour lui-même, croire personnellement. La
communion avec Christ est-elle brisée? que chacun la
rétablisse par une repentance individuelle. Il n'existe pas de
grâce officielle spéciale. Les laïques ont
l'Esprit-Saint, sont comme le clergé.
Priscillien expose longuement
ledanger et la fausseté du
manichéisme. Son enseignement tiré des Écritures
y est directement opposé. Il ne regarde
pasl'ascétisme comme une chose
capitale en elle-même, mais comme un moyen de parvenir à
une union absolue de tout l'être avec Dieu, avec Christ, union
dont le corps ne peut être exclu, puisqu'il est l'habitation du
Saint-Esprit. Cette union, c'est le repos en Christ,
l'expérience de l'amour divin, de la direction d'En-Haut et
d'une incorruptible bénédiction. La foi au Dieu qui
s'est révélé est un acte personnel qui enveloppe
l'être entier dans une dépendance absolue de Dieu pour
la vie et pour toutes choses. Cette foi entraîne avec elle le
désir et la décision de Lui être
entièrement consacré. Les oeuvres morales s'ensuivent
naturellement; car, en recevant la vie nouvelle, le croyant a
reçu en lui-même ce qui est l'essence même de la
moralité. L'Écriture n'est pas seulement
vérité historique; elle est aussi un moyen de
grâce. L'esprit humain s'en nourrit et découvre que
chacune de ses parties renferme une révélation, une
instruction et une direction pour la vie quotidienne. Discerner la
signification allégorique de l'Écriture n'exige pas une
préparation technique, mais la foi. Il met en évidence
le sens messianique et typique de l'Ancien Testament et le
progrès historique réalisé par le Nouveau, non
seulement au point de vue de la connaissance, mais pour
démontrer que tous les saints sont appelés à une
entière sanctification.
Un tel enseignement devait
forcément provoquer un conflit avec l'Église de Rome,
surtout avec les cercles représentés par un
évêque aussi astucieux et politique qu'Hydatius. Dans la
vie sainte d'un simple croyant, le clergé découvrait ce
qui condamnait leur position spéciale. Le pouvoir de la
«succession apostolique» et de
l'office sacerdotal était ébranlé par un
enseignement qui insistait sur la sainteté, sur un
renouvellement de vie continuel par le Saint-Esprit et sur la
communion avec Dieu. La distinction arbitraire entre le clergé
et les laïques était rompue dès le moment
où le pouvoir magique dusacrement
faisait place à une possession vivante du salut par la
foi.
La brèche était
irréparable du fait qu'elle était due à deux
points de vue distincts concernant l'Église. Ici il ne
s'agissait pas simplement de supprimer des conventicules, ou de
résister à tel ordre monastique s'organisant hors de
l'Église, mais bien d'une différence absolue de
principe.La tactique d'Hydatius
était de fortifier le pouvoir de l'évêque
métropolitain en sa qualité de représentant
duSaint-Siège de Rome,dans le but
d'établir l'organisation centralisatrice romaine, encore
impopulaire et incomplète en Espagne, où elle
n'était pas encore acceptée par les
évêques de moindre importance. Les milieux "auxquels
s'associait Priscillien étaient, en principe,
diamétralement opposés à ce système. Leur
connaissance des Écritures, qu'ils avaient adoptées
comme règle de vie, les amena à préconiser
l'indépendance de chaque congrégation, ce qu'ils
pratiquaient du reste déjà.
Après la mort de
Priscillien et de ses compagnons, les groupes partageant leur foi
augmentèrent rapidement.Bien
queMartin de Tours parvînt à
amoindrir la première vague de persécution qui suivit
ce tragique événement, elle continua implacable pendant
longtemps. Néanmoins, ce ne fut qu'environ deux siècles
plus tard que les réunions furent finalement
dispersées.
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