LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
4. L'inquisition renforce son
activité
La mort de l'empereur Louis et
l'élection de Charles IV (1348) (46)
eurent des conséquences désastreuses
pour les congrégations chrétiennes. Le nouvel empereur
était absolument sous l'influence du pape et de son parti et
il en résulta une lutte plus violente que jamais en vue de
détruire toute dissidence. Durant la première
moitié du quatorzième siècle, les églises
des croyants s'étaient grandement développées et
avaient atteint, par leur influence, beaucoup de gens qui ne se
rattachaient pas formellement à leurs groupements. Mais, vers
le milieu de ce siècle, commença pour elles une
ère de" cruelle épreuve. Des inquisiteurs furent
envoyés, en nombre croissant, dans tout l'Empire, et
l'empereur leur donna tout l'appui désiré par les
papes. La plus grande partie de l'Europe devint la scène de
l'exécution cruelle de beaucoup de ses meilleurs citoyens. Un
grand nombre périrent sur les bûchers. En 1391, quatre
cents personnes furent accusées d'hérésie et
condamnées par les tribunaux de la Poméranie et du
Brandebourg. En 1393, deux cent quatre-vingt croyants furent
emprisonnés à Augsbourg. En 1395, environ mille
personnes furent «converties» à la foi catholique en
Thuringe, en Bohême et en Moravie.
La même année, trente-six furent
brûlées à Mayence. Enfin en 1397, une centaine
d'hommes et de femmes furent brûlés en Styrie, et, deux
ans plus tard, six femmes et un homme montèrent sur le
bûcher à Nuremberg. Les villes suisses connurent des
atrocités semblables. A cette époque, le pape Boniface
IX publia un édit ordonnant d'employer tous les moyens
possibles pour se débarrasser du fléau de
l'impiété hérétique. Il cite un rapport
de ses «fils bien-aimés, les inquisiteurs», qui, en
Allemagne, décrivent les Béghards, les Lollards et les
Schwesteriens, lesquels s'affublent des noms de «Pauvres»
et de «Frères». Il déclare que, depuis plus
d'un siècle, cette hérésie a été
interdite sous les mêmes formes et, qu'en différentes
villes, plusieurs de ces sectaires endurcis ont été
brûlés presque chaque année. En 1395, un
inquisiteur nommé Peter Pilichdorf se vanta d'être
arrivé à maîtriser ces hérétiques.
Beaucoup de frères se réfugièrent en
Bohême et en Angleterre, ces pays ayant été
puissamment influencés, le premier, par l'enseignement de
Jérôme et de Huss, le second, par Wicleff.
Dans un document de l'an 1404, écrit par
un adversaire et conservé à Strasbourg, on peut lire
ces mots, cités d'un des frères: «Pendant deux
cents ans, nos églises connurent des temps prospères et
les frères devinrent si nombreux que leurs conciles
réunissaient jusqu'à sept cents personnes et plus. Dieu
fit de grandes choses pour notre communion. Dès lors une
persécution intense fut dirigée contre les serviteurs
de Christ. Ils ont été chassés de pays en pays,
et cette cruelle croisade se poursuit encore aujourd'hui. Depuis
qu'existe l'Église chrétienne, jamais les vrais
chrétiens n'ont été autant traqués dans
le monde, tellement qu'en certains pays, on ne rencontre plus
guère de saints. Chassés par la persécution, nos
frères ont parfois traversé la mer et rencontré
des frères, en tel ou tel district. Mais, ne pouvant parler la
langue du pays, ils ont trouvé les relations difficiles et
sont rentrés chez eux. La face de l'Église change comme
les phases de la lune. Souvent elle est florissante et les saints se
multiplient sur la terre; puis elle semble tomber et
disparaître entièrement. Cependant si elle
disparaît en un lieu, nous savons qu'elle existe en d'autres
pays, même s'il ne s'y trouve que peu de saints menant une vie
pure et unis dans une sainte communion. Nous croyons que
l'Église réapparaîtra, plus forte et plus
nombreuse encore. Le fondateur de notre alliance est Christ et le
Chef de notre Église est Jésus, le Fils de
Dieu.»
Ce même document accuse les frères
de détruire l'unité de l'Église en enseignant
que l'homme vertueux ne peut être sauvé que par la foi.
Il les blâme de condamner des hommes tels qu'Augustin et
Jérôme, et de ne pas avoir des prières
écrites, leur reprochant de tolérer qu'un ancien puisse
offrir à Dieu des prières plus ou moins longues, comme
bon lui semble. Il critique encore les frères de se servir des
Saintes Écritures dans la langue vulgaire, d'en
mémoriser des portions et de les répéter dans
leurs réunions. Enfin l'auteur du document constate que les
frères confessent sept points de la sainte foi
chrétienne: 1. La Trinité. 2. Dieu est le
Créateur de toutes choses, les visibles et les invisibles. 3.
Il a donné la loi à Moïse. 4. Il laissa son Fils
devenir un homme. 5. Il s'est choisi une Église sans tache. 6.
Il y a une résurrection. 7. Christ viendra juger les vivants
et les morts.
