LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
4. Les Pauvres de Lyon,
1160-1318
Pierre Valdo, de Lyon, marchand et banquier
prospère, fut amené à chercher le salut de son
âme par la mort subite d'un de ses hôtes à une
fête qu'il avait donnée. Il s'intéressa si
vivement aux Écritures, qu'en 1160 il employa des clercs pour
en traduire certaines portions en langue romane. Il avait
été touché par le récit de la vie de
saint Alexis qui avait vendu tous ses biens et entrepris un
pèlerinage en Terre-Sainte. Un théologien attira
l'attention de Valdo sur ces paroles du Seigneur dans Matthieu 19.
21. «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu
possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor
dans le ciel. Puis viens et suis-moi.» En conséquence, il
remit à sa femme tous ses biens fonciers (1173), vendit le
reste et le distribua aux pauvres. Pendant quelque temps il se
consacra à l'étude des Écritures, puis, en 1180,
commença à voyager et à prêcher,
s'inspirant des paroles du Seigneur: «Il envoya ses disciples
deux à deux devant lui dans toutes les villes et dans tous les
lieux où lui-même devait aller. Il leur dit: La moisson
est grande, mais il y a peu d'ouvriers. Priez donc le maître de
la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson. Partez; voici, je
vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni sac
ni soulier, et ne saluez personne en chemin.»
Valdo et ses compagnons voyagèrent et
prêchèrent de cette manière, ce qui les fit
nommer les «Pauvres de Lyon». Leur demande (1179)
d'être reconnus par l'Église avait déjà
été repoussée avec mépris au
troisième Concile de Latran, sous le pape Alexandre III. En
1184, ils furent chassés de Lyon et excommuniés par un
édit impérial. Dispersés dans les
contrées avoisinantes, ils prêchèrent avec
puissance. Leur nom de «Pauvres de Lyon» devint une des
multiples appellations de ceux qui suivaient le Christ et son
enseignement.
Un inquisiteur, David d'Augsbourg, dit:
«La secte des «Pauvres de Lyon» et d'autres semblables
sont d'autant plus dangereuses qu'elles sont revêtues d'une
apparence de piété... La conduite journalière de
ces gens est extérieurement humble et modeste, mais l'orgueil
règne dans leurs coeurs. Ils disent avoir parmi eux des hommes
pieux, mais ne voient pas - ajoute-t-il - que nous avons infiniment
mieux et plus qu'eux, des hommes qui ne sont pas revêtus d'une
simple apparence, alors que, chez les hérétiques, il
n'y a qu'impiété recouverte d'hypocrisie.» Une
vieille chronique rapporte que déjà, en 1177, «des
disciples de Pierre Valdo vinrent de Lyon en Allemagne et
commencèrent à prêcher - à Francfort et
à Nuremberg, mais qu'ils disparurent en Bohême, parce
que le Concile de Nuremberg avait reçu l'ordre de les saisir
et de les brûler.»
Les relations de Pierre Valdo avec les Vaudois
furent si intimes que beaucoup le désignèrent comme
fondateur de cette secte, tandis que d'autres dérivent le nom
de «Vaudois» des vallées alpestres - Vallenses -
où ces croyants vivaient en grand nombre. Il est vrai que
Valdo était hautement estimé parmi eux. Toutefois il ne
pouvait être le fondateur de la secte, puisque les Vaudois
fondaient leur foi et leurs pratiques religieuses sur
l'Écriture et suivaient les traces des tout premiers croyants.
En leur donnant le nom d'un homme estimé dans leur milieu, les
gens du dehors ne faisaient qu'imiter l'habitude de leurs
adversaires, qui ne voulaient pas leur reconnaître le droit de
s'appeler «chrétiens» ou «frères».