Ces sept points, énumérés
ici en latin, réapparaissent en allemand dans un livre
très usé du quatorzième siècle,
découvert à l'abbaye de Tepl, près du district
montagneux de la Forêt de Bohême, qui fut longtemps un
asile pour les frères persécutés. Cet ouvrage a
été composé par les frères et fut
évidemment employé par l'un ou par plusieurs d'entre
eux. Des passages de l'Écriture ont été
arrangés pour être lus le dimanche ou en d'autres jours,
ce qui prouve qu'à part quelques exceptions, les fêtes
catholiques romaines n'étaient pas observées. L'auteur
insiste sur l'importance d'une lecture régulière des
Écritures et recommande à chaque père de famille
d'être Prêtre dans sa propre maison. Cependant, la
majeure partie du livre est une traduction allemande du N. Testament.
Cette traduction diffère grandement de la Vulgate,
adoptée par l'Église romaine, et ressemble aux
traductions allemandes employées depuis l'introduction de
l'imprimerie jusqu'à la traduction de Luther. Cette
dernière a certainement été influencée
par le texte de ce livre, de même qu'une traduction plus
tardive, utilisée durant près d'un siècle par
les anabaptistes, ou mennonites.
Troublés par ces époques de
persécution, beaucoup de gens furent entraînés au
fanatisme. Certains, se nommant «frères et soeurs de
l'Esprit libre», prirent leurs propres sentiments pour les
directions du St-Esprit et s'abandonnèrent à des actes
de folle et de péché vraiment outrageants. D'autres
pratiquèrent l'ascétisme avec excès et d'autres
encore, échappant à la persécution par la
solitude, devinrent très étroits et
manifestèrent certaines vues sur l'égalité qui
les rendirent soupçonneux à l'égard de toute
instruction et les disposèrent à considérer
l'ignorance comme une vertu.
Vers le milieu du quinzième
siècle, une série d'événements
commencèrent à transformer l'Europe.
5. La renaissance. Découverte de
l'imprimerie
En 1453, la prise de Constantinople par les
Turcs obligea de nombreux savants grecs à s'enfuir vers
l'Occident. Ces hommes emportèrent avec eux des manuscrits de
grande valeur, contenant l'ancienne littérature grecque,
depuis longtemps oubliée en Occident. Aussitôt dans les
universités italiennes des professeurs grecs
enseignèrent la langue qui était la clé de tous
ces trésors de connaissances, et l'étude du grec se
répandit rapidement jusqu'à Oxford. Le puissant
mouvement de réveil dans la connaissance de la
littérature antique fut justement désigné par le
terme de Renaissance.
Parmi ces précieux manuscrits
retrouvés, aucun n'eut de si importants résultats que
celui qui permit la restauration et la publication du texte du N.
Testament grec.
En même temps, l'invention de
l'imprimerie procura le moyen de propager ces nouvelles connaissances
et les premières presses furent employées
principalement à l'impression de la Bible.
La découverte de l'Amérique par
Colomb et celle du système solaire par Copernic,
contribuèrent aussi à élargir les
esprits.
L'étude du N. Testament dans des cercles
toujours plus étendus manifesta le contraste absolu entre
l'enseignement de Christ, d'une part, et la chrétienté
corrompue, de l'autre. Vers la fin du quinzième siècle,
quatre-vingt-dix-huit éditions complètes de la Bible
latine avaient été imprimées, ainsi qu'un
beaucoup plus grand nombre de portions bibliques. L'archevêque
de Mayence renouvela les édits interdisant l'usage de Bibles
allemandes. Toutefois, en moins de douze ans, quatorze
éditions de ces Bibles avaient été
imprimées, plus quatre éditions de la Bible hollandaise
et de très nombreuses portions. Le tout était
tiré du même texte que le Testament trouvé
à l'abbaye de Tepl.
Parmi les étudiants de la langue grecque
à Florence se trouvait Jean Colet, qui, plus tard, donna des
cours à Oxford sur le N. Testament. Il fit à ses
auditeurs l'impression d'un homme inspiré alors que, rejetant
la religion extérieure, il leur révélait Christ
dans ses expositions des épîtres de Paul. Un juif,
nommé Reuchlin, fit aussi oeuvre utile en ravivant en
Allemagne l'étude de l'hébreu.
Parmi toute cette pléiade d'hommes
érudits et d'imprimeurs pieux, qui se distinguèrent
alors en Europe, Erasme (47) est le plus connu. Il naquit
à Rotterdam. Étant orphelin, il eut à soutenir,
de bonne heure, une lutte constante contre la pauvreté.