Pierre Valdo continua ses voyages et atteignit finalement la
Bohême, où il mourut, en 1217, après avoir
travaillé des années et semé à pleines
mains le bon grain, qui produisit, au temps de Huss et plus tard, une
moisson spirituelle dans ce pays. Pierre Valdo et sa bande de
prédicateurs donnèrent une impulsion extraordinaire aux
oeuvres missionnaires des Vaudois qui, jusqu'alors, étaient
restés plutôt isolés dans leurs vallées
reculées, mais qui, dès lors, s'en allèrent
partout prêcher la Parole.
5. Franciscains et
Dominicains
Il y avait au sein de l'Église
catholique romaine beaucoup d'âmes souffrant de la
mondanité croissante et soupirant après un
réveil spirituel, mais qui ne quittèrent pas leur
Église pour se joindre à des groupes de croyants
s'appliquant à modeler leur vie sur les principes de
l'Écriture. En 1209, l'année même où
Innocent III inaugura sa croisade contre le Midi de la France,
François d'Assise, âgé alors de 25 ans, assista,
un matin d'hiver, à une messe qui révolutionna sa vie.
Il y entendit les paroles du dixième chapitre de Matthieu que
Jésus adressa à ses disciples en les envoyant
prêcher et pensa que, pour satisfaire à son besoin
intime d'une réformation, il devait, lui aussi, aller
prêcher l'Evangile dans la pauvreté et dans
l'humilité la plus absolue. Ainsi naquit l'ordre des
frères franciscains, qui s'étendit rapidement sur toute
la terre. François était un merveilleux
prédicateur et sut attirer à lui les foules par son
abnégation et sa nature sereine. En 1210, il alla à
Rome avec la petite compagnie de ses premiers disciples et obtint du
pape, non sans peine, l'approbation verbale de leur
«règle» et la permission de prêcher. Il y eut
bientôt tant d'hommes désirant se joindre aux
franciscains que, pour répondre aux besoins de ceux qui
voulaient observer la règle tout en gardant leur profession
usuelle, il fallut fonder le «troisième ordre». Les
tertiaires conservaient leurs occupations séculières
tout en se soumettant à une règle de conduite, dont le
modèle se trouve essentiellement dans les instructions du
Seigneur Jésus aux apôtres. Ils s'engageaient à
rendre les gains mal acquis, à se réconcilier avec
leurs ennemis, à vivre en paix avec tous, à s'adonner
à la prière et à des oeuvres charitables,
à observer jeûnes et vigiles, à payer les
dîmes à l'église et à pratiquer la
piété envers les morts. Ils ne devaient ni prêter
serment, ni porter des armes, ni employer un langage grossier.
François désirait ardemment la conversion des
païens et des mahométans, ainsi que celle de ses
compatriotes. A deux reprises il risqua de perdre la vie en essayant
de prêcher aux infidèles de la Palestine et du
Maroc.
En 1219 eut lieu le second chapitre
général de l'Ordre et de nombreux frères furent
envoyés en tous pays, de l'Allemagne jusqu'en Afrique du Nord,
et plus tard en Angleterre. Cinq d'entre eux souffrirent le martyre
au Maroc. Bientôt il devint impossible à François
de contrôler l'ordre toujours croissant. L'organisation en fut
confiée à des hommes poursuivant un idéal
différent et, au grand chagrin du fondateur, la règle
de pauvreté fut modifiée. Après sa mort (1226),
la division déjà existante entre frères stricts
et frères relâchés s'accentua. Les frères
stricts, ou Spirituali, furent persécutés. Quatre
d'entre eux furent brûlés à Marseille (1318) et,
dans la même année, le pape flétrit du nom
d'hérésie l'enseignement que Christ et ses
apôtres ne possédaient rien.
Ces nouveaux ordres monastiques, dominicains et
franciscains, tout comme les plus anciens, furent suscités par
un sincère désir de délivrance des maux
intolérables régnant dans l'Église et dans le
monde. Ils étaient l'expression du soupir de l'âme
après Dieu. Tandis que les ordres anciens s'occupaient surtout
du salut personnel et de la sanctification, les plus récents
en date se consacraient à secourir dans leurs misères
l'humanité souffrante autour d'eux. Ces deux institutions -
ordres monastiques, et ordres prêcheurs - exercèrent
pendant un temps une influence étendue pour le bien.
Cependant, étant basées sur des idées humaines,
elles dégénérèrent rapidement et
devinrent des instruments du mal, d'actifs agents d'opposition envers
ceux qui cherchaient le réveil en se conformant aux
Écritures et en les répandant.
L'histoire des moines et des frères
à différentes époques prouve que tout mouvement
spirituel est condamné lorsqu'il s'enferme dans les limites de
l'Église catholique, ou d'autres systèmes semblables.
Il descend inévitablement au niveau de ce qu'il cherchait
d'abord à réformer. Il paie de sa vie l'absence de
persécutions.
François d'Assise et Pierre Valdo furent
tous deux saisis par le même enseignement du Seigneur et
s'abandonnèrent sans réserve à Lui. L'un et
l'autre, par leur exemple et par leur enseignement, gagnèrent
un grand nombre d'âmes et transformèrent toute leur
manière de vivre. Cependant le premier ayant été
reconnu et le second rejeté par la religion organisée
de Rome, la ressemblance se mua en contraste. Leur relation intime
avec le Seigneur peut être restée la même; mais
l'action exercée par ces deux hommes différa
grandement. Les franciscains, étant englobés dans le
système romain, contribuèrent à attacher les
âmes à ce système. Tandis que Valdo et sa
compagnie de prédicateurs entraînèrent des
multitudes vers les Écritures, où elles
puisèrent avec joie aux sources intarissables du salut.
6. Prétendus
hérétiques persécutés; leur doctrine,
1100-1500
En 1163, un concile de l'Église romaine,
convoqué à Tours par le pape Alexandre III
(43), interdit toute relation avec les
Vaudois, à cause de leur «damnable hérésie,
connue depuis longtemps dans le territoire de Toulouse». Vers la
fin du douzième siècle, il y avait à Metz une
église vaudoise importante, qui avait en usage des traductions
de la Bible. A Cologne, une église existait dès les
temps anciens, lorsqu'en 1150 un grand nombre de ses membres furent
exécutés, et leur juge déclara: «Ils
marchèrent à la mort, non seulement avec patience, mais
avec enthousiasme». En Espagne, le roi Alphonse d'Aragon
lança, en 1192, un édit contre les Vaudois, où
il disait que, ce faisant, il agissait comme ses
prédécesseurs. Ils étaient nombreux en France,
en Italie, en Autriche et en d'autres pays. En 1260, on les trouvait
dans quarante-deux paroisses du diocèse de Passau et un
prêtre de Passau écrivait alors: «En Lombardie, en
Provence et ailleurs, les hérétiques ont plus
d'écoles que les théologiens et beaucoup plus
d'auditeurs. Ils discutent librement et invitent le peuple à
des réunions solennelles sur les places de marché, ou
en pleins champs. Personne n'ose leur résister à cause
de la puissance et du nombre de leurs admirateurs.»
A Strasbourg, en 1212, les dominicains avaient
déjà arrêté cinq cents personnes faisant
partie des églises vaudoises. Elles appartenaient à
toutes les classes: nobles, prêtres, riches et pauvres, hommes
et femmes. Les prisonniers déclarèrent qu'ils avaient
beaucoup de frères en Suisse, en Italie, en Allemagne, en
Bohême, etc. Quatre-vingts d'entre eux, entre autres douze
prêtres et vingt-trois femmes, furent livrés aux
flammes. Leur directeur et ancien, nommé Jean, déclara
avant de mourir: «Nous sommes tous pécheurs, mais ce
n'est pas notre foi qui nous rend tels, et nous ne sommes pas
coupables du blasphème dont on nous accuse sans raison. Nous
comptons sur le pardon de nos péchés, et cela sans le
secours des hommes, ni en raison du mérite de nos propres
oeuvres.» Les biens des martyrs furent divisés entre
l'Église et l'autorité civile, dont le pouvoir
était au service de l'Église.