Cependant ses capacités exceptionnelles ne pouvaient rester
ignorées. On l'admira bientôt, non seulement dans les
cercles intellectuels, mais encore dans toutes les cours royales, de
Londres à nome. Son plus grand ouvrage fut la publication du
Testament grec, avec une nouvelle traduction latine,
accompagnée de nombreuses notes et paraphrases. Les
éditions se succédèrent rapidement. En France
seulement, cent mille exemplaires se vendirent en peu de temps. On
pouvait maintenant lire les paroles mêmes qui avaient
apporté le salut au monde. Christ et ses apôtres furent
révélés à beaucoup, lesquels comprirent
bientôt qu'il n'y avait aucune ressemblance entre la tyrannie
religieuse et impie qui les avait si longtemps opprimés, et la
révélation de Dieu en Christ. Comme Erasme, dans ses
notes, opposait l'enseignement de l'Écriture aux pratiques de
l'Église romaine, -une indignation générale
s'éleva contre le clergé. On publia librement des
commentaires railleurs, exprimant en termes peu mesurés le
mépris envers les prêtres.
Concernant les moines des ordres mendiants,
Erasme écrit: «Sous le déguisement de la
pauvreté, ces misérables tyrannisent le monde
chrétien»; puis, parlant des évêques:
«Ils détruisent l'Evangile... font des lois à leur
gré, oppriment les laïques et appliquent au bien et au
mal des mesures de leur propre invention... Ils n'occupent pas le
siège de l'Evangile, mais celui de Caïphe et de Simon le
Magicien, prélats indignes.» Sur les prêtres, il
écrit: «Il y en a maintenant un grand nombre, troupeaux
énormes de séculiers et réguliers. Or il est
notoire que très peu d'entre eux vivent chastement.» Sur
le pape: «J'ai vu de mes propres yeux le pape jules Il...
marcher à la tête d'une procession triomphale, comme
s'il eût été Pompée ou César. Saint
Pierre gagna le monde par la foi, non par les armes, par des soldats,
ou des engins militaires. Les successeurs de saint Pierre
remporteraient autant de victoires que l'apôtre s'ils
étaient animés du même esprit que lui. »
Enfin, sur le chant des choristes dans les églises, il
continue, disant: «La musique d'église moderne est
composée de telle façon que la congrégation n'en
peut saisir un mot... Un groupe de créatures qui devraient se
lamenter sur leurs péchés, s'imaginent plaire à
Dieu en faisant des roulades!»
Dans l'introduction à son N. Testament
grec, Erasme écrit de Christ et des Écritures: «Si
nous avions vu le Seigneur de nos yeux, nous ne le connaîtrions
pas aussi intimement que par le moyen de l'Écriture, où
nous le voyons parler et guérir, mourir et ressusciter, pour
ainsi dire en notre présence. » - « Si l'on nous
montre en quelque lieu les traces des pas de Christ, nous tombons
à genoux et adorons. Pourquoi ne vénérons-nous
pas plutôt le portrait vivant et parlant donné par
l'Evangile?» - «Je voudrais que même la plus faible
femme pût lire les Évangiles et les Épîtres
de saint Paul. je voudrais qu'ils fussent traduits dans toutes les
langues, afin d'être lus et compris, non seulement par les
Écossais et les Irlandais, mais encore par les Sarrasins et
les Turcs. Aussi la première chose à faire dans ce but
est-elle de les rendre intelligibles au lecteur. je soupire
après le jour où le laboureur pourra en chanter
quelques portions tout en suivant sa charrue; où le tisserand
pourra les fredonner au rythme de sa navette; où le voyageur
oubliera les fatigues de la route en se répétant les
récits évangéliques.»
Erasme était un de ceux qui
espéraient une réformation paisible de la
chrétienté. Les conditions paraissaient favorables. A
jules, le pape sanguinaire, avait succédé Léon
X, de la célèbre famille des Médicis.
C'était un homme irréligieux mais ami des arts et de la
littérature, qui avait approuvé le N. Testament grec
d'Erasme. Le roi de France, François 1er, avait
résisté à toute l'Europe plutôt que de
céder les libertés de la France au pape jules. Henri
VIII d'Angleterre était enthousiaste pour la réforme et
s'était entouré d'hommes excellents et des plus
capables, Colet, sir Thomas More, l'archevêque Warham, Dr
Fisher. Les autres souverains d'Europe, dans l'Empire et en Espagne,
étaient aussi favorables. Mais les grandes institutions ne
sont pas changées facilement. Elles s'opposent à la
critique et combattent les réformes. jamais on ne put vraiment
s'attendre à voir la cour de nome tomber d'accord avec
l'enseignement et l'exemple de Christ.
Il fallait, pour produire une réforme,
une action nouvelle et puissante, et déjà, dans le
cercle même des moines, elle se préparait sans bruit. Ce
fui Jean de Staupitz, considéré comme un chef du
mouvement de la réforme, qui découvrit l'homme
préparé par Dieu. Il était
vicaire-général de l'ordre des Augustins et, en 1505,
lors d'un voyage d'inspection des couvents de son ordre, il
rencontra, à Erfurt, Martin Luther, jeune moine
profondément troublé quant au salut de son âme.
Sincèrement désireux de lui aider, Staupitz parvint
à gagner sa confiance. Il lui conseilla de lire les Saintes
Écritures, ainsi que les ouvrages d'Augustin, de Tauler et des
Mystiques. Luther suivit ce conseil et la Lumière l'inonda
lorsqu'il comprit par expérience la doctrine de la
justification par la foi.
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