En 1263, un décret du pape
Grégoire IX déclare: «Nous excommunions et
frappons d'anathème tous les hérétiques,
Cathares, Patarins, Pauvres de Lyon, Arnoldistes et autres, quels que
soient leurs noms, car, bien qu'ayant différentes faces, ils
sont réunis par leurs queues(!) et se rencontrent en un
même point par leur vanité.» L'inquisiteur David
d'Augsbourg admet qu'auparavant «les sectes n'étaient
qu'une» et que maintenant elles s'unissaient en face de leurs
ennemis. Ces notes éparses, choisies parmi beaucoup d'autres
suffisent à montrer que les églises primitives
étaient très répandues en Europe aux
douzième et treizième siècles; qu'en certains
pays, elles étaient si nombreuses et influentes qu'elles
jouissaient d'une assez grande liberté; tandis qu'ailleurs
elles étaient exposées aux plus cruelles
persécutions; enfin que, sous des noms divers et avec
certaines divergences de points de vue, elles restaient
essentiellement une et étaient constamment en relation et en
communion les unes avec les autres.
Les doctrines et les pratiques de ces
frères - connus sous le nom de Vaudois - montrent par leur
caractère qu'elles n'étaient pas les fruits d'un essai
de réforme des Églises romaine et grecque, pour les
ramener dans des voies plus scripturaires. Elles ne portent aucune
trace de l'influence de ces églises. Elles indiquent au
contraire la continuité d'une vieille tradition
dérivée d'une tout autre source - l'enseignement de
l'Écriture et les pratiques de l'Église primitive. Leur
existence prouve qu'il y a toujours eu des hommes de foi, d'une
grande puissance et intelligence spirituelles, qui ont maintenu dans
les églises une tradition très semblable à celle
connue dans les temps apostoliques et bien éloignée de
celle qu'avaient élaborée les Églises
dominantes.
En dehors des Saintes Écritures, les
Vaudois n'avaient aucune confession de foi, ni aucune règle
quelconque. Nul homme, si éminent qu'il fût, n'avait le
droit de mettre de côté l'autorité des
Écritures. Et pourtant, à travers les siècles,
et dans tous les pays, ils confessèrent les mêmes
vérités et gardèrent les mêmes formes de
culte. Pour eux, il n'y avait pas de plus haute
révélation que les paroles mêmes de Christ dans
les Évangiles, et, si parfois il leur semblait impossible de
concilier certaines de ses paroles avec d'autres portions de
l'Écriture, bien que les acceptant aussi, ils agissaient selon
ce qui leur semblait être la simple signification des
Évangiles. Suivre Christ, garder ses paroles, imiter son
exemple, tel était leur but suprême.
L'Esprit de Christ, disaient-ils, agit en
tout homme dans la mesure où cet homme obéit à
Christ et le suit fidèlement. Seul le Seigneur peut nous
rendre capables de comprendre ses paroles. Celui qui l'aime gardera
ses commandements. Pour s'unir aux Vaudois, il fallait croire
à quelques grandes vérités
considérées comme essentielles. Une certaine
liberté était laissée vis-à-vis des
questions provoquant le doute ou une divergence d'opinion. Ils
maintenaient que le témoignage intérieur de l'Esprit de
Christ habitant en nous est de suprême importance, car les plus
hautes vérités partent du coeur pour atteindre la
pensée, non par une révélation nouvelle, mais
par une compréhension plus claire de la Parole. Ils donnaient
la première place au Sermon sur la Montagne, qu'ils
regardaient comme la règle de vie des enfants de Dieu. Ils
s'opposaient à toute effusion de sang, même à la
peine de mort. Ils n'employaient jamais la force en matière de
foi et n'intentaient pas de procès à ceux qui leur
faisaient tort. Toutefois bon nombre employèrent les armes
pour leur défense personnelle ou celle de leurs familles,
lorsqu'on vint les attaquer dans leurs vallées. Excepté
en certaines occasions, ils refusaient de prêter serment et
n'employaient légèrement ni le nom de Dieu ni celui des
choses saintes.
Ils contestaient le droit que s'arrogeait
l'Église romaine d'ouvrir ou de fermer le chemin du salut et
ne croyaient pas à l'efficacité des sacrements ou de
quelque autre rite pour obtenir le salut, qui vient de Christ seul
par la foi et se manifeste par des oeuvres d'amour. Ils professaient
la doctrine de la souveraineté de Dieu, par l'élection
unie à celle du libre arbitre de l'homme. Ils estimaient que
dans tous les temps et dans toutes les églises il y avait eu
des hommes éclairés par Dieu. Ils faisaient donc usage
des écrits d'Ambroise, d'Augustin, de Chrysostôme, de
Bernard de Clairvaux et d'autres encore, n'acceptant pas toutefois
tout ce qu'ils écrivaient, mais seulement ce qui correspondait
à l'enseignement primitif des Écritures. On ne
rencontrait pas chez eux cet amour des disputes théologiques
et de la polémique religieuse, si fréquent ailleurs.
Ils étaient prêts à mourir pour la
vérité, attachaient une grande importance à la
piété pratique et désiraient servir Dieu
paisiblement en faisant le bien.
Dans les affaires d'église, les Vaudois
aimaient la simplicité et rien chez eux ne rappelait les
formes adoptées par l'Église de Rome, ce qui
n'empêchait pas les églises et les anciens d'accepter
leurs responsabilités avec le plus grand sérieux. Les
croyants s'unissaient aux anciens pour les décisions à
prendre en matière de discipline et pour les nominations
d'anciens. La Ste-Cène était pour tous les croyants et
se distribuait sous les deux espèces. Ils la prenaient en
mémoire du corps du Seigneur livré pour eux et y
voyaient un puissant stimulant à s'offrir eux-mêmes en
sacrifices vivants. «Quant au baptême - écrivait un
adversaire, Pseudo-Peimer (1260) - quelques-uns se trompent en
déclarant que les petits enfants ne peuvent être
sauvés par le baptême, car le Seigneur a dit: Celui qui
croira et qui sera baptisé sera sauvé.» Mais un
petit enfant ne peut pas encore croire.
Les Vaudois croyaient à la succession
apostolique par l'imposition des mains à ceux qui se sentaient
vraiment appelés à recevoir cette grâce. Ils
enseignaient que l'Église de Rome avait perdu cette
bénédiction quand le pape Sylvestre avait
accepté l'union de l'Église à l'État,
tandis qu'eux l'avaient retenue. Mais ils admettaient que, les
circonstances ne permettaient pas l'imposition des mains, Dieu
pouvait communiquer la grâce nécessaire sans cette
pratique.
Ceux qu'ils appelaient
«apôtres» étaient surtout actifs par le
témoignage. Tandis que les anciens et les surveillants
restaient dans leurs foyers et dans leurs églises, les
apôtres voyageaient continuellement pour les visiter. Les
«Parfaits», comme on les nommait, se distinguaient des
autres disciples de Christ du fait qu'ils obéissaient à
l'injonction du Maître de vendre tout ce qu'ils
possédaient pour Le suivre, tandis que les autres
étaient également appelés à servir, mais
dans le lieu où ils se trouvaient. Les apôtres vaudois
n'avaient ni biens, ni foyer, ni famille. Parfois ils brisaient les
liens déjà formés. Ils menaient une vie
d'abnégation, de privations et de dangers. Ils voyageaient
dans des conditions d'extrême simplicité, sans argent et
sans vêtement de rechange, comptant sur les frères
qu'ils visitaient pour leurs besoins matériels. Ils allaient
toujours deux à deux, l'un plus âgé que l'autre,
le plus jeune servant son aîné. Leurs visites
étaient grandement appréciées et ils
étaient traités avec tous les signes du respect et de
l'affection. Pour parer aux dangers de l'époque, ils
circulaient souvent comme marchands. Les plus jeunes vendaient des
marchandises légères, des couteaux, des aiguilles, etc.
Ils ne réclamaient jamais rien. Beaucoup d'entre eux faisaient
de sérieuses études médicales pour être
à même de soigner les malades qu'ils rencontraient. On
les nommait souvent Amis de Dieu. Ils n'étaient choisis
qu'avec grande prudence; car on réalisait que mieux valait un
seul apôtre vraiment consacré que cent autres moins
nettement appelés à ce service.
Les apôtres choisissaient la
pauvreté, mais chaque église envisageait le soin de ses
pauvres comme un devoir important. Souvent, lorsque les maisons
privées - devenant insuffisantes - on bâtissait de
simples salles de réunions, des logements y étaient
attachés pour hospitaliser les pauvres et les
vieillards.
Les moyens les plus recherchés pour
maintenir la vie spirituelle étaient la lecture personnelle
des Écritures, le culte de famille régulier et de
fréquentes conférences.
Ces croyants ne prenaient aucune part aux
affaires gouvernementales; ils disaient que les apôtres avaient
souvent comparu devant les tribunaux, mais n'avaient jamais
siégé comme juges. Ils appréciaient
l'éducation à côté de la
spiritualité. Plusieurs de ceux qui annonçaient la
Parole avaient obtenu un degré universitaire. Le pape Innocent
III (1198-1216) leur rendit un double témoignage, disant que,
parmi les Vaudois, les laïques éduqués se
chargeaient de la prédication, et que les Vaudois ne voulaient
pas écouter un homme en qui Dieu n'était pas.
La paix relative dans les Vallées
vaudoises fut troublée lorsqu'en 1380 le pape Clément
VII envoya un moine comme inquisiteur pour punir les
hérétiques. Dans les treize années qui
suivirent, environ 230 personnes furent brûlées et leurs
biens répartis entre les inquisiteurs et les magistrats du
pays. Durant l'hiver de 1400, la persécution s'étendit
encore et beaucoup de familles se réfugièrent dans les
hautes montagnes où nombre d'enfants, de femmes et même
d'hommes moururent de faim et de froid. En 1486, une bulle d'Innocent
VIII autorisa l'archevêque de Crémone d'extirper les
hérétiques, et 18.000 hommes envahirent les
Vallées. Alors les paysans commencèrent à se
défendre et, profitant de la nature montagneuse du pays,
qu'ils connaissaient si bien, ils repoussèrent les forces
ennemies. Mais le conflit dura plus d'une centaine
d'années.
7. Les Béghards
A partir du douzième siècle, on
trouve des rapports sur des maisons où les pauvres, les
vieillards et les infirmes vivaient ensemble, travaillant selon leurs
forces et secourus par les dons de généreux
bienfaiteurs. Les occupants de ces maisons n'étaient
liés par aucun voeu et ne mendiaient jamais, comme cela se
faisait dans les couvents. Ces asiles avaient pourtant un
caractère religieux. On les appelait «refuges,
asiles» et leurs occupants aimaient à se nommer «les
pauvres de Christ». A la maison se rattachait souvent une
infirmerie où les soeurs se dévouaient à soigner
les malades, tandis que les frères tenaient des écoles
où ils enseignaient. Une telle institution était
volontiers nommée «Maison de Dieu» par les
frères. Plus tard il y eut des maisons de Béghards, ou
de Béghines, selon qu'elles abritaient des hommes ou des
femmes. Dès le début, elles furent suspectées de
tendances «hérétiques» et il est certain
qu'elles abritèrent souvent des croyants qui s'y cachaient en
temps de persécutions. Avec le temps, on les regarda comme
étant des institutions nettement hérétiques et
beaucoup de leurs occupants furent mis à mort. Dans la
dernière partie du quatorzième siècle, les
autorités papales en prirent possession et les
transférèrent, en majeure partie, aux franciscains
tertiaires.
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